dimanche 31 janvier 2021

X-MEN #17, de Jonathan Hickman et Brett Booth


Il fallait bien que ça arrive et c'est arrivé ce Mercredi : Jonathan Hickman vient de signer un mauvais épisode de X-Men. Un épisode pour rien, un épisode sans intérêt, un épisode à côté. Certes le scénariste n'est pas gâté puisque Marvel lui a fourgué la dernière recrue maison, l'abominable Brett Booth, transfuge de DC. C'est donc aussi très laid. 


Deathbird, la prescriptrice de l'impératrice Shi'ar Xandra Neramani, sollicite l'aide des X-Men car sa protégée a disparu. Elle pense à un enlèvement mais a besoin d'enquêteurs discrets et rapides pour mener l'enquête. Cyclope, Jean Grey et Tornade acceptent cette mission.


Reçus sur la planète-trône Chandilar par Smasher, membre de la garde impériale (et femme de Cannonball), le trio entre dans une salle où a été rassemblé le personnel de l'impératrice. La télépathe Oracle les a sondés mais Jean Grey répète l'opération et détecte un suspect.


Xandra est aux mains de Urr, un Stygien, qui refuse de supporter plus longtemps les conditions de vie que leur imposent les Shi'ar. Il veut exécuter Xandra pour se venger mais aussi provoquer une insurrection.
 

Jean Grey remonte la piste de Xandra et Urr et sonne la charge. Tornade sauve la jeune impératrice et neutralise son ravisseur. Xandra la remercie en lui assurant son aide si la mutante en a un jour besoin.

Bon, allons droit au but : Je n'aime pas Brett Booth. C'est un dessinateur au style affreux, un émule de Jim Lee et de l'école Image Comics des débuts (dans les années 90). Je sais que certains en sont fans parce que cela les renvoie à l'époque où ils ont découvert les comics ou y ont repris goût. 

Jim Lee, Rob Lefield, Whilce Portacio, Todd McFarlane ont contribué au renouveau de Marvel dans la dernière décennie du siècle dernier avant de fonder leur propre maison d'édition et de développer leurs propres labels. Image est devenu l'alternative aux Big Two mais a su évoluer pour devenir le foyer de nombreux auteurs et artistes qui tentent l'aventure du creator-owned. Finalement, aujourd'hui, il ne reste plus grand-chose de ce qu'elle fut à l'origine. Ironie du sort : Jim Lee, la star de cette génération, est aujourd'hui devenu le big boss chez DC.

Il est logique que, grâce à lui, des artistes comme Booth ait émergé, en imitant son style, et en produisant pour DC. Malheureusement, comme je n'ai jamais été client de Lee comme dessinateur, je n'ai pas davantage d'attirance pour tous ses disciples. Je n'aime pas ce style surchargé qui dissimule sous des effets mal digérés des défauts techniques. Je n'aime pas ces hachures qui sont en fait des cache-misères pour camoufler des insuffisances diverses et non pour créer des textures. Je n'aime pas ces physionomies saillantes, ces anatomies ridicules tellement elles sont exagérées. Le style Jim Lee, c'est cela. Et Booth n'est de ce point de vue pas un bon dessinateur, c'est un imitateur, mais embarrassant tant son niveau est indigent.

Au moins, on n'est pas pris en traître : dès la première page de l'épisode, on a droit à la totale, un plan d'ensemble avec des personnages au physique risible, un découpage grossier, tape-à-l'oeil, des angles de vue et des enchaînements tellement baclés qu'il ferait rougir de honte un professeur de dessin. Encore une fois, j'admets qu'on puisse trouver ça agréable parce que c'est simple, c'est rapide, c'est racoleur. Mais bon sang, qu'est-ce que c'est mauvais !

Je ne veux pas paraître pontifiant mais le regard s'éduque, qu'on veuille devenir dessinateur ou qu'on soit lecteur. Il n'y a pas forcément des règles pour tout, et la BD gagne même à s'en affranchir. Mais une base technique pour un artiste, et un peu d'exigence esthétique pour le lecteur, c'est le minimum.On ne peut pas juste aimer un dessin pour son côté madeleine de Proust, parce qu'il nous renvoie à l'enfance, à l'adolescence, à nos premiers émois de lecteur. Il faut apprendre à reconnaître un dessin qui tienne debout, qui fonctionne selon la narration graphique de la BD. Il ne suffit pas d'envoyer des splash pages qui claquent, des surhommes nourris aux hormones ou des héroïnes avec des silhouettes de playmates, dans des décors quasi inexistants, pour prétendre que c'est de la BD.

Mon problème avec certains fans, c'est qu'ils prétextent que lire leur suffit alors que s'il faisait l'effort de s'instruire sur la narration de BD, ils profiteraient bien mieux de leur lecture. Il n'y a même pas l'excuse de savoir quoi lire pour se former le regard : les ouvrages sur la narration abondent aujourd'hui, il y en a dans les médiathèques, ce sont des livres faciles d'accès, parfois signés par de grands artistes. Et parfois encore ils sont conçus comme de vrais récits (cf. L'Art invisible de Scott McCloud).

Ma modeste ambition de critique, c'est de ne jamais négliger le dessin par rapport à l'écrit et inversement. Récemment, le dessinateur Fernando Blanco (Catwoman) a eu cette formule très juste sur Twitter en disant que les scénaristes dessinent avec des mots et les dessinateurs écrivent avec des images. Cela suffit à résumer à quel point les deux disciplines sont inséparables. Parler de BD en négligeant le dessin, c'est comme ne parler que de la moitié de ce qui fait une BD. Pire : c'est ne rien comprendre au média. Le dessin a un vocabulaire, si on est capable de faire l'effort de lire des comics en anglais, ça ne demande pas plus d'efforts d'apprendre ce vocabulaire. Et pour le peu d'effort que cela exige, quel bénéfice au moment de partager ses lectures et d'argumenter pour expliquer pourquoi tel livre est bien.

Mais même un dessinateur médiocre comme Booth ne suffit pas à justifier l'échec d'un tel épisode. C'est aussi la responsabilité de Jonathan Hickman, bien peu inspiré. L'intrigue de de numéro tient sur un post-it, mais surtout elle est mal conduite, mal menée et sans intérêt. Tout est raté ici : jamais on ne vibre, jamais on ne palpite. Le sort de Xandra, la jeune impératrice, nous indiffère (pire : on comprend même en partie le sentiment de Urr, qui pointe l'asservissement de son peuple par les Shi'ar). Et surtout on se demande bien ce que les X-Men viennent faire dans cette galère, comme si la garde impériale ne suffisait pas pour règler cette affaire, sans compter que ni Cyclope, ni Tornade ne sont nécessaires pour résoudre ce dossier. A la rigueur, Hickman aurait pu suggérer que Oracle n'a pas poussé assez loin son sondage télépathique parmi les suspects et pourrait ne pas souhaiter que Xandra soit retrouvée en vie à temps. Mais rien de tel n'est sous-entendu.

Le prétexte aussi de solliciter les X-Men parce qu'ils seraient des détectives rapides et discrets ne tient pas la route : ils passent difficilement inaperçus en débarquant sur Chandilar dans leurs costumes colorés (au passage, j'espère que ce n'est pas le retour des costumes de l'ère X-Factor première période, car j'ai toujours trouvé leur design insipide) et bon, la rapidité n'a rien de spectaculaire vu que le mystère est sibyllin. Pas besoin de Sherlock Holmes mutant pour résoudre tout ça.

Heureusement que le prochain numéro verra le retour de Mahmud Asrar au dessin et surtout la reprise d'une intrigue autrement plus passionnante (qu'est-il arrivé à Darwin, X-23 et Synch depuis qu'ils sont dans la Voûte ?). 
 
*
Un dernier mot avant de conclure. Dans le précédent épisode de X-Men, Cyclope annonçait donc au Pr. X et Magneto qu'il allait reformer, avec Jean Grey, une équipe de X-Men. Quand on lui demandait quels en seraient les membres, comment ils seraient choisis, le mutant répondait qu'il allait organiser une élection. La communauté de Krakoa voterait pour ses champions.

