mardi 29 juin 2010

Critique 151 : DAREDEVIL par BRIAN MICHAEL BENDIS et ALEX MALEEV (2/3)

Brian Michael Bendis et Alex Maleev sont de retour pour la deuxième partie de leur run. Ce nouvel article va détailler les épisodes 56 à 65, autrement dit les arcs intitulés Le Roi de Hell's Kitchen (#56-60) et La Veuve (#61-65 + l'épisode spécial anniversaire des 40 ans du titre, L'Univers).
Tout d'abord, il faut préciser qu'entre la parution de ces épisodes et ceux de l'histoire précédente de Bendis et Maleev, Hardcore (#46-50), la série a connu un interlude plutôt superflu (à moins qu'il n'ait servi pour Maleev à se régénérer, ce qui ne serait pas impossible puisqu'il va ensuite enchaîner 25 chapitres sans fill-in !).

Marvel décide donc de "couper" le déroulement de la saga en y intercalant un arc en cinq volets intitulé Echo - Vision Quest, écrit et illustré par David Mack, qui revient donc sur le titre après les numéros 16 à 19 (Wake Up, déjà écrit par Bendis), ayant précédé le passage de Bob Gale et Phil Winslade et la "titularisation" du tandem Bendis-Maleev (à partir d'Underboss, #26-31).

Je ne commenterai pas le récit mettant en scène Echo, l'héroïne sourde (qu'on reverra ensuite dans New Avengers, avant qu'elle ne disparaisse dans la nature à l'issue du crossover Secret Invasion) pour la bonne raison que je ne l'ai pas lu.

Néanmoins, si cette histoire intervient plutôt maladroitement au coeur du feuilleton imaginé par Bendis pour Daredevil, ce break n'est pas catastrophique car lorsque commence Le Roi de Hell's Kitchen, le scénariste démarre avec une pirouette narrative à la fois audacieuse et intégrant le coupure éditoriale effectuée par le passage de Mack...
*

DAREDEVIL, VOLUME 9 : LE ROI DE HELL'S KITCHEN (King of Hell's Kitchen),
(#56-60),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev.

King of Hell's Kitchen débute un an après les faits survenus dans Hardcore, à l'issue desquels Murdock a évincé publiquement, devant les malfrats du quartier, Wilson Fisk, pour s'autoproclamer nouveau "caïd".
Daredevil a, comme on l'apprend par un résumé prononcé par Ben Urich, nettoyé le district de sa racaille. Mais son action lui attire l'inimitié d'autres héros New-Yorkais, pourtant ses amis, qui lui reprochent d'avoir déplacé les voyous dans d'autres endroits de la ville. Parmi ses détracteurs, on trouve Luke Cage (avec lequel il est en froid depuis la mort du Tigre Blanc), Spider-Man (à qui il reproche d'avoir révèlé sa double identité aux autres - un problème dont il connaît bien les affres), Mr Fantastic et Dr Strange.
Pourtant, convaincu de sa méthode, Murdock envoie bouler ses opposants, refusant d'envisager qu'il s'est engagé dans une voie périlleuse (moralement et physiquement - de ce point de vue, Ed Brubaker ira jusqu'au bout de cette problèmatique au cours de son run). DD s'est dessiné une cible sur le front et le premier à vouloir l'abattre sera un yakusa.
Quand Ben Urich récapitule la situation, il s'adresse en fait à Milla Donovan, dont on apprend qu'elle a épousé Matt... Qui a disparu depuis plusieurs jours. Le journaliste va le retrouver, blessé, ayant admis ses erreurs de jugement, mais déterminé à en découdre. Luke Cage, Iron Fist et Spider-Man acceptent de lui prêter main forte.
Mais, simultanèment, grâce à - ou à cause de Foggy, Milla réalise que l'attitude de plus en plus radicale de son mari n'a pas commencé avec la révèlation de sa double identité, mais avec la mort de Karen Page : révèlation brutale qui va de nouveau bouleverser l'existence du héros...

Cet arc est inégal (comme la suite et fin du run de Brian Michael Bendis). Le scénariste a eu une idée génialement audacieuse - faire de DD le nouveau caïd - mais acrobatique, qui va entraîner la série dans une direction radicale.

La meilleure idée est, sans doute, celle qui a provoqué le plus de débat, à savoir l'ellipse d'un an, et l'évocation rapide des évènements qui ont succèdé à l'avènement de Murdock comme nouveau seigneur de Hell's Kitchen : Bendis résume la situation par la voix de Ben Urich et dispose des éléments percutants (la rupture avec les autres héros de la ville, le mariage avec Milla, l'infirmière de nuit) sans perdre de temps.

En revanche, il oppose à Daredevil un nouvel ennemi décevant (le yakusa et sa clique - réduite à une bande anonyme), réutilisant la ficelle de la MGH (la drogue élaborée par le Hibou) et balaie trop vite les dissensions entre son héros et ses amis quand les combats reprennent (Murdock montrera vite, ensuite, qu'en fait il n'est pas disposé à changer comme il le promet).

De même, la réaction de Milla, lorsqu'elle apprend pour Karen Page, est trop vite expédiée et, comme souvent chez Marvel, on a l'impression que le mariage d'un héros n'est pas exploitable.

Néanmoins, cet arc se lit avec plaisir, d'abord parce qu'il est mené sur un rythme soutenu et offre une belle bagarre finale.

Alex Maleev est très en forme : le premier volet (jusqu'à l'apparition du yakusa en pleine rue, sous la pluie, la nuit) est un de ses meilleurs travaux, et la colorisation de Matt Hollingsworth est impressionnante.

La série cherche son second souffle, le récit suivant le confirme...
*

DAREDEVIL, VOLUME 10 : LA VEUVE (The Window),
(#61-64),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev.

La série stagne avec ces quatre épisodes qui n'ont en vérité aucun impact sur sa thématique et place même Daredevil à la périphérie des évènements : il s'agit en effet davantage d'une histoire d'espionnage que d'un récit "noir", dans laquelle le héros est impliqué malgré lui mais sans que cela change grand'chose à sa situation. Les vraies vedettes, ici, sont Natasha Romanov et son boss, Nick Fury, le patron du SHIELD. Et de ce point de vue, il s'agit presque d'un avant-goût de ce que fera Bendis avec le Marvelverse, via des crossovers comme Secret War jusqu'à Secret Invasion.

