vendredi 31 mai 2019

PUNK MAMBO #2, de Cullen Bunn et Adam Gorham


Pour son deuxième épisode (sur les cinq que comptera la série), Punk Mambo lève un peu le pied. Mais à peine ! Cullen Bunn déploie son métier en variant le rythme d'un chapitre à l'autre, et parfois même à l'intérieur du chapitre lui-même, alternant action et dialogues de façon dosée. Adam Gorham lui emboîte remarquablement le pas. On ne s'ennuie pas.


Les adeptes du Loa invoquent les dieux vaudou d'Haïti. Punk Mambo ne leur montre pourtant pas beaucoup de respect, ce qui les irrite. Elle devine vite qu'ils veulent se servir d'elle pour leur sale boulot contre le démon Gunnysack.


Aussi, si elle est disposée à collaborer, elle interviendra d'abord pour elle, pour récupérer son esprit Aye. En retour, les dieux vaudous lui imposent Josef, un de leurs hougan, le relais entre le monde des morts et des vivants.
  

Avec Marie Laveau, une fois dehors, ils sont entraînés au coeur de Haïti par Maman Brigitte. La désinvolture de Punk Mambo irrite Josef, attaché aux traditions. Mais la jeune femme n'en a cure : elle a un job à accomplir et veut le faire vite.


L'apparition des tontons macoute, sbires de l'oncle Gunnysack, va lui fournir l'occasion de se défouler. Elle les attaque aussitôt en les menaçant d'une sévère correction tant qu'ils ne lui auront pas livrée l'adresse de leur boss.


Mais en se battant, Punk Mambo et Josef négligent de surveiller leurs arrières et l'oncle Gunnysack resurgit pour kidnapper Marie Laveau. Punk Mambo a juste le temps de lancer un traceur magique pour suivre sa trace...

En misant sur des formats courts (des mini-séries de cinq épisodes), l'éditeur Valiant oblige certes ses équipes artistiques à aller au plus vite à l'essentiel, mais pour cela le job est confié à des professionnels, capables de s'adapter aux contraintes tout en ayant de la personnalité.

C'est une métaphore qui colle au personnage de Punk Mambo : elle aussi a peu de temps pour accomplir son boulot - vaincre le démon Gunnysack qui menace les dieux vaudous d'Haïti et détient son esprit Aye - mais elle a du tempérament et sait faire preuve de souplesse et d'initiative. Ses méthodes déplaisent à Josef, le hougan qu'on lui impose, mais ce n'est pas ça qui va la freiner.

Et c'est là qu'on mesure le savoir-faire de Cullen Bunn car, pour la peine, il convient de ne pas mélanger vitesse et précipitation. Bunn ne verse pas dans la psychologie ou l'ethnologie : tout est défini par l'action et la réaction. Punk Mambo se fiche des convenances, le scénariste aussi : le vaudou, les démons, les esprits, les traditions locales, tout ce folklore exotique, il le traite avec la même insolence que son héroïne, pressée d'en finir et à sa manière.

Quoi de plus naturel au fond ? C'est une prêtresse mais aussi une punk, qui se fiche donc de l'autorité, de la hiérarchie, des conventions. On ne peut pas s'ennuyer en sa compagnie et on rigole quand elle charrie Josef, hérissé par cette anglaise irrespecteusue des traditions, qui emploie sa magie avec insouciance... Mais qui, in fine, s'avère très efficace puisqu'elle a le bon réflexe - à défaut d'avoir de bonnes manières.

L'intrigue est cousue de fil blanc et Bunn ne se cache pas derrière son petit doigt pour la faire avancer, mais grâce à son dessinateur, Adam Gorham, on en prend plein la vue.

L'artiste remplit bien ses cases, impose un découpage très tonique, avec des personnages bien expressifs. Le lecteur n'est vraiment pas floué, il y a de quoi faire et lire. C'est un divertissement à la fois léger et dense, agrémenté d'une colorisation superbe (par José Villarubia, qui a bossé avec Alan Moore, et dont ce n'est qu'une des activités puisqu'il est également photographe et designer).

A l'image de la couverture "pétante" de Dan Brereton, Punk Mambo a de la ressource, du nerf, de la personnalité. Cette combinaison lui assure d'être appréciée.

BAD LUCK CHUCK #3, de Lela Gwenn et Matthew Dow Smith


C'est déjà le pénultième épisode de Bad Luck Chuck : j'ignore pourquoi mais je croyais qu'il s'agissait d'une histoire plus longue, voire d'une série régulière. Mais à vrai dire, ce n'est pas plus mal car Lela Gwenn a du mal à bien développer son idée initiale - et on peut douter de sa capacité à boucler son intrigue correctement. La faute aussi au dessin de Matthew Dow Smith, sans grand relief.


Arrêtée et écrouée après avoir fait sauté l'entrepôt et été dénoncé anonymement, Chuck Manchester est, pour ses ennemis, Mme Afolaya et l'agent Sterling, hors-jeu. Fayola l'apprend par la télé.


Profitant de la présence de sa mère au poste de police, Fayola va récupérer son passeport et son argent, puis prend l'appel de Chuck qui lui indique un endroit sûr où se réfugier : dans un monastère tibétain, tenu par sa tante Ani Karma.


Exerçant son don contre Mme Afolaya, Chuck est libérée après que la brigade scientifique ait découvert que l'entrepôt lui appartenait et servait de laboratoire clandestin. En coulisses, Papa Freedom remonte le moral des policiers sous sa coupe.


Chuck rejoint Fayola et Ani au monastère où elle doit se purifier. Elle se prête bon gré mal gré à une série d'exercices dans ce but. Fayola, hors de sa surveillance, se fait enlever par des sbires de Papa Freedom, et Mme Afolaya en est avertie.


Mis à la porte pour avoir une fois de trop laissé Chuck s'en tirer, Ean Sterling s'enivre dans un bar. Ne pouvant règler son ardoise, il est jeté à la rue où Papa Freedom l'attend et lui offre de venir grossir les rangs de son armée contre Chuck.

L'échec de Bad Luck Chuck n'est pas une surprise en soi car il faut reconnaître que son argument était bien mince. On pouvait cependant espérer que Lela Gwenn sache le développer et le tirer dans des directions inattendues et captivantes.

Il n'en est rien, au contraire, à un épisode de la fin, on se demande même comment elle va dénouer l'histoire qu'elle a mise en place sans bâcler ou employer des raccourcis grossiers.