L'idée était en soi déjà assez atypique, mais Jonathan Hickman et Marvel ont décidé de l'exploiter complètement en impliquant les lecteurs. Une liste de dix prétendants a donc été communiquée, la voici :


Vous pouvez donc voter pour votre X-Man favori, jusqu'au 2 Fèvrier, en vous rendant sur le site de Marvel. Attention ! Un personnage = un vote. On ne vote qu'une fois pour un seul mutant de cette liste.

J'ignore combien de candidats seront retenus, tout dépendra si Hickman compose une équipe fournie ou pas, mais en comptant Cyclope et Jean Grey, il ne faut pas croire à une formation de douze membres. En tout cas, on peut déjà noter l'originalité des mutants pré-selectionnés, car on ne trouve pas quelques vedettes (comme Wolverine, Tornade, Kitty Pryde, etc.).

Pour ma part, j'ai voté pour Polaris car ne lisant pas X-Factor dans laquelle elle figure, et ayant toujours eu un faible pour la fille de Magneto, trop souvent dans l'ombre de son père et de son compagnon régulier (Havok), j'aimerai la voir plus régulièrement. Je ne dois pas être le seul à l'espérer puisqu'elle est actuellement en tête des suffrages...

vendredi 29 janvier 2021

FUTURE STATE : CATWOMAN #1, de Ram V et Otto Schmidt


Avec Ram V et Otto Schmidt aux manettes de ce Future State : Catwoman, peu de risque de tomber sur une mauvaise surprise. Et c'est effectivement un plaisir à lire. Bien que cette mini-série ne bouleverse pas les habitudes prises pour cet événement, on n'en veut pas aux auteurs qui maîtrisent parfaitement leur sujet. C'est parti pour la première partie d'une aventure mouvementée.


2025. Gotham. Les habitants du quartier de Alleytown sont déportés sur ordre du Magistrat car considérés comme potentiellement dangereux. En effet, dans cette zone de la ville, on croit encore que Batman est en vie et certains se révoltent jusqu'au bout contre ce déplacement.


Mais dans le train qui embarque ces passagers cette nuit-là se trouve quelque chose que convoîte Catwoman, qui continue d'agir dans la clandestinité. Elle s'appuie sur deux complices et, en moto, via un tremplin, elle atterrit sur le toit du véhicule, dans lequel elle pénètre en neutralisant deux gardiens.


Grâce à des comparses à l'intérieur, elle peut progresser vers un compartiment mais doit affronter plusieurs autres gardes, dont elle a peu de mal à se défaire. Elle libère un détenu qui l'aide à repousser d'autres vigiles. Mais désormais sa présence est repérée par le responsable du convoi.


Ce dernier, qui a laissé Mme Canorus, déléguée par le Magistrat pour superviser ce convoi, envoie des renforts pour intercepter Catwoman. Celle-ci ignore que Canorus cherche la même chose qu'elle et est une vieille connaissance de Batman...

C'est dur de ne pas spoiler l'identité réelle de Mme Canorus, mais je me retiens car la surprise vaut la peine d'être préservée. Ce qu'on peut dire, en revanche, c'est que Ram V accomplit une fois encore un sans-faute avec cet épisode.

Depuis qu'il a pris en main la destinée de Catwoman dans sa série normale, le scénariste a fait rapidement la preuve qu'il était l'homme de la situation. Malgré tout, on pouvait s'interroger sur sa faculté à conserver son inspiration dans le contexte futuriste imposé par Future State.

Parce qu'on ne change pas une formule qui gagne, Ram V va droit au but. Pour la plupart des titres de cet event, l'exercice d'écriture s'apparente à celui d'une nouvelle, tout doit être dit en deux, voire quatre épisodes, donc il ne faut pas traîner mais quand même élaborer une intrigue qui captivera les lecteurs et les surprendra parce que l'époque à laquelle elle se déroule modifie la perspective.

Le pitch est simple et c'est un classique du genre : on est dans une heist story, un braquage en bonne et due forme, mais l'originalité ici réside dans le fait que Catwoman ne va pas attaquer un train avec un butin mais avec un passager bien précis. C'est donc aussi une opération de sauvetage. Pour coller à la période, l'héroïne est désormais habillée d'une combinaison gadgetisée adaptée au défi qu'elle s'est lancé. Toutefois, les fondamentaux sont respectés et ce sont surtout ses talents d'acrobate et de combattante qui vont permettre à la féline de briller.

Il y a quelque chose de grisant dans la manière dont Ram V écrit Catwoman, il ne force jamais le trait et réussit à faire en sorte que l'héroïne soit naturellement féminine, séduisante mais aussi efficace, dominant son sujet. Comme quoi, contrairement à cette mode stupide qui pousse les éditeurs à confier des héros noirs à des auteurs noirs, des héroïnes à des scénaristes féminines, etc, Ram V démontre qu'il s'agit surtout de bien comprendre son personnage pour le traiter à sa juste valeur. Ce n'est pas une question de sexe mais de compétence narrative.

On peut dire la même chose à propos d'Otto Schmidt. Pour le fan que je suis, qui suis son travail sur Twitter et qui se régale de chacun de ses dessins, Schmidt figure parmi les tout meilleurs artistes du moment, en particulier quand il s'agit d'animer un personnage féminin. Le dessinateur sait, avec une facilité déconcertante, les représenter avec ce qu'il faut de classe et de malice, de force et de grace, grâce à un trait léger, aérien, incroyablement fluide et spontané.

Les images de Schmidt ont la fraîcheur des esquisses mais la solidité d'une narration graphique éprouvée. Il est capable de poser un décor en un plan d'ensemble et une ambiance puissante. La vision de ces habitants du quartier d'Alleytown qu'on pousse dans des wagons de train est glaçante car elle renvoie aux convois de déportés. L'ambiance est posée.

Mais, parce qu'on reste dans du divertissement, au lieu de sombrer dans une noirceur complaisante, suivant le script, Schmidt évolue ensuite dans un registre bondissant qu'il adore. Les pirouettes et les corrections qu'administre Catwoman aux méchants gardiens du train sont chorégraphiées à merveille, sans effort apparent. On progresse avec Selina Kyle dans les couloirs du véhicule sans savoir ce qu'on va y croiser ni ce qu'elle cherche. Quand, enfin, on découvre que Mme Canorus touche au but avant Catwoman, on saisit ce que les deux femmes ciblent - mais sans être sûr de savoir si elles travaillent ensemble, ce qui donne envie de lire la suite.

Bref, on se régale. Et on se dit aussi que les plus belles réussites de Future State sont certainement ces titres en marge de l'event, excentrés, qui jouent la carte du divertissement pur ou du hors sujet. L'ombre du Magistrat plane dessus sans les écraser et laisse ainsi les auteurs plus libres.

FUTURE STATE : AQUAMAN #1, de Brandon Thomas et Daniel Sampere


Je n'avais pas prévu initialement de lire Future State : Aquaman mais la preview du premier épisode m'a convaincu de lui donner sa chance. Et je ne le regrette pas. Bien que Brandon Thomas use d'une astuce pour son récit futuriste, le résultat est très accrocheur. Pour dessiner cette histoire, DC a fait appel à Daniel Sampere, qui sort de son rôle de doublure de luxe.


2030. Jackson Hyde a endossé l'alias d'Aquaman et s'enfuit d'une prison sous-marine. Alors qu'il nage jusqu'à la surface, il voit quelque chose qui le sidère et permet à ses gardiens de le rattraper et de le renvoyer en cellule.


2025. Jackson Hyde traque Black Manta en compagnie de Andy Curry, la fille de Aquaman (Arthur Curry) et Mera. Le vilain réussit à leur échapper encore une fois. Jackson tente de raisonner Andy, frustrée par cet échec et l'attitude paternaliste de son mentor lorsqu'un phénomène étrange se produit.


Il s'agit de la Confluence, un bouleversement marin dans le continuum espace-temps, qui propulse Jackson et Andy dans des océans situés dans des dimensions parallèles. En nageant dans l'un d'eux, ils sont attaqués par un monstre qui capture Andy et la sépare de Jackson.


