lundi 29 juin 2020

LUMIERE SUR... GREG TOCCHINI

Greg Tocchini

Pour cette nouvelle entrée, je vous présente une merveille que j'ai trouvée sur Facebook. Le dessinateur Greg Tocchini, connu (notamment) pour sa collaboration avec Rick Remender sur la série Low (publiée par Image Comics), s'est livré à un exercice qui doit travailler pas mal de ses confrères. Il s'agit d'illustrer l'équivalent d'un plan-séquence, un plan sans coupures comme en voit au cinéma.

De grands réalisateurs ont signé des morceaux de bravoure dans ce domaine, comme le plan d'ouverture fameux de La Soif du Mal d'Orson Welles, parfois certains ont magistralement triché en camouflant le montage comme Alfred Hitchcock dans La Corde, Brian de Palma dans Snake Eyes ou Alejandro Gonzalez Inarritu dans Birdman.

Dans le Neuvième Art, des dessinateurs ont cherché à imiter ce mouvement d'appareil pour obtenir une fluidité incomparable dans l'enchaînement des plans, à l'instar de Chris Sprouse dans Tom Strong, J.H. Williams III dans Promethea ou encore Cyril Pedrossa dans L'Âge d'Or. Chacun ses astuces et des résultats souvent épatants.

Pourtant, d'illustres anciens ont fait mieux comme Will Eisner dans ses multiples romans graphiques ou, surtout, Winsor McCay dans Little Nemo in Slumberland. Tocchini s'en sort magistralement avec une histoire de vingt-six planches, sans texte, mais au scénario captivant, drôle, violent, malicieux.

Enjoy !


dimanche 28 juin 2020

GREEN LANTERN 80TH ANNIVERSARY 100-PAGE SUPER SPECTACULAR


C'est au tour de la "Lanterne Verte" de souffler ses quatre-vingts bougies, et DC a mis une fois de plus les petits plats dans les grands avec ce recueil de cent pages où divers auteurs et artistes, généralement attachés au personnage et à ses diverses incarnations, lui rendent hommage. Le résultat est évidemment inégal, souvent anecdotique, mais ponctué de quelques perles.


On commence évidemment par le doyen du titre, Alan Scott, que les appendices de cet album reconnaissent, pour la première fois officiellement dans l'ère DC Rebirth, comme tel mais aussi comme fondateur de la Justice Society of America (espérons que cela pressera l'éditeur pour le relaunch de cette série) : Alan Scott. James Tynion IV et Gary Frank réalisent un beau segment, qui établit aussi l'homosexualité du personnage (un reliquat de la série Earth-2 de James Robinson). Classique mais élégant.
  

Geoff Johns et Ivan Reis ne pouvaient pas ne pas se réunir pour l'occasion, eux qui ont signé un run mémorable avec Hal Jordan, au point que ce dernier détrôna Superman et Wonder Woman au sein de la trinité DC. L'épisode est très malin, avec une chute savoureuse, et magnifiquement dessiné bien sûr. Peut-être la perle de la collection.


Sinestro occupe une place à part dans la légende de Green Lantern puisque le personnage a ambitionné d'être le plus fameux membre du Green Lantern Corps avant d'en devenir l'ennemi juré. Cullen Bunn lui consacre des pages bien senties que Doug Mahnke dessine avec son sens du détail coutumier. La conclusion est impitoyable.


Après ce démarrage en fanfare, on arrive au segment le plus problématique du lot. J'aurai aimé aimer le dernier scénario écrit par Denny O'Neil, cet immense auteur qui vient de disparaître, mais hélas ! le résultat est lourdaud, maladroit, avec une métaphore bien trop appuyée sur la nécessité de réfléchir aux méthodes pour rendre la justice. Quant à Mike Grell, je n'ai jamais adhéré à son graphisme, et ses pages sont ici truffés d'erreurs (de proportion notamment).


Le niveau continue de régresser avec Kyle Rayner, un des Green Lantern les moins charismatiques, desservi par un récit sans relief (malgré les constructions énergétiques de son anneau) de Ron Marz et un dessin moyen de Darry Banks. A zapper.


On peut heureusement compter sur les talents combinés de Peter J. Tomasi et Fernando Pasarin pour honorer dignement Killowog, le colossal instructeur des Green Lantern, à qui ses élèves réservent un anniversaire mémorable. L'histoire nous entraîne sur une fausse piste habile tandis que les dessins sont d'une rare précision. Voilà du beau boulot.


Mais le soufflé retombe avec le chapitre écrit par Charlotte McDuffie et dessiné par Chriscross, consacré à John Stewart. On est pourtant optimiste au début puisque Hawkgirl est aussi là et que cela renvoie les fans au dessin animé La Ligue des Justiciers, dans lequel les deux personnages formaient un couple amis-amants. Mais à l'arrivée, rien de tout ça n'est exploité, et c'est aussi vite lu qu'oublié.


Le grand absent de cette collection est l'impayable Guy Gardner, qui fit les beaux jours de Justice League International. Il est très curieux que le seul épisode qui l'évoque ait la forme d'un hommage certes amusant mais au final bien triste, comme celui produit par Robert Vendetti et Rafa Sandoval. J'aurai préféré que l'humour du héros ait droit à un traitement plus léger.