Car, c'est là tout le problème, si l'idée d'une détective capable de porter la poisse à qui se met en travers de son chemin ou désigné par un de ses clients ne va pa loin, la scénariste a bien peuplé son récit qui raconte aussi bien une histoire d'héritage, d'extorsion et de secte, avec autant de personnages.

Entre la mère de Fayola, Fayola elle-même, le gourou Papa Freedom, l'agent des assurances Ean Sterling, Chuck et maintenant une tante bouddhiste, ça fait beaucoup de monde à gérer alors que la conclusion est pour dans un mois.

Reconnaissons néanmoins à Gwenn une ironie appréciable : apprendre que Tashi, le premier prénom de Chuck, signifie "chance" ou appeler sa tante Ani Karma et obliger la détective à se soumettre à une série d'exercices purificateurs, fournit des scènes savoureuses, tout comme la voir compromettre depuis sa cellule de prison Mme Afolaya. Mais cette dimension fantastique (puisqu'il était dit dès le premier épisode que Chuck était littéralement maudite) n'est que trop effleurée pour combler le lecteur. Et les seconds rôles justement ne sont qu'esquissés (même si Papa Freedom fait un retour en force pour la dernière ligne droite).

L'autre faiblesse criante, de plus en plus au fil des épisodes, tient au dessin de Matthew Dow Smith. L'artiste  souffrait déjà d'avoir un style assimilable à d'autres, plus forts que lui, comme Michael Lark, Matthew Southworth ou Michael Gaydos. Mais il s'avère incapable de dépasser ses modèles et d'insuffler de la personnalité à la série.

Dow Smith a fait l'essentiel de sa jeune carrière en travaillant sur des licences comme des comics adaptés de séries télé (notamment X-Files). Ce n'est pas un hasard si les dessinateurs qui collaborent à ce type de BD sont un peu passe-partout : on leur demande principalement de savoir représenter les acteurs des feuilletons et de mettre en images des scripts sans faire de vagues. 

C'est donc logiquement qu'il fait la même ici, avec la liberté de ne pas avoir à faire ressembler ses personnages à des comédiens. Mais son découpage demeure très sage, classique, et son dessin reste minimaliste, qu'il s'agisse des décors ou des protagonistes. Il a une forme d'épure chez lui qui pourrait être intéressante mais qui, là encore, rappelle trop un Paul Azaceta, sans la maîtrise des ombres et lumières.

Quatre épisodes, ce sera donc tout, mais il n'y avait pas matière à plus. On verra quand même comment tout ça est bouclé le mois prochain.   

jeudi 30 mai 2019

HEROES IN CRISIS #9, de Tom King et Clay Mann


C'est la conclusion de Heroes in Crisis, sans doute un des sagas événementielles les plus ambitieuses produites par DC. Mais il faut bien l'admettre, cette fin déçoit énormément car Tom King la résoud de manière rocambolesque et surtout moralement très discutable - pour ne pas dire impossible. C'est très beau, grâce à Clay Mann. Mais vraiment imbitable.


Au Sanctuaire, le Wally West du passé et son moi futur se font face. Le Flash du futur a accepté d'être sacrifié pour couvrir les meurtres de son ancien moi avant que la Justice League ne vienne l'arrêter.


Mais Harley Quinn, Blue Beetle, Batgirl et Booster Gold les interromptent juste à temps. Harley découvre aussi que Poison Ivy est toujours en vie grâce au Flash du futur qui a déposé un échantillon d'elle dans la rivière de Gotham, où elle a "repoussée", sous une nouvelle forme.


Le futur Flash explique au Wally West qu'il n'a pas à commettre un nouveau meurtre pour réparer ses fautes. Il doit trouver à qui parler pour apaiser ses tourments, et faire admettre qu'il ne peut supporter d'être un symbole.


Booster Gold a une idée pour soulager le Wally West du passé : en se rendant au XXVème siècle et en le clonant super-rapidement, il peut berner la Justice League en lui faisant croire qu'il s'agit de son moi futur qui s'est donné la mort après avoir tué les patients du Sanctuaire.


Superman et Barry Allen viennent arrêter Wally West que Batman et Wonder Woman enferment dans une cellule du Hall de Justice. Booster Gold profite de sa liberté avec Blue Beetle tout comme Harley Quinn avec Poison Ivy. Le Flash du futur continue de courir et créé une réalité alternative.

Pour bien comprendre le problème de cette conclusion, il faut d'abord appréhender le souci de la construction d'Heroes in Crisis qu'elle met à jour. Conçu d'abord comme une saga en sept parties, le récit de Tom King a été enrichi, avant le début de sa publication, de deux épisodes supplémentaires. Il ne s'agissait pas de chapitres terminaux, comme des additions à la conclusion de l'histoire, mais d'épisodes intégrés.

Or passer de sept à neuf épisodes influe complètement sur la structure de l'ensemble. On se rend maintenant compte que les épisodes concernés sont problablement ceux dessinés avec la participation de Lee Weeks et Mitch Gerads (les #3 et #6 en particulier), qui s'attardaient sur des actions précédant le massacre ou sur des patients en particuliers.

L'autre bizarrerie, on le constate a posteriori, c'est que finalement les deux derniers volets de la saga ont brillé par l'absence de personnages comme Superman, Wonder Woman et surtout les deux limiers que sont Batman et Flash/Barry Allen. On ne peut que s'étonner que ces deux détectives soient invisibles au moment-clé de la résolution, en particulier quand Batgirl, disciple de Batman, est directement impliquée, mais aussi quand Wally West sort du bois.

Lorsqu'on voit le temps passé avec Booster Gold et Harley Quinn et le soin avec lequel Tom King a entretenu le doute sur leur culpabilité, c'est un peu "tout ça pour ça". Etait-il judicieux de faire d'eux les protagonistes de cette affaire ? Dans un premier temps, oui. Mais une fois Blue Beetle et Batgirl de la partie, ce fut au détriment des autres enquêteurs (Batman et Flash/Barry Allen), et là, ça coince.

Mais, finalement, tout cela paraît dérisoire au vu du message véhiculé par la conclusion elle-même. Et là, le problème est beaucoup plus épineux. Il devient même inacceptable car il dépasse de simples questions de narration (y compris dans le plan imaginé in fine par Booster Gold).