2030. Remis à son geôlier, Jackson est interrogé sur la raison pour laquelle il s'est laissé reprendre par ses gardiens. Il répond qu'il a vu un signe attestant que Andy est toujours vivante. Puis il brise ses chaînes et annonce qu'il part à sa recherche...

Aquaman est un personnage dont DC Comics semble souvent ne pas savoir quoi faire. Durant les New 52, il a connu un regain de popularité énorme grâce à Geoff Johns puis Jeff Parker. Lors de DC Rebirth, c'est Dan Abnett puis Kelly Sue DeConnick qui ont écrit ses aventures avant que sa série soit annulé récemment. Au sein de la Justice League, il a souvent souffertt d'un déficit de charisme à côtés de la "trinité" (Superman, Wonder Woman, Batman) ou d'autres membres iconiques (Green Lantern, Flash, Martian Manhunter), alors que, ironiquement, il est un des fondateurs de l'équipe. En parallèle, sa compagne, Mera, a souvent brillé lorsque les scénaristes l'ont employé pour le remplacer à l'occasion.

Dans le projet Future State, Arthur Curry et Mera sont hors champ, ils se sont retirés, et c'est Jackson Hyde qui a hérité du titre de Aquaman. Un choix étonnant puisque Hyde est le fils de Black Manta, le pire ennemi de... Aquaman. C'est également un personnage de couleur, et à ce titre, il confirme l'intention de ces mini-séries de donner plus de visibilité à aux "minorités ethniques" (comme Yara Flor, la néo-Wonder Woman brésilienne ou le Next Batman).

Je ne connaissais pas Brandon Thomas avant mais il fait partie des nouvelles plumes engagées par DC pour Future State. : journaliste, blogueur et auteur freelance, il impose d'emblée sa marque avec une écriture dynamique, qui accroche le lecteur. Pas besoin de grandes explications pour saisir le contexte de son intrigue, tout est brillamment résumé par des dialogues vifs et concis. 

Jackson Hyde est devenu le mentor de Andy Curry, la fille de Arthur Curry et Mera, et ensemble ils traquent Black Manta en 2025. Bientôt ils sont séparés à la faveur d'un événement cosmique et Jackson croit Andy morte. Cinq ans après, déporté dans une autre dimension à cause de cet événement, Jackson est dans une étrange situation : retenu par un geôlier extraterrestre, il finit par comprendre que son geôlier attend comme lui une preuve de vie d'Andy devenue la légendaire Aquawoman.

Si la lecture est aussi plaisante, c'est parce que la narration est très maîtrisée et efficace. Le rythme est soutenu, les péripéties spectaculaires, les rebondissements bien amenés et surprenants. Et la caractérisation est inspirée : la relation Jackson-Andy est vigoureuse, Andy est une jeune fille qui contrôle mal ses pouvoirs (à cause de son émotivité) tandis que Jackson tente d'être digne de la confiance des parents de sa protégée. Leur voyage réserve des moments sensationnels et dramatiques et on est piqué au vif pour savoir ce qu'il est advenu de Andy entre 2025 et 2030.

Le titre bénéficie aussi de dessins magnifiques. J'ai toujours bien apprécié Daniel Sampere même si je déplorai que DC ne lui donne pas plus d'espace pour s'exprimer : il a servi de fill-in artist sur Justice League Dark (période Rebirth) pour un bref arc très réussi, ou sur la récente version de Suicide Squad où il a remplacé son ami Bruno Redondo au milieu du bref run écrit par Tom Taylor.

Mais il semble que DC ait changé son fusil d'épaule et sans doute que la prestation de Sampere sur cet Aquaman a dû jouer. En effet, en Mars prochain, le dessinateur va s'occuper des pages intérieures de Action Comics. Pour l'heure, on peut donc apprécier son travail dans ce premier épisode où on constate que son trait a spectaculairement mûri. Comme Dan Mora, l'influence de Jim Lee est assez évidente, notamment par sa propension à des physionomies athlétiques et anguleuses (pour les hommes). Mais comme Mora, Sampere est plus complet que Lee, varie davantage ses effets, a un trait plus dynamique et souple.

La manière dont il anime Andy est remarquable dans la mesure où il réussit à la représenter comme une jeune fille aux proportions crédibles, très expressive aussi. Les décors sont également soignés. Sampere assume aussi l'encrage et celui-ci a une bonne consistance, qui permet de donner des textures bienvenues et de miser sur des effets bien dosés (comme une mise en scène avec des silhouettes rouges sur fond noir dans une case cruciale). Enfin la colorisation d'Adriano Lucas fait le reste, avec de superbes nuances (la double page montrant la Confluence est mémorable).

Moins noir et désespéré que d'autres titres Future State, Aquaman entraîne le projet dans d'autres territoires, plus exotiques, avec des personnages plus frais. Une proposition bienvenue.

jeudi 28 janvier 2021

FUTURE STATE : DARK DETECTIVE #2, de Mariko Tamaki et Dan Mora, Joshua Williamson et Giannis Milonogiannis


Pour ce deuxième numéro (sur quatre et non sur deux comme je l'avais écrit dans ma précédente critique) de Future State : Dark Detective, on retrouve Mariko Tamaki et Dan Mora pour le titre-vedette, toujours très en forme. La seconde partie du sommaire concerne Red Hood (la suite de l'aventure de Grifters sera pour le prochain uméro), écrit par Joshua Williamson et dessiné par Giannis Milonogiannis. Un excellent programme.


Bruce Wayne se souvient de sa dernière rencontre avec le Gardien de la Paix 01 sur les docks de Gotham. Pour lui échapper, après avoir été blessé par balle, il plonge dans la baie et se sert de sa dernière grenade pour tenter d'éliminer son chasseur.


Aujourd'hui, en tant que Batman, il neutralise un des robots policiers du Magistrat dans un entrepôt où s'étaient réfugiés de jeunes délinquants. Après avoir prélevé un bras du robot, Bruce rentre chez Noah, à qui il loue une chambre. L'homme est complètement parano et sa fille Hannah le fournit en eau potable.


L'examen du bras du robot conduit Batman au locaux de l'entreprise Plexotech qui les fabrique. Cette société s'est montée à la suite de la guerre du Joker, qui a presque ruiné Wayne. Sur place, Batman est vite remarqué mais il réussit nénamoins à fuir avec un micro-drone chargé de la surveillance du lieu.


Encore une fois, chez Noah, Bruce va découvrir de précieux indices en examinant ce micro-drone, originellement conçu par Lucius Fox pour Wayne entreprises. Il est à présent que, grâce à cet équipement, le Magistrat surveille tout Gotham et qu'ainsi il a découvert la double identité de Batman.

Alors que The Next Batman m'a tellement déçu après la lecture de son deuxième épisode au point que j'ai renoncé à en rédiger une critique, Future State : Dark Detective confirme sa réussite. Ce deuxième épisode (sur quatre, et non sur deux comme je l'avais initialement écrit) est même encore meilleur que le précédent. C'est assurément une des (sinon la) plus grande réussite de la collection (du moins, pour ce que j'en ai lue).

Pourquoi ? C'est très simple en vérité : Mariko Tamaki renoue avec quelque chose que j'aime chez Batman (puisque le Dark Detective, c'est lui, le vrai Batman, Bruce Wayne), à savoir une detective story. Je ne dis pas que c'est la meilleure manière d'écrire sur ce personnage puisque j'ai également toujours apprécié quand un scénariste se montrait inspiré en explorant la psyché du dark knight, mais tout de même, Batman comme enquêteur, en train de résoudre un mystère, c'est la base du personnage. Et là, on est en plein dedans.

Tamaki se montre très affutée : elle construit son intrigue autour de la chute de Batman qui coïncide avec l'avènement du Magistrat, le grand méchant qui a pris le contrôle, avec la complicité du maire, de Gotham. On avait compris, dans le premier épisode, que cette prise de contrôle par une police privée et musclée avait été rendue possible grâce à la technologie développée par Wayne entreprises. Désormais, on sait à partir de quand ce nouveau régime a débuté, à la faveur de quelle histoire il a été autorisé, et surtout à quel point Bruce Wayne/Batman a été victime de ses propres méthodes et outils.

