vendredi 28 février 2020

HIDDEN SOCIETY #1, de Rafael Scavone et Rafael Albuquerque


Amis et collaborateurs depuis longtemps, Rafael Scavone et Rafael Albuquerque, après avoir récemment adapté un texte de Neil Gaiman (A Study in Emerald), se lancent dans un projet en creator-owned chez Dark Horse avec Hidden Society. Les deux compères sont prudents en se contentant d'une salve de quatre épisodes, mais ambitionnent de développer ce projet en cas de succès. Et ça le mériterait.


New York, 1979. Rickey Bassanon dispute une partie de cartes en trichant ostensiblement. Une jeune femme, Mercy, entre dans le bar où ils jouent et, après avoir bu un verre en consultant un livre, se laisse raccompagner par Bassano. Elle le dépossède de son âme pour ses péchés.


Quelques rues plus loin, Laura, une jeune aveugle guidée par son chien, est abordée par trois voyous qui veulent lui voler le camée qu'elle porte sur son polo. Ils ignorent que le bijou est magique et libère le démon Orcus qui leur règle leur compte et les dépouille.


Encore un peu loin dans la ville, le jeune magicien Jadoo accomplit un tour impressionnant devant les caméras en faisant disparaître le pont de Brooklyn. Mais il est incapable ensuite de le refaire apparaître, ayant employé un sortilège dépassant le trucage traditionnel prévu.


Il se retire, affolé, dans sa caravane, et, via le miroir de sa table de maquillage, il est téléporté dans le bureau du sorcier Ulloo, qui est en compagnie de Laura et Orcus. Ensemble, ils doivent sauver le monde, comme jadis le sorcier le fit avec le grand-père de Jadoo, Ankur.


Mais Jadoo n'est pas prêt pour s'embarquer dans une aventure pareille - d'ailleurs il croit à une hallucination ou une plaisanterie. Ulloo s'interrompt alors pour accueillir la dernière recrue de sa société secrète : Mercy, venue pour le tuer...

Partageant depuis plusieurs années le même atelier de travail, Rafael Scavone et Rafael Albuquerque n'avaient pourtant jamais travaillé ensemble jusque récemment en adaptant un texte de Neil Gaiman. Mais cette collaboration leur a donné confiance et envie pour s'investir dans un projet personnel que Dark Horse a accepté de publier.

De l'aveu même des auteurs, il s'agissait de se faire plaisir en visant un public plus jeune que la moyenne des comics mais aussi en synthétisant plusieurs éléments imaginés pour de précédents essais.  Au départ, ainsi, il n'était pas question d'un team-book, mais l'histoire a permis de réunir plusieurs personnages dans une intrigue commune pour plus d'efficacité.

Pareillement,, les deux Rafael n'avaient pas en tête un format arrêté, mais en mesurant le matériel collecté dans l'élaboration de leur projet, ils se sont rendus compte qu'ils avaient de quoi développer un récit au long cours. Toutefois, dans un marché hyper-concurrentiel et dominé par les super-héros, ils ont préféré avancer prudemment et Hidden Society sera donc d'abord une mini-série en quatre chapitres - Albuquerque estimant que cela devait suffire pour accrocher le lecteur et raconter une première intrigue.

Malgré tout ces préventions, le plaisir qu'on prend à lire ce premier épisode est suffisant pour avoir confiance dans la suite, et surtout espérer que le titre puisse grandir au-delà de quatre chapitres. La construction est classique : on fait connaissance avec quatre personnages que rien ne lie, si ce n'est la magie. Il y a Mercy, une sorte de tueuse qui règle leurs comptes à ceux qui abusent de leurs pouvoirs ; Laura, une aveugle qui commande à un génie, Orcus ; Jadoo, un prestidigitateur aussi précoce que maladroit ; et enfin celui qui va les réunir, le sorcier Ulloo.

Bien entendu, ces quatre fortes têtes doivent rien moins que sauver le monde. Mais les deux auteurs gardent l'identité de l'ennemi et la nature exacte de la menace secrètes pour l'instant, d'autant qu'on découvre que Mercy a pour objectif de tuer Ulloo, et que celui-ci compte pourtant l'intégrer au groupe.

Sur ces bases le script se déroule avec un rythme soutenu auquel il est impossible de résister. Les personnages sont bien campés, immédiatement identifiables, et leur réunion a ce quelque chose d'improbable qui assure la séduction de sa formation. En situant l'histoire à la fin des années 70, Scavone joue aussi sur une ambiance nostalgique, une époque charnière, la fin du temps de l'innocence et en même baignant dans une nuit propice au danger. 

Pourtant, graphiquement, Albuquerque n'abuse pas d'effets rétro. Son trait très vif et expressif, avec des plans aux angles très dynamiques, assure à la mise en scène un entrain indéniable. L'artiste est à l'aise dans ce cadre auquel il infuse une sorte d'électricité tout en conservant toujours une légèreté bienvenue.

Bien qu'il ne soit pas crédité au scénario, il semble bien que Albuquerque s'y soit investi pour se ménager de l'espace visuellement. Ainsi peut-il passer d'une introduction assez inquiétante avec le personnage de Mercy à une scène ouvertement plus fantaisiste avec Orcus, dont l'apparence dénote (son pelage bleu, son cigare aux lèvres, lui donne un look ouvertement cartoon), tandis que Jadoo est un personnage auquel les plus jeunes peuvent s'identifier, et que Ulloo occupe le rôle de la figure paternelle.

Albuquerque a une aisance naturelle à dessiner, avec le risque de parfois tomber dans la facilité quand il ne dispose d'un scénario  assez robuste pour guider sa virtuosité. On l'a vu avec Prodigy de Millar qu'il na pu sauver du naufrage. Mais ici, il a pris le parti évident de s'amuser et de nous divertir. En optant pour cette direction, et grâce à l'écriture bien charpentée de Scavone, il ne s'éparpille pas et fournit un travail très agréable.

Pour tout cela, on a hâte de lire la suite de cette série, qui a tout pour plaire. 

DIAL H FOR HERO #12, de Sam Humphries et Joe Quinones


Ainsi s'achève la maxi-série Dial H for Hero. Ce serait mentir de prétendre que cette conclusion n'est pas bienvenue car le projet a souffert d'indéniables longueurs, mais il faut aussi reconnaître à Sam Humphries et Joe Quinones d'avoir mené leur barque avec assurance et panache. Le terme de l'aventure de Miguel et Summer se termine en beauté, sur une note résolument optimiste, qui fait vraiment du bien.


Aspirés dans le K-Dial, Miguel et Summer pensent avoir perdu la partie contre Mr. Thunderbolt. Mais la jeune fille n'en veut pas à son ami, qui a perdu ses repères au pire moment. L'espoir demeure et c'est ce qui va les sortir de ce mauvais pas.


Le temps presse car Mr. Thunderbolt est désormais en possession des quatre cadrans magiques et s'apprête à doter tous les habitants du multivers de super-pouvoirs pour leur épargner souffrance et peine comme lui quand il a perdu son grand-père.