Murdock apparaît très peu dans son costume de diable rouge, trop occupé par l'annulation de son mariage demandée par Milla et le retour de la Veuve Noire, que le gouvernement veut livrer à ses anciens employeurs après que les Vengeurs aient arrêté à l'étranger (contre la volonté des autorités locales) Mme Hydra. Après avoir aidé à éliminer un tueur lancé aux trousses de la belle espionne et démasqué son commanditaire, Matt réalise que, s'il aime Milla, il préfère cependant la quitter plutôt que de risquer sa vie. Il lui reste cependant fidèle en refusant de renouer avec la Veuve.

L'histoire a la forme d'une fable, dans sa brièveté et sa morale : Brian Michael Bendis décrit DD comme un justicier qui désormais renonce après avoir conquis, qui délaisse la force et se résigne. Il ne le fait pas sans noblesse puisqu'il libère Milla pour mieux la protéger, mais en même temps c'est un homme au bord du gouffre, sur le point de chuter, après avoir cru tout contrôler, après avoir pensé récupérer sa vie.

Sa trajectoire ne vous rappelle personne ? C'est quasiment celle de celui dont il a pris le trône, le Caïd : comme lui, parvenu à renverser une situation compromise (la trahison de la pègre/ la révèlation de sa double identité), il va perdre la femme aimée (Vanessa / Milla) et son royaume (le crime organisé/la mainmise sur le quartier)... Et bientôt sa liberté car il a franchi la ligne rouge (le retour à New York/la transformation en caïd).

Le sens de ce récit ne se révèle qu'après coup, car Bendis nous distrait avec le retour de la Veuve et ses ennuis. Cette manière de présenter indirectement les faits est la signature de l'auteur depuis le début de son run : ce qui la rend moins efficace, c'est la répétition du procédé.

Graphiquement, ces épisodes sont un peu en deçà de ce dont est capable Alex Maleev : hormis sa représentation superbe de la Veuve, à laquelle il donne (comme à toutes les femmes de la série) une allure sensationnelle, le découpage est sommaire et parfois même paresseux (comme ces deux double-pages exagérant inutilement deux moments qui n'en méritaient pas tant - la Veuve et DD contre Jigsaw et la fusillade à la terrasse de café). L'encrage se fait plus gras, avec des effets tramés parfois disgracieux, et même l'irréprochable Matt Hollingsworth est moins inspiré dans ses couleurs.

L'épisode 65 est spécial à plus d'un titre : pompeusement baptisé The Universe, c'est un chapitre indépendant qui fait le point sur tout ce que Bendis a mis en place depuis son arrivée et dont les dessins sont assurés par plusieurs artistes. Chaque segment est traité selon le point de vue d'un personnage dans l'entourage plus ou moins directe de Daredevil.

On voit ainsi :

- Nick Fury offrir à Murdock un poste au sein du SHIELD ;
- Peter Parker s'inquiéter pour son ami et la perspective d'être à son tour démasqué ;
- Captain America lui proposer d'intégrer les Vengeurs (la scène se situe donc avant la naissance des New Avengers) ;
- le Punisher contester son projet de devenir caïd à la place du Caïd ;
- et enfin Matt demander au Dr Strange de ressuciter Karen Page.

Les séquences avec Fury et le Punisher sont les plus originales et les plus troublantes, les autres sont quelconques, la dernière passablement déplacée et même ridicule (le rapport à la spiritualité du héros a été décrite de manière plus éloquente par Frank Miller et Ann Nocenti et s'accorde mal à cellee d'un personnage sollicitant soudain le sorcier suprême pour lui rendre sa vie passée).
D'ailleurs, ce sont aussi les moments les mieux dessinés qui fonctionnent le mieux, même si, à part Chris Bachalo (avec le Dr Strange), les artistes crédités ici sont tous bons : Craig Russel, Phil Hester, Michael Golden - même Greg Horn livre de belles planches. David Finch signe une page avec Hulk et DD totalement hors-sujet, Jae Lee dessine le diable rouge sans se forcer. Mais Frank Quitely offre une superbe image avec le justicier aux prises avec des ninjas de la Main.

L'épilogue, par Maleev, fournit l'amorce de l'arc suivant avec la sortie de prison d'un certain Alexander Bont, qui fut le "parrain" avant Wilson Fisk et dont Murdock fut l'avocat... Mais cela, ce sera pour une prochaine critique.

The Widow (en v.o.) signale évidemment le retour de la Veuve Noire, figure emblématique de la série, entrevue dans le Scoop mais ici au centre de l'intrigue.

jeudi 17 juin 2010

Critique 150 : DAREDEVIL par BRIAN MICHAEL BENDIS et ALEX MALEEV (1/3)

Lorsqu'il est appelé pour la première fois à écrire Daredevil, Brian Michael Bendis n'est qu'un des scénaristes catégorie "espoirs" de Marvel, issu de la production indépendante, et il arrive sur la série après l'équipe formée par le cinéaste Kevin Smith et Joe Quesada - un run couronné de succès mais aussi marqué par des retards conséquents.
Au début, Bendis est associé à celui qui l'a recommandé à la Maison des Idées, l'artiste David Mack (connu pour le titre Kabuki) : de Mai à Août 2001, les deux amis signent une histoire, Wake up, avant de laisser la main à Bob Gale (la plume de Retour vers le futur réalisé par Robert Zemeckis) et Phil Winslade.

Mais en Décembre 2001, Bendis se voit confier le titre qui, avec Ultimate Spider-Man (puis New Avengers peu après), va faire de lui la vedette de Marvel. Mack parti, il collabore avec son partenaire de Sam & Twitch, le bulgare Alex Maleev : leur duo va profondèment marquer le diable de Hell's Kitchen, d'une empreinte comparable à celle des grandes années de Frank Miller-Klaus Janson-David Mazzucchelli et Ann Nocenti-John Romita Jr.

Encore aujourd'hui, même pour ceux que la suite de la carrière du prolifique scénariste a déçu (dont je ne fais cependant pas partie), son run sur Daredevil reste un des sommets de son oeuvre. Plus généralement, il s'agit de la période qui a permis au héros de renouer avec ses racines, ou du moins avec les standards édictés par Miller, ce mix de série noire et de super-héroïsme urbain, traversé de tourments existentialistes et de motifs religieux.

Bendis et Maleev inscrivent leur passage sur le titre dans la veine de Miller, comme ils l'ont avoué dès le départ : c'est ce qu'on pourrait appeler un "crime comic" mélangé à des ingrédients purement super-héroïques, même progressivement les deux acolytes vont prendre un malin plaisir à jouer avec les codes de ces deux courants.