En effet, Tamaki s'appuie sur un arc récent du Batman de James Tynion IV, Joker War, dans lequel le Joker donc détourne la fortune de Wayne pour traquer Batman en semant un chaos démentiel à Gotham. Au terme de cette guerre, Bruce Wayne est effectivement, non pas ruiné, mais substantiellement moins riche et donc plus vulnérable. A cette époque, Lucius Fox, le chef du département innovations techniques de Wayne entreprises, a développé des micro-drones pour surveiller les agissements de délinquants et du grand banditisme en ville. Mais il a aussi convaincu, in fine, Bruce Wayne de réfléchir avant d'en faire usage, estimant que cela pourrait passer pour un fliquage total de la population, donc uné dérive autoritaire.

Mais, comme il était moins assuré, Wayne n'a pas été assez vigilant et sa technologie des micro-drones a profité à d'autres. Comment ? Ce sera répondu dans la suite de la mini-série. Mais grâce à cela, tout s'explique et en particulier comment le Magistrat a su que Batman et Bruce était une seule et même personne, que le Gardien de la Paix 01 traque désormais indifféremment. Le "spectacle" d'un Bruce/Batman dépassé par une de ses inventions, dans un décor évoquant celui de Blade Runner, blessé, sans alliés, pisté par un chasseur qui sait qui il est, ruiné, est haletant. Le récit est rythmé de manière implacable. Mariko Tamaki fait un sans-faute.

Et elle peut compter sur un dessinateur lui aussi en feu. Depuis leur première collaboration pour un segment de Detective Comics #1027, la scénariste et Dan Mora affichent une complicité remarquable. Cela se sent à chaque planche que l'artiste illustre avec un plaisir évident. Certes animer Batman est le rêve de beaucoup, mais encore faut-il être à la hauteur de ce héros emblématique, écrasant, sur lequel les plus grands ont taillé leur crayon.

J'aime beaucoup ce que fait Mora avec Batman, la physicalité qui lui insuffle. C'est un héros qui morfle mais reste combatif, qui est au bord de la rupture parce que totalement acculé, démuni. En même temps, il reste ce héros qui compense de manière jubilatoire, d'abord par sa pugnacité intacte et surtout parce que c'est son combat le plus extrême, celui pour lequel il doit puiser dans ses ultimes ressources. Mora parvient brillamment, avec un découpage nerveux, où les cases sont généreusement détaillées et de belle dimension, à nous faire partager les émotions de Batman, combattant inusable mais aussi détective minutieux.

Ajoutez-y la colorisation magistrale de Jordie Bellaire et vous avez une mini-série de haut niveau, de première classe, dont il est impossible de décrocher. De quoi attendre confiant la reprise de Detective Comics par cette équipe créative en Mars.  

*


2025. Gotham. Jason Todd alias Red Hood a fait le choix de travailler avec la Magistrature de Gotham, et donc de traquer et arrêter les masques. Il appréhende ainsi le Vigilant et le livre aux autorités. Mais déjà une autre affaire  se présente car un individu est signalé avec le costume du premier Red Hood.


Jason s'arrête dans un bar où il est pris à parti par trois hommes. Ravager vient l'aider à les raisonner sans qu'il lui ait demandée son assistance, mais la jeune femme est sa maîtresse. Il trouve sur un des hommes l'adresse du faux Red Hood et part l'arrêter.
 

L'opération se passe mal car Ravager tue le faux Red Hood qui s'avère être un malfrat sans intérêt mais manipulé par le Chapelier Fou. Jason Todd remonte sa piste avec Ravager et arrive dans une maison isolée où il trouve le cadavre de leur cible...

Grifters attendra le prochain numéro pour connaître l'issue de son intrigue, et en attendant donc, c'est à un autre personnage que revient d'occuper la back-story de Dark Detective. Joshua Williamson écrit donc ce qui est arrivé à Jason Todd alias Red Hood dans le Gotham de 2025. Et c'est une nouvelle réussite.

Jason Todd occupe une place à part dans la Bat-family. Il a succédé à Dick Grayson dans le rôle de Robin au cours des années 80, puis a connu des séquences tragiques au cours de sa carrière de sidekick (victime du Joker, puis orphelin de père durant Identity Crisis). Il s'est radicalisé en se réinventant sous l'alias de Red Hood, devenant un justicier violent et même hors-la-loi dans la dernière série à son nom. Juste avant Future State et l'annulation de son titre, son ardoise a été effacée.

Mais Williamson a pensé que que cela privait le personnage d'une histoire futuriste plus intéressante et il a imaginé que Red Hood avait choisi en 2025 de travailler pour le Magistrat en traquant et arrêtant des justiciers masqués. Toutefois, on devine que Jason Todd accomplit sa besogne sans plaisir et à l'évidence en choisissant laquelle de ses cibles méritait d'être capturé avec ménagement.

L'intrigue est habile, elle lance le héros sur les traces du Chapelier Fou tout en déjouant les attentes grâce à un cliffhanger malin. Ravager, la fille de Deathstroke, elle aussi dans les rangs de la Magistrature, complète le casting : Williamson en fait la maîtresse de Jason Todd et sa collègue et le couple forme une paire tonique, à la relation tendue.

Le récit est mené tambour-battant, on ne s'ennuie pas une seconde. Et c'est aussi grâce au dessin de Giannis Milonogiannais. Je ne connaissais pas cet artiste mais ce que j'ai vu m'a beaucoup plu. On devine une influence manga par moments, le trait est très vif, l'encrage léger (à la limite même), mais ça colle avec l'ambiance où l'action, le mouvement priment.

Milonogiannis en a profité pour redesigner légèrement Red Hood, c'est très probant (d'autant plus que longtemps Jason Tood s'est trimballé un look impossible, avec un casque rouge, mais aussi des dessinateurs franchement épouvantables). Là encore, Jordie Bellaire fait la preuve de son génie aux couleurs, privilégiant des teintes douces pour des scènes diurnes, qui permettent un contraste efficace avec les parties rouges du costumes de Red Hood.

Bravo !

mercredi 27 janvier 2021

STRANGE ADVENTURES #8, de Tom King, Mitch Gerads et Evan Shaner



Nous atteignons le dernier quart de la mini-série et Strange Adventures continue sa progression imprévisible. Tom King prend son temps, comme d'habitude, et plonge le lecteur dans une profonde interrogation sur son héros, ce n'est pas une histoire qui se lit facilement. D'autant plus que des choses horribles s"y passent, montrées tour à tour de manière suggestive par Evan Shaner ou plus directe par Mitch Gerads.


Les Pykkt ont commencé leur attaque contre la Terre et tous les super-héros sont sur le pied de guerre pour tenter de les repousser. Batman coordonne la riposte comme il le peut mais quand il demande à Flash de quitter sa position pour sauver Phoenix, le bolide constate que la ville est détruite.


Sur Rann, dans le passé. Adam Strange s'est échappé et rejoint Alanna. Sa captivité l'a changé, même s'il ne nie. Son épouse lui demande de parler à leur fille qui s'inquiète pour lui mais il prétend être trop occupé pour l'instant. Les esprits s'échauffent.


Finalement, Adam va voir Aleea, sa fille. Elle joue à imaginer une riposte contre le Pykkt, il jure de la protéger à tout prix car elle est ce qu'il a de plus cher. Sardath appelle Adam pour interroger un prisonnier Pykkt. Mais il préfère l'exécuter et promet de gagner la guerre malgré tout.


Sur Terre, aujourd'hui. Mr. Terrific réussit à capturer un Pykkt et l'interroge avec Batman. Le prisonnier finit par déclarer que Strange a décimé son peuple durant la guerre contre Rann, commettant un véritable génocide...

Strange Adventures, au fil des épisodes, s'est présenté de plus en plus nettement comme un récit sur la vérité. Et dans une histoire de guerre, passée ou présente, la vérité du vainqueur n'est jamais celle du perdant. Adam Strange s'est livré dans son autobiographie comme un guerrier noble, ayant vaincu l'ennemi avec honneur. Ce n'est évidemment pas si simple et cet épisode le confirme.