L'autre souci avec Green Lantern, c'est l'expansion qu'a connu le titre ces dernières années. La Terre comprend pas moins de six membres du GLC, ce qui doit en faire la planète la plus fournie de l'univers DC. Et il faut bien dire que les dernières recrues n'ont pas le charme des anciennes, comme on en a la preuve avec Jessica Cruz, première femme terrienne à porter l'anneau d'Oa. Victime de crises d'anxiété, elle a du potentiel, mais comme son histoire ici, écrite par Mariko Tamaki et Mirka Andolfo, finalement peu d'intérêt.


Idem avec Simon Baz à qui Sina Grace et Ramon Vollalobos consacrent l'ultime chapitre du recueil. Un récit d'une lourdeur symbolique effroyable, qui dessert complètement le propos (Baz est libanais, il appréhende un terroriste et lui fait la morale d'une manière absurde).

Ce qui est regrettable avec ce numéro anniversaire, c'est que le meilleur est concentré dans les premières pages. On voit que, passés Alan Scott, Hal Jordan, Sinestro, le reste n'est pas pas/plus à la hauteur, même si Killowog a droit à un beau morceau. Peut-être faudrait-il dégraisser l'effectif humain du GLC (la série Green Lanterns avec Simon Baz et Jessica Cruz a d'ailleurs été annulée, Guy Gardner n'apparaît plus nulle part tout comme Kyle Rayner), mais ce n'est pas parti pour (voir Teen Lantern dans Young Justice ou le roman graphique Green Lantern : Legacy ou la maxi-série Far Sector).

En prime, l'ouvrage comporte quelques pin-ups, pour lesquels les artistes ne sont pas trop foulés :

Jo Mullein de Far Sector par Jamal Campbell
Hal Jordan par Bruce Timm
Encore Hal Jordan par Rafael Grampa
Jessica Cruz par Joelle Jones
Teen Lantern de Young Justice par David Lafuente
Green Lantern : Legacy par Andie Tong
Kyle Rayner par Sarah Stone
Guy Gardner par Joe Staton

samedi 27 juin 2020

EMPYRE : AVENGERS #0, de Al Ewing et Pepe Larraz


J'ai longuement hésité avant d'entreprendre la lecture de ce premier prologue à la saga événement Marvel de cette année car je ne suis plus très friand de ce genre d'histoire. Mais le fait que ce soit dirigé par Al Ewing (dont j'ai découvert l'excellent Loki : Agent d'Asgard, durant le confinement) et dessiné par Pepe Larraz a eu raison de ma réticence. Un démarrage prometteur, même si le récit est très référencé (donc pas forcément très reader's friendly).


Tony Stark se réveille en sursaut au QG des Avengers après avoir fait un rêve évoquant la guerre entre les Kree et les Cotati. Il reçoit dans la foulée un appel de Captain Marvel car un message télépathique appelle les héros à l'aide dans la zone bleue de la Lune. Sur place, un gigantesque jardin a éclos, gardé par une sentinelle Kree.


Celle-ci est abattue grâce à l'intervention du vrai gardien des lieux, le Swordsman - ou plutôt sa réincarnation Cotati. L'ex-Avenger conduit ses amis auprès du fils qu'il a eu jadis avec Mantis, Sequoia, qui convainc Thor de provoquer une averse pour que la végétation produise enfin de la nourriture.


Quoi (le petit nom du messie céleste) résume ensuite la menace qui pèse sur l'endroit et la Terre car les Kree et les Skrulls, pourtant ennemis de toujours, se sont alliés pour décimer les Cotati et leurs complices. A la tête de l'armée ennemie : Hulkling, le fils de Captain Mar-Vell, ex-Young Avenger.


Iron Man accepte de s'opposer avec les Avengers contre les Kree et les Skrulls. Sans savoir que les Fantastic Four ont pris le parti inverse... Et c'est donc parti pour une saga cosmique qui puise dans les classiques Kree-Skrull War (Roy Thomas/Neal Adams) et Celestial Madonna (Steve Englehart, Roy Thomas/Jim Starlin). Il faudrait donc avoir bien réviser avant de se plonger dans cette aventure...


Sauf que Al Ewing accomplit un formidable boulot de mise à jour pour ceux qui ne se souviendraient pas de tout ou même n'auraient pas lu ces précédentes sagas. Le scénariste réussit le tour de force d'intégrer un résumé exemplaire dans un seul épisode et on a toutes les clés en main pour saisir les enjeux de l'histoire à venir : les origines de Hulkling, celles de Quoia, la mort et la résurrection du Swordsman, l'implication des Avengers, la situation des Cotati à la base de tout cela. C'est vraiment remarquable.

