lundi 31 octobre 2022

MALCOLM & MARIE, de Sam Levinson


Disponible sur Netflix depuis Février 2021, Malcolm & Marie est le troisième long métrage de Sam Levinson, plus connu pour être showrunner de la série Euphoria. Il retrouve d'ailleurs à cette occasion Zendaya, dont il a fait une vedette dans la production HBO et lui associe John David Washington, révélé par Tenet (de Christopher Nolan) pour un drame en temps réel et en huis-clos. Le résultat est intense, un poil nombriliste, mais somptueux visuellement.


Malcolm Elliot, Cinéaste, rentre de la première de son long métrage acclamé où l'a accompagné Marie Jones, sa fiancée. Encore sur son nuage, il remarque cependant rapidement que Marie boude et lui demande pourquoi. Elle lui explique qu'il a remercié tout le monde sauf elle en présentant son film.


Voyant que cela la trouble plus que prévu, Malcolm l'écoute développer ses récriminations. Marie estime que le film s'inspirant largement de sa vie d'ancienne toxicomane, elle méritait d'être créditée. Malcolm voit les choses différemment en affirmant que son héroïne, Imani, est la synthèse de plusieurs filles avec lesquelles il est sorti auparavant. Marie insiste en affirmant qu'il n'aurait pas été capable d'écrire son scénarion sans l'avoir connue, elle, et son parcours chaotique. Malcolm trouve qu'elle sur-réagit et pense qu'en vérité elle est jalouse de Cynthia, l'actrice qui interprète Imani, alors qu'elle a renoncé à devenir comédienne par paresse.


Le ton monte. Marie considère comme un médiocre profiteur, incapable d'imaginer une histoire sans puiser dans la vie des autres. Vexé, il devient agressif et énumère ses relations passées pour prouver que la matière de son scénario provient de plusieurs sources, en soulignant qu'il a davantage sauvé Marie qu'elle ne l'a inspiré. Après avoir pris un bain, Marie sort fumer à l'extérieur de la maison. Quand elle revient, elle trouve Malcolm déchaîné car la première critique du film vient de paraître sur le Net et met en avant sa complaisance à montrer la souffrance d'une femme et le racisme systémique. Or il a tout fait pour ne pas signer une oeuvre politique et veut s'imposer comme un cinéaste dont la couleur de peau ne compterait pas.


Marie relève que la critique dit aussi que le film est un chef d'oeuvre et se moque gentiment du fait que Malcolm préfère ne retenir que les points qui le dérangent plutôt que les compliments. Il se calme et rit de son emportement. Ils commencent à s'étreindre mais Marie relance le débat et demande à Malcolm pourquoi il ne l'a pas choisie pour jouer Imani à laquelle elle affirme qu'elle aurait donné plus d'authenticité. Après s'être mutuellement accusés d'égocentrisme, Marie saisit un couteau avec lequel elle menace de se trancher la gorge, avouant qu'elle se drogue à nouveau et qu'elle couche avec les amis de Malcolm pour payer sa came. En fait, elle joue la comédie pour prouver son talent et Malcolm reconnaît, hébété, qu'il a eu peut-être tort.


Malcolm retrouve Marie dans leur chambre où, une dernière fois, elle revient sur ses remerciements et le fait qu'il l'a oubliée. Il aurait pu/dû le faire, sachant qu'ils se soutiennent l'un l'autre et que c'est bien elle qui a inspiré son film. Malcolm, bouleversé, ne peut que s'excuser et lui dire qu'il l'aime. Ils se mettent au lit, sans un mot.


Au matin, Malcolm se réveille. Marie n'est plus à ses côtés. Il se lève et la cherche dans la maison. Il en sort et la rejoint dehors, sans savoir si leur couple aura résisté à cette nuit agitée.

La semaine dernière, j'écrivais une critique du film Tromperie de Arnaud Desplechin en soulignant sa théâtralité qui, paradoxalement, en faisait un long métrage très vivant, très fort, porté par ses acteurs (son actrice principale surtout). Sans l'avoir prémédité, c'est à peu près le même constat qui s'impose avec Malcolm & Marie.

Fils du cinéaste Barry Levinson (Rain Man), Sam Levinson s'est fait remarquer pour son brûlot Assassination Nation, son deuxième long métrage un peu trop artificiel pour être honnête, puis en qualité de showrunner pour la série Euphoria (dont je n'ai toujours pas eu le temps de voir la saison 2). Cette production HBO a révélé une quantité incroyable de jeunes actrices, qui, pour certaines, semblent promises à de belles carrières, comme Sydney Sweeney (future nouvelle Barbarella au cinéma).

Mais la vraie révélation d'Euphoria reste Zendaya Coleman, dont le rôle de Jules lui a valu deux Emmy Awards, une prouesse car elle reste la plus jeune récipiendaire du trophée. Egérie de grandes marques, récupérée par le MCU (elle joue MJ, la fiancée de Spider-Man), traquée par les tabloids pour son couple (qu'elle forme avec Tom Holland, alias Spidey), la jeune actrice en impose par son charisme, son élégance et sa jeunesse.

Il était donc naturel que Levinson lui écrive un film pour montrer sa puissance de jeu et effectivement, Malcolm & Marie est un écrin pour Zendaya, qui livre une prestation exceptionnelle. Dans la peau de cette jeune femme en couple avec un metteur en scène, elle est quasiment de tous les plans, et même quand elle n'apparaît pas à l'image, elle hante chaque plan avec une intensité phénoménale.

Le scénario est une sorte d'exercice de style : l'action se déroule en temps réel, dans le huis-clos d'une superbe villa, après la première d'un film dont le réalisateur a oublié de remercier sa compagne lors de sa présentation. Celle-ci le prend très mal car elle a inspiré le sujet du long métrage : ancienne toxico, Imani, l'héroïne, lui ressemble come un double, mais elle n'a eu ni le rôle ni la reconnaissance.

Très vite, le ton monte. Et Levinson se garde bien d'épargner ce couple. Chacun a ses défauts et avance des arguments spécieux, que l'autre prend un plaisir vache à démolir pour faire valoir ses propres arguments. Marie traite Malcolm de médiocre, de vampire. Malcolm s'emploie à briser Marie en lui énumérant toutes les femmes avec lesquelles il a eues une relation et à qui il reconnaît avoir pris des traits de personnalité transférés à Imani. Plus tard, le dialogue se prolonge sur le thème de l'égocentrisme, de la (dé)possession, de la jalousie, de l'ingratitude.

C'est là que Levinson atteint ses limites. Car s'il a le courage de s'autoportraiturer en cinéaste bourgeois (comme lui, Malcolm est issu d'un milieu aisé et parle d'une misère sociale qu'il n'a pas connue), si son double à l'écran est volontiers odieux, arrogant, blessant, c'est aussi quelqu'un qui, in fine, écrase une larme de contrition devant la femme qu'il aime, à qui il doit son récent succès, qui a le courage de le remettre à sa place, de le consoler malgré ses travers. Au fond, Levinson via Malcolm semble dire au spectateur qu'il n'est donc pas si méchant, qu'il est un artiste qui souffre, en premier lieu des critiques qui ne le comprennent pas, qui veulent le réduire à une étiquette, un cliché alors que lui n'aspire qu'à faire des films sans que ses origines ne s'interposent entre le public et son oeuvre.