Quand Tom King explique que Strange Adventures fait partie d'un triptyque (avec Rorschach et Batman/Catwoman) sur la colère, il ne faut sans doute pas l'interpréter du point de vue du seul héros. Cette colère, c'est aussi celle de celui qu'a vaincu Adam Strange autant que celle de Strange lui-même. Mais là encore, il y a la colère qu'on admet, qu'on avoue, et celle qu'on nie. Adam Strange nie sa colère comme son adversaire nie le fait qu'il a combattu et vaincu avec honneur.

Les premières pages de l'épisode alternent comme d'habitude des scènes courtes sur la guerre entre Rann et les Pykkt et la guerre entre la Terre et le Pykkt, sur deux temporalités. Tandis qu'aujourd'hui, les super-héros de la Terre affrontent l'armée Pykkt, hier Adam Strange retrouve sa femme et ses alliés après avoir été fait prisonnier (comme ce fut raconté dans le #7).

Mais, au fait, comment s'est-il échappé du tortionnaire qui le retenait dans l'épisode précédent ? Le récit fait l'impasse sur ce point, pour mieux semer le trouble sur cette partie de l'intrigue, qui se veut la transcription en images de l'autobiographie "officielle" de Strange. On peut aussi imaginer qu'il a été relâché par ses geôliers. Mais à quel prix ? A moins que le but de sa capture était de le démolir psychologiquement, de le briser moralement.

Et c'est l'hypothèse la plus vraisemblable. En effet, briser Adam Strange, c'est briser le chef de l'armée de Rann, briser le héros de la planète attaquée par les Pykkt. Pire : c'est le renvoyer auprès des siens diminué, et donc faillible, un moyen encore plus sûr de torpiller les ranniens.

Barbu, hirsute, mais aussi taciturne, Adam Strange reparaît miraculeusement. Il jure à sa femme aller bien. Mais on comprend vite, comme Alanna, que ce n'est pas vrai : il évite leur fille, inexplicablement, prétend réfléchir à une riposte sévère, s'engueule avec sa femme, change d'avis en allant parler à Aleea... Et répond à un appel de son beau-père pour interroger un prisonnier Pykkt qu'il exécute froidement en se moquant de la possibilité de lui soutirer des renseignements parce qu'il va gagner la guerre, avec ou sans ça. Puis, en fin de compte, de manière hallucinante, il emmène sa fille pique-niquer !

Sous le trait clair d'Evan Shaner, le surréalisme de ces scènes est encore plus étonnant car la violence surgit de manière aussi rapide qu'imprévisible. L'artiste ne change pas sa colorisation, toujours lumineuse, aux teintes douces. Comme il n'applique aucun à-plat noir, tout est fait dans ce dessin pour rassurer, présenter les situations de façon transparente. Par conséquent, quand Alanna et Adam se disputent, et que les noms d'oiseaux comment à fuser, on est vtaiment surpris car la mise en scène, l'ambiance qui précédent ne préparent pas à cette violence.

Mais l'effet est encore plus terrible quand on lit la scène avec le prisonnier Pykkt et Sardath. Le Pykkt baragouine un sabir incompréhensible pour les personnages comme pour nous. Adam tend l'oreille malgré tout, on pense alors que, peut-être, lui décrypte un peu ce qui est dit. Puis tout bascule. Adam braque son pistolet sur le front du prisonnier - sans doute pour le menacer. Puis il lui tire dessus à bout portant. Le rayon laser du flingue emporte la tête du Pyykt. Adam est impassible. Sardath (et nous), horrifié(s). Shaner vient de signer une scène atroce, comme on ne l'attendait pas de sa part, car son style est si apprêté, si séduisant... Redoutable.

Quand dans les dernières pages de l'épisode, on voit partir Adam et sa fille pour un pique-nique (alors que la guerre continue, et après avoir assisté à l'exécution du Pykkt), on est glacé d'effroi car on sait que quelque chose d'encore plus terrible va avoir lieu. Sans aucun doute, l'explication sur la mort d'Aleea Strange (si elle est vraiment morte, car il s'agit du point le plus sujet à caution de l'histoire).

Par un jeu efficace de contraste narratif et esthétique, la partie au présent et sur Terre permet à King et Mitch Gerads de changer de registre tout en prolongeant ce que raconte la partie dans le passé sur Rann. On assiste à des destructions massives par les Pykkt sur Terre (Phoenix est rayée de la carte et la double page qui l'illustre représente parfaitement l'horreur du désastre, avec des couleurs saturées). On voit les super-héros, le plus souvent montrés de loin, dépassés par une armée alien aux soldats innombrables (lorsque Superman précise qu'il ne s'agit en plus que de la première ligne d'attaque, ça donne une idée de la force de frappe Pykkt). Les efforts déployés par les héros vont du spectaculaire (Dr. Fate) au dérisoire (Green Arrow).

L'apocalypse visualisée, King et Gerads ont prouvé au lecteur que c'était sérieux. Ils changent de braquet pour montrer Mr. Terrific, qui a délaissé provisoirement son enquête sur Adam Strange, capturer un Pykkt. Non sans humour d'ailleurs puisque Batman arrive sur les lieux ensuite, visiblement ahuri d'avoir été précédé par son collègue. Les deux héros vont occuper le centre de cette partie de l'épisode, dans laquelle, c'est notable, Adam Strange n'apparaît pas (sauf dans la toute dernière image de l'épisode).

Suivant la règle immuable du "no kill" des super-héros, Batman et Mr. Terrific ne vont pas se laisser aller à la torture, encore moins au meurtre de leur prsionnier. Mais l'interrogatoire se heurte au même mur car, même si Michael Holt et Bruce Wayne maîtrisent la langue Pykkt (ce ne sont pas les héros les plus intelligents du monde pour rien), ce que consent à dire leur prisonnier leur reste incompréhensible. Jusqu'à ce qu'il éructe un nom qui ressemble fort à celui de Adam Strange. Et crache toute sa haine contre le héros de Rann.

Comme dans l'épisode précédent, où Strange avouait à Alanna avoir tué cet homme qui l'avait interpélé lors d'une séance de dédicaces, encore une fois, c'est à Mitch Gerads que revient la tâche de dessiner une scène d'aveu vertigineuse. Le Pykkt dénonce un génocide commis par Strange pour gagner la guerre, avec des affirmations abominables (meurtres de femmes, d'enfants, d'hommes, de manière préméditée et organisée, sans pitié, sans merci). Alors bien sûr, le Pykkt peut mentir, exagérer, mais tout indique, dans le découpage, les angles de vue, les dialogues, la progression dramatique de cette scène, que ce n'est pas le cas. Adam Strange a vraiment commis l'irréparable, l'impardonnable, déjà par le passé. Ce n'est pas un héros de guerre, mais un criminel.

Il y a un phénomène de sidération qui suit la lecture de cette épisode. D'abord parce que Tom King désintègre Adam Strange, et il le fait implacablement. Ensuite, parce que le rythme du récit rend ces révélations totalement stupéfiantes et choquantes. On avance avec crainte et tout se confirme, c'est vraiment tétanisant. Mais plus encore que les deux points précédents, on est sidéré parce que cela sonne vrai, on se dit que c'est ça, la guerre et ce qu'elle fait aux hommes. Simple troufion ou chef de guerre, on en revient jamais indemne. Il semble que Adam Strange n'en soit jamais revenu. Et Tom King réussit brillamment à nous le raconter de sorte que le traumatisme est ressenti comme rarement.

samedi 23 janvier 2021

RORSCHACH #4, de Tom King et Jorge Fornes


Ce nouvel épisode de Rorschach est une nouvelle fois très réussie. Tom King signe une oeuvre fascinante, qui n'a en fait rien de super-héroïque : il s'agit d'un récit policier et psychologique, au rythme volontairement lent, qui joue sur les ambiances et les personnages dans le cadre d'une intrigue tortueuse. Pour qui s'y abandonne, c'est passionnant. D'autant que Jorge Fornes, en total adéquation avec son scénariste, livre des planches très rigoureuses, qui vous accrochent et ne vous lâchent plus.


