mercredi 29 septembre 2010

Critique 167 : UNCANNY X-MEN OMNIBUS, de Chris Claremont, Alan Davis et Olivier Coipel

Pendant 17 ans, la série Uncanny X-Men a été indissociable du nom de son scénariste Chris Claremont : ce dernier s'est emparé des personnages intégrés au titre lors de son relaunch par Len Wein et Dave Cockrum en 1976 et a développé durant un run exceptionnellement long tout un univers au point d'en faire la franchise la plus populaire de Marvel.
Claremont a eu la chance d'être secondé par des dessinateurs de premier plan : Cockrum d'abord, puis John Byrne avec lequel il a co-signé des épisodes inoubliables, Paul Smith, John Romita Jr, Jon Bogdanove, Marc Silvestri...
Il aura fallu un violent différent artistique avec l'éditeur en 1991, alors que Marvel avait restructuré la série et ses spin-off, pour que Claremont cède sa place. Depuis, les X-Men ont connu des périodes inégalement inspirés, mais leur étoile a considérablement pâli et les Vengeurs les éclipsent désormais en popularité.
Aussi, quand j'ai pu acquérir cet ouvrage, pour un prix dérisoire, je n'ai pas hésité, convaincu d'y trouver du matériel de qualité vu les hommes aux commandes de ces épisodes : le retour de Claremont d'une part ; la contribution d'un de ses anciens complices, Alan Davis (avec lequel il lança la série Excalibur) ; et deux chapitres illustrés par Olivier Coipel (avant sa consécration lors de la saga House of M). Et je n'ai pas été déçu.
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Cet Omnibus contient quatre story-arcs :

- The End of History (#444-447) met en scène une équipe à la composition originale - Storm, Wolverine, Nightcrawler, Marvel Girl, Bishop, Sage, Cannonball - dont le statut est devenu bien particulier : ils sont devenus une sorte de brigade de police spécialisée dans les affaires impliquant des mutants. Bien entendu, cela ne va pas de soi pour les autorités humaines et la collaboration se passe mal. Au sein de l'Institut Xavier, la présence d'Emma Frost, devenue la compagne de Cyclops, suscite aussi des tensions.
Dans ce premier récit, le groupe formé par Bishop, Marvel Girl, et Cannonball se rend en Angleterre pour aller prendre des nouvelles de Brian Braddock/Captain Britain et Meggan. C'est ainsi qu'ils vont devoir affronter, en leur absence, la Furie, une créature surpuissante.
Entretemps, les autres membres de l'équipe doivent faire face à une situation dramatique où un jeune mutant meurt en découvrant ses pouvoirs...

- Guess Who's Back in Town (#448-449) oppose l'équipe à Arcade et plus particulièrement à Vipère, qui profite des installations du Murderworld pour attirer les héros dans un piège. Privés de leurs pouvoirs, les X-Men ont fort à faire et Sage est dans le viseur de la tueuse...

- The Cruelest Cut (#450-451) est encore un dyptique et introduit un nouveau personnage, X-23, issue comme Wolverine, avec lequel elle partage certaines facultés, du programme Arme X. Les héros sauront-ils s'en faire une alliée ou compteront-ils une nouvelle ennemie ? En tout cas, la jeune fille est au centre de diverses convoîtises...

- World's End (#455-459) va conduire nos héros en Terre Sauvage, ce territoire hors du temps, hostile, où Marvel Girl et Storm, manipulées, mettront en péril la survie du monde entier. C'est aussi l'occasion pour Betsy Braddock/Psylocke, la cousine de Brian Braddock/Captain Britain, de faire son retour dans la partie, après que tout le monde l'ait crue morte (elle, la première)...
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Ce qui frappe avec ses histoires, c'est leur efficacité et leur sens du spectacle et de l'action - autant dire tout ce qui fait défaut à la série actuellement.
Claremont, qui a bâti sa réputation (sa légende même) sur son écriture feuilletonnesque, avec des subplots courant sur des années, surprend par la brièveté et la nervosité des intrigues : est-ce parce qu'il n'avait pas l'assurance de rester longtemps en place ? Ou pour rompre avec la narration décompressée qui est devenue la norme des comics ? En tout cas, il ne perd pas son temps et, en construisant ses récits selon un plan classique mais imparable (exposition, action, climax), il accroche le lecteur.
L'autre bon point, c'est le choix de se reposer sur une équipe à la composition stable (Cannonball cède sa place, X-23 arrive, Sage se retire, Psylocke revient) et réduite : chaque membre est remarquablement caractérisé par un auteur qui connaît et aime ses personnages, mais continue à s'amuser avec. Il suggère des couples comme ceux de Storm et Wolverine, Nightcrawler et Marvel Girl, Wolverine et X-23, Bishop et Psylocke, qui renoue avec la veine "soap opera" de la série tout en donnant un dynamique au groupe très distrayante.
Ce mélange entre l'action effrenée et des plages romantiques donne de la chair aux récits : chaque X-man travaille pour un autre car il a des liens sentimentaux (amicaux, amoureux) pour lui. C'est simple, mais cette simplicité est payante. Claremont ne se disperse pas en évoquant les élèves de L'institut, il montre les élèves, l'encadrement, et cela suffit pour nous faire comprendre l'environnement dans lequel évoluent les personnages.
Savoir choisir, c'est ce qui distingue un bon scénariste d'un type qui a des idées mais ne réussit pas à nous y intéresser. Même lorsqu'il avait les clés de la maison mutante, Claremont ne perdait jamais cela de vue : d'abord proposer un récit prenant, et ensuite détailler l'arrière-plan.
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Visuellement, ces épisodes offrent parmi ce qu'on peut trouver de mieux : l'immense Alan Davis, qui n'aime pas s'engager durablement sur une franchise, a signé un run exceptionnellement long et sa complicité avec Claremont, pour lequel il a une grande estime, est éclatante.
L'artiste donne tout pour ces histoires, qui ne sont peut-être pas les meilleures de toute la série, mais auxquelles son talent apporte une dimension impressionnante. Admirez l'explosivité du découpage, la variété et la justesse des expressions, le soin apporté aux décors (les séquences en Terre Sauvage sont éblouissantes) : c'est bluffant. Avec un tel illustrateur, c'est comme si on roulait dans une voiture de sport, constamment à toute allure. On en sort un peu essoré car on n'a pas l'habitude d'une telle puissance esthétique, mais on en a vraiment pour son argent.