Malgré tous ses efforts, Levinson excuse Malcolm mais donne le point du match à Marie, car il ne se résoud pas à défaire Zendaya/Marie. On a alors la désagréable impression que tout se dénoue sur un nul, alors que Marie a réussi, de manière bouleversante, à l'emporter, non pas parce qu'elle est jalouse, capricieuse, vexée, mais bien parce qu'elle aime un homme et lui pardonne de s'être servi d'elle. Lui n'a qu'un "je suis désolé, je t'aime" à lui répondre en fin de compte : il s'en tire bien. Trop bien ?

Face à la tornade Zendaya, aussi explosive dans la colère que subtile et poignante dans la conclusion, John David Washington rame parfois pour ne pas se faire balayer par sa partenaire. Il choisit d'interpréter Malcolm avec sobriété la plupart du temps, après un début plus cabotin (souligné par une mise en scène trop démonstrative, à coup de plans-séquences). Le fils de Denzel Washington est un comédien intéressant, et plutôt humble, prenant conscience que lui comme son personnage vont être battus à plate couture, même si Levinson le dirige en le désirant plus conquérant, plus agressif. Ce qui produit un décalage bizarre.

On retiendra en outre que visuellement le film est sompteux. Tournée en noir et blanc, il est photographié par Marceli Rév qui met en valeur les carnations des deux acteurs, Washington plus ténébreux que Zendaya, plus musclé aussi (c'est une vraie liane, féline, forte sous cette allure fragile), évoluant dans cette villa qui ressemble à un décor aussi irréel que celle d'un film (même s'il ne s'agit pas d'un décor créé pour le film).

Malcolm & Marie est une expérience assez électrique, parfois trop maniériste et narcissique, mais transcendée par ses deux interprètes et sa photo éblouissante.

samedi 29 octobre 2022

THE MAGIC ORDER 3 #4, de Mark Millar et Gigi Cavenago


Ce troisième volume de The Magic Order est décidément bien décousu. Ce qui ne signifie pas qu'il est mauvais, mais disons difficile à décrypter tant Mark Millar semble ne pas suivre un mais plusieurs fils narratifs sans lien apparent. Gigi Cavenago, lui, éblouit encore une fois, notamment lors de quatre pages imitant à la perfection les épisodes de Creepy par Alex Toth.


Dans le château Moonstone, l'oncle Edgar massacre le plus vieux membre de la famille qui était sur le point de réintégrer le monde réel. Il laisse les fées sonner l'alarme.
 

Cependant, Sacha Sanchez entraîne Rosie Moonstone dans son repaire. Grâce à un vieux comic-book, ils accèdent à une dimension parallèle où il pourra former la fillette.


Mais Rosie devine alors l'intention de Sacha : il l'a emmenée là pour s'en débarrasser, estimant que le pouvoir qu'elle possède la condamne.


Cordelia Moonstone arrive au château où Edgar a trouvé dans la bibliothèque un ouvrage en relation avec son passé et lui rappelant qui il est vraiment...

Je peux me tromper, et il reste à Mark Millar deux épisodes dans ce troisième volume de The Magic Order pour le corriger le cas échéant, mais j'ai quand même l'impression que toutes les intrigues ouvertes depuis quatre mois ne seront pas résolues et vont plutôt, pour certaines, alimenter la prochaine mini-série de ce titre.

En effet, ce chapitre s'ouvre sur une découverte : le plus vieux membre de la famille Moonstone vivait encore dans le château, convalescent depuis 500 ans (!) mais désormais sur le point de réintégrer le monde normal. On n'avait jamais entendu parler de lui auparavant et cela donne donc l'impression que Millar le sort de son chapeau pour créér une scène choc puisque l'oncle Edgar, lui-même enfermé dans le château Moonstone, va le tuer d'une manière particluièrement atroce et semble-t-il gratuite. Le vieil homme a-t-il perdu la tête ? On le saura à la fin de l'épisode.

Mais, avant cela, ce qu'on vient de lire souligne à quel point ce troisième arc de la série a de quoi déconcerter. On a commencé par nous présenter Sammy Liu, un milliardaire japonais et membre de l'Ordre Magique, sans qu'il soit fait grand-chose de lui par la suite (en dehors du fait, non négligeable, que Cordelia Moonstone le soupçonne, à raison, d'avoir utilisé ses pouvoirs pour fire fortune). Puis on a retrouvé Leonard Moonstone qui, lui-même, retrouvait sa femme Salomé à qui il apprenait la mort de leur fils Gabriel, avant de mentionner leur premier fils, Perditus, échangé contre un sorcier chef de guerre lors d'un conflit passé.

Sur ce dernier point, Millar opère une connection à la fin du présent épisode et je pense raisonnablement que cela va alimenter la fin de ce volume 3 de The Magic Order. Le scénariste enrichit la mythologie de la série d'un côté tout en ayant l'air d'en dévoiler des pans inédits un peu trop opportunément. On aimerait croire que tout a été prévu ainsi dès le départ, mais on en doute un peu.

Plus sûrement, le coeur de cet épisode et l'autre ligne narrative essentielle de cet arc suit Rosie, la fille de feu Gabriel Moonstone. La petite, on s'en doutait après le volume 2, est elle-même une magicienne, aussi sinon plus puissante que son père. Sacha Sanchez, ce tueur à gages de l'Ordre Magique, a deviné son potentiel et lui a proposée de l'entraîner. Hélas ! pour la fillette, les intentions de l'homme sont toutes autres.

Tandis qu'on les suit dans une dimension parallèle, Gigi Cavenaggo entre en scène et tire une fois encore la série vers des sommets graphiques. En effet, pendant quatre pages où Rosie et le lecteur lisent un comic-book horrifique dans la veine des EC Comics,, l'artiste italien imite avec une perfection saisissante le style d'Alex Toth quand il produisait des histoires pour le titre Creepy (un recueil est disponible chez Dark Horse). Le récit raconte comment un pilote de course, à la suite d'un accident, perd ses deux mains. On lui greffe celles d'un pianiste prodige et il devient à son tour un musicien accompli, changeant de carrière pour se produire su scène. Mais partout où il joue, des crimes affreux ont lieu et bientôt il acquiert la certitude que le pianiste était aussi un tueur. Il assassine sa femme puis se suicide.

Cet interlude est génial, même s'il est totalement gratuit. Cavenago est tellement bon dans cet exercice qu'on croit réellement avoir affaire à des planches originales de Toth et Millar a concocté cette nouvelle avec un mimétisme sidérant par rapport à ce qu'on trouvait dans ces comcis des années 50. Rien que pour ça, The Magic Order 3 #4 est indispensable !

Mais le cliffhanger qui clôt l'épisode est aussi insensé quand on découvre qui est vraiment l'oncle Edgar, ce qui explique son crime sauvage. La confusion qui s'emparaît de nous au début se transforme en un tour de passe-passe virtuose qui prouvera aux sceptiques que Millar a encore un formidable talent de conteur, capable de nous cueillir complètement sans qu'on ait rien vu venir. 

