mardi 30 octobre 2012

Critique 357 : UNCANNY X-FORCE, VOL. 1 - THE APOCALYPSE SOLUTION, de Rick Remender et Jerome Opeña

Uncanny X-Force, volume 1 : The Apocalypse Solution rassemble les quatre premiers épisodes et leur prologue de la série écrite par Rick Remender et illustrée par Jerome Opeña (Leonardo Manco pour le prologue), publiée par Marvel en 2010.
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- Prologue - Extrait de Wolverine : road to hell. Ecrit par Rick Remender, dessiné par Leonardo Manco. Cette nouvelle formation de l'unité X-Force se réunit dans la X-Caverne et se compose de Wolverine, Fantomex, Archangel, Psylocke et Deadpool. Les 4 premiers partent en mission à bord de l'E.V.A. (vaisseau en symbiose avec Fantomex) après que Warren Worthington III/Angel leur ait expliqué avoir envoyé Deadpool en Égypte sur la piste du clan Akkaba, qui veut ressuciter Apocalypse, le premier mutant (dont l'objectif est de faire entrer la mutanité dans son Âge, en supprimant les humains et les mutants qui s'y opposeront). Mais pour le X-Man ailé, il s'agit aussi de vengeance contre celui qui l'a radicalement transformé dans le passé en le dotant d'une double personnalité et de pouvoirs maléfiques...



Deadpool joue les éclaireurs...

- The Apocalypse solution (#1-4). Ecrit par Rick Remender, dessiné par Jerome OpeñaInfiltré dans un temple, Deadpool assiste discrètement à une cérémonie macabre au cours de laquelle une jeune femme du clan Akkaba est sacrifiée. Il est alors surpris par un géant cornu qui le frappe avec son énorme hâche.
Cependant, dans la caverne X, Warren Worthington III/(Arch)Angel et Betsy Braddock/Psylocke (qui l'a aidé à contenir mentalement son double maléfique) s'inquiètent à la fois pour leur relation intime et l'absence de nouvelles de Deadpool.
A Londres, Wolverine recrute Fantomex, sur le point de commettre un cambriolage.
L'équipe réunie se rend en Egypte où se trouve Wade Wilson/Deadpool et affronte une première fois le clan Akkaba qui s'enfuit en se téléportant sur la face bleue de la Lune. L'X-Force s'y déplace à son tour, convaincue d'y trouver Apocalypse ressucité. Mais les Quatre nouveaux Cavaliers de leur ennemi (Guerre - le géant cornu - , Pestilence, Famine et Mort) les attendent.
Toutefois le groupe est loin d'imaginer quelle forme possède désormais leur ennemi et à quel point celle-ci va leur poser un terrible dilemme quand à l'issue de leur mission, s'ils y survivent...
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Et si Apocalypse n'était plus celui que les X-Men connaissait...


Psylocke contiendra-t-elle encore longtemps
les instincts meurtriers d'Angel, son amant ?

Après le crossover Second Coming, Cyclops, le leader des X-Men choisit de dissoudre l'unité X-Force, dont Wolverine était le chef et qui s'occupait de régler les menaces extrèmes de manière définitive (en n'hésitant pas à tuer, mais sans que les autres mutants ne le sachent).
Pourtant, Logan et Warren Worthington III décident de passer outre cet ordre : pour le premier, parce qu'il faut continuer à faire le sale boulot contre des ennemis sans scrupules ; pour le second, parce qu'il veut retrouver et éliminer Apocalypse, le responsable de ses malheurs (il l'a transformé en une machine à tuer). Betsy Braddock/Psylocke est désormais en couple avec Angel et, l'ayant aidé à maîtriser ses accès de rage (qui le transforme en monstre), le suit dans sa croisade. Deux mercenaires, le français Fantomex et le canadien Deadpool, se joignent à eux contre rétribution.