Ainsi, Daredevil en costume de justicier va de moins en moins apparaître (mais cela donnera à chacune de ses apparitions un impact considérable) au profit de Matt Murdock, l'homme et l'avocat (un aspect que rééquilibera, tout en le soulignant, Ed Brubaker).
L'autre figure majeure de ce run, en particulier sa première partie (les 24 épisodes analysées dans cette critique), est celle de Wilson Fisk, le Caïd, dont Bendis va brosser un portrait shakespearien, tout en le ramenant à son statut de némésis de Daredevil/Murdock.

Le thème central de ces épisodes (et des suivants, jusqu'à l'arrivée de Brubaker) est l'identité : très tôt, dès la fin de l'arc Underboss, Bendis va placer Daredevil dans une situation infernale. La pègre et son chef, Fisk, savent depuis la saga Renaissance (Born again) de Miller et Mazzucchelli que le gardien de Hell's Kitchen et l'avocat aveugle ne font qu'un, mais le secret n'a jamais été porté sur la place publique. Le Caïd expliquera qu'il pensait que son ennemi craignant d'être démasqué serait moins dangereux et, surtout, l'ogre de la mafia new-yorkaise préférait croire qu'il le vaincrait sans passer par là.

Bendis décide de briser ce tabou en même temps qu'il écarte Wilson Fisk (mais pour mieux le faire revenir) et ce choix narratif oriente encore la série aujourd'hui, faisant de Daredevil/Matt Murdock un super-héros encore plus à part, composant avec une opinion, des malfrats et des autorités sachant qui il est sans pourtant pouvoir le prouver. En fin de compte, il s'agit moins de démasquer le héros que de raconter comment il traverse ce nouveau calvaire (après sa cécité, sa double vie, ses deuils, etc).

Enfin, la dernière particularité de la "griffe" Bendis sur la série tient à sa manière de raconter même : inspiré par le roman et le cinéma, il va jouer avec les lignes temporelles pour à la fois déstabiliser le lecteur et optimiser ses effets narratifs, de telle manière qu'on ne sara jamais à quoi s'attendre. Ce procédé deviendra sa marque de fabrique, tout comme la décompression des intrigues, et donnera aux histoires une singularité propre, un faux rythme à la fois tendu et dilaté, parfois étonnamment expérimental pour une production "mainstream" (même si DD a souvent servi de terrain de jeu à ses auteurs-phares).

Mais c'est cette alliance de dialogues abondants (comme on peut en trouver chez Tarantino) et d'action fulgurante qui compose le coeur de ces épisodes.
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DAREDEVIL, VOLUME 4 : UNDERBOSS,
(#26-31),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev

Brian Michael Bendis livre une véritable série noire transposée dans le monde d'un super-héros, se concluant (provisoirement) sur un twist qui va traverser tous les épisodes de son run. A l'époque, Marvel faillit répéter le procédé mais le fit si maladroitement avec d'autres personnages que le projet fut abandonné.

La narration éclatée peut dérouter mais donne une dimension passionnante à la lecture : le récit est marqué du sceau de la fatalité, le plan de Silke voué à l'échec est finalement moins intéressant que la révélation finale et les conséquences qu'elle suggère.

Graphiquement, Alex Maleev est encore en rôdage : ses images sont parfois figées, trop sombres, le découpage manque de fluidité, mais le résultat est déjà prometteur et l'on devine que la suite sera d'un niveau de plus en plus impressionnant.

La preuve dès Le Scoop...
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DAREDEVIL, VOLUME 5 : LE SCOOP (Out),
(#32-37),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev

La suite directe d'Underboss analyse les conséquences des révèlations de Silke :

un agent fédéral vend le scoop sur la double identité de DD pour des raisons privées (son couple bat de l'aîle, son métier ne le satisfait pas) et le héros doit faire face à cette situation.

Daredevil n'a pas d'ennemi physique à affronter, son combat est bien plus délicat et Brian Michael Bendis en profite pour remettre au centre de la série l'avocat Matt Murdock. Il se comporte en fin stratège, mais n'est pas exempt d'une certaine suffisance comme en témoigne son face-à-face final avec le patron du journal qui a publié l'info à son sujet - et qui, en réponse, décide, après avoir d'abord convenu d'un arrangement, d'aller jusqu'au procès.

L'entourage de Murdock et son activité de justicier sont également examinés, mais de manière assez superficielle - moins par nonchalance que par souci de l'exploiter ultérieurement. C'est là que la narration décompressée prend toute son ampleur, sinon son tout son sens : en dilatant l'exposition des évènements, Bendis joue sciemment avec les nerfs de ses personnages et de ses lecteurs, les faisant douter de l'issue de l'affaire. C'est malin, mais il faut accepter le parti-pris car sinon on décroche sans espoir de retour. Il est tout de même asse difficile de résister et de ne pas être saisi par le déroulement de l'intrigue qui sort des clichés du genre.

Alex Maleev s'améliore à mesure que l'histoire se déploie : là encore, on peut apprécier diversement ses "gimmicks" (utilisation abondante du "copier-coller", reproduction de décors à base de photocopies), mais son style colle parfaitement à ce qu'il raconte. Les couleurs de Matt Hollingsworth s'accordent formidablement à ces dessins puissants à l'atmosphère intense, restituant à merveille la tension de la ville, des personnages, de la situation.

Malheureusement, le recueil suivant va (provisoirement) doucher ce bel enthousiasme...
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DAREDEVIL, VOLUME 6 : LE PROCES DU SIECLE (Trial of the Century),
(#38-41),
de Brian Michael Bendis, Manuel Gutierrez et Terry Dodson.  

Il ne s'agit pas du procès de Murdock, mais du Tigre Blanc, un justicier porto-ricain, ami de Luke Cage, impliqué dans un meurtre. Démasqué et risquant d'être condamné (ce qui aurait des répercussions sur l'action d'autres vigilants), il fait office d'exemple pour Daredevil, obligé de se poser la question de ce qui lui arriverait dans pareil cas.

Brian Michael Bendis déçoit avec cet arc qui intervient maladroitement alors que se développait la saga sur la révèlation de la double identité de son héros. Bien sûr, on perçoit rapidement la métaphore : en soumettant un autre justicier aux affres de la justice, devant répondre de ses actes, étant démasqué publiquement, c'est tout ce qui peut attendre Daredevil qui est décrit. Et lorsque ce récit se clôt sur la triste mort du Tigre Blanc, cela est encore moins encourageant.

Mais bien qu'à l'époque de leur parution, ces épisodes aient provoqué quelques remous (le White Tiger co-créé par George Pérez était l'unique représentant du lectorat latino), cela n'enlève rien à leur faiblesse (et d'ailleurs, plus tard, Bendis inventera avec Angela Del Toro une nouvelle incarnation du Tigre Blanc).