Et finalement, c'est ce Millar qu'on préfère, celui qui invente des twists aussi tordus qu'efficaces, qui sert du caviar à ses artistes qui le lui rendent bien en produisant des planches hallucinates. Cavenago donne vie aux idées de Millar avec une maestria qui dépasse celles de Coipel et Immonen, car elle est plus baroque, plus folle, plus stylisée.

Qu'importe alors si c'est décousu et que sans doute le volume 4 poursuivra et conclura certains subplots : peut-être cela veut-il seulement dire que la série se mue en feuilleton et formera une grande fresque au-delà de son propre cadre (puisque Big Game, le crossover que prépare actuellement Millar avec Pepe Larraz impliquera The Magic Order, Night Club, Nemesis et un quatrième titre, dessiné apr Frank Quitely).

Vous avez dit alléchant ?

CATWOMAN : LONELY CITY #4, de Cliff Chiang


Sept mois qu'on l'attendait, cette conclusion à la mini-série Catwoman : Lonely City ! Mais Cliff Chiang a un mot d'excuse tout trouvé puisqu'il a signé scénario, dessin, encrage, couleurs et lettrage. Mais surtout, ce qu'on retiendra de ce projet, c'est sa qualité car, oui, ce dénouement est magnifique et l'ensemble de cette entreprise restera comme une des plus belles histoires de la féline fatale.


Catwoman Poison Ivy et Etrigan, après avoir déjoué de nombreux pièges tendus par Batman, accèdent enfin à la Batcave et ses secrets. Avec l'aide de Winston, ils fouillent les fichiers des ordinateurs.


Ils découvrent aussi ce que cachait Orphée : il s'agit d'un puits creusé dans la Batcave où Batman a synthétisé une potion avec le venin de Bane et l'eau du Puits de Lazare pour être ressucité.


Mais les effets de cet exilir ne duraient pas. Sur ce, Harvey Dent et son armée de flics surgissent dans la Batcave pour s'emparer de tout ce qu'elle recèle. Catwoman ne peut s'y résoudre.
  

Etrigan et surtout Poison Ivy se sacrifient pour empêcher Double-Face de voler les richesses de la cave. Le Sphinx et sa fille Edie viennent évacuer Selina. Dehors, Dent tente de les stopper, en vain.


Livré à la police, Dent est vaincu aux élections, remportées par Barbara Gordon. Elle donne rendez-vous à Selina pour tenter de la convaincre de l'aider à ramener la paix dans Gotham...

Ecrire sur la vieillesse des héros est toujours un exercice délicat. Le fait même d'imaginer un personnage âgé dans un costume bariolé a quelque chose de pathétique qui peut vite devenir grotesque, et alors l'hommage escompté se transforme en mauvaise parodie.

C'est la limite qu'avaient franchi Tom King et Clay Mann dans Batman/Catwoman en montrant Selina Kyle dans un de ses accoutrements alors que l'âge des déguisements était passé depuis  longtemps. La scène était ridicule et ne rendait pas justice au personnage.

Cliff Chiang avançait donc sur un terrain miné en imaginant une intrigue autour de Selina Kyle à l'automne de sa vie. Pourtant, ce qui a fait la différence, c'est l'élégance avec laquelle il a traité et son personnage et son histoire, rendant tout bien plus digne, exemplaire.

Plutôt que de tenter le diable en montrant une Catwoman bravache, Chiang a choisi de privilégier la femme derrière le costume. Du coup, Catwoman n'était plus dépendante de ses déguisements classiques, d'ailleurs tout au long de ces quatre maxi-épisodes (de 50 pages chacun) elle a fréquemment changé d'apparence en fonction des missions qu'elle remplissait pour arriver, dans cette dernière ligne droite, à un look qui ressemble moins à celui de Catwoman qu'à un mix entre Catwoman et Batman.

Car c'est l'autre atout du récit de Chiang, par rapport au Batman/Catwoman de King et Mann, ici, le deuil de Selina Kyle est au coeur de tout. Peu de retours en arrière si ce n'est pour montrer l'issue tragique de cette Nuit des Fous où Batman périt des mains du Joker (lui-même succombant dans ce dernier duel). Catwoman : Lonely City est d'abord et avant tout le récit d'une femme qui a tout perdu et qui a une dernière énigme à résoudre avant de quitter la scène.

Chiang, malgré tout, a refusé de livrer une histoire trop plombante, car Selina Kyle n'est pas du genre à se laisser abattre. Qu'est-ce qui se cache derrière Orphée, ce dernier mot prononcé par Batman à Catwoman ? Dans la mythologie, Orphée descend aux enfers pour délivrer Eurydice et il charme Hadès et sa femme Perséphone pour qu'ils lui rendent sa bien-aimée. En remontant à la surface, n'entendant plus les pas d'Eurydice derrière lui, il désobéit au conseil d'Hadès et se retourne, la perdant à jamais.

Chiang transpose la descente aux enfers par une descente dans la Batcave auquel on accède en déjouant plusieurs pièges, y compris magiques (ce qui nous vaut une apparition savoureuse de Zatanna lorsque Etrigan pour ouvrir une porte prononce "Open Sesame" à l'envers comme la magicienne). Catwoman ne va pas trouver Batman dans son antre mais une vérité plus dérangeante, en relation avec un elixir qu'il mit au point pour empêcher Alfred Pennyworth de mourir et pour lui-même être ressucité par Catwoman. Sauf que la potion magique ne fonctionnait pas...

Dans cette configuration, Double-Face/Harvey Dent incarne celui qui convoîtait les secrets de la Batcave/des enfers avec le projet de continuer à règner sur Gotham. Chiang après s'être amusé à imaginer sur plusieurs pages les chausse-trappes de la Batcave se fait plus épique en mettant en scène une bataille terrible entre Etrigan et Klarion puis Poison Ivy qui se sacrifiera pour empêcher Dent de piller la cave. Tel Orphée, le Sphinx viendra sauver Catwoman des enfers de la Batcave qui s'effondre, mais sans se retourner.

Contrairement à Joshua Williamson avec Rogues, Chiang n'a pas voulu d'une conclusion dramatique. Certes, il y a des morts mais même disparus, ils laissent une sorte d'héritage, de trace poétique et poignante derrière eux. Surtout Selina survit et se voit même proposer un nouveau rôle par Barbara Gordon. La dernière page est à cet égard magnifique et inspire une sorte de ravissement au lecteur, une dernière note parfaite, juste, remarquable.

Le dessinateur Chiang s'est fait plaisir et on peut comprendre sans peine qu'il a pris son temps pour conclure sa série. Cinquante pages de ce niveau, c'est du boulot. J'ai toujours apprécié le style visuel de Chiang : comme Phil Noto, ce n'est pas un artiste dynamique, on peut lui trouver des faiblesses, il n'a pas l'aisance insolente des virtuoses de la narration graphique.