On n'est en effet pas loin, de façon étrange, troublante, de ce qui s'est joué dans Daredevil #5 de Chip Zdarsky et Marco Checchetto, lorsque Luke Cage, Jessica Jones et Iron Fist expliquaient à Daredevil, accablé par l'homicide involontaire qu'il a commis, que, ben, ça fait partie des risques du métier de justicier, parfois on tue quelqu'un dans le feu de l'action, etc. Daredevil ne peut supporter cette justification et quitte ses amis Defenders.

Or c'est exactement ce que dit Booster Gold (et ce qu'approuvent Blue Beetle, Batgirl et Harley Quinn, mais aussi le Flash du futur) à Wally West. Il a tué des dizaines de patients du Sanctuaire en pleine crise d'angoisse, sans même s'en rendre compte sur le moment...Mais hé, ça peut arriver de péter un plomb, et qu'il y ait des morts (qui, de toute façon, ne sont pas importants puisque c'étaient tous des héros de seconde zone) ! Alors, t'inquiètes pas, on est solidaires, on va t'aider en te clonant vite fait afin de mystifier la Justice League. Tu t'en tireras avec un peu de prison, puis tu parleras à un thérapeute de ta famille qui te manque, du poids que cela représente d'être vu comme un symbole d'espoir, et ça ira mieux.

Tant pis si, dans le lot, Wally West a tué aussi un de ses meilleurs amis (Roy Harper/Arsenal), que son moi futur continue de courir en créant une réalité parallèle, et que le Sanctuaire accueille de nouveaux patients après que son existence (et ses défaillances aient été rendues publiques)...

C'est tout simplement ahurissant que Tom King ait osé penser nous qu'on allait gober ça. Qu'est-ce qui lui a pris ? On reste sidéré par l'amoralité, la légèreté de ce dénouement, de ces explications (au point que le plan de Booster Gold avec un clone devient risible). Surtout, qu'est devenu le sujet initial - le stress post-traumatique chez les super-héros considéré à partir de la crise meurtrière de l'un d'eux ? C'est comme si le scénariste, mais aussi le staff éditorial de Heroes in Crisis l'avaient égaré en cours de route. De la part d'un homme et d'un auteur comme King, la surprise (désagréable) de cette fin laisse pantois. Un vrai faux pas.

Elément aggravant : l'épisode est très beau visuellement. Clay Mann et son coloriste Tomeu Morey signent des planches, parmi les plus magnifiques de la saga. L'essentiel se passe dans un champ mais il se dégage des plans une paix, une tranquillité, une émotion sobre dignes des tableaux de Norman Rockwell.

Le souci là encore, c'est qu'en illustrant ce dénouement ainsi, cela ajoute à la confusion. C'est en quelque sorte obscène de mettre en scène l'issue d'une tragédie pareille dans un cadre aussi magnifié et de manière aussi sereine. Les héros présents font leur petite combine sordide dans un paysage trop bucolique, de petits arrangements entre amis - mais des amis encore une fois bien dépourvus de sens moral (que des idiots comme Beetle ou Booster s'y prêtent, ou qu'une cinglée comme Harley et sa copine ressuscitée y adhèrent, à la rigueur, mais Batgirl, héroïne d'une intégrité absolue...).

L'épisode (long de trente pages) accumule, entre deux scènes de dialogues, les confessions face caméra de plusieurs héros (plus d'une quarantaine - ce qui suggère que toute la communaut fréquente le Sanctuaire depuis le drame et la réouverture du lieu), mais sans que ça ne nuance ce qui vient de se négocier entre Wally West et ses complices. King réussit à glisser quelques réflexions acides (sur la Bat-family et les Robin en particuliers), méta (Red Tornado et ses aspirations très proches de celle de Vision, tel que l'a traité... King chez Marvel) ou sentencieuses (le dernier mot, terrible, de Jim Corrigan/le Spectre). Mais le procédé semble soudain décalé, comme s'il racontait une autre intrigue, en définitive plus télégraphique mais aussi plus directe sur les PTSD.

Et si finalement, c'étaient dans ces "gaufriers" de neuf cases, austères, laconiques mais plus décalés et intimistes, que Heroes in Crisis était le plus juste, et le plus impeccable. Pas de quoi faire neuf épisodes (ni même sept), mais une radioscopie infiniment plus originale et juste que ce que cette histoire prétendait explorer.
  
La variant cover de Ryan Sook.

dimanche 26 mai 2019

TOM KING SAQUE (?)


Je n'ai pas abordé ce sujet avant que ce soit officiel, mais comme c'est fait désormais, alors parlons d'une des décisions les plus insensées de la semaine : Tom King va cesser d'écrire la série Batman au #85 !

Comment en est-on arrivé là ? Tom King est devenu en quelques années un des scénaristes les plus côtés et les plus commentés chez DC. Révélé en co-signant Grayson (avec Tim Seeley), il a connu une promotion exceptionnelle en se voyant confier la rédaction du titre Batman avec le lancement du nouveau statu quo "Rebirth". Depuis, il a collectionné les honneurs avec les maxi-séries The Sheriff of Babylon et surtout Mister Miracle, dessinées par son ami Mitch Gerads.

Le style de King ne plaît pas à tout le monde à cause de tics d'écriture, d'une narration sophistiquée, de thèmes complexes. Pourtant, malgré cela, il a maintenu Batman au top des ventes (l'an dernier encore, DC le félicitait pour ses scores). Logiquement, cela l'a mené à une saga événementielle, qui s'achève la semaine prochaine : Heroes in Crisis - où d'ailleurs il continue d'explorer ses motifs favoris, à rebrousse-poil des standards liés à ce genre de récit.

Ce qui forge aussi une réputation, ce sont les à-côtés de la vie de l'auteur et de ce point de vue King se distingue. Ancien agent de la CIA, il a roulé sa bosse en Irak lors de la seconde guerre du Golfe. L'homme est réputé pour son caractère bien trempé mais aussi pour ses relations fraternelles avec ses artistes (Mikel Janin, Gerads, Clay Mann...).

Tout allait donc pour le mieux. Sauf visiblement, d'après le site Bleeding Cool (souvent bien informé sur les coulisses des majors des comics), avec Bob Harras, directeur des publications chez DC. Harras est un "numéro", connu notablement pour avoir évincé Chris Claremont des X-Men au début des années 90 car il n'appréciait pas ses plans et leur préférait ceux des "Image boys" - comme le dessinateur Jim Lee, devenu depuis vice-président de... DC !