Miguel et Summer surgissent dans l'Hyper-Néant de Mr. Thunderbolt, juste à temps pour l'empêcher d'accomplir son plan. Miguel affronte son double maléfique, Thunder Montez, tandis que Summer se sert du C-Dial pour neutraliser Thunderbolt.


Le vilain est piégé dans un réalité parallèle tandis que Miguel annihile son double. Reste pour les deux adolescents à trouver le chemin pour réintégrer leur dimension d'origine. Summer échange les combinés avec les cadrans et trouvent ainsi un passage entre les pages du Multivers.


Ils regagnent ainsi le repaire de l'Opérateur. Celui-ci a mesuré le danger de cacher les cadrans et va désormais les garder à l'oeil dans un endroit unique. Il renvoie Summer et Miguel à Metropolis où, escortés par les fantômes de SuperMiguel et Lolo Kick You, ils profitent de le retour à la normale.

Le succès critique et commercial de Mister Miracle (par Tom King et Mitch Gerads) a motivé DC Comics a multiplié les projets sous la même forme, des maxi-séries en douze épisodes, soit un an de publication. C'est devenu particulièrement flagrant ces derniers mois avec la parution de Martian Manhunter (Steve Orlando/Riley Rossmo), Batman's Grave (Warren Ellis/Bryan Hitch) et la semaine prochaine le lancement de Strange Adventures (Tom King/Mitch Gerads et Evan Shaner). Sous la bannière "Wonder Comics", le label de Brian Michael Bendis, on a eu droit à Wonder Twins (Mark Russell/Stephen Byrne) et donc Dial H for Hero.

Pourtant, on le sait, ce dernier titre n'était pas destiné à un tel format puisque seuls six épisodes avaient été programmés. Mais les bons retours ont incité l'éditeur à prolonger l'histoire. Cela s'est senti quand, précisément à mi-chemin, le scénario a connu quelques signes d'essoufflement, visiblement pas conçu pour une rallonge pareille.

Sam Humphries a meublé avec le plus de maîtrise possible, tandis que son dessinateur, Joe Quinones, déjà généreux dans l'effort, tirait la langue et devait être suppléé par des invités. On pouvait alors craindre que Dial H... ne sombre.

Après un passage à vide de quelques épisodes, pourtant, les auteurs ont su rebondir et nous entraîner vers une conclusion digne du projet. Comme quoi, il ne faut pas partir à l'aventure sans disposer de suffisamment de munitions et surtout sans un plan d'ensemble à la mesure du format. Il y a bien une différence de taille entre un scénariste qui s'engage dans douze épisodes dès le départ et un autre qui doit improviser, visiblement, pour étirer son récit sur un an de publication.

Avec disons deux ou même quatre épisodes en moins, la série aurait indéniablement gagné en efficacité et en densité, conférant à son propos une solidité plus évidente, sans compter que Joe Quinones aurait sans doute assuré toute la partie graphique sans soutien. Il ne faut pas blâmer Sam Humphries qui a dû composé avec une situation inattendue.

A partir du moment où l'intrigue a promis une étape décisive à Apokolips, le lecteur s'est mis à espérer un dénouement spectaculaire. Mais en fin de compte, on a eu droit qu'à une brève escale chez Darkseid (qui n'a d'ailleurs pas montré son nez). D'une certaine manière, Humphries a eu le nez creux en nous décevant sur ce point car il a choisi de recentrer in extremis, in fine, son intrigue sur ses deux héros et leur adversaire plutôt que de s'attarder chez les Néo-Dieux de Kirby - et d'affronter la concurrence terrible de la maxi-série de King et Gerads.

Ce qu'on retiendra de Dial H... dans son ultime chapitre, c'est sa naïveté assumée mais agréable où l'héroïsme fait place à l'espoir : une astuce plus fine qu'elle n'en a l'air puisqu'elle repositionne l'obsession de Mr. Thunderbolt, méchant qui voulait donner des super-pouvoirs à tous les habitants du Multivers pour qu'il ne souffre pas comme il a souffert de la mort d'un proche. Ainsi, cette objectif pathétique acquiert une certaine noblesse, maladroite certes mais qui révèle au lecteur le visage d'un vilain plus désespéré que vraiment maléfique.

Elle montre aussi que les deux jeunes héros, en particulier Miguel, en perdant le Nord (selon la formule de Summer), n'ont pas été sans reproches mais que la solidarité les sauve. Eux aussi ont été maladroits, mais cela les rend identiquement attachants. Humphries est en définitive un sentimental qui ne se résout pas à séparer le monde entre des mauvais irrécupérables et des gentils impeccables : chacun porte en lui des regrets et cela l'humanise au-delà du fait d'acquérir ou de distribuer des super-pouvoirs. D'ailleurs à la fin, on voit que les fantômes de SuperMiguel et Lolo Kick You accompagnent Miguel Montez et Summer Pickens dans les rues de Metropolis comme des reliquats de leur aventure, des sortes d'anges gardiens, mais les deux adolescents ont prouvé leur valeur sans leurs avatars - et trouvé leur bonheur sans eux.

Quinones fait une dernière fois feu de tout bois au dessin et nous régale d'excentricités bien dosées. Il convoque notamment John Romita Sr., mais l'essentiel n'est plus dans la citation. Lui aussi de dépouille de ses artifices pour livrer des planches très belles où ses deux jeunes héros reviennent au centre. Ce sont eux qui trouvent la solution pour neutraliser Thunder Montez et Mr. Thunderbolt, pour regagner le Heroverse, pour rentrer à Metropolis.

Malgré tout, Quinones et son coloriste, l'excellent Jordan Gibson, ne se privent pas de quelques planches fabuleuses comme quand Miguel et Summer sont coincés dans le K-Dial, ou encore lorsqu'ils traversent des moments forts de l'Histoire du DC Univers le temps d'une double-page magnifique, sans oublier la page finale, superbement composée (notez la présence aérienne de Superman, figure emblématique de toute la série).

Comme je le disais plus haut, avec moins d'épisodes, et peut-être un petit break d'un mois à mi-parcours, Quinones aurait sûrement pu dessiner l'intégralité de la série. Mais on ne peut guère se plaindre des artistes invités pour le remplacer ponctuellement, et qui ont maintenu à l'ensemble une belle allure. L'un dans l'autre, visuellement, Dial H... aura été un régal pour les yeux.

Reste à savoir si tout cela aura une quelconque influence sur le reste du DCU. En l'état, les publications du label  "Wonder Comics" semblent déconnectées, tout au plus s'adressent-elles des clins d'oeil entre elles et certains personnages passent d'un titre à l'autre (pour atterrir dans Young Justice). Pourtant, avec ces cadrans magiques, Sam Humphries a prouvé qu'il y avait matière à peser sur le cours des affaires. 

jeudi 27 février 2020

X-MEN #7, de Jonathan Hickman et Leinil Yu


Si ce n'était pas encore assez clair que les X-Men avait franchi le Rubicon et qu'ils étaient entrés dans leur période la plus étrange depuis que Jonathan Hickman présidait à leur destinée, alors ce nouvel épisode dissipera les derniers doutes - et décidera les ultimes lecteurs à en accepter le postulat ou à la rejeter. En tout cas, c'est, je trouve, très fort, audacieux. Et même Leinil Yu semble trouver un nouveau souffle (malgré la perte de son emblématique encreur, Gerry Alanguilan).