Succèdant à Craig Kyle et Chris Yost, Rick Remender a donc d'abord modifié l'équipe en la resserrant, à la manière d'un commando, agissant comme tel, c'est-à-dire en secret, vite et sans craindre de tuer. Comme premier adversaire, il n'y est pas allé avec le dos de la cuillère puisqu'il s'agit d'Apocalypse, un des plus (sinon le plus) puissant des mauvais mutants. Mais il donne au méchant une nature et un aspect qui bouleversent profondèment l'issue de la mission et va poser un véritable cas de conscience.
La philosophie de l'équipe et le souhait de vengeance d'Angel se heurte alors à une limite inattendue, dérangeante, que Remender a le courage de ne pas éviter mais de traiter frontalement. Le lecteur est pris à parti dans cette variation sur un thème pourtant rabattu (que feriez-vous si vous pouviez tuer un fou dangereux et puissant comme Hitler ?).
La concision du traitement de l'intrigue fait à la fois sa force (on ne s'ennuie pas, il y a beaucoup d'action, de spectacle, l'aventure se suffit à elle-même avec ses quatre épisodes) et sa faiblesse (la psychologie des protagonistes est sommairement développée - à part pour le couple Angel-Psylocke, de loin le plus intéressant - , le dénouement expéditif et le choix inexpliqué opéré par Fantomex, qui laisse le lecteur et ses co-équipiers dans un malaise palpable).
Des éléments sont sacrifiés, quitte à paraître improvisés comme des rustines pour le récit : ainsi  les pouvoirs d'illusionniste de Fantomex sont toujours exploités de manière très (trop) providentiels, Deadpool ne sert à rien (sinon à aligner des dialogues dont le comique laisse à désirer - pour moi, la popularité de ce personnage reste un mystère), et (comble du comble) Wolverine apparaît comme un leader par défaut, dont la seule stratégie semble être de foncer dans le tas, sans jamais contrôler ses soldats (surtout pas Angel, dont les motivations et la détermination sont pourtant évidentes dès le départ).
Bref, Remender est indéniablement un scénariste efficace, percutant, mais aussi trop occupé à poser des pions pour le futur au lieu d'exploiter à fond son récit présent, paresseux sur la psychologie de ses personnages (même si la dynamique du groupe est intéressante), et n'évitant pas une complaisance certaine (et hélas ! familière à beaucoup d'auteurs actuels) pour l'hyper-violence (certes X-Force n'a jamais été une série modérée sur ce plan, mais finalement à part un peu plus de tourments existentiels, cette version ne modifie pas la donne).
C'est un peu dommage car, encore une fois, on est remué, troublé - mais frustré aussi.
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Peut-on parler seulement de dessin pour ces épisodes (et la série) ? Ce serait réducteur tant le travail de Jerome Opeña est indissociablement lié à la colorisation prodigieuse de Dean White (incroyablement supérieure à ce qu'il avait commis sur Avengers). A la fin de l'album, parmi les bonus, on trouve un work-in-progress du script à la planche finie qui détaille les étapes de leur collaboration : Opeña effectue d'abord des crayonnés poussés, très détaillés, puis des teintes de gris sont appliquées pour indiquer les volumes et les effets de profondeur de champ, avant, enfin, que la mise en couleurs soit réalisée sans encrage préalable. Le résultat est époustouflant, évoquant davantage ce que des artistes expérimentaient à l'époque d'Epic Comics que les bd mensuelles traditionnelles. 
Opeña possède un style d'ailleurs plus proche des européens (avec le rythme de travail qui va avec - le processus utilisé ne peut lui permettre d'enchaîner plus de quatre épisodes d'affilée), dans une veine réaliste.
Son art du découpage est prodigieux, avec des plongées et contre-plongées vertigineuses, des compositions audacieuses, le souci de donner de la profondeur à chaque image.
Sou souci de donner à chaque personnage (bons ou méchants) un langage corporel propre est sidérant, et donne en particulier aux scènes de bataille une férocité intense.
Ces illustrations extrèmement élaborées transcendent cette histoire et Opeña vole la vedette à Remender - d'une façon telle que, à la toute fin, le scénariste se tait et laisse les images parler seules, avec des attitudes, des expressions et un découpage plus subtiles que n'importe quelle dialogue.
(On ne sera pas aussi élogieux pour Leonardo Manco, "dessinateur" du prologue : en vérité des photos trafiquées et colorisées par Chris Sotomayor, qui piquent les yeux...)



Les origines des Quatre Cavaliers d'Apocalypse.
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Depuis, Remender a considérablement étoffé la série, confirmant que ce premier acte posait seulement des fondations pour une saga plus ambitieuse, mais dont la complexité et la violence exigent du lecteur de l'attention et de l'estomac. Cette rampe de lancement lui a valu de devenir un des nouveaux barons de Marvel (il sera aux commandes d'Uncanny Avengers, la série-phare du relaunch "Marvel Now !" qui démarre en vo ce mois-ci, et multiplie les projets chez divers éditeurs - Image, Dynamite). Quant à Opeña, malgré ses problèmes de rythme, il est lui aussi désormais une valeur sûre (illustrant le premier arc de la nouvelle série Avengers).
The Apocalypse solution a donc valeur de document, comme une transition pour le titre (dont on peut apprendre les itérations antérieures dans les bonus) et ses auteurs. C'est aussi quatre épisodes sublimement dessinés et racontés avec vigueur, suffisamment bien bâtis pour se suffire à eux-mêmes.

mercredi 24 octobre 2012

Critique 356 : Fritz Leiber's FAFHRD AND THE GRAY MOUSER, de Howard Chaykin, Mike Mignola et Al Williamson