Le désappointement est également causé par la partie graphique assurée non pas par Maleev mais par Manuel Guttierez, assez quelconque, et Terry Dodson, meilleur mais dont le style ne convient pas à l'esthétique du titre depuis l'arrivée de Bendis.

Autant ne pas en rajouter et passer à la suite, qui réconciliera tout le monde.
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DAREDEVIL, VOLUME 7 : LE PETIT MAÎTRE (Lowlife),
(#42-45),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev

C'est aussi au cours de cette histoire qu'on assiste au retour d'un des ennemis emblématiques de Daredevil avec le Hibou qui entend s'emparer du territoire abandonné par le Caïd en vendant une drogue conçue à partir de son propre ADN mutant. L'affrontement avec DD est inéluctable et se soldera sur une cuisante défaite pour ce vilain aux ambitions trop grandes... D'autant que le justicier apprend que Wilson Fisk serait de nouveau à New York.

Mené sur un rythme soutenu, alternant deux narrations (l'amour naissant entre Milla et Matt, le duel Daredevil-Hibou), le récit proposé par Brian Michael Bendis renoue avec la réussite de ses deux premiers arcs, tout en enrichissant la situation initiale.

Désormais, en effet, le thème de la double identité s'est banalisé : les agents fédéraux semblent avoir convenu d'une trêve tacite avec le justicier qui, par ailleurs, fait le dos rond vis-à-vis des médias, et le public n'apparaît plus préoccupé par le fait de savoir si oui ou non DD et Murdock sont le même homme (tout le monde paraît en être convaincu cependant). De manière ironique, l' "outing" forcé du héros lui a rendu service car cela a considérablement accru sa popularité (particulièrement dans son quartier) et par conséquent tracasser Murdock devient une mauvaise stratégie.

Mais déjà Bendis suggère une autre interrogation : cette impunité ne risque-t-elle pas de fragiliser son héros en lui faisant croire qu'il peut vraiment tout faire ? Baisser sa garde devant le FBI qui continue à le surveiller n'est-il pas dangereux ? Et comment la réapparition du Caïd va-t-elle influer sur la situation ?

Alex Maleev est lui aussi de retour et produit ses plus belles planches depuis qu'il a la charge du titre : à présent, il maîtrise parfaitement son sujet, ses personnages, et sa technique mélangeant le dessin classique et divers collages (de décors, de répétition de cases - plus ou moins zoomées) produit un résultat devant lequel il est difficile de ne pas être bluffé.

Et pourtant, croyez-le, le meilleur reste à venir avec la fin de la première partie du run : une (presque) conclusion mémorable, avec un générique sensationnel et un dénouement spectaculaire...
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DAREDEVIL, VOLUME 8 : HARDCORE,
(#46-50),
de Brian Michael Bendis et Alex Maleev.

Ce story-arc est construit autour du retour du Caïd et de son affrontement attendu avec Daredevil, à l'issue duquel vraiment plus rien ne sera comme avant - d'une certaine manière le twist final de Hardcore est bien plus radical que celui d'Underboss, et seul le dénouement du Return of the King de Brubaker le surpassera.

Revenu d'entre le morts (souvenez-vous, il fut exécuté tel Jules César dans Underboss) mais dépouillé de son empire par sa femme qui l'a démantelé, Wilson Fisk reprend les commandes de la pègre new-yorkaise sans pitié pour ceux qui l'ont trahi. 
Mais sa véritable cible reste Matt Murdock qu'il est plus que jamais déterminé à détruire. Pour cela, il lui envoie successivement ses deux plus redoutables tueurs : la schizophrène Typhoïd Mary, puis Bullseye (qui réclame cette mission davantage pour venger son honneur que par amitié envers le Caïd et sa soif de reconquête).
L'un et l'autre échouent : Mary est neutralisée grâce Luke Cage et Jessica Jones (la garde du corps de Murdock), mais c'est surtout le combat entre le diable rouge et le Tireur qui connaît un épilogue particulièrement marquant. Daredevil ne se contente pas de corriger sa némésis mais en profite pour lui faire payer la mort des femmes qu'il lui a pris (Elektra et Karen Page), allant jusqu'à lui taillader une cible sur le front.
Ces deux obstacles écartés, le duel avec le Caïd devient l'occasion de tourner la page : leur affrontement n'a rien de noble, c'est une bagarre de rue, entre deux hommes décidés à en finir. DD massacre littéralement son adversaire avant de se démasquer devant la racaille à ses ordres et de se proclamer nouveau maître de Hell's Kitchen : le héros n'est plus un justicier, il se mue en parrain, en seigneur de ce territoire. De fait, il devient le nouveau Caïd !

Brian Michael Bendis a en vérité patiemment préparé le terrain pour accomplir cette révolution en profitant du travail de ses prédécesseurs : Frank Miller avait déjà expliqué qu'un examen attentif permettait de constater que les origines de Daredevil étaient plus proches de celles d'un super-vilain que d'un super-héros. Il aurait été plus logique qu'il finisse par mal tourner.

Mais chez Miller, les épreuves du héros s'assimilaient à un chemin de croix, à la symbolique très religieuse (particulièrement dans le classique Born Again). Ann Nocenti avait ensuite exploré la relation du personnage avec l'imagerie diabolique (Dare-Devil).

Bendis a ramené le justicier à une dimension plus humaine en osant s'attaquer au tabou de la double identité fondatrice chez les super-héros et ainsi Murdock a supplanté DD.

Dans la droite ligne de cette orientation, la réaction du héros face à ses ennemis devient normale : excédé qu'on menace ses proches, harcelé par les médias, épié par les autorités, il décide de se débarrasser des gêneurs en les écartant brutalement, avec la même violence que ses assaillants. Il contre-attaque en narguant le Daily Globe, il défie le FBI, il fait arrêter le Hibou, neutralise Typhoïd Mary, scarifie Bullseye et terrasse le Caïd. Cette démarche volontariste ne peut qu'aboutir à ces actions : Daredevil est à bout, il veut en finir, et franchit le pas en usant de la force.

Bendis écrit cela avec un remarquable brio, rédigeant quelques-uns de ses meilleurs dialogues (comme la déclaration de guerre finale), conduisant le récit sur un tempo exemplaire où la violence explose comme une libération mais aussi comme une manifestation choquante (le sort réservé à Bullseye, le corps-à-corps avec le Caïd). Une vraie claque !

Alex Maleev livre des planches d'une beauté parfois sidérante : son emploi des trames est magnifique, son découpage est d'une maîtrise totale (bien loin des hésitations des débuts), l'intelligence de ses "copier-coller" et son sens de l'expressivité (des visages aux traits sobres mais toujours justes) confirment un artiste en pleine possession de ses moyens, en osmose avec son scénariste.