Melody Guthrie est la soeur de Sam (Cannonball), Paige (Husk) et Joshua (Icare). Mais contrairement à eux, elle vit à Krakoa en ayant perdu ses pouvoirs (depuis le M-Day, où la Sorcière Ecarlate a privé de leur don un million de mutants). Aujourd'hui, elle va passer l'épreuve.


Cette épreuve interroge Cyclope qui s'en ouvre à Wolverine, lequel se montre très réservé à ce sujet. Il renvoie Scott Summers à leur ami Diablo pour trouver des réponses à ses doutes et Kurt Wagner est également en pleine interrogation.


Alors qu'ils rejoignent l'arène où doit avoir lieu l'épreuve, Diablo explique à Cyclope que la protocole de résurrection maîtrisé par les mutants désormais a modifié complètement leur condition - et remet en question leur situation face à la vie, la mort, l'éternité.


Dans l'arène, Melody Guthrie affronte Apocalypse dans un duel à mort. Diablo continue à échanger avec Cyclope sur la responsabilité que leur donne la résurrection. Melody Guthrie meurt sous les coups d'Apocalypse en s'étant consciemment prêté à cette cérémonie étrange.


Melody renaît et, ainsi, recouvre ses pouvoirs et son statut de mutante, citoyenne légitime de Krakoa, récupérant son nom de code d'Aero. Diablo dévoile son projet à Cyclope : bâtir une religion mutante pour penser à leur nouvelle existence et continuer à l'interroger.

Je crois vraiment qu'on est en train d'assister à une révolution avec ce que fait Jonathan Hickman. Pour la première fois depuis longtemps, les mutants sont écrits d'une manière si radicale et novatrice qu'il est impossible de se référer à une quelconque nostalgie. Il ne s'agit pas d'une réinterprétation, mais bien d'une réinvention, initiée avec les mini-séries House of X-Powers of X, qui ont enclenché un mouvement contraire à tout ce qui avait été entrepris depuis la période Grant Morrison (en gros, l'idée qu'il fallait établir l'histoire de l'extinction des mutants).

Bien entendu, un tel projet oblige chacun à reconsidérer son affection pour les mutants. Certains fans manifestent déjà leur désapprobation devant l'image que renvoie Hickman. D'autres (comme moi) adhérent à ce plan parce qu'il a le mérite de trancher avec une stratégie qui avait atteint ses limites et parce qu'on assiste à une redéfinition de ces personnages, de leur objectif - quitte, en effet, à les rendre moins sympathiques, moins héroïques.

Je l'ai déjà dit, mais il me semble que ce que Hickman accomplit, c'est que Marvel a raté, par frilosité, avec les Inhumains il y a quelques années (alors même que couraient des rumeurs comme quoi lesdits Inhumains allaient remplacer les mutants, mais c'était avant que Marvel récupèrent les droits d'exploitation cinéma des mutants). A l'époque, ni Matt Fraction (passé en coup de vent) ni Charles Soule n'avaient osé, avec leurs editors, embrasser le côté antipathique des Inhumains (une famille royale, avec ses classes diverses jusqu'à ses esclaves, vivant à l'écart des humains tout en ayant déclenché, lors de la saga Infinity, écrite par Hickman, une bombe réveillant toute une population secrète).

Or, c'est précisément ce qu'ose Hickman aujourd'hui avec les X-Men : décrire une société retiré des l'humanité, assumant désormais de la supplanter, bâti sur des règles dérangeantes. L'épreuve qui est au coeur de cet épisode peut être un des aspects les plus saillants de cette philosophie puisqu'en interrogeant, via Diablo, le protocole de résurrection domestiquée par les mutants, il s'agit de mettre en scène l'exécution d'une ancienne mutante (ayant perdu ses pouvoirs depuis House of M) avant de la faire renaître, à nouveau pourvu de son don.

Hickman alterne le cérémonial de l'épreuve, voulue par Melody Guthrie (soeur de Cannonball, Husk et Icare), et le débat entre Cyclope et Diablo.  Dans le premier cas, on assiste à un combat absurde par son inégalité, opposant Melody à Apocalypse dans une arène. Elle n'est plus qu'une humaine, tolérée à Krakoa, mais résolue à se battre pour mourir dignement, assez pour mériter sa résurrection et la récupération de ses pouvoirs. Ce spectacle est perturbant car on assiste à une sorte de corrida où le petit taureau Melody Guthhrie n'a vraiment aucune chance face au matador Apocalypse. Le malaise est d'autant plus grand qu'assiste au combat les frères et soeurs de la jeune femme, mais aussi tout un public de mutants (des plus hauts dignitaires aux plus anonymes citoyens de Krakoa). L'issue ne fait aucun doute, malgré la bravoure de Melody Guthrie, mais il ne s'agit pas de vaincre Apocalypse. Il s'agit bien de mourir pour avoir le droit de renaître et d'être à nouveau pleinement soi-même.

Dans le second cas, le dialogue entre Diablo, présenté comme un homme de foi mais aussi traversé par le doute, et Cyclope, dessiné comme un adepte heureux à peine titillé par quelques interrogations sur ce qui se passe, est d'une richesse assez peu commune dans un comic-book mainstream. Hickman réfléchit à voix haute, au travers de ses deux personnages, sur des concepts comme l'éternité, la mesure de celle-ci quand on a le pouvoir de renaître à volonté, la préservation de l'âme dans le corps physique après la résurrection, la responsabilité vis-à-vis des volontés de celui prêt à mourir pour revivre comme mutant à part entière, la notion même de mutant à part entière comparé à la condition d'humain (entendu que le mutant est désigné comme homo superior). Diablo n'a pas de réponses toutes faites à ces questions, cela ne lui inspire que de nouvelles interrogations existentielles, philosophiques, sur le prix à payer pour un tel privilège, la portée religieuse de ce pouvoir de vie et de mort, la place du mutant dans la société, le communautarisme qui guette, le transhumanisme (ou "transmutantisme"). A la fin, Diablo envisage de créer un mouvement religieux, une église sur Krakoa, moins pour convertir en discours de conversion ce qu'il questionne que pour poursuivre ce travail d'interrogation avec des fidèles, des penseurs (on voit d'ailleurs Exodus enseigner, à sa manière, ce qu'a fait la Sorcière Ecarlate à un groupe d'enfants - et on se rappelle que Wanda Maximoff est sur la liste des plus grands criminels mutants de Krakoa).

Evidemment le portrait de Diablo en religieux en hérissera certains. On sait que son créateur, Dave Cockrum, désapprouvait qu'on écrive son personnage ainsi (alors que lui l'avait conçu en hommage aux personnages de pirates charmeurs incarnés par Errol Flynn). Mais aucun scénariste n'a jamais tenu compte de la volonté de Cockrum (ni Claremont, ni les autres). Personnellement, je préfère aussi le Diablo bondissant et séducteur au curé à l'apparence de démon, donc le choix de Hickman me plait moyennement (mais j'attends son Giant-Size X-Men : Nightcrawler, dessiné par Alan Davis - le seul, depuis Cockrum, à avoir conservé l'essence du personnage - pour vérifier s'il ne creusera que cet aspect).