En 1991, Epic Comics, le label "adulte" de Marvel Comics, publie, à l'initiative de Carl Potts, une mini-série en quatre épisodes adaptée de sept histoires écrites par Fritz Leiber : Fafhrd and the Gray Mouser, connue en France sous le titre de Cycle des Epées (éditée chez Delcourt). 
Au sommaire, on trouve donc : I'll Met in Lankhmar (#1), The Circle Curse et The Howling Tower (#2), The Price of Pain Ease et Bazaar of the Bizarre (#3), et enfin Lean Times in Lankhmar et When the Sea King's Away (#4).
Les scripts sont rédigés par Howard Chaykin (qui avait déjà utilisé ces personnages dans les années 70 pour DC Comics), et les dessins sont signés par Mike Mignola (avant qu'il ne crée son comic-book Hellboy, lui-même inspiré par les romans de Leiber), encrés par Al Williamson.
La série complète a été réédité en un seul album en 2007 par Dark Horse Comics.
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- Dans la première histoire, deux membres de la Guilde des Voleurs de la cité de Lankhmar ramènent à la Maison des Voleurs un gros magot quand ils sont détroussés en chemin par deux fines lames qui ne s'étaient pourtant pas concertés. L'un est Fafhrd, un colosse nordique, roux et barbu, l'autre est le Gary Mouser, un jeune homme volubile, brun et séduisant. Ils décident d'être partenaires. En se présentant leurs fiancées et en apprenant que celle du Gray Mouser a survécu à une attaque des voleurs lors de laquelle sa troupe de comédiens a été tuée, les deux bretteurs entreprennent une expédition punitive contre la Guilde. Mais l'opération aura des conséquences dramatiques...

- Dans le deuxième histoire, les deux camarades quittent Lankhmar et parcourent le monde en quête de nouvelles aventures. Ils font alors pour la première fois connaissance avec le sorcier Sheelba.

- Dans la troisième histoire, ils découvrent une tour étrange dans le désert où vit un occultiste dément, effrayé par des loups, et qui les attire dans un piège.

- Dans la quatrième histoire, Fafhrd et le Gray Mouser, avinés, volent un pavillon de marbre blanc. Mais ils requiert pour cela l'aide des sorciers Sheelba et Ningauble. L'expérience va raviver de douloureux souvenirs...

- Dans la cinquième histoire, le Gray Mouser explore une incroyable boutique maudite d'où devra le sauver Fafhrd.

- Dans la sixième histoire, le Gray Mouser et Fafhrd se disputent et se séparent. Fafhrd rallie la cause d'un prêcheur annonçant la venue du mythique Issek à Lankhmar, tandis que le Gray Mouser devient l'homme de main d'un chef de racketteurs.

- Dans le septième et dernière histoire, ayant pris la mer, Fafhrd entraîne le Gray Mouser dans les profondeurs où une vieille légende raconte que réside le Roi des Mers. Il compte profiter de son absence pour coucher avec ses favorites et piller son trésor. Mais ils y risqueront plus qu'ils n'y gagneront, comme le craignait depuis le début le Gray Mouser...
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De 1936 à 1983, Fritz Leiber écrira les aventures de Fafhrd et le Souricier Gris dans sept livres, contenant des histoires de volumes divers, allant de l'épopée à la nouvelle. Ces deux personnages sont des archétypes, empruntant aussi bien aux figures de la chevalerie que des récits de cape et d'épée ou du fantastique type heroic-fantasy, ce sont à la fois des maîtres d'armes, des gentilhommes, mais aussi des coureurs de jupons, des chasseurs de trésor, des boit-sans-soif, aux tempéraments exhubérants et complémentaires, physiquement dissemblables mais toujours unis malgré des brouilles passagères.
L'album s'ouvre par une préface de Chaykin et se ferme par une postface de Mignola, qui expliquent tous les deux que Fafhrd et le Souricier Gris ont été des lectures de jeunesse qui les ont toujours passionnées et qu'ils rêvaient d'adapter en bande dessinée.
Longtemps, pourtant, malgré le prestige de ces adaptateurs, ces épisodes sont restés introuvables et ils n'ont dû leur réédition qu'au succés de Mike Mignola, qui les dessina peu de temps avant de créer Hellboy, en 1993. Il travailla par ailleurs, à la même époque, sur le titre Ironwolf (Fires of the revolution), déjà écrit par Howard Chaykin.
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Cette oeuvre atypique marque un tournant dans la carrière de Mignola et l'évolution de son style : il exerce de plus en plus son talent pour les ambiances ténébreuses, à grands coups de masses noires, s'éloignant progressivement du dessin classique réaliste, notamment pour représenter les visages et les corps, et évoquant plus qu'il ne les détaille les décors.
D'une certaine manière, il n'a pas encore cédé aux facilités développées dans Hellboy, et à cet égard, on ne le répétera jamais assez, il ne faut pas juger un livre à sa couverture, qui a été réalisée ultérieurement et ne rend pas compte des pages intérieures ici.
Grâce à son encreur, l'extraordinaire Al Williamson (qui sublima pareillement John Romita Jr sur Daredevil), Mignola va vers une épure certaine tout en bénéficiant de finitions soignées, avec des hâchures bien réparties, des visages expressifs et élégants, des décors minitieux lorsque c'est nécessaire.
Dans le premier épisode, qui est le plus abouti, c'est là que le tandem Mignola-Williamson est le plus appliqué, donnant à la cité de Lankhmar, ses quartiers, ses ruelles, une atmosphère et une identité remarquablement puissante. Les vêtements des personnages comme des figurants sont également exemplaires dans leur esthétique élaborée. C'est à la fois exotique, inquiétant, riche. Quand il s'agit de figurer les incantations d'un sorcier, les deux artistes trouvent des réponses graphiques très évocatrices, et les cascades et combats sont aériens, dynamiques.
L'histoire est classique mais menée sur un rythme soutenu.
Par la suite, Mignola s'emploie à inventer visuellement avec la même énergie d'autres paysages du monde de Newhon, avec une fortune diverse : parfois il propose des trouvailles fulgurantes, parfois il répéte des motifs auxquels il se contente d'apporter juste quelques modifications. Les intrigues sont inégales, même si Chaykin sait s'appuyer sur un duo de héros très sympathique, qu'on suit avec plaisir.
A la cinquième histoire, Chaykin, Mignola et Williamson retrouvent leur souffle en nous entraînant dans un fascinant et angoissant bazar magique. Le récit est une critique acide du consumérisme mélangée avec bonheur aux ingrédients de sorcellerie et d'aventures déjà exploités auparavant. Les décors sont magnifiques, et Mignola imagine des astuces pour rendre compréhensibles les tours utilisés par Fafhrd devant sauver son ami (comme la cape d'invisibilité ou le masque de vérité). 
La colorisation de Sherlyn Van Valkenburgh est également superbe, avec une texture particulière, des nuances subtiles qui se démarque des techniques de l'époque (n'oublions pas que la mise en couleurs informatique n'existait pas).
Les deux derniers récits sont aussi efficaces, l'un raillant les croyances de prêcheurs et les conversions de parvenus, l'autre dans un registre fantastico-féerique aux rebondissements échevelés.
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On l'aura compris, tout n'est pas excellent, mais l'ensemble est dépaysant, divertissant, et surtout admirablement dessiné par un tandem historique. Les prouesses de Mignola et Williamson rattrapent les maladresses de Chaykin - et quelques malentendus (Mignola ayant souhaité travailler sur d'autres histoires que certaines choisies par Chaykin).
Il aurait été agrèable qu'une collection d'épisodes compilés comme ceux-là soit accompagnés de bonus, pour apprécier encore plus l'adaptation. On trouvera quand même deux textes de Fritz Leiber (pour comparer sa prose avec ce qu'en a tiré le scénariste) à la fin.
Mais, en l'état, c'est un bel et bon album, dont la lecture procure des moments savoureux. 