Après la mort de son père, Laura Cummings, le "Kid", se fait embaucher dans un cirque. Elle y exécute un numéro où elle a la possibilité d'exercer ses talents de tireuse en compagnie d'un jongleur. C'est un succès.


Laura devient l'ami d'un haltérophile qui se produit dans la même troupe. Aujourd'hui, visité par le Détective, il purge une peine de prison pour plusieurs meurtres. Il a été l'ami le plus proche de Laura pour qui il commis ses crimes afin de lui éviter d'être arrêtée par la police.


Le Détective, en auditionnant le colosse, comprend qu'il a été en vérité manipulé par Laura. Celle-ci voulait punir des hommes qu'elle jugeait dangereux, mais sans en avoir la moindre preuve. Son complice allait devenir son bras armé et, pour préserver son identité, il enfila le masque de Rorschach.
 

Comme Laura, le colosse était convaincu que des aliens contrôlaient mentalement des terriens mais que le Dr. Manhattan l'avait anticipé en transférant l'esprit des Watchmen dans de nouveaux corps. Le colosse était devenu l'hôte de Rorschach. Et, même en prison, un autre, bientôt, le remplacerait...

Je peux me tromper, après tout nous n'en sommes qu'au quart de cette mini-série, mais il me semble que le vrai thème de Rorschach vient de nous être dévoilés dans cet épisode : il s'agirait d'une histoire de possession/dépossession. Et cela s'appliquerait aussi bien d'un point de vue narratif que métatextuel.

Dans cet épisode, on suit donc le parcours d'un haltérophile forain qui fut l'ami (mais pas l'amant, même s'il semble clair qu'il avait des sentiments amoureux pour Laura Cummings) du "Kid", la complice de Wil Myerson. Le Détective l'interroge sur leur relation alors qu'il purge une peine de prison pour plusieurs meurtres pour lesquels il est passé aux aveux et qu'il a commis, comme on va le découvrir, sous l'influence de Laura Cummings.

Le personnage de ce colosse de foire renvoie directement à Rolf Müller qui, dans les Mémoires d'Hollis Mason dans Watchmen, était selon le premier Nite Owl l'alter ego de Hooded Justice, le membre le plus brutal des Minutement, ce groupe de justiciers des années 40. Müller lui aussi se produisait dans un cirque et accomplissait des numéros de force.

La théorie de Mason n'a jamais été vérifié. Dans Before Watchmen : Minutement, Darwyn Cooke jouait avec cette idée, en y ajoutant un élément : Müller était gardien dans un camp nazi où étaient détenues Silhouette, autre membre des Minutement, et sa soeur. Silhouette fut sauvée par Ursula, sa future compagne, infirmière dans ce camp. 

Cette version, sinistre, du personnage sera invalidée dans la série télé de HBO où Damon Lindelof imagine que Hooded Justice est un policier noir qui se déguise pour s'attaquer à des suprémacistes blancs. En revanche, dans la série comme dans les BD, Hooded Justice est un homosexuel, amant de Captain Metropolis, le leader des Minutemen.

Pour ma part, je ne valide aucune de ces deux pistes (celle de Cooke comme celle de Lindelof). Je pense que Alan Moore a brouillé les pistes à dessein concernant Hooded Justice pour que le lecteur puisse imaginer ce qu'il voulait. Le scénariste anglais savait très bien doser ses révélations (comme le prouve celle concernant le véritable père de Laurie Jupiter), s'il avait voulu dire qui était Hooded Justice, il l'aurait fait pour que le lecteur sache si son identité réelle avait une importance.

Finalement, ces questions d'identité, de possession/dépossession reviennent au premier plan dans ce quatrième épisode de Rorschach. On apprend très vite que le colosse ami de Laura Cummings est un tueur, mais il le devient pour éviter à la jeune femme de commettre un meurtre (elle veut tuer un homme qui a avoué, en état d'ébriété, avoir tué sa femme en la battant à mort). Il accomplit un crime parfait, sans témoin, sans moyen de remonter jusqu'à lui, et qui passe pour un suicide évident. Mais qui lui vaut les récriminations de Laura, qui se sent comme dépossédée.

Bouleversé à l'idée d'avoir perdu son amie, le colosse regagne son estime en endossant le rôle, le surnom et le masque de Rorschach. Il ne s'agit pas d'un jeu de rôle : Laura est convaincue que l'ancien membre des Watchmen a survécu d'une manière délirante depuis que le Dr. Manhattan aurait transféré son esprit dans le corps d'un autre pour qu'il poursuive sa mission de vigilant. Ses cibles, désormais : des délinquants négligés par la police qui serait sous le joug mental d'extra-terrestres (la théorie déjà développée par le père de Laura).

Au début, King laisse penser que le colosse agit pour conserver l'amitié de Laura. Puis, progressivement, il révèle qu'il commet des meurtres par conviction car lui aussi croit que des aliens contrôle mentalement des terriens et qu'une vaste conspiration est ourdie par les autorités. Le masque et le nom de Rorschach deviennent des emblèmes pour ces complotistes criminels, comme Walter Kovacs (le Rorschach originel) était persuadé que "la fin était proche" (et qu'un autre complot visait les justiciers masqués - ce qui se révélera vrai d'une certaine manière quand, avec Nite Owl II, il découvrira le plan abominable d'Ozymandias suite à l'assassinat du Comédien).

Dans tout embrigadement, il y a de l'aveuglement : les conspirationnistes sont convaincus de ce qu'ils prétendent, il ne s'agit pas d'une réalité alternative, mais bien d'une évidence pour eux. On l'a vu récemment avec les électeurs américains qui estimaient que la présidentielle était truquée, la victoire de Joe Biden ursurpée, mais aussi tous les "antivax" qui racontent que le vaccin contre les Covid-19 contient une puce électronique ou qu'il provoquerait d'autres maladies graves, que le virus lui-même aurait été propagée pour décimer une partie précise de la population, etc.

Ici, Laura est une enfant élevée par un père survivaliste, pro-armes et conspirationniste délirant. Le colosse est un individu visiblement intellectuellement faible mais tout aussi persuadé qu'on cache des choses aux gens et qui considère ses crimes comme des actes salutaires. Laura et son complice sont tous deux aveuglés par leurs délires. Laura, en plus, apparaît comme une manipulatrice qui pourrait avoir envoûté d'autres hommes ensuite (Myerson étant le dernier d'entre eux) puisque, d'après l'haltérophile, d'autres Rorschach apparaîtront pour le remplacer. Il ne croit d'ailleurs pas le Détective quand celui-ci lui annonce que Laura est morte.

Jorge Fornes illustre ce récit de manière clinique. Pas d'esbroufe dans ses dessins. Il montre les faits, sans en rajouter, sachant que le script est assez solide. On peut même dire, au risque que cela paraisse péjoratif, que Fornes réalise des planches un peu plates, limite fades. Mais c'est bien entendu une illusion.

Avec Dave Stewart aux couleurs, Fornes fait preuve de subtilité et dose ses effets magistralement. On est décidément bien loin de l'artiste emprunté, maladroit, qui signait des épisodes de Batman ou de Daredevil en ayant tant de difficultés à dépasser l'influence de Mazzuchelli. C'est intéressant car lui aussi donnait le sentiment d'être absent, dépossédé. Et, là, il montre ce qu'il a vraiment sous le crayon et s'avère très inspiré.

Il y a quelque chose de Melvillien (Jean-Pierre Melville) dans Rorschach : les scènes avec le Détective ont une esthétique passée, délavée, comme les films du cinéaste français. Les personnages sont peu expressifs, et le dessin fait presque entendre leur voix, atone. Ces personnages n'ont souvent pas de nom (le Détective est anonyme, le colosse aussi, Laura Cummings est surnommé "the Kid"). Fornes ne suggère pas de mouvement dans son découpage, c'est austère. Quand il consacre une grande case, voire une pleine page, à une image, il la dépouille de tout aspect spectaculaire, avec des décors nus, des lumières artificielles. Et quand, suivant la lubie de King, il produit un "gaufrier", il s'en sert pour montrer des "talking heads" en gros plan, le truc le plus aride, anti-démonstratif qui soit.