En attendant, cet épisode bénéficie de dessins remarquables de Leinil Yu. Pour ce dernier, c'est un retour particulier puisque c'est son premier job depuis la mort inattendue de son encreur, Gerry Alanguilan (auquel ce numéro, comme les précédents, est dédié : Alanguilan était plus qu'un encreur puisqu'il était aussi enseignant, auteur, et se battait pour la reconnaissance de ses pairs).

Yu rend une copie très forte, pour un numéro très dense (plus de trente pages, sans data pages). Il est à son aise dans cet épisode fourni en dialogues, mais aussi lorsqu'il anime le duel entre Apocalypse et Melody Guthrie. Il excelle à souligner la différence de gabarit entre les deux adversaires et donc l'inégalité du combat, son absurdité même, sa cruauté.

Certes Yu néglige souvent les arrières-plans, notamment quand on se trouve dans l'arène. Mais, avant cela, il nous guide dans la végétation de Krakoa en soignant sa luxuriance et la beauté de ses architectures. Une scène comme celle avec Cyclope et Wolverine sur la Lune, au début, a même une forme de majesté sobre épatante.

Tout cela contribue à faire de cette prestation la plus aboutie de Yu depuis le début de son travail sur le titre (même si on peut facilement lui préférer les épisodes illustrés par Silva ou Buffagni, encore plus peaufinés). Mais il est indéniable que Yu maîtrise particulièrement un colosse comme Apocalypse, et les leaders de Krakoa (comme Xavier, Magneto, Storm), bien aidé par la colorisation magnifique de Sunny Gho (son fidèle complice).

Il est sûr que X-Men n'a plus rien à voir avec que qu'on a lu depuis plus de quarante ans. La direction imprimé à ce titre emblématique par Hickman nous emmène loin ailleurs, transformant l'ensemble en un objet assez unique, et clivant. Mais c'est aussi sa force si on y adhère : ce n'est plus la même chose, c'es quelque chose de différent, et qui s'assume comme tel. Je trouve cela passionnant.    

X-FORCE #8, de Benjamin Percy et Oscar Bazaldua


Suite et fin de l'histoire consacrée à Domino, ce nouveau numéro de X-Force confirme la baisse d'inspiration de Benjamin Percy. Le scénariste devrait se reprendre cependant rapidement, avec le retour de Joshua Cassara au dessin - une nouvelle fois suppléé par Oscar Bazaldua, très en deçà du niveau habituel auquel ce titre nous a habitués.


Domino retrouve et élimine la tueuse qu'elle traque et qui lui ressemble comme un double négatif. Elle ramène le corps à Krakoa pour que le Dr. Cecilia Reyes l'examine. Ses conclusions sont rapides : la victime a été conçue à partir de l'ADN de Domino.


Après avoir, contre son gré, permis à des tueurs de pénétrer sur Krakoa pour y commettre une tuerie, Domino n'apprécie guère une fois de plus d'avoir servi à créer un danger pour la communauté mutante. Elle se confie à Colossus qui préférerait qu'elle oublie tout ça.


Mais Domino veut réparer le mal qu'elle a involontairement contribué à faire et Sage l'aide dans ce sens en localisant un laboratoire mobile où seraient confectionnés des clones à partir de son ADN. Il se trouve dans un train circulant sur la ligne du trans-sibérien.


Colossus accepte d'accompagner Domino pour cette mission et ils découvrent en s'introduisant dans ce train un wagon rempli de sang puis un autre occupé par des incubateurs où se forment des clones. Ils sont alors surpris par des répliques dégénérées de Domino.


Colossus prend les choses en main et provoque le déraillement du train, causant la mort des clones et la destruction du matériel. Domino succombe aussi mais avant d'expirer fait promettre à son partenaire qu'elle soit ressuscitée avec tous ses souvenirs.

Benjamin Percy est un scénariste solide car il a su rapidement rectifier le tir et proposer un épisode plus abouti que le précédent. Ce huitième numéro conserve les défauts de ses qualités en restant focalisé sur le personnage de Domino mais renoue avec ce mélange d'action et de réflexion sur le métier de membre de la X-Force qui a fait le sel de la série depuis sa relance.

Ainsi le double de l'héroïne est vite liquidée et cela fait avancer l'intrigue à bon escient. Percy semble esquisser une romance possible entre Domino et Colossus, mais pas sûr que cela soit sa priorité car il ne paraît pas enclin au sentimentalisme. De plus la logique de la série veut qu'elle s'articule autour d'un groupe et de ses missions, pas tellement sur la vie privée et romantique de ses membres - ce qu'on peut un peu déplorer (mais alors c'est un reproche qu'on peut adresser à d'autres séries "X", plus story-driven que character-driven).

Par ailleurs, Percy brouille les cartes car il apparaît aussi que Sage n'est pas insensible à Domino comme en témoigne l'énergie avec laquelle elle l'aide. Cela peut être réciproque, et plus évident qu'avec Colossus, quand Domino fait cadeau à Sage d'un trèfle à quatre feuilles (symbole de la chance mais aussi échantillon rare qu'elle partage).

Cette énergie, c'est celle qui irrigue la série telle que l'écrit Percy : son sens du rythme, son goût pour les rebondissements, leur enchaînement évitent tout ennui au lecteur, même quand l'histoire passionne moins. A ce titre, X-Force est sans doute la série la plus efficace, la plus séduisante et la plus facile de la collection car elle est narrée le plus classiquement, sur un schéma plus convenu (beaucoup d'action, peu de psychologie, un groupe de personnages dynamique).

La seconde partie de l'épisode entraîne Colossus et Domino (dont on se souvient par ailleurs qu'ils firent partie de la même équipe de X-Men quand Brian Wood animait la série éponyme, dans une configuration très féminine - on trouvait à leurs côtés Tornade, Pixie et Psylocke) en Russie à la poursuite d'un train-laboratoire vraiment sinistre. Percy ne lésine pas sur les éléments dérangeants avec un wagon rempli de sang et un autre d'incubateurs où se composent des clones avant que ne débarquent un escadron de répliques dégénérées. A ce stade, c'est un peu too much et on voit bien que le scénariste cède à la facilité pour créer le malaise à tout prix.

Malheureusement, visuellement, Oscar Bazaldua n'a pas les ressources pour transformer ces scènes en autre chose, de plus subtil, de plus travaillé. Son trait est trop lisse, ses personnages trop transparents et peu expressifs, pour qu'on soit épaté. Il réussit à un moment un assez beau mouvement (quand Colossus et Domino sautent d'un train à l'autre), mais c'est tout. La colorisation sut studio Guru FX tente de donner de la texture à tout cela, sans vraiment y parvenir. Décidément, quand ça ne veut pas...

Il faut en fait attendre les toutes dernières pages pour trouver un moment qui relance notre intérêt et annonce quelque chose de plus accrocheur pour la suite quand, lors d'une assemblée de l'organisation anti-mutante Xeno (celle-là qui avait enlevé et pratiqué des expériences sur Domino), est bousculé par l'intervention d'un de ses dignitaires. Il demande, au sens propre comme au figuré, des comptes et exige un changement drastique de stratégie pour déclarer ouvertement la guerre aux mutants. Il paraît évident que Percy prépare une sorte de deuxième acte, plus tendu et agressif.