Selon Rich Johnston (rédacteur-en-chef de Bleeding Cool), Harras n'était pas (plus) satisfait par les intrigues de Tom King dans Batman, notamment le dernier arc Knightmares où le Dark Knight était mentalement éprouvait par Bane. Depuis le #50, King exploite en effet les conséquences désastreuses du mariage avorté entre Batman et Catwoman en entraînant le héros dans une descente aux enfers, qui le coupe de tous ses proches. Les ventes se sont un peu tassées, et celles de Heroes in Crisis ne comblaient visiblement pas non plus Harras, qui, dès lors, semblait s'être juré de débarquer le scénariste.

On n'est donc pas loin du "précédent" Claremont causé par Harras : un auteur vedette, apprécié, prié de boucler ses valises. Lorsqu'on sait (de longue date) que King voulait produire un run de cent épisodes, ce limogeage est une décision radicale. On comprend quand même mal comment la seule volonté de Harras a suffi alors que King est encore exclusif chez DC et bénéficiait donc du soutien de Jim Lee. Harras a en tout cas intérêt à ne pas se planter lorsqu'il annoncera le nom du remplaçant de King car même si DC a un paquet de bons scénaristes, peu ont la réputation de King (bien entendu, la rumeur avance le nom de Bendis, mais je n'y crois guère parce qu'il produit déjà beaucoup et qu'il devrait un des titres liés à Superman... Pour lequel il a quitté Marvel).

King saqué donc ?... Pas tout à fait quand même, pour être honnête.


Car, dans la foulée de son départ de Batman, le scénariste lui-même a communiqué sur son projet suivant : Batman/Catwoman, une maxi-série en douze épisodes, dessinée par Clay Mann, dès 2020.

Tout ce qu'a entrepris King avec Batman tourne autour de sa relation avec Catwoman, et il a succinctement expliqué que ce futur titre sera la suite directe et la conclusion de sa série sur le Dark Knight. C'est heureux que Harras n'ait pas le dernier mot et que DC permette au scénariste d'achever son oeuvre en bonne et due forme.

Bien entendu, que les dessins soient confiés à Clay Mann, un des artistes favoris de King, est une autre bonne nouvelle, qu'on tempérera juste en rappelant que le dessinateur est fâché avec les deadlines. Le titre sera-t-il mensuel ? DC laissera-t-il l'histoire paraître avec quelques retards (comme ce fut le cas pour Mister Miracle) ? Pour ma part, j'aime beaucoup Mann, mais je pense qu'il aurait été plus prudent, voire plus logique (considérant le nombre d'épisodes qu'il a signés pour Batman), que Mikel Janin accompagne King dans cette ultime aventure (mais peut-être King a-t-il voulu Mann avec lequel il a fait le plus gros de Heroes in Crisis...).

En outre, l'avenir de King s'écrira chez DC : pas de transfert en vue (même si Marvel a publié le scénariste auparavant). On sait qu'il prépare un autre projet avec Mitch Gerads (dont le héros figure en bonne place dans Heroes in Crisis, ont-ils dit). Et d'autres choses sont au menu.

De quoi consoler les fans de Batman selon Tom King après ce rocambolesque coup de théâtre...

vendredi 24 mai 2019

TONY STARK : IRON MAN #11, de Dan Slott, Jim Zub et Valerio Schiti


Ce onzième épisode de Tony Stark : Iron Man conclut le deuxième arc de la série et, une fois encore, Dan Slott avec Jim Zub ont produit un contenu très dense. L'aventure se termine spectaculairement, avec de nombreuses révélations, des pistes pour le futur. Et Valerio Schiti met tout cela en images magistralement.


Arno Stark a découvert que, pour se protéger physiquement, son frère Tony s'est placé à l'intérieur de l'armure d'Iron Man en orbite au-dessus de la Terre pendant qu'il batailait dans l'interface e-Scape. Maintenant il l'aide à atterrir.


Les Champions prêtent main forte à la Guêpe, Rhodey et le Gantelet contre le Controller, fou de rage que Stark ait coupé son lien avec l'e-Scape. Rattrapé au vol par Rhodey, Iron Man investit l'entrepôt voisin de Baintronics pour façonner rapidement une nouvelle armure.


Le modèle Godkiller, imaginé dans l'e-Scape pour vaincre la carte-mère de l'interface, siphonne l'énergie du Controller. Mais Tony doit ensuite s'en débarrasser pour éviter d'être consumé et il détruit l'entrepôt Baintronics.


Tony doit ensuite faire face aux conséquences de la crise. Jocaste, dégoûtée par le traitement qu'il a infligé à l'intelligence artificielle Friday, démissionne. Amanda, ne reconnaissant plus son fils, plie bagages en encourageant Andy à le suivre. Arno Stark réfléchit à un moyen de ressusciter ses parents.


Car il a compris que Tony, depuis sa résurrection, n'est plus copie de ce qu'il était. Janet Van Dyne le soutient. Tout comme Rhodey qui lui évite d'entrer dans un bar pour noyer dans l'alcool ses doutes sur son humanité.

Avec la fin de cet arc narratif, on peut dresser un bilan de la série, qui va fêter sa première année sous la direction de Dan Slott.

L'ancien scribe d'Amazing Spider-Man a su redynamiser un titre que Brian Michael Bendis avait sérieusement démonté, puisque Tony Stark était sur la touche après sa bataille quasi fatale contre Captain Marvel durant Civil War II. Ressuscité in extremis avant la fin du run de son prédécesseur, Slott a hérité d'un personnage à la recherche d'un nouveau souffle.

Sa première réussite aura été de rendre à nouveau Iron Man cool tout simplement, sans singer l'incarnation ciné de Robert Downey Jr. Les cinq premiers épisodes survitaminés ont vu Tony Stark retrouver sa superbe, plus fanfaron qu'arrogant en fait. Et cela a permis de préparer le terrain pour les six derniers épisodes car le héros semblait loin de ce qui le menaçait.

Le récit s'est alors considérablement densifié, au point parfois, reconnaissons-le, d'être un peu trop touffu. C'est que Slott a fait de Tony Stark : Iron Man un comic-book avec un casting fourni puisque gravite autour du héros la Guêpe, Amanda Armstrong sa mère biologique, Rhodey, Bethany Case, Jocaste, Machine Man, Andy Bhang, plus son frère Arno et Sunset Bain. Parfois on s'y perd un peu et vingt pages mensuelles suffisent péniblement à contenir tout le monde.