Mais son dessin est toujours subtil, élégant, précis. En ayant voulu assumer toute la création de cette série, Chiang montre que, pour lui, ce projet était et qu'il s'y est investi pleinement, intensément. Les pages qui illustrent cette critique le prouvent, mais il ne faut pas croire que l'épisode s'en contente, c'est palpitant, spectaculaire, il y a tout ce qui faut pour combler le lecteur exigeant qui attend de quatre épisodes de cinquanrte pages chacun quelque chose qui le rassasie.

Surtout pour en revenir à ce que je disais plus haut, Chiang a vraiment soigné la manière de représenter des héros âgés sans en faire des vieillards grotesques ni de faux seniors à la santé irréelle. Bien entendu, il y a une part de fantaisie, qui correspond à ce type d'histoire, à ses conventions, à ses clichés. Mais l'ensemble est crédible et ces versions de Catwoman, Ivy, du Sphinx sont équilibrées. On n'a jamais cette réaction, fatale pour croire à ce qu'on lit, de se dire que, non, franchement, c'est too much, ça va trop loin.

Notez déjà sur vos agendas la date du 13 Février 2023 : c'est ce jour-là que sera disponible le recueil en vf de Catwoman : Lonely City chez Urban Comics. Si vous aimez Selina Kyle, vous ne passerez pas à côté de cette superbe production estampillée du Black Label.

THE VARIANTS #4, de Gail Simone et Phil Noto


Deux mois après son troisième épisode et deux mois avant son dernier, ce quatrième numéro de The Variants marque une nette accélération dans le déroulement de l'intrigue. Il y a un charme étrange dans ce projet mené par Gail Simone car tout y est imprévisible, foutraque. Phil Noto apporte un peu de sagesse dans tout ça et signe comme toujours de superbes pages.


Jessica Jones fait la connaissance de son quatrième variant, Knightress, qui l'a mise en garde contre les trois autres. Elle lui souffle aussi un plan pour se débarrasser de l'Homme Pourpre.


Ouvrant son esprit pour inviter Zebediah Kilgrave à se manifester, Jessica le piège car, auparavant, elle a pris soin de contacter le Pr. Charles Xavier.


Mais Xavier comprend surtout que pour que Jessica soit délivrée de l'emprise de l'Homme Pourpre, il faut qu'elle consente à lui pardonner. Ce qu'elle refuse.


Revenant à elle, Jessica a surtout compris que l'un de ses variants tire les ficelles et  la désigne aux autres. Mais la traîtresse a encore une carte à jouer...

The Variants n'a pas que des qualités, c'est certain, et on peut déplorer que Gail Simone ait cédé à des facilités en n'osant pas s'en détacher. La plus flagrante, c'est d'avoir une énième fois raconté une histoire de Jessica Jones en relation avec l'Homme Pourpre, comme si l'héroïne est définitivement condamnée à n'être cernée que par ce traumatisme.

Mais en dehors de ça, Simone a franchement surpris, voire dérouté, et sans doute perdu des fans du personnage, cantonné au registre du street-level hero ou de femme de Luke Cage. En imaginant cette histoire de Variants, la scénariste a entraîné Jessica Jones dans une aventure fantastique et même fantasque très rafraîchissante.

Alors, c'est vrai, ça sort un peu de nulle part et avec un seul épisode restant pour tout résoudre, peu de chance que ça révolutionne le destin de Jessica Jones ni même du reste du Marvel Universe, quand bien même on cite le Multivers, la rengaine du moment. Mais ce scénario est suffisamment imprévisible et bizarre pour maintenir notre attention.

Jessica fait donc la connaissance d'un dernier double d'elle-même, Knightress. C'est elle qui, dans le précédent épisode, lui a fait passer un message la mettant en garde contre la Captain Jessica, la Jessica Oméga et Jewel, mais sans préciser laquelle de ces trois-là présentait un danger. C'est aussi elle qui va proposer un plan pour se débarrasser de la menace de l'Homme Pourpre qui aurait implanté dans l'esprit de Jessica Jones une sorte de bombe à retardement psychique qui la pousserait à tuer Luke Cage et leur fille.

Gail Simone écrit sans complexes : il semble que pour elle la fin justifie les moyens et c'est donc sans gêne qu'elle convoque Charles Xavier dans son histoire alors qu'on ignorait que le chef des mutants de Krakoa était ami avec Jessica Jones jusqu'à présent. En fait, la scénariste a besoin d'un télépathe surpuissant et elle emploie donc le plus charismatique d'entre eux pour règler son compte à Zebediah Kilgrave.

Toutefois, la scène, de manière inattendue, fait sens car elle révèle que pour se détacher de son tortionnaire Jessica doit lui pardonner. Elle ne s'y résoud évidemment pas, elle a trop souffert à cause de lui pour ça. C'est là où Simone manque une occasion supplémentaire de faire évoluer le personnage en lui donnant une certaine noblesse et en laissant à de futurs auteurs la possibilité encore d'exploiter le fantôme de Kilgrave dans une prochaine aventure de Jessica Jones. Dommage.

In fine, pourtant, cette exploration express dans la psyché de Jessica permet de démasquer quel variant la menace vraiment et sur ce point, Simone désigne le plus surprenant. Avant de conclure l'épisode sur un cliffhanger spectaculaire, prélude à un dernier épisode qui opposera les bons Variants aux mauvais Variants. Plus classique mais efficace.

Phil Noto apporte une forme de classicisme dans l'écriture un peu foutraque de Simone. Son trait clair, ses couleurs délicates, son découpage sobre, tout concourt à ramener le lecteur sur terre. Noto connaît son métier et il l'exerce avec une humilité exemplaire, il n'est pas là pour se faire mousser mais pour servir le script.

On peut s'étonner que l'artiste n'embrasse pas la folie douce de cette intrigue, mais Noto sait aussi qu'en rajouter dans le délire ne reviendrait qu'à charger un projet déjà bien peuplé. Il réussit surtout parfaitement à représenter cinq femmes qui se ressemblent absolument sur le plan physique, à quelques détails près, et à contribuer à la confusion du lecteur qui cherche qui est le traître dans cette bande de variants.

La scène centrale avec Xavier est très réussie et j'aimerai vraiment que Noto revienne sur un titre mutant, lui qui n'a jamais déçu.

Comme pratiquement toutes les mini-séries Marvel, on sent bien les limites de l'exercice, qui confine au bouche-trou plus qu'à un véritable essai pour préparer le retour au premier plan d'un personnage avec une série régulière. Néanmoins, Gail Simone et Phil Noto y mettent suffisamment de coeur pour qu'on ne leur reproche pas de faire ça par-dessus la jambe. Rendez-vous en Décembre pour connaître le dénouement de The Variants.

vendredi 28 octobre 2022

ROGUES #4, de Joshua Williamson et Leomacs


Après quatre mois d'attente, le dernier numéro de Rogues est enfin disponible depuis une semaine. Joshua Williamson achève, c'est le cas de le dire, sa mini-série dans le sang et les larmes, à la manière d'une vraie série noire, radicale, implacable, très violente. Leomacs s'est fait aider par quatre acolytes pour complèter les pages de cet ultime épisode, sans que cela se remarque, et pour conserver au projet son ambition.