Le dernier chapitre est l'occasion, le temps d'une case, lors du combat entre DD et le Caïd, de voir quelques guest-stars participer à la "fête" : Joe Quesada, Mike Avon Oeming, John Romita Sr, Gene Colan, Lee Weeks signent des instantanés saisissants de ce match au sommet, qui soulignent l'importance du moment.
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Ainsi s'achève la première partie du run de Bendis et Maleev : 25 épisodes qui ont vu Matt Murdock s'emparer de la tête du crime organisé, faire face à la révélation publique de sa double identité, mais aussi connaître un nouvel amour. Un sacré passage, riches en rebondissements, au terme duquel la face du titre est bouleversé. Et pourtant, on n'est qu'à la moitié du parcours !

vendredi 4 juin 2010

Critique 149 : CAPTAIN AMERICA - WINTER SOLDIER 1 & 2, d'Ed Brubaker, Steve Epting, Michael Lark, John Paul Leon et Michael Perkins


Créé en 1940 par Joe Simon et Jack Kirby, Captain America est un des plus fameux super-héros issu du "golden age" : il a été le symbole des vertus patriotiques américaines, puis après avoir vu son succès décliner après-guerre, il a été littéralement ranimé par Stan Lee. Dans le 4ème épisode des Vengeurs, en Novembre 1963, toujours sous le crayon de Kirby, Namor dans un accès de rage détachait le bloc de glace où, sans qu'il en ait conscience, reposait son ancien partenaire. Récupéré par Giant-Man, Iron Man, Thor et la Guêpe, Steve Rogers allait découvrir le monde moderne et rapidement redevenir une icône et le chef de l'équipe.
La popularité du Capitaine ne devait jamais se démentir et cinq volumes de ses aventures, soient plus de 600 épisodes, confirment cet état de fait. Néanmoins, depuis la refonte du Marvelverse via la saga Heroes Reborn, Marvel a cherché des auteurs capables de redonner son lustre à ce personnnage pour en faire un produit pérenne. C'est à Ed Brubaker et Steve Epting qu'échût la lourde responsabilité de relancer la carrière de ce héros majeur en entamant ce cinquième volume. Durant les 13 épisodes de l'arc Winter Soldier, c'est donc à la fois un travail de synthèse et de rebond qui s'opère et qui allait révolutionner le titre pour en faire l'un des plus passionnants de ces dernières années.
Ce premier tome comprend les numéros 1 à 7 de la série régulière et s'impose comme un classique immédiat, réussissant à combler les puristes comme les profanes.
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Ed Brubaker démarre sur les chapeaux de roues, plein d'action et de suspense, dans une ambiance de série noire et d'espionnage haletante, qui va donner le "la" à toute la suite (50 épisodes avant la récente renumérotation au #600) : y sont présents Crâne Rouge, Sharon Carter (l'agent 13 du SHIELD), Nick Fury, et le cube cosmique, comme autant d'éléments "mythologiques".

Crâne Rouge prépare son retour, mais, contre toute attente, le scénario dévie brusquement et nous entraîne sur une piste inattendue puisque le criminel nazi est assassiné et le cube cosmique dérobé par son mystérieux éxécuteur !
De son côté, Captain America est présenté comme un soldat faisant face avec difficulté moins à des terroristes, qu'il stoppe sans ménagement, qu'à de vieux souvenirs de la seconde guerre mondiale - ces références permanentes au passé du héros deviendront la signature de la série.
La suite entraîne le capitaine dans une course contre la montre car des bombes menacent de détruire Paris, Londres et Manhattan, impliquant l'A.I.M.. Pendant ce temps, le mercenaire Crossbones le ralentit avant d'enlever une jeune femme qui serait la fille de Crâne Rouge, et le SHIELD enquête sur l'assassin de ce dernier : le fameux Winter Soldier - dont la révèlation de la véritable identité constituera un des chocs les plus retentissants de l'histoire de Marvel.
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Le parti pris esthétique de Steve Epting, dont le dessin évoque les glorieux aînés comme Jim Steranko ou Jim Holdaway, a le mérite de replacer Steve Rogers dans la réalité : les décors urbains font l'objet d'un soin particulier pour crédibiliser le monde dans lequel évolue le héros, mais il y a aussi un incroyable travail sur les lumières et la couleur - signée Frank D'Armata - (qui définiront durablement la série). On s'y croirait vraiment tellement l'artiste s'est appliqué.
Les flash-backs durant la seconde guerre mondiale sont illustrés par un autre grand talent, Michael Lark, qui collabora déjà avec Brubaker auparavant (Gotham Central, notamment) et c'est l'autre grande idée du relaunch : son style à la fois différent et voisin de celui d'Epting souligne la distance temporelle des actions tout en jouant avec subtilité sur le caractère anachronique de Captain America, héros à la fois d'hier et d'aujourd'hui, rivé au passé et ancré dans le présent.
Cette méthode (deux dessinateurs pour des époques distinctes) fera des petits, mais rarement avec une telle maestria (il est aussi, c'est vrai, peu courant d'avoir deux pointures comme Epting et Lark sur un seul projet).

Le 7ème épisode, The lonesome death of Jack Monroe, est illustré par John Paul Leon, dans un style différent, ce qui correspond à cet interlude puisqu'on se penche sur le cas (et la fin) d'un des remplaçants de Cap, Nomad, en proie à une confusion mentale profonde. Néanmoins, ce n'est pas le meilleur chapitre de ce recueil et on peut le zapper sans être égaré par la suite.
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Magistralement pensée, Ed Brubaker démontre dès le départ qu'il voit loin (il avait d'ailleurs précisé dans des interviews qu'il avait planifié au moins les 25 premiers épisodes), mais c'est d'abord parce qu'il a appris son personnage et qu'ici le passé est aussi important que le présent - mieux il le nourrit et donne un consistance étonnante à la série.
Le scénariste excelle dans cette ambiance entre série noire (qu'il a développée dans ses productions pour DC) et d'espionnage, la caractérisation des protagonistes est formidable : Captain America est décrit comme un soldat mais qui doute, est hanté par la guerre, et réagit brutalement à la violence du monde dans lequel il évolue. Il devient sous la plume de Brubaker une sorte de cowboy à la fois frustre et mélancolique, finalement plus touchant que le héros porte-drapeau auquel on pourrait le réduire.
Bref, ce "reboot" du personnage est une réussite exemplaire, qui sera confirmée dans la suite et fin de cette première histoire .