L'autre reproche qu'on peut émettre est qu'une trop grande partie de l'action se soit située dans l'interface e-Scape pour des répercussions dans le monde réel difficiles à apprécier. Slott et Jim Zub se sont efforcés de montrer une crise vraiment mondiale, une mobilisation générale des amis d'Iron Man, mais j'ai eu l'impression que cela alourdissait la note. Plus de simplicité serait bienvenue à l'avenir.

Il n'empêche, pour en revenir à cet épisode, les scénaristes exécutent un boulot très propre et efficace pour boucler les lignes narratives. Le duel Iron Man en mode Godkiller-Controller est un peu bref, mais ensuite les cas de chacun sont clairement traités : la démission de Jocaste, son couple avec Machine Man, le départ d'Amanda (avec Andy ?), la romance avec Janet, le soutien indéfectible de Rhodey, les plans d'Arno... Et surtout la situation de Tony, dont la condition est vraiment troublante et donne au terme "self-made man" une connotation très spéciale.

La série a aussi pour elle un dessinateur au sommet de son art : Valerio Schiti, sans jamais faiblir ni bâcler, a enchaîné dix épisodes sur onze (il a seulement zappé le #6) avec une constance épatante.

Il faut saluer l'exploit dans le paysage actuel où peu d'artistes tiennent le rythme mensuel et surtout parce que les scripts de Slott et Zub lui ont fourni beaucoup de travail, avec des tonalités très différentes, une somme de décors, de personnages, etc.

Schiti s'en est acquitté avec beaucoup d'efficacité et d'inventivité, donnant aux scènes-clés une intensité exceptionnelle, et animant les protagonistes de manière remarquable. Immonen hors-champ, Samnee toujours sans série, Schiti se place comme un des maîtres actuels.

On n'est vraiment pas loin du sans-faute. Le mois prochain toutefois, ce sera sans moi puisqu'il s'agira d'un épisode tie-in à War of Realms. Rendez-vous donc en Juillet pour la suite.

DIAL H FOR HERO #3, de Sam Humphries, Joe Quinones et Arist Deyn


Ce troisième épisode de Dial H for Hero est encore un joyeux délire mitonné par Sam Humphries. Nous sommes à la moitié de l'histoire et le scénariste y va à fond, même si le méchant reste trop peu visible. En outre, Joe Quinones se fait aider par Arist Deyn sur certaines scènes.


Dans une chambre d'un motel de Central City, l'agent de police Corinne Benson, qui a volé le téléphone magique, appelle l'Opérateur pour lui expliquer qu'elle ne souhaite pas remettre l'appareil à Mr. Thunderbolt. Elle est encouragée à utiliser le téléphone pour cela.


Miguel et Summer sont aussi en ville où ils espérent trouver Flash pour récupérer l'appareil. Mais leurs efforts pour être remarqués par le héros échouent. Jusqu'à ce que la sonnerie du téléphone retentisse dans la tête de Miguel.


L'agent Benson s'est transformée en Bluebird of Happiness, capable de remodeler la réalité à sa guise. Miguel perd connaissance dans ce flux psychédélique et laisse à Summer la responsabilité d'affronter l'adversaire.


La jeune fille réussit à subtiliser le H-Dial et se transforme en Lo Lo KickYou, une punk dont l'esprit anarchiste résiste à la volonté de Bluebird. Grâce à la rage accumulée depuis son enfance, où sa mère la forçait à concourir pour des prix de beauté, elle remporte le combat.


Lorsque Miguel revient à lui, Summer/Lo Lo roule en direction de Detroit, vers l'ancienne base de la JLA. Dans le Heroverse, l'Opérateur comprend qu'il doit intervenir et révèle son identité : il s'agit de Robby Reed, le précédent détenteur du téléphone.

De toutes les productions du label "Wonder Comics" (même si je n'ai pas lu Wonder Twins), Dial H for Hero est la plus décapante et la plus drôle, celle où les auteurs se permettent le plus de choses. C'est cela qui rend sa lecture jubilatoire.

Parce qu'il s'agit d'une mini-série, Sam Humphries a aussi compris qu'il n'avait pas de temps à perdre et le rythme est soutenu, tout en ne sacrifiant pas l'intrigue ni la caractérisation. Justement, cet épisode s'emploie à en dire plus sur deux personnages importants : Summer et l'Opérateur.

Au sujet de ce dernier, on devine vite, grâce au flash-back d'ouverture, qu'il s'agit de Robby Reed, le précédent possesseur du H-Dial. On ignore en revanche comment il est devenu le gardien du Heroverse, mais peut-être le scénario le précisera-t-il prochainement. En tout cas, cela suggère : 1/ que le téléphone choisit volontiers de jeunes détenteurs et 2/ que son usage a un prix.

Pour Summer, l'épisode est entrecoupée de plusieurs brefs retours en arrière où l'on découvre que depuis l'enfance, sa mère l'a forcée à concourir pour des prix de beauté, entretenant son tempérament révolté. Cela justifie sa transformation en Lo Lo Kick You, dont l'aspect rappelle par ailleurs Tank Girl, l'héroïne bad-assde Jamie Hewlett et Alan Martin. Cependant, le procédé parasite un peu la lecture, d'autant que ces passages sont dessinés par Arist Deyn pour un résultat moyen.

En revanche, le reste, soit la majorité de l'épisode, est illustré par un Joe Quinones toujours aussi déchaîné. Il s'est visiblement beaucoup amusé avec Bluebird of Happiness, réjouissante parodie des créatures de Grant Morrison dans les années 90 et des productions Vertigo en général.

Le talent de Quinones pour animer ces scènes délirantes va de pair avec l'expressivité limite cartoon des personnages et la colorisation nuancée pour les moments réalistes et psychédéliques pour ceux où les pouvoirs de Bluebird sont en action.

En creux, sous le vernis du divertissement, Dial H for Hero questionne aussi le rapport au pouvoir, la griserie de ceux qui en sont investis et ses effets néfastes pour ceux qui n'y sont pas préparés. C'est un révélateur puissant de la personnalité, des frustrations, même si le ton reste comique et débridé.  

jeudi 23 mai 2019

ACTION COMICS #1011, de Brian Michael Bendis et Steve Epting


On y est : avec ce mille onzième épisode d'Action Comics, Brian Michael Bendis a achevé la mise en place de sa saga Event Leviathan, qui démarrera le mois prochain pour six numéros (dessinés par Alex Maleev). En compagnie de Steve Epting, le scénariste captive avec cette intrigue parano et décalée pour Superman.