Coincés dans la banque de Gorilla City, ce qui reste des Lascars se demande comment en sortir. Captain Cold donne l'enfant de Grodd à sa soeur puis, avant de sortir parlementer, glisse un mot à Heatwave.


Grodd négocie avec Cold : s'il répare le pistolet du Maître des Miroirs et récupère son or, il laissera filer les Lascars. Cold préfère détruire l'arme. Bronze Tiger entraîne Golden Glider vers l'issue de secours.


Grodd ordonne à ses policiers de tuer les Lascars à l'intérieur de la banque. Mais Heatwave qui a couvert le fuite de Bronze Tiger et Golden Glider se fait sauter avec l'immeuble.


Grodd fou de rage affronte Cold et le tabasse. Cold tente de récupérer son fusil mais Grodd le récupère et l'endommage. L'arme se dérègle et explose, tuant le gorille et pétrifiant la ville sous la glace.


Bronze Tiger et Golden Glider regagnent la jungle et rendent le fils de Grodd à sa mère. C'est alors que les agents de la D.E.O. de Cameron Chase interviennent...

Est-ce que ça pouvait finir autrement ? Non si on respecte les codes de la série noire, ce qu'est cette mini-série Rogues. Car Joshua Williamson a beau s'être servi des Lascars, les ennemis de Flash, pour son histoire, en vérité il s'agit depuis le début d'un polar dans les règles de l'art.

La série noire manie les clichés et ce qui fait la différence, c'est le style de l'auteur. On trouve donc un certain nombre de figures imposées dans ce genre de littérature popularisée par de grands noms comme David Goodis, auquel on pense en lisant Rogues. La faune de la série noire, ce sont des gangsters en bout de course qui avancent vers la mort de manière inéluctable en pensant réussir un dernier coup. Le poids de la fatalité dicte les événements et le lecteur observe les efforts vains de ces anti-héros pour y échapper.

Ainsi Captain Cold a-t-il convaincu d'anciens super-vilains retirés de tenter une dernière fois leur chance en leur faisant miroiter un fabuleux pactole, trop beau pour être vrai. Parce qu'ils n'avaient plus rien à perdre ou qu'ils n'en pouvaient plus de leur existence ou qu'ils étaient nostalgiques de leur âge d'or, ils l'ont tous suivi. 

Sa soeur (Golden Glider), son ami (Heatwave), son complice (Bronze Tiger) sont tous ceux qui ont survécu à ce casse impossible à Gorilla City où Gorilla Grodd cachait son trésor et plus encore. En passant, Joshua Williamson a tissé un subplot sur fond de magouilles politiques avec le flic Sam qui rêvait de détrôner le caïd maître de la ville tandis que le bras droit fidèle de ce dernier, Grimm, veillait à ce que la domination de nantis soit préservée en pensant prendre la place de son chef s'il était évincé.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Williamson a fait preuve d'une radicalité bienvenue, sans chercher à sauver qui que ce soit. En cela, il est resté fidèle au genre qu'il a embrassé, même en y incorporant des éléments super-héroïques, davantage là pour épicer le plat que pour honorer le folklore. Et, ce faisant, il a usé à fond des licences permises par le Black Label car nulle part qu'ici une telle intrigue n'aurait pu voir le jour.

On peut interroger les motivations du geste de Captain Cold quand il détruit le pistolet du Maître des Miroirs, refusant le marché que lui propose Gorilla Grodd et condamnant du même coup les Lascars ayant survécu. Williamson refuse toute facilité, ne recourant pas par exemple à une voix-off explicative, préférant laisser au lecteur le choix d'interpréter ce climax avant l'heure. Cold a sans doute agi par orgueil, ne voulant pas offrir à Grodd le plaisir de récupérer son or et d'avoir repris son ascendant. Peut-être aussi s'est-il rendu compte que quitter Gorilla City sans butin, c'était forcément retourner à la vie médiocre qu'il a voulu fuir en s'engageant dans cette aventure, et qu'il fallait mieux mourir avec panache ici que minablement ailleurs. Ou alors a-t-il fait cela mu par une pulsion suicidaire, quitte à entraîner sa soeur, Heatwave et Bronze Tiger dans la tombe.

La série noire emprunte volontiers au western quand il s'agit de donner à ses protagonistes une fin grandiloquente. C'est ainsi qu'on peut envisager le baroud d'honneur de Heatwave qui préfère, lui, ouvertement tuer le maximum d'ennemis en y passant que d'être tué ou fait prisonnier. On a aussi le coeur serré sur la fin quand il s'agit de suivre Golden Glider et Bronze Tiger, mais je m'en tiendrai là pour ne pas vous spoiler.

Leomacs a eu du mal à terminer cette mini-série puisque les crédits mentionnent pas moins de quatre pencilers venus en renfort. On se doit donc de citer Luca Finelli, Adriano Turtulici, Daniele Miano et Federico Tardino. Mais on ne peut pas dire pour autant que leurs contributions soient visibles car chacun s'est visiblement efforcé de se fondre dans le style de Leomacs. 

En vérité, on peut supposer que ces quatre assistants ont dû aider l'artiste principal à compléter les décors, notamment sur des pleines et doubles pages bien fournies. Leomacs produit des scènes brutes, violentes, assez saisissantes, qui traduisent parfaitement l'âpreté des affrontements et le désespoir des actions. La fureur qui gagne Grodd est effrayante et son duel avec Cold est absolument terrible. 

Pourtant il n'y a aucune complaisance, aucun esthétisme flatteur ou séduisant dans ces pages. Les morts sont certes flamboyantes mais surtout affreuses. Ce sont des méchants qui s'entretuent, sans plaisir, sans merci, sans grâce. Ils meurent comme ils ont vécu, par le feu, par les poings, inspirés par l'envie de faire mal, l'ivresse de la rage. Il n'y a aucune grandeur, aucune noblesse dans leurs fins. Et Rogues là encore fait honneur à la série noire où les personnages rencontrent leur destin dans des conditions pathétiques.

Peu client de Williamson d'habitude, il m'a ici épaté et je trouve que ce genre d'entreprise lui convient mieux que ce qu'il écrit dans des publications mainstream. Le mélange d'éléments fantastiques et criminels aboutit à une franche réussite. Et visuellement, ça claque, Leomacs est un artiste bluffant, parfait dans ce genre de parutions parallèles. La version française de Rogues paraîtra chez Urban Comics le 13 Janvier 2023 : retenez cette date si vous voulez lire une mini-série qui vaut le détour.

X-TERMINATORS #2, de Leah Williams et Carlos Gomez


"Ce livre est joyeusement stupide" ("This Book is gleefully stupid") : c'est pas moi qui le dis, c'est le titre de cet épisode et donc Leah Williams, sa scénariste, qui avertit. Mais c'est aussi pour ça que c'est si bon de lire X-Terminators, qui se distingue par son culot. Carlos Gomez s'amuse beaucoup lui aussi avec ces quatre jolies mutantes face à des vampires retors.


Dazzler, Jubilé et Boom-Boom trouvent Wolverine (Laura Kinney) dans une arène. Elle leur révèle être là à tuer des vampires depuis deux jours. Et que Alex, l'ex de Dazzler, est derrière tout ça.