Ce deuxième tome rassemble les épisodes 8 à 9 et 11 à 14 de la série mensuelle (le n° 10 formait une parenthèse consacrée à la saga House of M).
Après le (re)démarrage exceptionnel du premier recueil, la question se posait de savoir si le scénariste tiendrait la distance. Le doute est balayé puisque Ed Brubaker réussit le tour de force d'élever d'un cran son histoire : l'utilisation non maîtrisée du cube cosmique, l'apparition fugace du docteur Faustus, les agissements de Crossbones, et l'enquête sur le Soldat de l'Hiver, chaque événement est sujet à caution, tout est suspect. L'intrigue se dénouera (partiellement) dans un final à la fois spectaculaire et plein d'incertitudes.
C'est là la grande force de Brubaker : faire coïncider la paranoïa du récits avec la vulnérabilité qu'elle engendre chez Steve Rogers qui ne peut pas croire au retour de son "sidekick" James "Bucky" Barnes, devenu un tueur à la solde des Russes. Le lecteur éprouve alors une empathie totale avec Rogers désirant à la fois sauver son ami et l'empêcher de nuire.

Le récit abonde en morceaux de bravoure commee, par exemple, la relation du dossier du Winter Soldier, la présence de l'escadron MODOC (Military Operatives Designed Only for Combat), l'enlèvement de la fille de Crâne Rouge par Crossbones, l'évocation des faits d'armes durant la seconde guerre mondiale et, enfin, la façon dont le cube cosmique est récupéré par Captain America et l'usage qu'il en fait.

L'écriture de Brubaker est sobre mais d'une efficacité épatante, les temps forts alternent avec des plages plus calmes, l'émotion n'est jamais sacrifiée sur l'autel de l'action : c'est vraiment un modèle du genre, qui préfigure la réussite du run de l'auteur sur Daredevil (dans un registre encore plus réaliste et noir).
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Ce scénario riche, palpitant, est encore une fois magnifiquement mis en images par Steve Epting, secondé pour les finitions par Michael Perkins, et Michael Lark (pour les séquences du passé et un épisode au présent). 
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Cette nouvelle version touche à la perfection : elle comblera le fan le plus pointu par son respect pour le passé du héros et emballera le profane. Croyez-moi sur parole : je n'étais pas spécialement client de Captain America, je le suis devenu depuis !

Critiques 148 : REVUES VF JUIN 2010

BATMAN UNIVERSE 1 :
- Batman : Qu'est-il arrivé au chevalier costumé ? (1 & 2/2)
Pour lancer son nouveau bimestriel entièrement consacré à Batman (après l'arrêt de la revue Superman-Batman), Panini propose ces deux épisodes exceptionnels qui relatent les... Funérailles du héros !
L'entrée en matière est donc déroutante, mais permet à la fois de faire le point sur les derniers évènements du DCverse (Batman a été quasiment détruit psychologiquement dans la saga R.I.P. écrite par Grant Morrison et apparemment tué lors du crossover Final Crisis - en vérité, Bruce Wayne a été expédié en pleine préhistoire et son retour à notre époque servira de trame à la mini-série The return of Bruce Wayne).
Neil Gaiman continue de creuser le sillon de Morrison tout en empruntant des chemins de traverse : Batman assiste à ses propres obsèques mais le récit que font les invités de ses rencontres avec lui devient vite une occasion de maquiller les faits. Amis et ennemis déclarent en fait tous la même chose : le justicier aurait dû logiquement mourir depuis longtemps, seule sa persévérance et son intelligence lui ont permis de devenir le protecteur légendaire de Gotham.
Cela est brillamment écrit : l'ambiance onirique, les références (où l'on devine l'apport de Kurt Busiek, crédité par Gaiman), la galerie de personnages, la réinterprétation des faits, donnent matière à un script d'une grande beauté, parfois émouvant, parfois drôle, auquel il est difficile de résister - même si le sens de tout cela ne se révèle qu'à la toute fin.
Andy Kubert et Scott Williams, avec le coloriste Alex Sinclair, livrent des planches magnifiques. Le lecteur attentif pourra s'amuser à repérer les clins d'oeil à Jim Aparo ou Bill Finger dès les premières images. Il y a également des trouvailles dans le découpage, notamment lors des ultimes pages témoignant d'une invention à la hauteur du script.
Mention spéciale également au soin porté aux décors, extérieurs comme intérieurs : Gotham et ses bas-fonds y sont remarquablement reproduits.
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- Batman : Bataille pour la cape (1/3).
Ecrite et dessinée par Tony Daniel (l'artiste de R.I.P., entre autres), cette mini-série se penche sur la succession de Batman : qui pour le remplacer maintenant que son décés est connu de tous et déclenche le chaos à Gotham où, sous la houlette de Black Mask, les criminels se déchaînent ?
Le mérite principal de ce premier volet est de montrer qu'il y a beaucoup de prétendants (même si l'héritier le plus légitime ne fait guère de doutes) et que la simple absence de Batman suffit à transformer sa ville en champ de bataille. L'intervention d'un imposteur aux méthodes expéditives n'arrange rien...
Les dessins sont assez inégaux, comme souvent avec Daniel, dont le style évoque Jim Lee, avec plus d'élégance et de finesse, mais moins d'efficacité.
En revanche, pour un artiste ayant atterri sur le titre comme fill-in et finissant par devenir à la fois scénariste et artiste (une rareté aujourd'hui, surtout pour une série aussi exposée), la progression est remarquable et sa conduite du récit, sans être fabuleuse, est d'une belle fluidité.
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Les prochains numéros vont, après la fin de Battle for the cowl, accueillir les séries Batman et Batman & Robin (cette dernière étant écrite par Morrison, avec un artiste différent tous les arcs) : j'ignore si je poursuivrai longtemps l'aventure, mais ce démarrage est prometteur.

SPIDER-MAN 125 :

- Spider-Man : Peter Parker doit mourir !
Cet épisode de 37 pages est en fait l'Annual 37, ce qui explique son format exceptionnel (mais cependant modeste par rapport à ce qui suit).

Ecrite par Marc Guggenheim et illustrée par Pat Oliffe, l'histoire se déroule à Boston où, à la veille du mariage de Tante May avec le père de J. Jonah Jameson, Peter Parker va devoir affronter un certain Damon Ryder alias Raptor qui l'accuse d'avoir tué sa famille.
En vérité, il s'agit de ramener dans la série Ben Reilly, le fameux clone du Tisseur, qui fut au centre d'une saga épique, considérée par les uns comme un classique, par les autres (plus nombreux) comme un des pires récits de Spider-Man...