Metropolis. Kate Spencer est réveillée par l'intervention musclée de la brigade spéciale de Kate Sawyer, venue l'arrêter pour l'empoisonnement de Bones, directeur du DEO. Elle réussit à s'échapper, vêtue de son costume de Manhunter.


Londres. Le Tigre de Kandahar remet à Lois Lane un dossier contenant toutes les informations collectées par l'agence Spyral sur le Leviathan et lui demande de les publier pour préparer la riposte.


Gotham. Superman et Lois s'entretiennent avec Huntress, ancienne matronne de Spyral, qui les prévient que la parution des dossiers de Spyral risque de créer un bouleversement sans précédent. Mais face au Leviathan, quel autre choix ?


Metropolis. Un homme visite Jim Harper, le Golden Guardian, hospitalisé après avoir été vaincu par Red Cloud. Il se voit offrir d'intégrer Leviathan pour préparer la suite de la révolution en marche.


Forteresse de Solitude. Jimmy Olsen informe Superman et Lois de la fuite d'Amanda Waller après qu'il l'ait accusée d'être à la tête de Leviathan. Superman comprend que l'organisation ne détruit pas des bâtiments mais les téléporte avec leurs occupants. Où, pourquoi, et après ?

La série Superman est en vérité, à la lumière de la lecture d'Action Comics, un plaisir immédiat et classique, riche en baston, en grand spectacle, du pur super-héroïsme. En revanche, avec l'autre titre "historique" consacré à l'homme d'acier, Brian Michael Bendis s'inscrit dans un autre registre, une toute autre atmosphère, qui va donc aboutir le mois prochain à son premier event pour DC.

Car depuis onze mois, Bendis aura patiemment pavé le terrain pour Event Leviathan. Le premier arc d'Action Comics sur la mafia invisible de Metropolis était un amuse-bouche avant que ne surgisse Leviathan, dont les mobiles deviennent plus clairs. Il ne s'agit pas simplement d'une organisation qui détruit des quartiers généraux gouvernementaux ou terroristes : comme on l'a appris dans le numéro spécial Year of the Villain et dans cet épisode, le but est d'instaurer un ordre nouveau, débarrassé des officines d'espionnage, de contre espionnage et d'institutions criminelles.

Une sorte d'opération "tabula rasa" donc et que l'agence Spyral surveillait. Mais de manière encore plus complexe car Superman devine, comme se le demandait la Question, que les corps n'ont pas été détruits, les preuves désintégrées : tout a été déplacé, ailleurs. Dans quel but ? C'est ce qui demeure inexpliqué.

En multipliant les décors (Metropolis, Londres, Gotham, la forteresse de solitude), Bendis insiste sur la dimension mondiale de la menace. Comme à chaque ville correspond un ou plusieurs personnages, il positionne les résistants, parfois engagés malgré eux dans cette affaire - Kate Spencer (dont l'identité a été usurpée par Talia Al Ghul) est obligée de prendre le maquis, la Question veille sur Sam Lane, le Golden Guardian est sur le point de basculer. Batgirl et Green Arrow ont été vus dans Year of the Villain, Batman en sera aussi, Plastic Man également. Et Lois Lane ne va pas être en reste.

Pour Steve Epting, c'est la quille : j'aurai aimé qu'il reste plus longtemps sur la série car son travail est une fois encore impeccable, parfaitement approprié à ce genre d'histoire. J'espère en tout cas qu'on le reverra très vite sur un autre titre. Action Comics est gâté graphiquement depuis le début, mais il gagnerait à avoir comme Superman un artiste régulier.

Plus que jamais, les aventures de Superman sont passionnantes.      
La variant cover de Francis Manapul.

JUSTICE LEAGUE DARK #11, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


L'embellie se confirme pour Justice League Dark, même si pour ses héros, la situation est critique. Mais force est de constater que James Tynion IV a vraiment insufflé à son récit un rythme et une envergure de qualité supérieure depuis le début de cet arc. Les lignes narratives convergent et annoncent un climax prometteur. Ajoutez-y les dessins fantastiques d'Alvaro Martinez et c'est un régal.


Après leur entrevue avec Circé et ses révélations sur le plan de Giovanni Zatara, Zatanna s'est téléportée avec Wonder Woman dans le Hall de Justice où elle pense que Mordu, le seigneur du Chaos, seul capable de vaincre le Dr. Fate, les attend.


Dans le royaume de Myrra, les magiciens sont face au mur. Ils ont cinq minutes pour décider d'abandonner tous leurs pouvoirs ou mourir. Bobo les entraîne dans l'Empire de Kor, un souterrain où naquit la magie. Mais Fate intervient cruellement.


Myrra en décomposition, ses natifs sont désintégrés. Blue Devil veut les venger - il est pétrifié. Swamp Thing, Man-Bat, Bobo et Khalid Nassour se révoltent. Mais Jason Blood s'interpose et accepte les exigences de Fate.


Au Hall de Justice, les négociations avec Mordru se passent mal. Il ne souhaite pas affronter Fate et les seigneurs de l'Ordre car en voulant les dimensions de la magie, ils se sacrifient et le laisseront seul maître à bord.


Mais amusé par la volonté des héros de résister, il laisse à Wonder Woman et Zatanna le rubis de la vie de Sargon, gorgé d'énergie chaotique, et disparaît. Wonder Woman ramasse le rubis et se transforme avec Zatanna en seigneurs du Chaos.

On dirait que j'ai bien fait d'insister avec cette série, car James Tynion IV a visiblement gardé le meilleur sous le pied. Alors que son intrigue était filandreuse, il rassemble enfin ses idées et les fait converger en vue d'un climax très prometteur.

L'épisode est divisé en deux parties, qui semblent se répondre. Tandis que la situation à Myrra est critique car le Dr. Fate est en train de détruire ce royaume magique et a lancé un ultimatum (renoncer à leurs pouvoirs ou mourir) aux héros qui s'y sont réfugiés, Wonder Woman et Zatanna rencontrent enfin Mordru le seigneur du Chaos, le seul véritable égal de Fate, pour solliciter son aide.

Solliciter l'aide de Mordrui revient en quelque sorte à demander à Staline de se débarrasser de Hitler. Et Tynion IV réussit parfaitement à traduire la puissance du personnage, sûr de lui, sadique, machiste. Le lecteur comprend tout de suite que Mordru n'est pas un demi-sel, il est effectivement aussi fort que Fate.