Cette histoire a aussi, enfin, une dimension méta. Car, on le sait, Alan Moore n'a jamais validé les prequels ou versions alternatives de Watchmen. Il fait même retirer son nom des adaptations de ses oeuvres (estimant que la BD est un art en soi, qui n'a pas besoin d'être exploité sous d'autres formes pour avoir plus de crédibilité - et il a raison). Watchmen est son oeuvre la plus connue, celle qui en fait une vedette, mais qui lui a aussi complètement échappé, dont il a été dépossédé. La boucle est donc bouclée avec ce qu'en fait King qui, à la fois, s'en sert tout en ne l'exploitant pas comme le firent les mini-séries Before Watchmen ou la série télé HBO. Son Rorschach est en ce sens plus respectueux de Moore que tout ce qui s'est fait à partir de Watchmen puisqu'il n'y ajoute rien de direct, il ne réécrit pas ce qu'a fait Moore, c'est plutôt une sorte de satellite gravitant autour de cette planète des comics qu'est Watchmen, qui admet que l'oeuvre de Moore est complète et intouchable, insurpassable, mais pas interdite. Il ne lui emprunte qu'un personnage, et même moins, son surnom.

Bien entendu, tout cela reste à vérifier : il reste huit épisodes pour cela. Mais quoi qu'il en soit, c'est assurément une force de ce Rorschach que d'emprunter aussi élégamment à sa matrice pour engendrer une intrigue aussi puissante.

jeudi 21 janvier 2021

X-FORCE #16, de Benjamin Percy et Joshua Cassara


Ce nouvel épisode de X-Force est la suite directe du précédent. Benjamin Percy écrit ce qu'il fait de mieux (un récit d'action avec des personnages moralement ambigüs) mais aussi de pire (juste un récit d'action avec des personnages moralement ambigüs). Il se repose sur son dessinateur, Benjamin Cassara. Mais la vraie question, c'est : est-ce là tout de dont est capable cette série ? Et ce n'est pas la première fois que cette interrogation se pose...


Sur les rivages de Krakoa, Domino et Black Tom Cassidy éliminent les marins de l'USS Siege atteints par une infection provoquée par un résidu de l'île. Les deux mutants se demandent si leur refuge n'est pas malade.


Dans leur laboratoire, le Fauve et Cecilia Reyes prélèvent des échantillons sur un cadavre de l'USS Siege et confirment qu'il s'agit d'une cellule métastatique émanant de l'île. Cecila Reyes devine que le Fauve aimerait l'exploiter pour concevoir une arme. Mais elle le lui déconseille.


Pour remédier à cette infection, Sage rédige un rapport et envoie trois agents de la X-Force - Wolverine, Kid Omega et Forge - dans la fosse marine la plus proche pour détruire ce parasite. Wolverine arrive le premier vers l'épave de l'USS Siege lorsqu'un léviathan surgit des profondeurs.


Rejoints par Kid Omega et Forge, Wolverine voit d'autres monstres marins les encercler. Les trois agents de la X-Force s'apprêtent à attaquer lorsque Namor intervient et leur commande de regagner Krakoa et de le laisser s'occuper des abysses.

X-Force est sans doute une série avec du potentiel mais il semble que celui-ci soit condamné à n'être pas pleinement exploité. En effet, Benjamin Percy retombe dans les travers de la première "saison" du titre dans cet épisode qui clôt l'intrigue démarrée le mois dernier en livrant une histoire qui se lit facilement mais ne raconte rien.

Car que lit-on ? Tout indique que Krakoa produit des tumeurs (à cause de quoi ? Ce n'est pas dit...). Lorsqu'un morceau de l'île tombe dans l'océan, elle finit par contaminer l'équipage d'un sous-marin américain et transforme ses marins en zombies (ou quelque chose dans le genre). Ils s'échouent sur les rivages de Krakoa, surprenant Domino et Black Tom Cassidy. Ceux-ci font le ménage pendant que le Fauve et Cecilia Reyes autopsient un des marins et que Wolverine (bien que celui-ci a eu toujours peur de se noyer à cause du poids que lui donne son squelette métallique), Forge et Kid Omega (ai-je loupé quelque chose ? Il me semblait pourtant que Quire était prisonnier de Mikhail Rasputin et de l'organisation Xeno...) plongent dans une fosse marine pour détruire le parasite...

Les X-Men rencontrent Abyss : pourquoi pas, me direz-vous ? Mais c'est bien maigre quand même. Pour une série qui se présentait comme celle mettant en scène la CIA de la nation X, on est loin du compte. Les premiers épisodes avaient l'avantage de montrer réellement des agents de la X-Force aux prises avec l'organisation Xeno, leurs magouilles contre Krakoa. C'était déjà ça. Maintenant, on a droit à une espèce de partie de pêche pour détruire une branche pourrie de Krakoa mais le scénario ne se préoccupe guère de la maladie possible de l'île et des causes de sa tumeur (alors que, ça, ce serait bien plus intéressant).

Percy s'en fiche tellement ouvertement car aucun moment, même dans une data page, le conseil de Krakoa n'est mentionné et averti de la menace/maladie développée par Krakoa. Il y a  d'autres "détails" négligés étonnants : comme je l'écris plus haut, sauf erreur de ma part, la dernière fois qu'on a vu Kid Omega, il était en mauvaise posture, capturé par Mikhail Rasputin et remis à l'organisation Xeno qui comptait exploiter ses pouvoirs contre les mutants de Krakoa. Or, Quentin Quire est inexplicablement présent dans cette aventure. Percy se sert du personnage comme il l'a toujours fait, pour le moquer (lors d'une scène où Phoebe Cuckoo vient le voir avant qu'il ne plonge avec Wolverine et Forge (ce qui provoque les ricanements de ces derniers). Idem pour Wolverine qui n'a jamais aimé la plongée à cause de son squelette d'adamantium qui menace de le faire couler à pic mais qui, ici, n'hésite pas à aller au fond d'une fosse...

Et c'est mon autre problème avec Percy : tout indique qu'il n'aime pas ces personnages. Entre les multiples fois où il a tué Kid Omega, le comportement indigne qu'il a donné au Fauve (le voilà maintenant en train de cogiter à une arme biologique), la caractérisation de Black Tom Cassidy (qui a l'air d'avoir les neurones complètement grillés), l'humiliation infligée à Colossus, la démission de Jean Grey, le rôle fantomatique de Sage, rien n'échappe au mépris de Percy qui écrit son casting comme un ramassis de crétins ou d'ordures ou de lâches. Seule Domino semble lui inspirer un peu d'intérêt, sans qu'on comprenne vraiment ce qu'il lui trouve. C'est dérangeant, non pas parce qu'il est interdit de considérer effectivement la X-Force comme un groupe peu fréquentable, mais parce qu'il y a une forme d'entêtement à ne pas aller au-delà. Au contraire, Percy charge la barque, toujours plus. C'est pénible.

Je n'aime pas attendre quoi que ce soit d'une série, sauf quand elle se présente dans le cadre d'une mission précise. Et donc le compte n'y est pas. Une CIA mutante ne devrait pas faire ça, elle devrait traquer les ennemis de Krakoa, s'aventurer dans l'espionnage et de la réponse offensive, pas faire le ménage dans l'océan. Surtout pour se faire renvoyer dans les cordes par Namor (toujours aussi mal écrit, et apparaissant de manière trop providentielle pour être crédible). Là encore, si Inviter Namor dans l'histoire présageait de quelque chose, mais j'en doute (de toute façon, Jason Aaron s'accapare l'atlante dans un nouvel arc impossiblement con des Avengers).