En attendant de le vérifier, on oubliera donc assez vite, et facilement, cet interlude décevant. 

mardi 25 février 2020

SKULLDIGGER + SKELETON BOY #3, de Jeff lemire et Tonci Zonjic


La mini-série écrite par Jeff Lemire arrive à mi-parcours et on s'attend donc légitimement à des révélations et des rebondissements pour préparer les deux derniers épisodes. On n'est pas déçu car ce numéro est encore une fois exceptionnel d'intensité et les surprises sont vraiment excitantes. Visuellement, c'est une "tuerie" grâce à Tonci Zonjic, exceptionnel.


1976. Crimson Fist trouve le repaire de GrimJim. Il affronte ses sbires avec difficulté - Tex Reed sent que l'âge le rattrape et il lui faut appréhender le vilain sans tarder. Mais pourtant une fois sur le point de le neutraliser, celui-ci réussit à lui échapper.


1996. Tex Reed tente de maîtriser GimJim qui a interrompu son meeting de candidat à la mairie de Spyral City. Mais il ne fait plus le poids face à son ennemi que le temps a épargné. Skulldigger intervient alors comme le voit l'orphelin devant la télé qui retransmet l'événement.


Le garçon crochète avec succès la serrure du réduit où l'a enfermé Skulldigger et enfile son costume de Skeleton Boy pour aller l'aider. C'est que le justicier est en fâcheuse posture car GrimJim a réussi à le poignarder au flanc droit et s'apprête à l'exécuter avec un pistolet.


Skeleton Boy évite le drame sous le regard sidéré de la détective Reyes, présente sur place. Dans la confusion qui s'ensuit, GrimJim enlève Tex Reed en s'enfuyant grâce à un hélico et Skeleton Boy évacue Skulldigger en semant Reyes grâce à une grenade phosphorescente.


De retour à leur base, l'orphelin soigne son mentor tout en l'interrogeant sur GrimJim et leur adversité. Skulldigger rechigne à répondre avant d'avouer que le vilain est son père, dont Crimson Fist l'a jadis libéré.

Aucun temps mort dans la narration de Jeff Lemire : l'efficacité avec laquelle il conduit son récit est un modèle du genre et rappelle justement la réflexion récente de Tom King sur la manière dont des auteurs comme Frank Miller dans les années 80 réussissaient à boucler des histoires, devenues des classiques, en peu de numéros alors qu'aujourd'hui la décompression narrative n'est pas toujours bien exploitée.

Je ne veux pourtant pas utiliser Skulldigger + Skeleton Boy pour faire le procès d'une façon de raconter contre une autre, ou fredonner le refrain si facile du "c'était mieux avant". Nous n'avons pas le recul nécessaire pour cerner ce qui pourra devenir des classiques alors que les années 80 nous offrent la distance pour juger ce qui a révolutionné le genre.

Par ailleurs la démarche de Lemire s'inscrit, dans le monde de Black Hammer, dont ce titre est issu, comme un hommage et non comme une vision nostalgique. Il est fascinant d'analyser comment le scénariste recycle des idées, des motifs pour en donner sa version. Il ne copie pas, ne plagie pas non plus, mais joue avec l'Histoire du média.

C'est particulièrement remarquable dans ce troisième numéro où la construction dramatique procède par des effets de miroir, de renvoi. L'action fonctionne en écho entre ce qui s'est passé en 1976 et vingt ans plus tard. Les agissements du Crimson Fist (dont j'aimerai, à l'occasion, lire une mini-série dédiée) ont des répercussions en 1996 quand Tex Reed se présente à la mairie de Spyral City mais aussi dévoilent le passé du Skulldigger. On se doutait bien que les destins de GrimJim, Crimson Fist et le justicier étaient liés mais Lemire orchestre ce chassé-croisé magistralement et surtout cela éclaire d'un jour nouveau la relation avec Skeleton Boy.

Ce n'est pas la première fois que Lemire joue sur la répétition (déjà dans Black Hammer, Lucy succédait à son père, et les manigances de Mme Dragonfly et du colonel Weird réécrivaient les existences de leurs compagnons), mais il maîtrise si bien son affaire qu'on se fait prendre à chaque fois.

Par ailleurs, la série bénéficie d'un traitement visuel exceptionnel grâce à Tonci Zonjic. Ce dernier s'est investi dans la conception graphique en ne laissant rien au hasard : le design du Crimson Fist est fabuleux et la séquence d'ouverture est un morceau de bravoure, une leçon de découpage, toute en simplicité et en efficacité.

Le reste est à l'avenant avec le combat entre Skulldigger et GrimJim, l'évasion de Skeleton Boy, la présence du détective Reyes aux premières loges. Zonjic compose avec tous ces éléments sans jamais égarer le lecteur. Son découpage est exemplaire de lisibilité, on sait toujours où on est, ce qu'il faut regarder, et les compositions de chaque plan mériteraient d'être étudiées par tout aspirant bédétiste.

Quand on est à ce niveau d'excellence, il suffit de se laisser porter. Il n'y a strictement rien à jeter, ça se lit tout seul et en même temps c'est d'une richesse narrative et graphique merveilleuse. C'est très fort. 

GUARDIANS OF THE GALAXY 2, de Al Ewing et Juann Cabal


Al Ewing est un homme pressé : ses Guardians of the Galaxy bouclent leur première aventure dès ce premier épisode, et le moins qu'on puisse dire est que ça ne finit pas bien. Pourtant, il ne s'agit pas de précipitation ni de facilité : au contraire, il y a une étonnante densité dans l'écriture. Et dans le dessin de Juann Cabal, dont chaque planche est d'une richesse visuelle épatante. Une relance en boulet de canon.


Marvel Boy libère Hercule de ses entraves. Pendant ce temps Moondragon est en contact télépathique avec Phyla-Vell qu'elle aide à affronter Zeus dans l'espace alors que Nova est blessé. Rocket Raccon avertit l'équipe qu'Héphaïstos leur a volé la bombe à trou noir avec laquelle ils comptaient détruire la nouvelle Olympe.


Star-Lord décide de la récupérer seul mais doit, avant cela, neutraliser Artémis. Il y parvient mais elle le blesse à la cuisse gauche avec une flèche. Phyla-Vell intimide Zeus qui se replie dans la cité volante de la nouvelle Olympe et elle évacue Nova vers un poste de secours Kree.


Hercule, Moondragon et Marvel Boy regagnent le "Bowie" où les attend Rocket. Star-Lord se présente devant Héphaïstos en possession de la bombe dont il cherche à comprendre le fonctionnement. Peter Quill le piège en s'approchant suffisamment pour le tuer avec la flèche d'Artémis.


La bombe ayant été endommagée par les manipulations d'Héphaïstos, Star-Lord doit l'amorcer manuellement. Pour cela il doit éloigner Rocket, Hercule, Marvel Boy et Moondragon et active le démarrage du "Bowie" grâce à son casque.