Ewing est le énième scénariste en vue à tenter de produire un event Marvel digne de ce nom. Dès qu'un de ses auteurs perce auprès de la critique et du public, l'éditeur semble le tester en lui soumettant ce défi sur lequel beaucoup se sont cassés la figure, car à force de publier une saga tous les ans (parfois plus), en usant des mêmes ficelles (comme le sacrifice d'un héros, ou plusieurs), il faut beaucoup d'indulgence pour encore croire que ça peut fonctionner. Le dernier event que j'ai lu et apprécié remonte à Fear Itself, il y a neuf ans (!), et ce n'était pourtant pas un chef d'oeuvre. Depuis, j'ai survolé Original Sin, lu bien après sa parution Secret Wars, zappé Secret Empire...

Ewing a, semble-t-il, eu les coudées franches, comme en témoigne les renvois à des sagas vieilles de plus de quarante ans. En faisant le pari de convoquer des événements aussi anciens, mais en s'échinant à les synthétiser pour contextualiser son intrigue, le scénariste s'inscrit dans une continuité louable, qui donne de la profondeur à son propos, rappelle le vécu des personnages. Je me répéte, mais Ewing parvient à condenser cela de manière exceptionnelle, claire, efficace. Il ne mise pas sur un point de départ artificiel (comme Original Sin de Aaron ou qu'il aurait eu le luxe de développer dans la série Avengers (comme Hickman quand il préparait Secret Wars), il souligne que ce qui va se passer découle de faits anciens et semble inéluctable.

La narration est aussi assez singulière puisque Ewing choisit de passer par une voix-off, celle de Tony Stark/Iron Man. Le vengeur en armure a souvent joué le rôle de semeur de troubles, notamment avec les deux Civil War (la première en endossant le costume du méchant, la deuxième en se posant en rebelle), mais Ewing le postionne de manière plus troublante (et troublée), via une astuce un peu grossière mais ingénieuse  : il a fait un rêve, qui ouvre l'épisode, et qui préfigure tout ce qui suit, manière de suggérer qu'il va falloir être méfiant avec les apparences. Et la dernière page le confirme puisqu'on voit que les Kree et les Skrulls ont le soutien des Fantastic Four (un tie-in à la saga indique que les X-Men sont aussi de leur côté) ! 

L'autre élément qui incite à rester prudent est le duo formé par le nouveau Swordsman et son fils, l'autoproclamé messie céleste (comme sa mère, Mantis, fut la madonne céleste). En les installant dans la zone bleue de la Lune (où existe une poche d'oxygène), devenue un vaste jardin cultivé par les Cotati, on a le sentiment d'un paradis en danger. Mais, dans le même temps, l'ouverture de l'épisode nous instruit sur le fait que cet Eden est né d'un bain de sang, d'un génocide. Par ailleurs, la façon de s'exprimer de Quoi laisse planer le doute : ce jeune dieu joue sur la corde sensible (Thor est présenté comme son "oncle"). Comment ne pas vouloir l'aider ? Mais aussi cela n'est-il pas trop beau ? L'attitude belliqueuse de Captain Marvel (une fois de plus mise en avant, ce qui ne va pas aider à la rendre sympathique, comme Marvel le souhaiterait tant, à l'image du film dont elle a été la vedette - il faudrait quand même que l'éditeur songe à aligner ces deux versions, en positif ou en négatif) contribue définitivement à envoyer les Avengers en guerre.

Enfin, il faut admettre que l'affaire est très séduisante grâce au dessin. Pepe Larraz est désormais une star chez Marvel, son statut a complètement basculé depuis House of X, c'est l'artiste qu'on emploie dans le grandes occasions (il sera aussi de la partie pour l'event mutant, X of Swords). On peut trouver ça frustrant, personnellement j'aimerai qu'on le voit plus souvent, sur un titre régulier. Mais il semble pris dans la même roue où, jadis, Steve McNiven ou Olivier Coipel furent enfermés.

Malgré cette réserve, ses planches sont superbes. Larraz sait à merveille poser une action et y insuffler une énergie folle, on est absorbé par le fil de l'histoire grâce à son découpage spectaculaire, la luxuriance de ses images (la végétation de la zone bleue rappelle évidemment celle de Krakoa). Et il anime les personnages avec majesté. Donnez-lui, comme ici, les Avengers et, à l'instar des X-Men, il les dote d'une superbe incroyable. L'entrée en scène du Swordsman a une gueule épatante. Le résumé de la situation par Quoi est admirablement retracé par des compositions qui n'ont rien à envier à un Alan Davis des grands jours (d'ailleurs le trait de Larraz, rond, vigoureux, expressif, fait penser à celui du maître). Et les couleurs de Marte Gracia se marient à la perfection avec son encrage bien appuyé.

Empyre s'annonce donc sous les meilleurs auspices. Sa réalisation est d'ailleurs déjà bouclée puisque Valerio Schiti, qui dessine la saga centrale, n'a pas chômé durant le confinement (et ceux qui ont pu voir ses pages ont été vivement impressionnés). Avant d'embarquer, il sera intéressant de lire l'autre prélude, Empyre : Fantastic Four (disponible le 8 Juillet et dessiné par... R.B. Silva - Marvel ne perd pas le Nord en recrutant l'artiste de Powers of X), pour comprendre pourquoi ces derniers ont pris le parti adverse des Avengers.