Se résumant à une (très) longue bagarre entre le héros et un adversaire au costume et aux pouvoirs affligeants, cet "annual" ne restera pas dans les mémoires. Le scénariste n'est guère inspiré (Guggenheim est un de ces innombrables transfuges des séries télé qui pond de mauvais comics) et on a oublié ce qu'il nous raconte rapidement après l'avoir lu.

Pat Oliffe a fait, lui, partie de l'armée de dessinateurs de la maxi-série 52 de DC : il y livrait des planches honnêtes qui se fondaient dans la masse, en se situant plutôt au-dessus de la mêlée. Mais sa faiblesse éclate ici, tout au long de cette trentaine de pages peuplées de personnages peu expressifs et où il n'a pas dû s'épuiser en concevant les décors.

Bref, c'est pas fôlichon.
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- Spider-Man 600 : Le monde selon Octopus.
Pour fêter le 600ème numéro du Tisseur, Marvel a par contre mis les petits plats dans les grands, avec au menu notamment une collection de couvertures spéciales (dont l'une par Olivier Coipel, reproduite dans la revue) et des mini-récits (dont l'un par Stan Lee et Marcos Martin, à lire le mois prochain), mais surtout avec cet épisode "king-size" de 62 pages (!) écrit par Dan Slott (l'un des animateurs principaux de la série depuis le dyptique Un jour de plus / Un jour nouveau) et dessiné par John Romita Jr (l'artiste emblématique du héros).
Le niveau est bien meilleur que pour l' "annual" même si, honnêtement, l'intrigue tient plus de la fête foraine que du chef-d'oeuvre : c'est sympathique mais pas renversant.

Le mariage de Tante May et de Jay Jameson va être célèbré mais le Dr Octopus, se sachant condamné par la médecine, a décidé de se manifester le même jour (n'oublions pas qu'il a failli lui aussi épouser la tata de Peter). Son projet est d'abord altruiste puisqu'il veut en piratant le système informatique de New York en améliorer le fonctionnement... Mais cette amélioration passe par l'élimination de Spider-Man.
Le héros voit littéralement la ville se retourner contre lui et aura bien besoin de l'aide de ses amis les Nouveaux Vengeurs, les Fantastic Four et Daredevil pour venir à bout de ses problèmes - même si les noces de sa tante se termineront sur une surprise de taille...

Dan Slott mène son récit avec beaucoup d'énergie, ramenant un vilain de premier plan sur le devant de la scène tout en le transformant radicalement et en imaginant un plan délirant. Il intègre à cette aventure trépidante des guest-stars sans que leur intervention paraisse trop forcée et l'on assiste au retour de la team-up Spidey-Human Torch en particulier avec plaisir.
Néanmoins, et c'est un défaut horripilant chez Slott, jamais il ne réussit à nous faire vraiment vibrer pour son héros, jamais on est inquiet pour lui : il traite son sujet avec une légèreté vite lassante, comme si tout ça, au fond, n'était qu'une vaste blague avant d'autres rebondissements (alors que, quand même, c'est le 600ème épisode !).

John Romita Jr (qui avait déjà dessiné le n° 500... Quand JMS était aux commandes de la série - c'est-à-dire quand elle ressemblait à autre chose que ce faux hebdo fourre-tout actuel) livre une prestation en demi-teinte.
Virtuose dans l'action, phénoménal dans la narration, il est étonnamment en-dessous quand il dessine ses persos en civil et doit mettre en images des scènes de transition où son génie du découpage est totalement absent.
L'encrage de Klaus Janson est aussi en cause : devenu pourtant le partenaire favori de JR Jr, je ne trouve pas que le complice de Frank Miller convienne à ce dessinateur et surtout soit encore au niveau exceptionnel de ses épisodes de Daredevil où ses finitions étaient somptueuses.

Bilan : un numéro vraiment atypique, mais en-deçà de ce que son contenu promettait. On passe un bon moment grâce à Romita Jr, mais ç'aurait pu être beaucoup mieux.


X-MEN 161 :

- X-Men / Vengeurs Noirs : Utopia (6).
La fin de ce crossover ne rattrape pas ses chapitres antérieurs et vient confirmer qu'il était dispensable.

Les X-Men se sont séparés en trois groupes pour affronter Norman Osborn, venu ramener l'ordre à San Francisco en supprimant Cyclope : la première formation combat les Vengeurs et les X-Men Noirs, la deuxième équipe (menée par Wolverine) a été libérer les mutants incarcérés à Alcatraz, et enfin le Club X a récupéré l'astéroïde M (ancien repaire de Magnéto) dans les profondeurs du Pacifique. C'est là que va se jouer le dernier acte.

Le souci de cette histoire, dont l'intention était louable au début (impliquer les mutants dans le "Dark Reign", ce qui semblait logique puisqu'Emma Frost fait partie de la Cabale d'Osborn), est d'abord le nombre de ses acteurs : entre Vengeurs Noirs, X-Men Noirs, X-Men, Club X, partisans de Trask, mutants rebelles, civils, n'en jetez plus, la coupe est pleine et déborde même !
Du coup, Matt Fraction survole plus qu'il ne creuse les situations, alors même qu'y sont intervenus des rebondissements importants : Namor et Emma Frost ont trahi Osborn, les X-Men ont élu domicile sur une île dans les eaux internationales (ce nouveau refuge évoque aussi le souvenir dramatique de Génosha, où périrent de nombreux mutants), Cyclope inflige un camouflet sérieux à Osborn, Emma et Scott se retrouvent...
Mais, donc, en vérité, c'est une impression de fouillis qui subsiste une fois arrivé au terme de cette saga mal fagotée, mal traitée, mal écrite, et qui semble intégré de force au "Dark Reign" (une période qui n'aura donc pas inspiré beaucoup de bonnes choses pour l'instant).

Mike Deodato illustre la conclusion du récit et nous gratifie de planches nerveuses, mais en-deçà de ce qu'il peut faire de mieux (comme sur ses Thunderbolts... En même temps, Fraction est très inférieur à Ellis).
Terry Dodson signe quelques planches et le mélange de son style avec celui de Deodato produit un curieux résultat, qui laisse aussi perplexe que lorsqu'il remplace Greg Land. Mais il est clair que le dessinateur de Songes n'a vraiment rien à faire sur les X-Men.

Un crossover à oublier.

- X-Men Noirs : Les aveux.
Se situant avant les évènements d'Utopia, ce one-shot ne met pas en scène les X-Men Noirs mais un dialogue entre Scott Summers et Emma Frost. Ces confessions croisées (Scott révèlant ses plans pour la communauté mutante, Emma son appartenance à la Cabale) restent cependant ennuyeuses et affreusement illustrées.