Rocket cherche à détourner ce pilotage à distance en comprenant que Star-Lord va se sacrifier dans l'affaire, mais sans succès. Zeus surprend Star-Lord mais trop tard. La bombe entraîne la nouvelle Olympe dans un trou noir.

C'est parce qu'on n'est plus habitué à ce genre de format ramassé qu'on est étonné par la rapidité avec laquelle Al Ewing boucle sa première mission des Gardiens de la galaxie. Deux épisodes lui ont suffi pour nous embarquer dans un raid suicide contre les dieux ressuscités de l'Olympe pour lequel Star-Lord n'a pas hésité à se sacrifier (quand bien même il assure avoir un plan pour ne pas y rester - et effectivement, on peut sérieusement douter que Ewing tue si vite un personnage aussi emblématique).

Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et donc se garder de penser que le scénariste soit allé trop vite en besogne. Au contraire, son script possède une densité réelle qui garantit au lecteur le sentiment d'en avoir eu pour son argent (sans oublier que le premier épisode était plus long que la normale). Ce qu'il y a de sûr, c'est que Al Ewing a réussi là où Donny Cates avait échoué.

En deux numéros, des personnages comme Moondragon et Phyla-Vell ont eu plus de dialogues et de consistance que pendant tout le run de Cates (qu'elles ont traversé telles des fantômes). L'amitié entre Peter Quill et Rocket Raccoon a atteint une dimension poignante. Et une recrue comme Marvel Bou a immédiatement gagné sa place. Enfin, le rôle de Nova a été déterminant. C'est ce qu'on appelle faire vivre une équipe.

Et je dois dire que, moi, qui ait souvent des problèmes à accrocher avec les team-books récents parce que les auteurs me perdent dans des castings pléthoriques ou des caractérisations trop floues, là, je suis comblé par le travail d'Ewing qui a investi les Gardiens de la galaxie avec une idée précise. Il en fait une formation d'aventuriers-justiciers n'hésitant pas à prendre des mesures radicales, y compris pour eux-mêmes, pour régler une solution délicate.

Et puis, comment ne pas être curieux du retour d'Hercule ? Va-t-il intégrer l'équipe ? Et justement l'équipe va devoir à présent expliquer les conséquences de sa mission aux autres Gardiens qui ont refusé d'y prendre part. Comment Gamora va-t-elle supporter la mort de Star-Lord par exemple ? On n'aura pas les réponses tout de suite puisque le numéro suivant sera articulé avec des artistes invités pour des mini-récits concernant des membres du groupe.

C'est qu'il faut laisser souffler Juann Cabal, la grande révélation de la série. Je ne connaissais pas ce dessinateur auparavant, mais il m'a fait forte impression. Son style, très élégant et généreux, produit des planches formidables. On sent un garçon qui ne s'économise pas et qui est parfaitement dans son élément.

Pourtant illustrer les aventures d'un groupe de personnages est sans doute un des exercices les plus exigeants dans la mesure où il faut tous les rendre immédiatement identifiables, mais aussi les animer de manière énergique. Cabal fait mieux que cela : il est inventif dans son découpage, usant de "gaufriers" très denses, mais aussi de pleines pages où l'influence de Steranko est manifeste (voir plus haut avec ce plan du visage de Moondragon dans lequel s'insèrent des plans de Phyla-Vell en action).

Sans cesse il y a chez Cabal une volonté de transcender le script, ce qui est très stimulant pour le lecteur. Les décors sont fouillés, la mise en scène précise, les effets dosés. Et la colorisation de Frederico Blee ne gâche rien car elle s'ingénie toujours à conserver la clarté du trait.

C'est assurément une des meilleurs relances de l'année qui débute. Après les prestations mitigées de Gerry Duggan et Donny Cates, Al Ewing donne un vigoureux et salutaire coup de fouet au titre, soutenu par un artiste très prometteur. 

dimanche 23 février 2020

NEW MUTANTS #7, de Jonathan Hickman et Rod Reis


Et ainsi s'achève cet arc des New Mutants... Et aussi, apparemment, la prestation de Jonathan Hickman sur la série ! Dommage car on en aurait volontiers repris (même si le scénariste va retrouver ces personnages dans la série X-Men très bientôt), mais quel régal tout de même et quelle belle surprise de la part du scénariste, qui aura prouvé son auto-dérision. Rod Reis quitte aussi le navire (pour collaborer sur un Giant-Size X-Men avec Hickman) en beauté.


Sunspot résume les événements qui ont suivi la destruction du vaisseau des Nouveaux Mutants. Sauvée du vide sidéral par Magik, l'équipe s'est emparée du navire du commando Shi'ar lancé à leurs trousses, après libéré Cypher, Sunspot, Smasher et Cannonball grâce au renfort de Deathbird.


Ignorant tout de cela, la future reine Xandra s'inquiète du retard de sa tante et de son escorte sur Chandilar, le monde-trône des Shi'ar. Gladiator la rassure avec Oracle en lui promettant que rien ne peut stopper Deathbird.


Ayant gardé un prisonnier parmi le commando Shi'ar, interrogé par Cypher et Karma, les Nouveaux Mutants savent qu'on leur a tendu un piège et qu'un traître se trouve au sein de la Garde impériale Shi'ar. Deathbird et Smasher sont résolus à foncer pour le confronter et le confondre.


Pour Deathbird, le coupable idéal est Gladiator, qui ne voudrait pas céder sa place sur le trône à Xandra, trop jeune et inexpérimenté. Une bataille s'engage entre les Nouveaux Mutants et la Garde impériale mais Xandra ordonne à tous de se calmer et au traître de se révéler.


Oracle avoue mais Xandra lui pardonne en décidant de la prendre à son service aux côtés de Deathbird. Cyclope négocie avec Gladiator l'installation d'un portail entre Krakoa et Chandilar. Tandis que Sunspot décide de s'installer sur place pour Deathbird et Cannonball en prévision de futurs ennuis.

D'entrée de jeu, on sait que cet ultime épisode écrit par Jonathan Hickman est là pour nous divertir et pas davantage. Quoique... L'auteur veille à installer une distance narrative quasi-méta-textuelle pour souligner sa démarche. Il s'agit en effet autant de s'amuser avec les héros qu'avec le mécanisme même du récit super-héroïque.

On commence donc par le rituel résumé des épisodes précédents par Sunspot : celui-ci raconte sa version des faits, en n'oubliant pas de se donner le beau rôle et de traiter ses camarades comme des gamins. C'est déjà très drôle, mais Roberto da Costa, tout à sa relation, va un peu trop loin dans les révélations...

Débarque alors Dani Moonstar pour l'avertir qu'il est en train de complètement spoiler l'intrigue au lecteur. Les personnages s'adressent alors directement à nous et on comprend que Hickman se moque des règles en usage, brisant le quatrième mur, tournant en dérision ses propres rebondissements. C'est savoureux.

Le risque avec ce genre d'écriture, c'est évidemment que l'exercice mine complètement le cours de l'histoire et prive le lecteur de tout suspense. Peut-on encore vibrer pour des héros dont on sait qu'ils seront victorieux à la fin et dont l'aventure vire à la parodie ? Hickman sait ce qu'il fait et redirige alors son récit de façon plus classique.