mardi 23 octobre 2012

LUMIERE SUR... WILL EISNER

Will Eisner







6 pages extraites de Big City.

Naissance en 1917. Décés en 2005.
Scénariste, dessinateur, encreur, théoricien.

En parallèle à ses bandes dessinées, Eisner a également réalisé plusieurs ouvrages sur l'art séquentiel, enseignant à la School of Visual Arts de New York City, publié Will Eisner's Gallery (une collection de dessins pour ses étudiants) et écrit deux livres basés sur ses lectures (Comics and Sequential Art et Graphic Storytelling and Visual Narrative). 
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Le site de l'artiste : www.willeisner.com

mardi 16 octobre 2012

Critiques 355 : NEW AVENGERS (VOL. 2) #16.1 + 17-23, de Brian Bendis, Neal Adams, Mike Deodato et Will Conrad & AVENGERS (VOL. 4) #18-24 + 24.1, de Brian Michael Bendis, Daniel Acuña, Renato Guedes et Brandon Peterson

Double ration exceptionnelle : l'histoire se déroule en effet cette fois à la fois dans New Avengers (vol. 2) et Avengers (vol. 4), les deux séries écrites par Brian Michael Bendis, durant 16 épisodes au total.









The New Avengers : Dark Avengers Reborn est le 5ème story-arc du volume 2 de la série écrite par Brian Michael Bendis, rassemblant les épisodes 16.1 et 17 à 23, publiés par Marvel Comics de Novembre 2011 à  Mai 2012. Les dessins sont signés par Neal Adams (#16.1), Mike Deodato (#18-21) avec Will Conrad (#17, 22-23).