Pourtant le scénariste démontre une nouvelle fois, spectaculairement, que Dr. Fate et les seigneurs de l'Ordre ne font pas les choses à moitié. La fin du royaume de Myrra s'accompagne de la désintégration de ses natifs. Et quand Blue Devil réclame vengeance pour ses sujets, il est statufié.

La Justice League Dark, ses membres, leurs alliés, semblent décidément démunis, impuissants face à de tels adversaires. On saisit d'autant mieux l'avantage décisif que prendraient les acolytes de Wonder Woman et Zatanna à avoir Mordru à leurs côtés. Mais celui-ci est-il seulement intéressé ?

Tynion IV souligne la dimension hautaine de Mordru en lui faisant dire qu'il n'affrontera pas les seigneurs de l'Ordre, non pas peur mais parce que ceux-ci en voulant effacer toute forme de magie se supprimeront finalement et alors il ne restera que lui. Simple, logique. Très malin surtout. Pour ne pas frustrer tout le monde, Mordru laisse une arme aux héroïnes et s'éclipse.

Alvaro Martinez produit des planches absolument sensationnelles une fois encore. Grâce à lui, les enjeux et les réparties de l'épisode et de l'histoire dans sa globalité gagnent en classe et en envergure.

Il y a d'abord le degré bluffant de finitions des pages, souvent doubles, comme lorsque Wonder Woman et Zatanna évoluent dans le Hall de Justice avec des animations visuelles et des visiteurs civils, ou encore la représentation de l'Empire de Kor, ce souterrain berceau de la magie où Bobo espère que les habitants de Myrra et ses réfugiés seront à l'abri. Le luxe de détails, le jeu des ombres et lumières, le découpage, tout impressionne.

Et en ce qui concerne le découpage, lorsque Martinez met en scène la discussion entre Mordru, Zatanna et Wonder Woman, on a droit à des moments vraiment magiques, parfois terrifiants (la manière dont Mordru réduit Zatanna au silence en l'étouffant), parfois poétiques (le décor se décompose, Mordru s'éclipse dans l'espace blanc entre les cases - superbe !).

Il y a quelque chose de grisant à lire des pages aussi belles mais qui servent le propos, ce ne sont pas des morceaux de bravoure gratuits, ce sont des bijoux de narration graphique.

Vivement la suite (et possible fin de cette intrigue le mois prochain).  

mercredi 22 mai 2019

VERNON SUBUTEX (Canal +)


Depuis que la romancière Virginie Despentes a désavoué la série adaptée des deux premiers tomes de sa trilogie, Vernon Subutex a subi son premier revers critique depuis sa diffusion (même si l'audience n'a pas non plus été au rendez-vous). Le résultat n'est certes pas parfait mais dénote d'une vraie audace, de parti-pris francs. De quoi se distinguer, malgré une inégalité évidente.

 Vernon Subutex (Romain Duris)

Expulsé de chez lui, Vernon Subutex, ancien disquaire, se rend au concert de son ami Alex Bleach, rock star sur le retour. Il l'invite, après son passage sur scène, dans son studio d'enregistrement et ils abusent de l'alcool et de la drogue. Tandis que Vernon s'endort, Bleach enregistre une vidéo testamentaire dans laquelle il confie ses secrets et ses regrets.

 Xavier (Philippe Rebbot)

Lorsque Vernon se réveille, il découvre le corps sans vie de Bleach et appelle les secours. Il fait sa déposition au commissariat après avoir rassemblé ses affaires et subtilisé les trois cassettes enregistrées par Bleach. Il demande ensuite à un vieil ami scénariste, Xavier, de l'héberger pour le week-end pendant que ce dernier part avec femme et enfant au festival de Cannes . Là-bas, il se vante auprès d'Anaïs, l'assistante d'un producteur, Dopalet, de posséder le testament vidéo de Bleach.

 Emilie (Emilie Gavois-Kahn)

Viré par la femme de Xavier, Vernon s'invite chez Emilie à laquelle il n'a pas donné signe de vie depuis des années en lui expliquant s'être installé au Québec. Dopalet charge la Hyène, une détective spécialisée dans le cyber-harcélement, de mettre la main sur le testament de Bleach, qui pourrait contenir des informations compromettantes pour lui. Anaïs accorde une nuit à Vernon dont elle repousse les avances car elle ne lui pardonne pas son silence et veut se protéger désormais.

 La Hyène (Céline Sallette)

La Hyène et Anaïs recherche Xavier dont elles ne possèdent qu'un vague signalement et sa profession. Son amitié avec une ancienne actrice de porno oriente leurs investigations en direction de Barcelone où Aïcha, la fille de cette ex-star du X et d'Alex Bleach, suit la Hyène. Vernon, lui, trouve refuge chez Sylvie, l'ancienne fiancée d'Alex, qui en fait son amant en échange de son hospitalité.

 Sylvie (Florence Thomassin)

Sur ordre de Dopalet, Anaïs rejoint la Hyène à Barcelone pour l'aider dans son enquête. Les deux jeunes femmes deviennent amantes et apprennent par Pamela que celle qu'elle cherche est morte d'une overdose, mais surtout l'adresse parisienne de Xavier. A Paris, échouant à lire le testament de Bleach, Vernon abrège avec fracas sa liaison avec Sylvie chez qui il perd deux des trois cassettes.

 Anaïs (Flora Fishbach)

Vernon rencontre ensuite Lydia, une journaliste qui veut écrire une biographie sur Bleach. Sylvie, qui l'a suivi, est furieuse et l'oblige à fuir de nouveau. La Hyène et Anaïs organisent un rendez-vous entre Dopalet et Xavier à qui il fait miroiter l'écriture d'un scénarion pour un biopic sur Bleach d'après son testament vidéo. Vernon est logée par Gaëlle, avec d'autres squatteurs, chez Kiko, un trader excentrique.

 Dopalet (Laurent Lucas)

Vernon tombe follement amoureux de la maîtresse de Kiko, Marcia, une transexuelle brésilienne. Mais lorsqu'il les surprend, il met Subutex à la porte : cette fois, il est démuni et sombre dans la clochardisation. Pamela débarque à Paris et retrouve Xavier à qui elle confie son inquiétude relative à Dopalet et la Hyène et donc pour Vernon. Anaïs aussi s'interroge sur l'obsession de Dopalet pour le testament de Bleach, ce qui provoque sa rupture avec la Hyène.