Alex, justement, se réjouit d'observer, depuis sa cabine en tribune, le désarroi des quatre mutantes. Mais son père, Xarus, lui-même fils de Dracula, le somme d'en finir rapidement avec elles.


Pour ce faire, il a préparé un piège diabolique : Wolverine et Dazzler d'un côté, Jubilé et Boom-Boom de l'autre sont enfermées dans des cages de verre dont les reflets prennent vie et les attaquent.


Seule solution pour sortir de là : se bander les yeux et se réunir. Mais Alex a tout prévu et lâche de nouveaux assaillants sur ses captives...

On rigole rarement chez les mutants dont, à l'origine, Stan Lee a voulu faire une métaphore des minorités opprimés par les autorités. Depuis soixante ans, les X-Men sont donc des persécutés qui s'emploient, malgré la haine qu'on leur voue, à quand même défendre les humains en espérant qu'ainsi ils se feront accepter d'eux.

Cet état de fait n'a que rarement été discuté par les auteurs chargés de développer l'idée de Stan Lee, comme si une chape de plomb écrasait le concept même des mutants. Il ne faut pas plaisanter avec eux, ni même les décrire comme des individus capables d'être heureux, ça gâcherait le concept.

Pourtant, quand des scénaristes et dessianteurs inspirés ont pris quand même le parti de rigoler avec des mutants, ce fut de grandes réussites : qu'on songe à Excalibur première époque, par Chris Claremont et Alan Davis et son humour british, puis plus tard X-Statix de Peter Milligan et Mike Allred tout aussi foutraque.

Aujourd'hui, malgré le changement de statu quo établi depuis la refondation des titres X par Jonathan Hickman, qui a fait des mutants de nouveaux dieux refusant d'être encore maltraités, le sérieux domine. Aussi quand Leah Williams, la scénariste de ces X-Terminators, intitule le deuxième épisode de cette mini-série "Ce Livre est joyeusement stupide", on est presque saisi par l'audace dont elle fait preuve.

Il faut parfois beaucoup de talent pour oser être beau et con à la fois. Et X-Terminators, qui a été influencé par l'esprit Grindhouse, c'est-à-dire les films d'exploitation de série B jusqu'à Z, n'en manque pas. Le postulat, tel qu'on l'a découvert le mois dernier est simple : quatre meufs canons qui étripent des monstres et des vampires.

L'introduction de Wolverine (Laura Kinney) dans la partie a quelque chose d'inévitable : une fille avec des griffes métalliques, c'est un bonus appréciable pour zigouiller des affreux. Le reste est aussi crétin que dans le premier épisode, à savoir que cette bande de filles harcelée par l'ex de Dazzler dans une labyrinthe qui les a menées dans une arène vont devoir se démener pour survivre en se battant dans des vêtements qui se déchirant progressivement laissent voir de plus en plus de leur anatomie.

Maintenant, prêtons-nous à un exercice amusant : imaginez cette histoire écrite par un homme. Par les temps qui courent, les néo-féministes crieraient au scandale, au machisme, à l'objectivation de la femme. Ce ne serait pas complètement faux, reconnaissons-le. Mais puisque c'est une femme qui met d'autres femmes dans ces situations, ce n'est plus du tout la même chose. Et on apprécie d'autant plus ce projet car il nous divertit avec un argument facile que par l'autodérision dont sait faire preuve son auteur. Sans compter qu'elle a de l'imagination à revendre pour éprouver les quatre X-Terminators (le coup des reflets qui prennent vie est particulièrement retors, surtout venant de la aprt d'un vampire qui, lui, comme tous ces semblables, n'a pas de reflet).

Que Leah Williams écrive cette mini-série dédouane du même coup Carlos Gomez, qui la dessine. Car ce jeune artiste, adepte du "good babe art", s'en donne à coeur joie pour croquer ces quatre jolies mutantes en haillons et couvertes de sang.

Ce n'est jamais vulgaire mais délicieusement sexy, et ce mix de violence, d'érotisme et d'absurde fonctionne à fond. Gomez signe des planches spectaculaires aux images superbement composées. Les scènes d'action, nombreuses, ne font pas dans la dentelle et détonent avec le tout-venant car les adversaires sont sacrifiables à l'envi.

On apprécie aussi que Williams et Gomez aient choisi les incarnations les plus populaires des quatre héroïnes, en particulier avec Tabitha Smitj/Boom-Boom, en écervelée qui interroge d'abord Wolverine sur son costume avant toute chose - c'est la même délicieuse idiote impulsive qu'on a adorée dans Nextwave. En revanche, Williams et Gomez n'animent pas Jubilé comme cette éternelle ado, mais en font une jeune femme avec des bas et des porte-jarretelles, perchée sur des talons hauts et vêtue d'un pull large.

Donc, pour résumer, oui "ce livre est joyeusement stupide", il est aussi sexy en diable, et sauvage. Et on s'amuse beaucoup à le lire ce délire régressif.

FIRE POWER #24, de Robert Kirkman et Chris Samnee


C'est donc le dernier épisode de Fire Power que je critiquerai. J'espérai que ce n°24 me donnerait quelques regrets quant à ma décision d'arrêter de suivre cette série, mais le miracle n'a pas eu lieu. Pire : c'est soulagé que je stoppe après avoir lu cet épisode médiocre.


Chen Zul évacue ses soldats par hélicoptère tandis que la bataille fait rage entre Owen et Shaw dont il a terrassé le dragon. Mais Wei Lun refuse de partir sans son élève.


Le duel qui oppose Owen à Shaw est disputé et Owen prend l'avantage contre toute attente. Wei Lun assiste à la défaite de Shaw, étonné et ravi même si Owen est à bout de force.


Mais c'est alors que le dragon se réveille et menace à nouveau. Wei Lun tente de raisonner Owen alors que ce derneir veut en finir. Il se résoud, à contrecoeur, à battre en retraite.


L'éhlicoptère de Chen Zul décolle. Owen sait qu'il en faudrait plusieurs comme lui pour vaincre Shaw et son dragon. Si seulement ses parents n'avaient pas été tués par Chou Feng. Et justement, à ce sujet, Wei Lun a un aveu à faire...

A la fin de cet épisode, avant le courrier des lecteurs, Amanda LaFranco, l'editor de Fire Power, après quelques mots flatteurs sur ce qu'on vient de lire, prévient que la série va faire un break jusqu'en 2023, mais sans préciser la date exacte de son retour. Elle explique que Chris Samnee est épuisé, mais aussi que le prochain épisode correspondra au n°25 et qu'il comptera le double de pages.

On aura remarqué que, déjà, ce #24 est sorti deux mois après le 23, et on peut comprendre que Samnee soit sur les rotules, lui qui dessine deux séries mensuelles (son creator-owned Jonna and the Unpossible Monsters connaîtra sa conclusion en Décembre) et pendant tout le mois d'Octobre il produit chaque jour un dessin original pour le #Batober #Inktober comme chaque année qu'il poste sur Twitter (j'y consacrerai une entrée quand le 31ème dessin aura été publié).