X-Force bénéficie du talent de Joshua Cassara. Mais là encore, ça tourne en rond. Le dessinateur a un peu toujours la même chose à illustrer - des choses pas ragoutantes et organiques. Il le fait bien, et après tout il ne fait que suivre le script. Mais sait-il dessiner autre chose ? Son style rappelle beaucoup celui d'un autre artiste ayant brillé sur le titre, Jerome Opena, mais il y a un monde entre Cassara et son collègue car Opena est plus fin.

Esthétiquement et narrativement, X-Force tourne en rond et n'a aucun propos (en tout cas pas celui que suggérait son programme). C'est dommage car, encore une fois, il y a du potentiel. Mais la meilleure idée du monde ne décollera jamais si on s'en contente. Il faut en tirer la substantifique moëlle. Ce que ne fait pas (ne sait pas/ne veut pas) faire Percy.

mercredi 20 janvier 2021

BATMAN/CATWOMAN #2, de Tom King et Clay Mann


Pour son deuxième épisode, Batman/Catwoman ne change pas une équipe qui gagne. Tom King mélange les lignes temporelles, de manière à ce que chacune fasse écho aux autres. Visuellement, Clay Mann signe ses plus belles planches. C'est un comic-book somptueux, mais qui ne se donne pas rapidement. Toutefois, cela mérite de s'y accrocher car on sent l'investissement et l'ambition des auteurs dans ce projet qui vise l'excellence, rien de moins.


Le passé. Parce que Batman enquête sur le vol du collier qu'elle a dérobé chez les Bertinelli, Catwoman se débarrasse du bijou en le remettant au Joker. Elle compte ainsi apaiser son amant tout en éliminant celui qui peut la confondre. Mais Batman reste soupçonneux car il ignore pourquoi le Joker aurait volé ce collier.


Le présent. La mort de son fils, causé par le Joker, motive Andrea Beaumont à revêtir son costume et le masque de Phantasm. Elle traque les hommes du main du clow du crime afin de le localiser. Batman et Catwoman suivent sa piste tout en constatant que Phantasm conserve son avance.
  

Le Joker est aux abois. Il détourne le Bat-signal et Batman le remarque. Il retrouve avec Catwoman le clown du crime sur le toit du commissariat central du GCPD. Le Joker implore Batman de le protéger de Phantasm.


Le futur. Selina Kyle a repoussé le Joker qui s'était jeté sur elle. Il va leur servir un verre d'eau mais en profite pour chercher un revolver dans son freezer; Il tire sur Selina mais elle a anticipé cette nouvelle féonie et le lui fait payer...

Attention ! ce résumé replace les événements dans un ordre chronologique. C'est une méthode que je vais tenter de conserver à la fois pour faciliter le déroulement de l'intrigue et donc l'exercice critique, mais aussi pour vous laisser de quoi savourer le récit quand vous le lirez à votre tour et ménager les spoilers.

Car Batman/Catwoman, c'est d'abord une narration éclatée, qui joue avec les lignes temporelles. Comme le premier épisode le présentait, le récit explore le passé (quand Batman et Catwoman était en couple mais poursuivaient des activités distinctes - Catwoman continue la cambriole), le présent (qui fait suite au run de Tom King sur Batman - Batman et Catwoman sont en couple et partagent une activité de justiciers, Phantasm traque le Joker responsable de la mort de son fils) et le futur (Selina Kyle et veuve, Bruce Wayne vient de mourir et leur fille, Helena, est en couple avec une femme, le Joker a pris sa retraite).

Il faut parfois s'accrocher pour suivre cette histoire méandreuse car King n'hésite pas à bondir dans le futur et plonger dans le passé dans la même planche tout en faisant une halte dans le présent. Mais le procédé n'est pas gratuit : narrativement, on peut dire que King travaille le concept d'écho narratif. Ainsi les scènes, quel que soit leur situation temporelle, se répondent, s'éclairent.

Mais cela n'empêche pas le scénario de ménager du suspense. Le fait, par exemple, que le Joker soit vivant dans son grand âge et qu'il se soit retiré au soleil signifie qu'il a survécu à Phantasm qui le traquait des années auparavant. Mais pourquoi Selina Kyle est-elle déterminée à le tueur malgré tout (malgré surtout la promesse qu'elle a faite à Bruce Wayne de ne pas le faire) ? Qu'est-ce que le Joker a fait dans le passé pour mériter que Catwoman veuille le supprimer ?

Dans le deuxième Annual de son run sur Batman, Tom King précisait que Batman était mort des suites de son exposition aux radiations du Dr. Phosphorus. Il n'a donc pas été tué par le Joker, ce qui exclut que Catwoman veuille venger Batman en tuant le Joker. Mais la responsabilité du Joker semble acquise dans la mort du fils d'Andrea Beaumont/Phantasm (et d'ailleurs les deux personnages ont toujours été liés de manière tragique).

King revient aussi sur la notion de confiance. Il interroge la relation de Batman et Catwoman, qui était au centre de son run sur Batman. Dans le passé, Catwoman dérobe un collier chez les Bertinelli et le Joker en est témoiin car il vient de tuer un des hommes de main des Bertinelli. Batman traque le Joker et pense que le meurtre qu'il a commis est lié au vol du collier. Mais pourquoi le Joker aurait volé ce collier ? Il n'est pas un cambrioleur. Donc Batman soupçonne Catwoman qui lui jure ne pas avoir volé le collier (elle ment donc). Pour déjouer les soupçons de Batman tout en se débarrassant du Joker, qui pourrait l'accabler, elle s'efforce d'orienter l'enquête de Batman, en commençant par donner le collier au Joker. C'est diabolique mais surtout très pervers car cela implique que la relation de couple entre Batman et Catwoman s'est construit (au moins en partie) sur un mensonge de Catwoman.

Le diable est donc dans les détails, c'est pour ça que le scénario est exigeant mais passionnant. En parallèle, on voit finalement peu Phantasm mais la manière dont elle est mise en scène est habile, tel un ange de la mort, dont le nom suffit à effrayer des criminels endurcis parce que ses méthides sont expéditives (elle tue tout ceux qui se dressent sur son chemin, qu'il lui parle ou non de ce qu'elle veut savoir).

Dès l'annonce de ce projet, King a été clair : son ambition était de produire un récit complet digne de figurer à côté des classiques DC comme The Dark Knight returns. Pour cela, la publication a connu un délai (et non pas un retard) d'un an afin que Clay Mann ait le temps de produire assez d'épisodes à l'avance.

Beaucoup plus discret que son scénariste sur les réseaux sociaux, Mann peut compter sur King pour lui dresser des lauriers. Mais ils sont mérités car l'artiste réalise vraiment un travail exceptionnel, le meilleur de sa carrière. Sur ce point, il faut féliciter DC qui a laissé Mann travailler tranquillement, sans lui mettre de pression. Si l'éditeur avait été aussi patient pour Heroes in Crisis (ça n'aurait pas changé la fin complètement foiré de cet event, mais ça aurait eu plus de gueule)...

Ce qui est marquant, c'est que Clay Mann n'a jamais disposé de tant de liberté quand il était chez Marvel et il faut voir là une distinction essentielle entre les deux éditeurs. On voit, dans chaque planche, de Batma/Catwoman à quel point Mann est devenu un dessinateur de première classe. La représentation des personnages est magnifique, ce sont des figures quasi-mythologiques, taillées commes des statues, d'une beauté terrassante. On peut ne pas aimer cette manière d'incarner des héros, mais il est difficile de ne pas apprécier la force magnétique qu'ils dégagent.

Qui plus est, cette mini-série est formidablement colorisée par Tomeu Morey, qui est vraiment le partenaire idéal pour Mann. Sa palette souligne le trait, les effets d'ombres et lumières, sans rogner l'encrage. Le résultat est somptueux et participe à cet aspect bigger than life du récit. On est dans une sorte de réalisme augmenté, qui convient parfaitement à l'ambition esthétique et narrative du projet.

On peut trouver des défauts à cette BD (un rythme un peu décompressé, qui demande de la patience, mais bon, c'est le jeu quand on part pour douze épisodes). Mais si vous êtes client de beau dessin, d'intrigue intense, d'écriture au cordeau, alors c'est irrésistible. Moi, en tout cas, je n'y résiste pas.