(Bon, en fait, j'ai quand même résumé le film...)
D'abord, je dois dire que je ne suis pas un fan d'Arnaud Desplechin, mais j'aime encore moins le bonhomme que son cinéma. Desplechin représente pour moi la caricature du cinéma d'auteur français, un type assez pédant, du genre à asséner que si les films français ne marchent pas, c'est la faute aux films de supér-héros américains et autres blockbusters, leurs suites, etc. C'est une manière de penser qui me hérisse totalement parce qu'elle oublie complètement que si le spectateur n'a pas envie de voiir un film français, c'est d'abord parce que l'histoire qu'il raconte ne l'attire pas. les super-héros ou les gros budgets n'y sont pour rien.
(On pourrait aussi débattre du prix des places qui peut rebuter beaucoup de gens, surtout en ces temps d'inflation. Ou de la sacralisation de la salle de cinéma, qui revient à dire que les productions sur les plateformes de streaming sont toutes indignes. Mais je m'égare.)
Alors pourquoi ai-je regardé Tromperie ? Hé bien, un peu par curiosité et surtout pour Léa Seydoux. Elle, c'est celle que les pseudo-cinéphiles adorent détester parce qu'elle est une "fille de", et donc, sous entendu, une pistonné sans talent. Tant pis si elle a tourné avec Kéchiche (et obtenu une Palme d'Or), Brad Bird, Wes Anderson, Woody Allen, David Cronenberg, Christopher Gans, et dans deux James Bond... Tous ces gens-là, c'est connu, n'embauchent que des pistonnés.
De manière générale, et mes critiques de films ou de séries en témoignent, les actrices m'intéressent plus que les acteurs. J'ai du mal à me passionner pour les acteurs, sans doute parce qu'ils me font moins rêver que ceux que j'adorais plus jeune (comme Steve McQueen, Jean-Paul Belmondo, Clint Eastwood, Patrick Dewaere...). Les actrices, aujourd'hui, sont tellement diverses qu'elles incarnent à mon avis ce qui fait le cinéman ce qui le rend captivant.
Si Léa Seydoux attire dans de cinéastes étrangers, c'est sans doute parce qu'ils voient en elle une interprète qui n'est pas un échantillon du cinéma français. Son charisme, son charme, son jeu même n'a rien d'exotique. Elle est cette femme mystérieuse sur laquelle on peut projeter des tas d'histoires. Ce n'est pas une "performer" qui a besoin de changer d'apparence, de se grimer, pour être remarquable, elle échappe aux étiquettes et pour cela elle offre quelque chose de précieux.
En France, peu d'auteurs ont su capter cela, en dehors de Benoït Jacquot et Abdelatif Kéchiche (même si on sait que ça s'est mal passé entre lui et elle). Cela la rapproche d'Eva Green, qui a su trouver son El Dorado en franchissant l'Atlantique, alors que personne ne semblait savoir l'employer à sa juste valeur chez nous.
Desplechin n'a pas pu résister à l'envie d'essayer de modeler cette actrice et il a eu le nez creux en lui donnant le rôle parfait : celui d'une amante, une femme que le héros rêve de posséder tout en sachant qu'il ne le pourra pas, une partenaire sexuelle capable de lui répondre intellectuellement, et qui n'a même pas besoin d'avoir de prénom pour exister. Léa Seydoux est effectivement magistralement dirigée et en même temps on a souvent l'impression que c'est elle qui dirige le film, l'agit, le hante. C'est d'ailleurs sur un plan d'elle qu'il se conclut.
Desplechin aimerait être François Truffaut et filmer les femmes comme son illustre confrère. Il donne ses plus belles scènes à Emmanuelle Devos et Rebecca Marder, toutes deux remarquables. Mais aussi à Madalina Constantin, bouleversante dans un quasi monologue.
En revanche, la scène onirique avec le tribunal féminin est grotesque, elle nous sort de l'histoire, ne fonctionne pas. Pas davantage que le dialogue entre Philip et Ivan, le cinéaste jaloux. A chaque fois, c'est comme si, avec les personnages masculins ou des caricatures de "bonnes femmes", Desplechin s'égarait, perdait le fil, se plantait dans des apartés trop illustratives, trop démonstratrices.
Mais heureusement, le réalisateur a eu la bonne idée de s'attacher les services de Denis Podalydès pour camper Philip. Philip, c'est évidemment Philip Roth lui-même, l'auteur du roman Tromperie ici adapté, et c'était un sacré personnage lui-même. Souvent promis au Prix Nobel de littérature, il ne l'a jamais obtenu, sans doute parce que Roth n'avait pas le profil d'un écrivain capable de faire l'unanimité. Il était trop obsédé par le sexe, la judaïté, les questions raciales, trop étiquetté mysogine.
Podalydès le joue sans chercher à le rendre sympathique. C'est un manipulateur qui ne s'excuse jamais, qui agit à visage découvert, une sorte de vampire qui se nourrit de la vie des autres. Le film comme le livre pose la question de savoir jusquà quel point on peut emprunter à la vie d'autrui pour nourrir une oeuvre romanesque. N'y a-t-il pas là comme un vol, limite un viol ? Chacune des femmes avec qui échange Philip paraît avoir été sérieusement entamé par sa proximité avec lui : Rosalie est malade (certes pas à cause de Philip, mais on devine qu'il ne l'a pas quitté proprement), l'étudiante a fait une dépression, et l'amante anglaise finira par rompre.
C'est aussi un homme persuadé de l'antisémitisme des anglais, qui ne lit que des livres sur/par/pour les juifs. Il est convaincu, et rien ne peut le faire changer d'avis, mais cette généralisation dans le jugement dit tout de cet esprit obtus, incorrigible, autant que son attitude manipulatrice avec les femmes. Il ne préviendra même pas son amante anglaise quand il quittera Londres définitivement pour s'installer à New York. Tout juste lui épargnera-t-il ses reproches sur les anglais, sans doute poussé à l'indulgence par la liaison qu'ils ont.
Toutefois, il ne faut pas, comme j'ai pu le lire, confondre la mysoginie et les obsessions du personnage avec le film lui-même. La mysoginie et la question juive sont des sujets du film, mais ça n'en fait pas un film mysogine ou obsédé par la question juive. On peut raconter des histoires sur des personnages déplaisants, sans être d'accord avec eux. Et sur ce point, ce serait un mauvais procès à faire à Desplechin.
D'ailleurs, outre cette distance philosophique, le film se distingue aussi par sa forme. Très théâtral, il l'est en partie pour des raisons techniques : en effet, le tournage a eu lieu pendant un des confinements durant un pic de l'épidémie de Covid 19, obligeant Desplechin à reporter un projet plus ambitieux. Donc peu d'acteurs, peu de décors. Et pourtant, visuellement, c'est très beau. La caméra est peu mobile, mais le montage est dynamique. Jamais on ne s'ennuie en compagnie de ces personnages qui finalement ne font que parler (les scènes de sexe ne sont jamais montrées, et la nudité quasi-absente - à peine un plan sur Léa Sedoux seins nus. On n'est pas là pour se rincer l'oeil ni pour assister à des étreintes ardentes).
Alors, oui, c'est une expérience. Bavarde, maniériste. Mais porté par des comédiens exceptionnels, une écriture incisive, une réalisation qui s'est nourrie des contraintes du tournage.
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