Nous le savons mais pas les Nouveaux Mutants, ils ont été piégés par un membre de la Garde impériale Shi'ar qui ne voulait pas que Deathbird forme Xandra à devenir la nouvelle reine. La traîtresse est Oracle, la télépathe. Nos jeunes héros qui ont fait un prisonnier dans le commando de la mort foncent tête baissée dans un traquenard mais Deathbird et Smasher sont aux commandes, chacune avec leur suspect.

Quand tout ce beau monde débarque sur Chandilar, le combat est inévitable. C'est un cliché du genre et Hickman revient à son registre farceur en rigolant de ses propres data pages pour nous résumer l'affrontement, son évolution... Avant de nous en exposer le terme, abrupt et savoureux, par Xandra (finalement pas si godiche que ça). Oracle avoue et a droit à une punition peu ordinaire.

Le meilleur reste encore à venir car Sunspot est fort désappointé en apprenant que Cannonball entend demeurer avec Smasher et leur fille parmi les Shi'ar. Tout ça pour rien ? En vérité, Roberto da Costa se moque bien de la recomposition des Nouveaux Mutants, il voulait surtout retrouver son ami pour des aventures inédites. Qu'à cela ne tienne, il décide de rester lui aussi sur Chandilar, pour séduire Deathbird et faire des affaires (il commence aussitôt en rachetant l'immeuble où vivent Sam Guthrie et Izzy pour y habiter avec eux !).

La légèreté du propos, du ton peuvent étonner de la part d'un auteur réputé sérieux et cérébral comme Hickman. Mais que le scénariste ait voulu ou non prouver qu'il pouvait être marrant, qu'importe : il a surtout réussi, en procédant de la sorte, à ranimer l'esprit original des New Mutants, en en faisant une équipe jeune, complice, partie dans l'espace sans réfléchir. Tant pis, si, au passage, il n'a pas fait grand-chose de Mondo ou Chamber et que la caractérisation dans son ensemble est très superficielle, tout comme l'intrigue. L'essentiel était ailleurs, dans l'état d'esprit.

Rod Reis a accompagné le scénariste dans ce projet avec beaucoup d'enthousiasme, une affection visible pour ces personnages, et un soin remarquable pour tout le cadre. En assumant toute la partie graphique (dessin, encrage, couleurs), Reis paie un hommage remarquable à son idole Bill Sienkiewicz, qui a marqué de son empreinte le titre, tout en ne le singeant pas.

Mais qu'on se rassure, Reis n'en a pas fini avec les mutants et avec Hickman puisque les deux hommes collaborent déjà sur un nouveau projet. En effet, en parallèle de X-Men, l'auteur va produire régulièrement des Giant-Size X-Men centrés sur un personnage particulier, dans des numéros longs comme des annuals. Au menu : Nightcrawler avec Alan Davis, Magneto avec Ramon K. Pérez, Jean Grey et Emma Frost avec Russell Dauterman... Et Fantomex avec Reis ! Un programme vraiment très alléchant.

DAREDEVIL #18, de Chip Zdarsky et Jorge Fornes


L'arc Through Hell entame son huitième chapitre et, parti comme c'est, après l'annonce des solicitations de Mai, il comptera au moins dix parties. C'est une longueur étonnante de la part de Chip Zdarsky qui avait enchaîné les arcs courts en cinq volets, mais c'est aussi une marque d'ambition. Toujours accompagné de Jorge Fornes au dessin, Daredevil est dans la reconquête de son titre avec cette histoire un peu laborieuse mais tout de même assez épique.


Cole North convainc ses collègues de désobéir aux consignes de leur hiérarchie pour investir à nouveau les rues de Hell's Kitchen alors que Belle Libris a été enlevée par le Hibou. Le détective est en contact avec Matt Murdock qui va l'aider à remonter la piste de la fillette.


La police fait une descente dans une planque du Hibou mais un de ses sbires le prévient des événements en douce. Matt en informe North avec qui il part à la poursuite d'un van suspect en route pour Harlem.


A bord du van, le ravisseur et Bell Libris : il menace d'exécuter la fillette mais Matt réussit à le raisonner. Ignorant cela, Thomas Libris a convaincu sa mère, Izzy, d'aller négocier une trêve avec le Hibou.


Leland Owsley est mis au courant de l'intervention de la police et reçoit Thomas au même moment. Il l'informe de la libération de Belle avant de l'abattre pour envoyer un message à Izzy afin qu'elle sache qu'il ne plaisante pas et ne tolérera pas qu'on discute sa mainmise sur Hell's Kitchen.


Mais le Hibou est loin de se douter que les véritables nouveaux maîtres du quartier sont les Stromwyn qui avertissent Wilson Fisk, toujours convalescent, qu'ils vont purger l'endroit définitivement. Pour ce faire, un groupe de super mercenaires, parmi lesquels Crossbones, le Rhino et Bullseye, débarquent...

Je n'aurai jamais soupçonné Chip Zdarsky d'avoir de telles ambitions narratives quand il a repris Daredevil, même s'il a démarré en force en forçant le héros à se retirer. Mais c'est bien un arc majeur que le scénariste écrit avec ce Through Hell qui compte déjà sept chapitres, un format rare par sa durée.

Dire que Zdarsky a affiché une totale maîtrise de son projet me semblerait excessif : à plusieurs reprises, le rythme a défailli et les péripéties, nombreuses, n'ont parfois accouché de pas grand-chose (le mois dernier, la rencontre entre Matt et les Stromwyn, par exemple, ressemblait à un coup d'épée dans l'eau). Par ailleurs, l'auteur laisse des points en suspens très frustrants (le retour de la mémoire d'Elektra) ou abuse de facilités qui ne servent qu'à annoncer des rebondissements (la liaison entre Matt et Mindy qui oblige Matt à s'engager pour retrouver Belle Libris, le caractère tantôt passif tantôt impulsif de Thomas Libris qui le condamne à mort).

Quant à la relation entre Matt et North, elle reste agréablement complexe mais le flic intraitable avec le justicier travaille quand même désormais main dans la main avec lui. Enfin, le sort réservé à Wilson Fisk m'a paru trop affaiblir le personnage qui tremble désormais presque comme un enfant dès qu'il reçoit un appel des Stromwyn (le Caïd vaut quand même mieux que ça).

En revanche, Zdarsky se rattrape sur d'autres éléments : son Hibou est plus terrifiant que jamais, c'est un assassin de sang-froid, un néo-parrain implacable, il est à nouveau un méchant redoutable et effrayant, ce qu'il n'était plus depuis belle lurette. Et l'arrivée des super-mercenaires à la fin de cet épisode montre que Bullseye n'est pas seul à avoir été recruté par les Stromwyn : ça va barder car voilà tout sauf une bande d'enfants de choeur.