Hier, en parlant de A.X.E. : Judgment Day, déjà je mettai en garde contre la charge de travail que les scénaristes infligent aux dessinateurs. Mais Kieron Gillen, s'il a beaucoup demandé à Valerio Schiti, n'a pas démérité et surtout un event ne dure que quelques mois. Dans le cas de Fire Power, j'ai eu le sentiment depuis longtemps que Samnee portait à bout de bras la série que Robert Kirkman écrivait paresseusement.

Fire Power #24 est l'archétype de ce mode de fonctionnement et je serai très curieux de voir à quoi ressemble le script de Kirkman quand on constate l'indigence du peu de texte qui en reste alors que Samnee assume un travail écrasant à grands coups de scènes spectaculaires et énergivores.

La question qui me taraude surtout, c'est quel plaisir tire Samnee à dessiner une série aussi médiocre. Car Fire Power est mal écrite, mal foutue, et repose principalement sur son dessin. Ce n'est pas non plus l'originalité du sujet qui peut le motiver à ce point puisqu'on a là rien d'autre qu'un ersatz de Iron Fist, avec des seconds rôles grossièrement caractérisés et un héros qui échoue lamentablement à s'imposer dans les moments critiques, le tout ponctué de coups de théâtre téléphonés (dont celui de cet épisode tellement cliché qu'il vous fait soupirer d'affliction).

Qu'est-ce qu'on lit au juste ici ? Une interminable baston avec des boules de feu où quand le méchant est à terre, son dragon reprend du poil de la bête opportunément, et où les héros sont obligés de battre piteusement en retraite. Les fameux autres maîtres appelés en renfort ont fait long feu (c'est le cas de le dire) face au surpuissant Maître Shaw et sa bestiole qu'on croyait pour de bon neutralisé après que Owen lui ait grillé la gueule se réveille pour remettre une pièce dans la machine, un prétexte grossier pour rallonger la sauce, ajouter un arc (au moins) à la série.

J'ai plus que donné sa chance à Fire Power et si j'ai persisté aussi longtemps, c'était uniquement pour Chris Samnee. J'ai de la peine pour lui, et ça me manquera sûrement de ne plus lire une série régulière qu'il dessinera. Mais les comics sont ainsi : vous pouvez adorer un artiste, il arrive un moment où vous ne pouvez plus le suivre parce qu'il s'est associé à un scénariste calamiteux ou qu'il s'est embarqué dans un projet qui ne vous passionne pas. Je ne suis pas un complétiste maladif qui veut tout avoir d'un auteur, c'est une défaite critique de procéder ainsi. Mais la déception est à la hauteur de l'affection et l'admiration que j'ai pour Samnee car j'espérai vraiment que, depuis son départ de Marvel, il se serait investi dans un projet de meilleure facture.

J'aurai, c'est vrai, préféré qu'il signe chez DC, comme il l'a longtemps fait croire, ou du moins qu'il ne se commette pas avec Kirkman en qui j'avais peu confiance (n'étant tombé sous le charme ni de The Walking Dead ni d'Invincible) et qui, de ce point de vue, ne m'a pas déçu. J'ai toujours défendu le fait que les comics n'existaient que par l'alliance d'un scénariste et d'un dessinateur, mais quand je vois comment procède Kirkman avec Samnee, c'est clairement de l'arnaque car il ne travaille pas avec et pour lui, il l'exploite en lui infligeant des épisodes affligeants et trop exigeants. Mais bon, si Samnee y trouve son compte, tant mieux pour lui...

Actuellement, quand je découvre chaque jour le dessin que Samnee produit pour son #Batober #Inktober, c'est terrible de voir à quel point il est bon pour s'emparer de l'univers de Batman et si DC lui confiait une mini-série sur son Black Label (il avait pitché un projet auquel l'éditeur n'a pas donné suite), ce serait tellement mieux. Mais ça n'arrivera sans doute jamais. Avec Fire Power, Samnee est co-propriétaire des personnages et la série a sans doute assez de succès pour lui assurer de meilleures rentrées d'argent que s'il rempilait pour une major pour du work-for-hire, même dans une collection prestigieuse où il aurait carte blanche.

Cette semaine, coïncidence totale mais révélatrice, je dis adieu à plusieurs titres, soit parce qu'ils touchent naturellement à leur fin, soit parce que, comme ici, je les abandonne. C'est la vie d'un lecteur de comics et il ne faut jamais se forcer à lire quelque chose. Mais si on m'avait dit que je ne lirai plus de Samnee un jour, j'aurai bien ri. Ce jour est pourtant venu.

jeudi 27 octobre 2022

A.X.E. : JUDGMENT DAY #6, de Kieron Gillen, Valerio Schiti et Ivan Fiorelli


A.X.E. : Judgment Day, c'est (presque) fini. Avant le n° Omega, qui conclura vraiment cet event le mois prochain, la mini-série centrale s'achève ici. Hélas ! un peu comme d'habitude, Kieron Gillen ne convertit pas les bonnes idées et les promesses faîtes en un dénouement original et audacieux, s'embourbant dans un final qui ne veut pas finir. Valerio Schiti, fatigué, ne dessine que 24 pages, laissant les huit dernières à son compatriote Ivan Fiorelli.


Captain America commande l'évacuation des terriens dans les cités éternels, encore intouchées par la dévastation du Progéniteur. Celui-ci tente désormais d'atteindre la Machine pour détruire la planète.


Cependant, le commando qui a infiltré le Céleste, accède à son coeur et fait face à une créature qui pilote le géant et désigne qui réussit ou échoue à son test. Mais Ajak s'oppose à ce qu'il soit tué.


Pour tenter de convaincre le Céleste que l'humanité est capable de changer, Sersi se sacrifie en avouant le secret des Etenrels au sujet de leur résurrection. La population cesse ainsi de haïr les mutants.


Troublé, le Céleste suspend son geste destructeur devant la Machine et son pilote se tourne vers Ajak pour savoir si, à son tour, il est digne du test auquel il a soumis la Terre.
 

Ajak reçoit les pouvoirs du Céleste et restaure le monde à l'état qui était le sien avant le Jugement Dernuier. Tout en faisant comprendre à chacun que, désormais, chaque jour sera un test pour s'améliorer...

On a presque envie de dire, après avoir lu ce sixième et dernier épisode de A.X.E. : Judgment Day qu'il est normal d'être déçu. C'est quasiment dans l'ADN des events de décevoir le lecteur qui les suit parce que ce genre de sagas promet énormément, et en vérité promet trop pour ce qu'il peut tenir. Celui-ci n'échappe pas à la règle.

Au fond, Kieron Gillen avait de bonnes idées mais pas assez de lattitude. Les planètes n'étaient pas suffisamment alignées pour que son propos porte autant qu'il l'a sans doute souhaité. Quand, au même moment où Judgment Day paraissait, Jason Aaron achève son run sur Avengers avec une histoire vendue comme la plus importante du titre, c'est comme si Marvel se tirait une balle dans le pied en publiant deux events, dont l'un ne disait pas son nom mais en possédait l'allure. Or, pour qu'un event comme Judgment Day réussisse son coup, il faut que tout le monde joue le jeu et Marvel n'a pas voulu contraindre Aaron à se plier à l'histoire de Gillen.