 Alex Bleach (Athaya Mokonzi)

Xavier tombe par hasard sur Vernon qui fait la manche et avertit Pamela. Mais le temps qu'elle les rejoigne, ils sont agressés par des voyous : Xavier est hospitalisé et placé dans un coma artificiel. Vernon donne la seule cassette qui lui reste à Pamela, lui indique que Sylvie a les deux autres et s'éloigne, bouleversée. La Hyène, qui suit Xavier, est témoin de la scène et suit Pamela chez Sylvie et leur vole les cassettes. Seule chez elle, la détective visionne le testament de Bleach. 

Aïcha (Iman Amara-Korba)

Xavier sort du coma et, avec Sylvie, Pamela, Gaëlle et Sylvie, part à la recherche de Vernon. Des SDF leur indiquent où il se terre. La Hyène invite toute la bande mais aussi Aïcha, qui vient accompagnée de Anaïs, pour regarder la confession de Bleach. Ils y apprennent que Dopalet a violé et provoqué le suicide de la mère d'Aïcha tout en menaçant Bleach dans une affaire de plagiat pour qu'il se taise à ce sujet. Anaïs aide Aïcha à se venger du producteur tandis que Vernon renoue avec ses amis à l'occasion d'une fête.

Tout d'abord, je dois vous prévenir que j'ai regardé les neuf épisodes de trente minutes de la série sans avoir lu les romans de Virginie Despentes. C'est une auteur que je n'apprécie ni sur les plans littéraire ou humain, l'archétype de la "rebelle de salon" qui prétend avoir conservé son intégrité rock'n'roll tout en siègant à l'académie Goncourt.

Ses récentes déclarations sur la série la rendent encore plus grotesques puisqu'elle attaque le résultat en pointant le fait que la scénariste Cathy Verney est une proche de Vincent Bolloré (le patron de Canal +, chaîne qui a produit et diffusé Vernon Subutex), ce qui, selon elle, la disqualifie pour comprendre son oeuvre. Mais ça n'avait pourtant pas dérangé Despentes de toucher un cachet qu'on devine confortable pour vendre les droits de ses romans et même de participer à l'adaptation...

Il est plus probable que la romancière s'est estimée trahie parce que les neuf épisodes ont sacrément simplifié son histoire (dont le troisième tome a été écarté). Mais simplifier ne signifie pas dénaturer, et d'ailleurs, dans leur grande majorité, les critiques ont salué cet élagage.

Adapter, c'est par définition choisir, éliminer, prendre parti. D'autant que les romans étaient volumineux, polyphoniques, ellitptiques, d'après ce que j'ai pu apprendre. En choisissant qui plus est un format court pour les épisodes (trente minutes), il était évident que la version télé de Vernon Subutex différerait de sa version papier. C'est la célèbre formule d'Alexandre Dumas : "on peut violer l'histoire, à condition de lui faire de beaux enfants."

Néanmoins, au-delà de la polémique entre Despentes et Verney, il demeure le ressenti. Non, ce n'est pas une série extraordinaire, elle est même profondément inégale, notamment à cause de son interprétation et de ses niveaux dramatiques.

Le récit suit d'un côté l'errance de Vernon, cet ancien disquaire des années 90 que la crise a forcé à mettre la clé sous la porte et qui, expulsé de chez lui, cherche un toit chez plusieurs de ses amis d'antan. C'est un drôle de personnage que la narration tente de faire une sorte de loser magnifique, de clochard céleste, sans y parvenir vraiment - sans doute parce que ses pérégrinations durent un peu longtemps avant qu'il ne soit à la rue, démuni, et accéde ainsi à une sorte de purge spirituelle. Dans ses derniers épisodes, lorsque Vernon devient un SDF que la mort refuse, la série atteint une intensité aérienne poignante, et le visage amaigri et barbu de Romain Duris perd toute pétillance pour émouvoir fortement. L'acteur, choisi parce qu'il a incarné cette génération pré-millenial, exprime parfaitement cet homme qui chute tout en devenant philosophe et incarnant littéralement un néo-humanisme.

D'un autre côté, il y a l'enquête de la Hyène pour récupérer ce fameux testament vidéo d'Alex Bleach. Et in fine, la révélation de son contenu devient presque accessoire (même si ce qu'il confesse est terrible). Non, ce qui est plus intéressant, c'est le personnage de cette détective homosexuelle, agressive, pugnace, et pourtant intègre à l'arrivée, à laquelle Céline Sallette donne une présence fantastique. Comédienne louée par tous, elle n'a pourtant pas la carrière qu'elle mérite, et elle prouve une fois encore la subtilité de son jeu.

La qualité de la série fluctue ainsi beaucoup d'un personnage à l'autre, au fil d'un intrigue très filandreuse, dont les lignes narratives ne se rejoignent que très tard, sans éviter des détours capillotractés (le voyage à Barcelone, et donc le rôle de Pamela ainsi que celui de Aïcha, toutes deux véritables clichés sur pattes). La production a été généreuse vu son casting mais pas toujours bien inspirée : pour un excellent Philippe Rebbot (en scénariste raté mais bon copain), il faut supporter l'épouvantable numéro de la médiocre Florence Thomassin (en ex hystérique), pour l'épatante Calypso Valois et la touchante Emilie Gavois-Kahn (journaliste complice et copine lâchée), un Athaya Mokonzi caricatural en rock star défoncé.

Mais la série réserve deux fabuleuses révélations avec d'abord Iman Amara-Korba, qui parvient à dépasser les maladresses d'écriture de son personnage de gamine voilée encaissant le passé tragique et sulfureux de sa mère, et surtout Flora Fishbach, formidable Anaïs, fausse candide de l'histoire, amoureuse et méfiante. La chanteuse éclipse tout le monde et rivalise avec Duris et Sallette (avec laquelle elle partage l'essentiel de ses scènes).

On quitte Vernon Subutex partagé, saisi parfois, déçu à d'autres moments, pantois et perplexe à la fois. Ce drôle de périple est souvent artificiel, mais lorsqu'il s'en donne la peine, est aussi plein d'ironie, d'humanité. Un curieux objet, dont les ratages semblent presque faits exprès, pour coller aux égarements de sa bande de héros, rêveurs déçus mais réveillés par leur rassembleur.