Avengers : H.A.M.M.E.R. Assemble ! rassemble les épisodes 18 à 24 et 24.1 du volume 4 de la série écrite par Brian Michael Bendis, publiés de Décembre 2011 à Juin 2012 par Marvel Comics. Les dessins sont signés par Daniel Acuña (#18-20, 23-24), Renato Guedes (#21-22) et Brandon Peterson (#24.1).
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Après les évènements survenus durant la saga Fear Itself, tous les équipes de Vengeurs sont convoquées par Captain America dans leur manoir (la Stark tower ayant été détruite) : il faut , après les morts de Thor et Bucky Barnes, repenser les formations et les missions de chacun, donc désigner qui doit être un Vengeur pour être le plus efficace possible. Par ailleurs, les médias et le public sont devenus méfiants envers les héros qui n'ont pas été capables d'empêcher des destructions matérielles et des morts d'innocents au cours de précédents conflits (Civil WarSecret InvasionSiege).
Les Vengeurs élus sont donc Captain America, Iron Man, Hawkeye, Spider-Woman, Storm, Red Hulk (Rulk), la Vision (réparée par Tony Stark), Protector et Quake (issue des Secret Warriors de Nick Fury). Captain America confie aux Nouveaux Vengeurs de Luke Cage (réunissant Iron Fist, Spider-Man, Wolverine, Dr Strange, Mockingbird, Ms Marvel et Daredevil) la mission de convoyer Norman Osborn de la prison du Raft (où il a été incarcéré après Siege) jusqu'au tribunal.
Mais Osborn s'échappe avec l'aide de l'Hydra, l'A.IM. et ses fidèles du H.AM.M.E.R.. Leur objectif commun a permis leur alliance : neutraliser les Vengeurs à la fois physiquement et médiatiquement (n'ont-ils pas jeté Osborn en prison et dissous le HAMMER sans aucun procés après Siege). Cette coalition dispose, qui plus est, de plusieurs prélèvements sanguins et génétiques de héros, effectués par le Dr Carolina Washington, agent du SHIELD sur les théâtres de batailles antérieures. Grâce à ce matériel, Osborn et ses complices peuvent créer des avatars avec les mêmes pouvoirs que leurs plus puissants adversaires.
Osborn décide aussi de reformer une équipe de Vengeurs Noirs et recrute pour cela Trickshot (Barney Barton, le frère d'Hawkeye) ; Superia (Deidre Wentworth, ex du HAMMER, également détenue au Raft) ; Ragnarok (le clone de Thor, créé lors de Civil War) ; Gorgon ; Ai Apaec (divinité arachnoïde sud-américaine) ; Toxic Doxie (le Dr. June Covington) et Skaar (le fils de Hulk, qui vit en Terre Sauvage).
L'attaque se déroule alors en deux temps : un hologramme d'Osborn vient provoquer les Vengeurs lors de leur présentation publique. Captain America sépare ses co-équipiers pour inspecter les planques de leur adversaire (Spider-Woman et Hawkeye ; Storm et Rulk ; Iron Man et Protector ; Vision, Maria Hill et lui-même) - un choix stratégique malheureux puisqu'ils seront tous capturés. Seules la Vision et Quake (envoyée à la recherche de l'homme ayant permis à l'hologramme d'Osborn d'apparaître devant le manoir) s'en sortent.
De leur côté, Les Nouveaux Vengeurs sont envoyés par Victoria Hand à Miami où ils affrontent une première fois les Vengeurs Noirs. Malmenés par Ragnarok, ils battent en retraite et regagnent le manoir, qu'ont quitté Squirrel Girl, Jessica Jones et son bébé, après avoir été prises à parti par la foule en colère. Les autorités gouvernementales attendent les héros et veulent les arrêter mais ils refusent et s'enfuient.
Les Nouveaux Vengeurs retrouvent Victoria Hand, convaincus qu'elle les a trahis au profit d'Osborn. Mais elle leur révèle que si elle a effectivement renoué avec lui, c'est sur ordre de Captain America, et que les Vengeurs ont été neutralisés par l'AIM et l'Hydra.
Quake et la Vision, grâce aux renseignements du complice d'Osborn, d'un côté, et les Nouveaux Vengeurs, grâce aux révèlations de Victoria Hand, de l'autre, contre-attaquent en allant respectivement libérer leurs partenaires et défaire les Vengeurs Noirs, mis en déroute par Skaar, également infiltré par Captain America.
Osborn, grâce à l'AIM, a subi une opération le transformant (comme Yelena Belova avant lui - cf. New Avengers Annual 1) en super-adaptoïde et peut désormais absorber les pouvoirs de ses ennemis en les touchant.
Vengeurs et Nouveaux Vengeurs affrontent Osborn qui, en intégrant tous leurs pouvoirs, fait une overdose. 
Il reste néanmoins, pour l'avenir, aux héros à regagner la confiance du public... Tandis que Madame Hydra reprend les commandes de l'alliance entre son organisation et celles du HAMMER et de l'AIM.
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Chef d'orchestre de la franchise "Avengers", Brian Bendis a animé depuis plusieurs années les sagas évènementielles de Marvel (House of M, Secret Invasion, Siege) comme autant d'étapes. Quand il n'a pas piloté ces events, il a su composer avec ce qu'avaient imaginé les autres auteurs (comme Mark Millar pour Civil War ou Greg Pak pour World War Hulk). Néanmoins, lors de Fear Itself, le scénariste-vedette de la Maison des Idées a aligné des épisodes tie-in dans les séries New Avengers et Avengers moins inspirés, semblant davantage subir que complèter ce qu'avait écrit Matt Fraction.
Est-ce cette frustration qui l'a conduit à imaginer cette vaste histoire en 16 épisodes réparties sur ses deux séries, comme un event contenu (ce qu'il avait voulu faire avec Secret Invasion avant que l'équipe éditoriale ne redirige son idée) ? On peut le penser.