Le duo Craig Kyle & Chris Yost résument les faits avec molesse. Bing Cansino met ça en images dans un style qui veut rappeler Bryan Hitch mais avec encore moins de talent que son autre clone, Neil Edwards (voir Marvel Icons de ce mois).

Vous pouvez zapper.
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- Gambit : Un peu comme un prologue... Un peu comme un épilogue.
Le naufrage continue avec cet Annual de X-Men Legacy, écrit par le mauvais Mike Carey et illustré par un triste sire qui plagie Daniel Acuna, Mirco Pierfederici.

On y voit Gambit en mission pour détruire la Machine Oméga, dont se servait Osborn à Alcatraz pour priver les mutants de leurs pouvoirs durant les évènements d'Utopia.
Le héros file une raclée aux deux gardiens de l'engin (dont l'un réveille son côté obscur) et puis... C'est tout !

Aussi vite lu qu'oublié donc. Tout à fait oubliable aussi, il est vrai.
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- Les Nouveaux Mutants 4 : Le retour de la Légion (4).
Le dénouement du premier arc de cette série arrive comme une délivrance, après ce qu'on vient de lire : il s'agit sans discussion de la meilleure production de la revue.

David Haller va-t-il être maîtrisé par les New Mutants ? C'est Magie (Illyana Rasputin) qui va en décider puisqu'elle a investi la psyché torturée de leur adversaire où est prisonnière Karma. L'affrontement est délirant mais a valeur de test pour cette équipe devant se débrouiller sans les X-Men.

Zeb Wells aura réussi avec brio à relancer cette série en remettant en selle ses héros originaux, dans une intrigue certes tarabiscotée mais palpitante et singulière. Les personnages sont bien caractérisés, ce qui était essentiel dans ce récit construit autour d'un méchant aux personnalités multiples.
De plus, le scénariste a mené son affaire avec beaucoup de rythme et de densité (4 épisodes pour rassembler les héros, orchestrer leur bataille et dénouer le tout sans bâcler l'exécution).

Dommage que Diogenes Neves quitte la série au terme de cet épisode : son dessin, parfois inégal, comptait pour beaucoup dans l'attrait de l'entreprise, soutenu par un encrage de qualité et une colorisation soignée.
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Bilan : un numéro de piètre facture, hormis les Nouveaux Mutants. Je vais arrêter les frais avec la fin du story-arc de cette dernière série.

MARVEL ICONS 62 :

- Les Nouveaux Vengeurs 56 : Panne sèche (2).
l'arc entamé le mois dernier continue sur les chapeaux de roues : les Nouveaux Vengeurs neutralisés par le draineur de pouvoirs volé à Tony Stark et réparé par Jonas Harrow, seule Oiseau Moqueur fait face aux anciens complices de the Hood, mais sans résister bien longtemps.
Les dégats occasionnés par le combat à Times Square attirent sur place les Vengeurs Noirs, aussi rapidement dominés.
Pendant ce temps, Parker Robbins et Madame Masque sont transportés par Loki à Cuba : les partenaires d'Osborn y scellent leur alliance à l'insu du chef de la Cabale...

Brian Bendis mène son récit sur un rythme soutenu où l'action prime : le scénariste est bien inspiré et propose une évolution de la situation entre les criminels prometteuse. Au milieu de tout cela, les héros sont malmenés et la suite s'annonce délicate pour eux aussi (en particulier pour Luke Cage, victime de troubles cardiaques) : tout cela donne vraiment envie.

Aux dessins, Stuart Immonen livre une prestation toujours éclatante, injectant une formidable énergie aux scènes de bataille. L'intermède cubain démontre que l'artiste est aussi à l'aise quand il s'agit d' "ambiancer" une séquence intrigante à souhait - un vrai "subplot" comme savait si bien les distiller Claremont et Byrne au temps glorieux des X-Men.

Un grand cru !
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- Iron Man 16 : Dans la ligne de mire (9).
Cet arc est interminable, sans souffle, et d'une constance dans la mocheté qui épuise le commentateur. On commence à lire puis on tourne les pages avec indifférence puis... On passe à autre chose sans regret.

Faut-il encore nommer les auteurs de ce machin ? Non, ils ne le méritent pas.
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- Fantastic Four 568 : Le maître de Fatalis (3).
L'avant-dernier acte du run de Mark Millar et Bryan Hitch laisse un sentiment curieux : le scénariste a laissé Joe Ahearne rédiger les dialogues (pourtant un de ses points forts) et le dessinateur (appelé pour illustrer Captain America : Reborn) a collaboré avec Neil Edwards pour terminer cet épisode (le suivant sera signé Immonen).

Le contenu est tout aussi inégal : Millar connecte son intrigue à celle de son excellente mini-série 1985 en révèlant qui est le fameux Marquis de la Mort, le maître de Fatalis, et prépare un dénouement spectaculaire. Mais cela ne doit pas masquer le caractère parfois brouillon du déroulement de l'action : c'est dommage, on a une impression de démission, de relâchement, alors même que l'histoire gagne en densité.

Graphiquement, c'est un peu pareil : Hitch n'est plus vraiment là et les cases réalisées ou terminées par Edwards sont ratées. L'encrage de Cam Smith et Andrew Currie ne suffit plus à camoufler ces errements, et la colorisation de Paul Mounts mêlée à celle de Chris Sotomayor n'est pas heureuse.

Le final (qui comptera 38 planches) rattrapera-t-il ce chapitre bancal ? Rendez-vous le mois prochain.

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- Captain America 600 : La sentinelle de la liberté.
Cet épisode de 14 pages écrit et illustré par Marcos Martin est incontestablement le joyau de ce numéro : il fait partie des récits annexes à ceux parus le mois dernier pour la renumérotation de la série et avant le démarrage de la saga Renaissance, amenée à bouleverser les aventures de Cap'.

C'est moins ce qui est raconté (un récapitulatif de la carrière du héros et de son successeur), même si le résumé est brillant, que la manière dont c'est narré qui impressionne : chaque planche est en effet une pure merveille, au découpage élégant et inventif, faisant preuve d'un sens remarquable de la synthèse et brassant les références, les passages obligés, avec virtuosité.

Martin est vraiment un graphiste exceptionnel qui mériterait sa propre série (et pas simplement quelques piges sur Spider-Man).
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Bilan : un exemplaire mitigé, dominé par d'excellents New Avengers et un superbe hommage à Captain America, mais avec des FF en mode mineur et toujours l'épouvantable Iron Man.