Du coup, le meilleur moyen d'évaluer les qualités et les défauts de Judgment Day est peut-être de vérifier quel impact a eu cet event sur les A.X.E., soit les Avengers, les X-Men et les Eternels.

Commençons donc par les Avengers. Et disons-le simplement : ils n'ont servi à rien dans cette histoire. Annoncés comme les arbitres du conflit initial entre Eternels et mutants, ils n'ont absolument jamais pesé dans la balance, ménageant la chèvre et le chou car ayant des amis dans les deux camps et cherchant à être des conciliateurs dans une guerre qui les dépassait. Pire, sans doute : Gillen a sombré dans des clichés réucrrents et désormais bien usés avec Iron Man dans le rôle du mec qui fait tout foirer (la conscience déglinguée du Progéniteur est le résultat de sa programmation, à égalité avec Ajak), tandis que Captain America caractérisé comme le symbole de paix et de justice n'a jamais dépassé sa qualité de symbole, transparent dans l'action, inutile dans les moments cruciaux (alors que le précédent épisode s'achevait sur sa résurrection, ce qui en fait le premier humain ramené à la vie par des mutants, pour conduire les héros à la victoire. On ne saura jamais pourquoi lui et pas Cyclope, autrement plus concerné et efficace). Les autres Avengers n'auront strictement servi qu'à remplir des images sans rien apporter, qu'il s'agisse de Thor, Captain Marvel ou Starbrand (qui pourtant est censé être l'incarnation d'un système de défense planétaire).

Ensuite, les X-Men : avec le recul, on est déçu des prémisses de Judgment Day qui n'a fait que recycler les mutants en éternels persécutés. Pointés du doigt par Druig, décimés par le Céleste et Uranos, les X-Men ont semblé longtemps perdu dans une intrigue que Destinée sentait venir depuis un moment pourtant. Cette contradiction mine tout le projet d'où surnagent des mutants inattendus, comme Diablo, mais où sont empêtrés d'autres, comem Mr. Sinistre dont on ne saisit jamais pourquoi il a été kidnappé par Makkari et Ajak ni pourquoi il fait partie du commando qui nfiltre le Céleste (Gillen adore Sinstre, mais il faudrait quand même qu'il se calme là-dessus ou au moins qu'il soit plus clair sur le rôle qu'il veut lui donner - ce sera plus sûrement pour son prochain event The Sins of Sinister, même si, du coup, j'hésite beaucoup à le suivre).

Enfin, les Eternels : évidemment, logiquement même, ce sont les plus affectés par l'event. De l'attaque fomentée par Druig à l'aveu de Sersi jusqu'à la transformation de Ajak, on a envie de dire que, même s'ils finissent l'histoire dans la peau des méchants, difficilement récupérables (ce qui devrait être confirmé par A.X.E. : Judgment Day Omega), tout tourne surtout autour d'eux. Mais là encore, le compte n'y est pas vraiment. Les teasers sur les Déviants-Mutants, le sort du Céleste, la réconciliation et les excuses finales de Zuras en passant par le retour de Eros/Starfox, tout cela rappelle le gloubi-boulga de la série Eternals de Gillen qui avait bien commencé pour se ramasser pitoyablement dans un second arc poussif. Je n'ai pas compris l'objectif de Gillen à leur sujet mais le résultat est là : à peine revenus, les Eternels vont retourner dans leur purgatoire, après un film lamentable et un comic-book bancal.

Plus long que les précédents épisodes, ce dernier épisode a renoué avec les écueils de précédents events, avec des destructions massives, des actes de bravoure plus bravaches qu'efficaces (tout le passage avec l'arsenal donné aux humains jusqu'à la page avec Orchis (dont le renfort a été aussi inutile qu'expédié). La créature, que j'ai appelé le pilote du Céleste, a un rôle nébuleux au possible et le twist final quand il se fait juger par Ajak ressemble à un artifice de la part d'un scénariste ne sachant plus comment terminer ce qu'il a entrepris. Gillen avait promis qu'il ne finirait pas en promettant, selon la formule consacrée, que "rien ne serait plus comme avant", mais plutôt en laissant les héros avec l'obligation d'être différemment héroïques. Bon, ben, c'est clairement raté, même si les mutants vont désormais ressuciter des enfants malades ou mourants. Mais pour le reste du casting, cela se résume à un débat sur le ton de la balgue chez les Avengers qui se demandent s'il est opportun de garder leur QG dans un Céleste mort, et pour les Eternels à des excuses rapides et pour Druig à partager la cellule d'Uranos. On n'a pas le sentiment que tous ces héros en sortent changés ou avec la volonté de changer.

Un dernier point concerne les six humains vendus par Gillen et Marvel comme les six individus les plus importants de l'Histoire. Bon, là aussi, on se demande pourquoi ces six quidams ont mérité cette qualification car ils n'ont eux aussi servi à rien, sinon pour l'une d'elle à boire un café avec Captain America, puis retrouver leur vie d'avant sans se rappeler de rien. Décidément, ces teasers sont aussi déplacés que mensongers.

Visuellement, on sent que Valerio Schiti était au bout de ses forces. Il produit encore des planches épiques, impressionnantes, soutenues par les couleurs vibrantes de Marte Gracia. Mais il était temps que ça se finisse. L'italien a tout donné, mais une fois encore sans disposer d'un script à la hauteur de son immense talent (vivement qu'on en sache plus sur son projet avec Jonathan Hickman pour l'année prochaine). Il faudra aussi qu'un jour editors, scénaristes et artistes se réunissent autour d'une table pour que les deux premiers comprennent que les events sont des laminoirs pour les dessinateurs, qui se trouvent à animer des épisodes surpeuplés, des actions spectaculaires jusqu'à la saturation, qui sur le papier sont très excitants mais épuisants à représenter. Si même Schiti n'y arrive plus, alors ce serait dans doute judicieux que tout le monde se calme et pense histoire avant de penser blockbuster.

Schiti donc laisse l'épilogue de l'épisode à Ivan Fiorelli, soit huit pages sur 32. Fiorelli n'est pas un artiste déplaisant à lire et donc on lui sait gré de nous livrer des planches honorables. Néanmoins, après Schiti, ça fait quand même bizarre car leurs styles ne se ressemblent pas du tout. Et je pense surtout que cet épilogue aurait plus eu sa place dans ce fameux n° Omega car il consiste en une succession de saynètes au ton diamètralement opposé à ce qui précéde. Mais c'est aussi la responsabilité de l'editor et du scénariste de penser à ça en offrant à la mini-série centrale de l'event une vraie conclusion plutôt que de penser en termes de n° Alpha et Omega pour l'encadrer.

C'est dommage car Judgment Day a été agréable à lire, avec des tie-in très bons (pour ceux que j'ai lus du moins, notamment Immortal X-Men et surtout X-Men : Red). Après, le décalage entre la lecture à chaud de chaque chapitre et le bilan qu'on en tire à la fin du dernier épisode est implacable et répète trop d'erreurs du passé pour satisfaire. C'est ce qu'il y a de plus rageant : faire une course excellente mais rater l'arrivée.