En tout cas, jamais jusqu'à présent Bendis n'avait conçu un récit où les Vengeurs et les Nouveaux Vengeurs étaient si directement liés. C'est aussi l'occasion pour lui de conclure des arches narratives entamées dans New Avengers depuis la fin de Secret Invasion et la période du "Dark Reign" jusqu'à Siege et l'avènement de l' "Heroic Age", avec dans le rôle du grand méchant revanchard Norman Osborn, plus une nouvelle mouture des Dark Avengers, le HAMMER, l'Hydra et l'AIM. Alors qu'il a lancé ces deux nouveaux arcs, Bendis annonçait aussi qu'il quitterait fin 2012 la franchise "Avengers" et cela se traduit par l'envie de boucler la boucle, restaurer certains éléments (notamment en "ressucitant" certains personnages comme la Vision).
L'intrigue déployée est à la fois vaste mais remarquablement lisible et rythmée : le casting est pléthorique mais les rôles sont bien distribués. Bendis, contre toute attente, s'y montre plus grave dans la partie consacrée aux New Avengers, dont le manoir est envahi, et les vies plus en danger (Osborn voulant clairement les supprimer) : deux séquences sont mémorables en particulier - celle du combat contre Ragnarok, d'une brutalité débridée (avec Wolverine pouvant lâcher ses coups) et celle, à la toute fin, où Luke Cage constate que Jessica Jones a préféré s'en aller pour protéger leur enfant (dans ce dernier cas, on devine que Bendis prépare la sortie du couple Luke-Jessica, ses deux personnages favoris, de plus en plus préoccupés par leur double vie de justiciers et de parents).
Quand il écrit les Avengers, privé de Thor, Bendis a à coeur de bâtir une équipe à la fois iconique et ouverte à de nouvelles recrues (le scénariste a toujours aimé introduire des nouveautés dans la line-up de ses groupes) : Red Hulk et la jeune Quake (provenant de la série Secret Warriors de Jonathan Hickman, mais qui est d'abord apparue dans les pages de Mighty Avengers à l'époque de Secret Invasion). La Vision, membre emblématique de la période Roy Thomas, qui avait été tuée lors d'Avengers disassembled (provoquant l'ire de certains fans), fait son retour et joue un rôle important dans la résolution de l'histoire.
Après avoir organisé l'action en crescendo, Vengeurs et New Avengers perdant du terrain face aux troupes d'Osborn, l'histoire rebondit de manière habile avec la révèlation d'agents doubles : Skaar, le fils de Hulk, va sévèrement corriger les nouveaux Dark Avengers dans une scène jubilatoire, et surtout le statut de Victoria Hand s'en trouve profondèment bouleversé (personnage équivoque qui a soutenu Osborn durant le "Dark Reign", dont Spider-Man s'est toujours méfié, on comprend désormais pourquoi Captain America lui a accordé sa confiance et une chance de se racheter).
Le final dans Avengers, avec Osborn transformé en super-adaptoïde, rappelle le premier Annual de NA et offre un dénouement correct, peut-être pas suffisamment spectaculaire, mais là aussi, le méchant semble vaincu pour un moment.
Plus intéressante est la notion de rachat qui s'impose à tous ces héros en les renvoyant à des conflits plus ou moins récents : Bendis rappelle avec à-propos que leurs actions coûtent cher en vies humaines et en matériel à la société, qui en retour se méfie à présent d'eux, leur réclame des comptes, voire les déteste (un sentiment qu'on croyait réservé aux mutants), et qui les pousse à se remettre en question, au début (quand Cap' veut réorganiser les équipes de Vengeurs pour être plus efficaces) et à la fin (quand le même Cap' est sommé par le Président en personne de soigner davantage la communication, les relations publiques avec les médias et les civils). J'ignore si Bendis aura le temps et l'envie (et ses successeurs après lui) d'approfondir cet aspect des choses mais ce serait une piste intéressante car, dans les comics, les super-héros provoquent des dégâts, risquent la vie d'innocents, souvent en toute impunité.
L'histoire se clôt vraiment (tout en annonçant le futur event Avengers vs X-Men) avec l'épisode #24.1 d'Avengers, dédié au retour de la Vision : l'exercice est intéressant car le personnage n'a pas traversé des évènements importants comme House of M (dans lequel était directement impliquée la Sorcière Rouge, sa femme), ce qui le conduit à une explication musclée avec son beau-père Magneto sur l'île d'Utopia (où vivent les mutants supporters de Cyclope), mais aussi à une réconciliation avec Miss Hulk (qui l'avait détruite dans Avengers disassembled). Le parallèle, exposé in fine, entre sa situation et celle de Captain America, comme lui revenu à la vie après avoir raté nombre d'épisodes historiques déterminants, est bien vu.
16 épisodes donc... C'est beaucoup, c'est copieux, mais c'est une saga qui se lit sans ennui, avec son lot d'actions fortes, de rebondissements efficaces. Cela aurait sans doute pu être raconté plus rapidement, en diminuant le nombre de protagonistes (pas moins de 24 !... Le péché mignon de Bendis, qui aime ces big bands, quitte à ne pas animer tout le monde avec le même intérêt). Mais l'interaction entre les deux séries fonctionne à plein, c'est dynamique, les héros sont vraiment en difficulté. L'ambition du projet est bien exploitée.
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La crainte que ce genre de projet suscite tient dans ses artistes, compte tenu qu'aujourd'hui très peu tiennent les délais, et donc à l'heure d'aligner huit épisodes de chaque côté, la tâche est ardue. Mais la gestion éditoriale sur ce plan a été intelligente.