Ce qui trouble surtout, c'est d'avoir lu cet épisode, solide, après une récente déclaration de Tom King qui notait que, en son temps, Frank Miller expédiait Batman : Year One ou The Dark Knight returns en quatre épisodes, sans que ses récits manquent d'envergure ni de tension, là où aujourd'hui il faut donc dix épisodes à Zdarsky (ou des maxi-séries de douze à King) pour raconter une histoire aussi épique. Quelque chose s'est indéniablement perdu et cet étirement narratif, particulièrement dommageable quand on cherche à évoluer dans un registre urbain noir, nuit à l'ensemble. Through Hell en moitié moins d'épisodes aurait été bien plus puissant, mais Zdarsky a sans doute pêché par un excès de personnages, de péripéties, tout comme il diffère depuis trop longtemps le vrai retour de Daredevil (effectif en Mai).

De même, la comparaison avec Batman : Year One devient cruel quand on on compare les dessins de Jorge Fornes avec ceux de son idole David Mazzucchelli. Fornes est comme Zdarsky : son dessin accuse des fioritures absentes chez son maître. Il n'est pas aussi maîtrisé, pas aussi incarné. Fornes ressemble à un copiste appliqué à qui il manque tout de même la radicalité lumineuse de Mazz'.

Du coup, les pages s'enchaînent, les images se succèdent, agréables, mais jamais transcendantes. L'artiste a recours à des astuces vues et revues (la pluie, les silhouettes) chez Mazzucchelli, mais l'effet qu'elles produisent sont moins fortes parce qu'on les connaît déjà et qu'elles sont moins bien mises en scène. Idem pour les personnages à qui il manque de la chair, de l'épaisseur, du volume. Pareil pour les décors.

C'est pour cela que le bât blesse : en l'état, jusqu'au retour de Checchetto, dont le métier lui permet de se distinguer et la technique d'aller ailleurs, loin de références dangereuses car inatteignables, le Daredevil actuel de Zdarsky et Fornes invoque celui de Miller sans l'égaler. C'est un effort louable, mais à mon avis, mieux vaudrait aller dans une autre direction pour dépasser l'ambition de bon divertissement et tenter une saga vraiment incontournable.    

HAWKEYE : FREEFALL #3, de Matthew Rosenberg et Otto Schmidt


Alors qu'elle arrive à mi-parcours, la mini-série écrite par Matthew Rosenberg et dessinée par Otto Schmidt garde le cap et ne lève pas le pied. Mieux : elle réussit à mixer humour et action avec la même qualité depuis le départ. Surtout qu'après le cliffhanger du précédent épisode, on pouvait se demander comment les auteurs rebondiraient. Mais pas à dire : Hawkeye : Freefall a du ressort.


Clint a ramené chez lui Bryce, le hacker de the Hood, pour qu'il l'aide à coincer ce dernier. Il lui explique au passage comment, grâce à un gadget temporel volé à Kang, il a pu se faire passer pour Ronin sans qu'on le soupçonne - même si le véritable imposteur court toujours.


Linda Carter débarque sur ces entrefaites et devine, en découvrant Bryce, que Clint s'est engagé dans une nouvelle aventure foireuse. Lassée, elle claque la porte. Pendant ce temps, the Hood est à la recherche de Bryce.


Cette même nuit, Hawkeye part en patrouille pour continuer à leurrer ses proches et tombe sur Black Widow. Celle-ci regrette presque qu'il ne soit pas redevenu Ronin car la virilité qu'il affichait sous le masque l'excitait.


Justement, sous le masque de Ronin, Clint s'introduit dans une base du SHIELD et y dérobe un LMD - une réplique robotique de lui-même - qui va lui permettre de continuer à mener ses deux existences de front (puisque le gadget de Kang est cassé). Linda Carter le découvre et re-claque la porte, excédée.


Grâce aux infos de Bryce, Clint/Ronin inspecte une planque de la Maggia. The Hood y a exterminé tous les malfrats pour remonter la piste de Ronin. Clint est terrifié par cette sauvagerie, mais doit rendre des comptes à un autre héros présent sur place : Daredevil.

C'est vraiment dommage que Marvel n'ait rien prévu pour donner une suite à cette mini-série (en la transformant en ongoing par exemple) car le matériel a un excellent potentiel - peut-être le meilleur depuis le run de Fraction-Aja avec le personnage de Hawkeye. C'était déjà le cas avec la mini consacrée au Winter Soldier, il y a quelques mois (par Higgins et Reis).

On peut comprendre la prudence de l'éditeur dans un marché saturé. Mais cette situation est provoquée par Marvel lui-même qui inonde ledit marché avec des dizaines de publications mensuelles chaque mois (voir la rapidité avec laquelle, suite au succès de "Dawn of X", de nouvelles séries mutantes sont désormais programmées).

En même temps, j'aurai mauvaise grâce à dénoncer le principe de la mini-série car je l'apprécie. C'est un format qui exige des auteurs une concision plus très fréquente et permet d'extraire la substantifique moëlle d'une histoire qui perdrait en intensité si elle était excessivement prolongée. C'est un exercice de style qui ne force en outre pas la main au lecteur s'il veut investir de l'argent sans se ruiner sur des mois.

Et Hawkeye : Freefall, en dehors de ses mochissimes couvertures signées par Kim Jacinto (de vrais repoussoirs), est un vrai régal, renouvelé de numéro en numéro. Matthew Rosenberg avait conclu le précédent épisode sur un étonnant cliffhanger mais il rebondit dessus avec une belle adresse (Clint explique comment il a pu être là Ronin tout en étant ailleurs, au même moment, Hawkeye). Et surtout le faux Ronin est toujours dans la nature.

Cela conduit le récit à la démonstration d'exactions de plus en spectaculaires et violentes de the Hood, et à cet égard, l'avant-dernière page est vraiment glaçante. Mais avant cela, l'humour domine, notamment grâce à un running gag désopilant, tout droit issu d'une screwball comedy, d'un vaudeville.

Les multiples crises de nerfs de Linda Carter face aux manoeuvres maladroites de Clint déclenchent le rire de manière imparable, surtout quand elle découvre le LMD (Life Model Decoy). Un autre grand moment a lieu lors du dialogue entre Clint et Black Widow : tout en se battant avec des ninjas dans Central Park, les deux anciens amants devisent sur Ronin pour aboutir au constat que Natasha Romanoff est presque déçue que Barton n'ait pas à nouveau assumé cet alias car elle le trouvait plus sexy. Ces guests sont de vraies pépites depuis le début, donnant lieu à des échanges savoureux et des situations parfaitement absurdes.

Pour les mettre en image, on ne peut rêver mieux qu'Otto Schmidt dont le trait léger et expressif fait des merveilles encore une fois. Il tire l'histoire vers la comédie loufoque sans forcer en soignant ses compositions, toujours à bonne distance du gag ou du quiproquo.

Mais l'artiste se montre aussi très à son aise dans l'action qu'il rend très dynamique, sans sacrifier les personnages. Car Hawkeye : Freefall, malgré une intrigue solide et palpitante, est avant tout character-driven, et Schmidt l'a bien compris. Son traitement de la couleur souligne cela en privilégiant toujours des nuances claires pour les scènes d'intérieur (où tout doit toujours être immédiatement lisible et efficace). Quand le soir tombe, il veille à demeurer limpide mais soigne les ambiances (encore une fois, l'avant-dernière page est terrible).

Même si ça signifie que la fin approche, on attend avec impatience la suite.