Pour les New Avengers, on peut compter sur la régularité de Mike Deodato (devenu le dessinateur le plus prolifique du titre, tous volumes confondus) : il signe 4 épisodes , et est secondé par Will Conrad sur trois autres (leurs styles se marient bien, même si on les distingue). Le brésilien produit des scènes de combat avec un vrai souffle, comme lorsque Wolverine ou Skaar entrent en jeu, et il a su se calmer sur le découpage. Neal Adams est invité à illustrer l'épisode 16.1 : sa copie est honorable, même si on est loin de ses meilleures pages.

Pour les Avengers, Daniel Acuña fait encore mieux avec cinq épisodes au total : son style (il effectue tout, du dessin à la colorisation) est expressif, vif, très complet. On n'en dira pas autant de son fill-in sur deux épisodes, Renato Guedes, dont le choix est le plus hasardeux et tranche avec le reste : dommage, c'est le seul vrai faux pas de l'entreprise. Enfin, Brandon Peterson signe l'épisode 24.1 avec la Vision : rien à lui reprocher (c'est nettement mieux que lorsqu'il fait des couvertures aux couleurs flashys), si ce n'est parfois des personnages bizarrement grimaçants. 
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La voie est libre pour le crossover Avengers vs X-Men, écrit de manière collégiale par les "architectes" Marvel (Bendis, Jason Aaron, Jonathan Hickman, Ed Brubaker, Matt Fraction), en 12 épisodes bimensuels, dont le terme aboutira à un relaunch des séries avec des changements d'équipes créatives et un nouveau statu quo - la réponse au reboot de DC il y a un an.
J'ai cependant décidé de zapper cet event, lassé par leur fréquence et méfiant sur sa durée. Ce qui va m'obliger à zapper également les épisodes tie-in de New Avengers (et Avengers) écrits par Bendis. Je reviendrai sur NA pour son dernier arc (End Times, avec la vengeance de Daniel Drumm). Puis il sera temps de tourner la page et de suivre Bendis dans sa nouvelle aire de jeu, chez les mutants, avec le nouveau titre le plus intriguant du futur relaunch, All-New X-Men, en compagnie de Stuart Immonen...      


dimanche 14 octobre 2012

Critique 354 : TEXAS COWBOYS, de Lewis Trondheim et Matthieu Bonhomme

Texas Cowboys (The Best Wild West Stories Published) est un récit complet en neuf chapitres écrit par Lewis Trondheim et dessiné par Matthieu Bonhomme, publié par Dupuis en 2012.
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Harvey Drinkwater est un jeune journaliste que son rédacteur-en-chef envoie à Fort Worth au Texas pour y écrire un reportage sur le "Hell's Half Acre", pueblo considéré comme le plus dangereux de la région. A son arrivée, il engage Ivy Forest pour l'initier aux us et coûtumes locales car il a d'autres projets que de rédiger un papier : il veut à la fois venger sa mère d'un homme qui l'a quittée, s'enrichir et trouver une épouse. Mais son chaperon le prévient d'emblée pas faire tout cela, qu'ici pour survivre il faut choisir ses priorités. Harvey décide alors de trouver de l'argent...
Sa route va croiser plus ou moins directement une dizaine de personnages comme Sam Bass, un redoutable bandit qui veut récupérer un butin que lui a dérobé un autre voleur ; Betsy Marone, une joueuse de poker que son passé a transformé en vengeresse ; Ricky Philips, l'adjoint du shérif Bobby Weadow ; le marshall sans foi ni loi Jim Courtright ; Chris Whale, un barman qui cache bien son jeu ; ou Luke Van Holt, adepte du shamanisme...
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Lewis Trondheim, une des figures emblématiques de l'Association (créateur entre autres des Aventures de Lapinot), et Matthieu Bonhomme (illustrateur de L'esprit perdu, l'intégrale de Messire Guillaume, série écrite par Gwen de Bonneval, ou du Marquis d'Anaon, écrit par Fabien Vehlmann) avaient collaboré une première fois pour le récit complet Omni-Visibilis en 2010, conçu dans des circonstances hasardeuses (Bonhomme devait à l'époque signé les dessins d'un album dérivé de la série XIII et Trondheim avait voulu prouver à un ami qu'il était capable d'écrire une histoire réaliste). Le succès de cette association a inspiré à la rédaction du "Journal de Spirou" une idée pour les réunir : crééer une back-up story de 9 fois 16 pages dans le genre du western.
Ces neuf chapitres sont aujourd'hui réunis dans cet album et démontrent une nouvelle fois l'excellence de ce tandem et avec quelle intelligence ils ont réalisé cette commande. Plus qu'une simple histoire de cowboys et d'outlaws, Texas Cowboys, sous-titré The best wild west stories published, est une savoureuse succession d'hommages au western et de contournements de leurs codes.
Si on devait comparer l'exercice à un film, alors c'est au Pulp Fiction de Quentin Tarantino qu'on penserait immédiatement, car cette bande dessinée est un concentré de références avec lequel les auteurs s'amusent, misant sur la complicité du lecteur, jouant sur une narration éclatée comme un puzzle dont les pièces se mettent progressivement en place en animant un casting d'une douzaine de personnages.


Texas Cowboys évoquent à la fois Jerry Spring de Jijé, Blueberry de Charlier et Giraud et Chick Bill de Tibet ou Lucky Luke de Morris (et Goscinny), jamais complètement réaliste, parfois comique, déjouant souvent les conventions, les comportements des personnages (Harvey Drinkwater le premier) et la finalité des situations. L'ensemble est très ludique, sophistiqué sans jamais égarer le lecteur.


L'autre influence manifeste de Texas Cowboys est à chercher du côté du cinéma des frères Coen : comme eux, Trondheim et Bonhomme n'aiment rien tant que simuler leur attachement aux clichés pour mieux leur tordre le cou ensuite. Le marshall est aussi (sinon plus) vil que les gangsters qui rôde dans son patelin et préfère le compromis au flingue, la joueuse de poker est obsédée par un traumatisme qui fait d'elle une double prédatrice (les cartes ou un couteau à la main), le héros est un gratte-papier naïf mais qui apprend vite, le méchant bandit répugne à être violent (sauf si on lui prend ce qu'il considére comme son dû - en vérité ce que lui-même vole sans scrupules).
Les gentils sont souvent décrits comme stupides, les méchants comme malins, et c'est justement cette aptitude à s'adapter qui leur permet de s'en sortir dans le "Hell's Half Acre". Ainsi, c'est un western peu violent, avare en coups de feu, mais où chaque acteur a son secret, est retors, jamais désintéressé - même l'aventurier Luke Van Holt, en marge de toutes ces péripéties, rencontrant les indiens pour apprendre leurs pratiques finit par en tirer commerce.
Sous le divertissement pointe donc un cynisme certain, servi par des dialogues savoureux... Ou alors par un découpage très élaboré où peuvent se succèder plusieurs pages muettes mais dont la fluidité et la compréhension sont exemplaires.
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Pour visualiser tout cela, le prodigieux Mathieu Bonhomme a préféré privilégier la justesse de l'évocation à la débauche de détails d'une reconstitution. Par exemple, dès le départ, il démythifie le décor de l'histoire en ne jouant pas sur les grands espaces, en ne montrant pas le pueblo comme un lieu si mal fâmé (au contraire, c'est une bourgade comme tant d'autres), ce qui produit un effet déconcertant : vous vous attendiez à de la grande aventure exotique, des canyons, la sierra... Vous vous trouvez en fait dans le trou du cul du Sud américain, parfait comme endroit pour porter des masques de barman machiavélique, de marshall débonnaire, de reporter faussement ingénu, de joueuse séductrice, de bandit de grand chemin.
Le trait est simple, débarrassé de fioritures, mais la justesse des attitudes est remarquable. Bonhomme sait faire bouger ses personnages avec un naturel confondant, leur donner les expressions adéquates avec le minimum d'effets, les habiller de manière crédible.
Son sens de la composition est aussi extraordinaire malgré un découpage très contraignant (une abondance de planches en gaufrier) mais dont il tire le maximum. Le placement des personnages dans l'espace est un modèle du genre et montre qu'un plan justement agencé est toujours plus efficace qu'une page spectaculaire sans raison valable (pas une seule splash-page dans ces 150 pages !).
Et il a un génie certain pour camper ses héros en leur donnant un visage, des expressions inoubliables : la "star" de l'histoire, c'est Sam Bass, croqué comme un frère du Raspoutine de Corto Maltese, formidable de charisme, avec ses petits yeux, son visage osseux, sa barbe. Une vraie gueule digne d'un révolutionnaire russe désabusé qui se venge plus de la société qu'il ne se vautre dans le crime.
Mathieu Bonhomme sait déjouer les attentes du lecteur en privilégiant les réactions de ses personnages, leur gestuelle, leurs mimiques, dans un dialogue plein de tension, de manière bien plus intense que n'importe quel règlement de comptes.
Ajoutez à cela un travail sur la couleur épatant (une gamme réduite dont il tire parti avec brio) et des couvertures pour chaque chapitre, pastichant les illustrations d'époque. Du grand art.
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En résumé, Texas Cowboys est un des bd franco-belges les plus enthousiasmantes qu'on puisse lire, produit accompli entre un scénariste ingénieux et un dessinateur inspiré. La galerie des personnages à la fin de l'ouvrage nous apprend ce qu'ils sont devenus - et il est permis d'espérer à une suite des aventures d'Harvey Drinkwater avec Ivy Forest...
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Ci-dessous, les couvertures des 9 épisodes :