Les épisodes 448-449 sont dessinés par Olivier Coipel : le français n'était pas encore la star ni l'artiste accompli d'aujourd'hui, mais la facilité avec laquelle il anime ces personnages est formidable. Et puis Coipel comme fill-in de Davis, c'est quand même la grande classe !
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13 chapitres qui vous procureront un vif plaisir : l'alliance d'un scénariste expérimenté et de deux dessinateurs de première classe, de quoi combler le fan le plus blasé !

Critique 166 : FORMERLY KNOWN AS THE JUSTICE LEAGUE, de Keith Giffen, Jean-Marc DeMatteis et Kevin Maguire

A la recherche d'une histoire de super-héros vraiment drôle ? Lisez donc ce Formerly Known As The Justice League, la suite de la série Justice League international,conçue dans les années 80 après le crossover Crisis On Infinite Earths.
Le premier mérite de cet album est de pouvoir être compris sans avoir lu la série qui l'a précédé, tout en donnant envie de la découvrir.
Son deuxième mérite est qu'il s'agit à la fois d'une parodie très drôle mais respectueuse de ses personnages et de leur univers.
Son troisième mérite est d'avoir été réalisé par l'équipe artistique originale, trois joyeux drilles dont la complicité est au diapason de leur talent.
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Cette nouvelle mini-série (qui sera suivie par I Can't Believe It's Not The Justice League, issue du titre JLA Classified) a été publiée en 2003 : l'équipe est rassemblée par l'affairiste Maxwell Lord et voulue comme "accessible au commun des mortels" (par opposition à la JLA, véritable panthéon toisant l'humanité). Le groupe est rebaptisé les "Super Buddies", référence au dessin animée Super-Friends produit par Hanna-Barbera dans les années 70, et se distingue par l'incapacité de ses membres à travailler correctement ensemble.
Keith Giffen, J.M. DeMatteis et Kevin Maguire avaient précédemment signé, en 1987, la série Justice League International. Le scénariste J. M. DeMatteis développa une version de la Justice League fondée sur ses sept membres iconiques (Superman, Batman, Wonder Woman, Flash, Martian Manhunter, Green Lantern, Aquaman) comme le fit plus tard Grant Morrison. Associé à Keith Giffen et Kevin Maguire, le projet devait cependant être réécrit en fonction des re-créations post COIE de Superman par John Byrne (Man of Steel), de Wonder Woman par George Perez, de Flash par Mike Baron et de Batman par Frank Miller (Batman : Year One). Denny O'Neil édita le titre, autorisant les auteurs à utiliser Batman (mais pas Superman, Wonder Woman, et Flash). DeMatteis et Giffen inclurent Dr Fate (dont ils écrivaient la série régulière) et l'éditeur Andy Helfer (en charge de Green Lantern) leur suggérèrent d'utiliser Guy .
La direction résolument comique était l'idée de Giffen et était la réponse évidente aux titres "grim'n'gritty" produits par Marvel à cette époque. C'était aussi l'occasion de redéfinir la caaractérisation de héros comme Gardner (un casse-cou abruti), Captain Marvel (un benêt), Booster Gold (un imbécile heureux et suffisant), ou Black Canary (une féministe pure et dure). L'équipe elle-même apparut dans la mini-série JLA : Légendes, de John Ostrander, Len Wein et John Byrne, en 1986.
Dans ces conditions, la conception d'une suite aussi tardive pouvait laisser dubitatif : les auteurs seraient-ils toujours aussi inspirés et, dans un DCverse sous le choc d'Identity Crisis, un tel projet avait-il encore un sens ? Si Nextwave a pu être imaginé chez Marvel à l'époque de Civil War, ma foi, pourquoi pas ?

Bienvenue donc chez les "super-buddies", la formation super-héroïque la plus improbable et la plus drôlatique du moment, qui compte dans ses rangs des seconds couteaux aussi fameux que le tandem Blue Beetle-Booster Gold, Mary Marvel, Elongated Man et son épouse Sue Dibny, la brésilienne Fire, Captain Atom. Tout ce joli monde est rassemblé par Maxwell Lord (ou plutôt son double cyborg) et le robot Ron-L pour devenir un groupe de super zéros de proximité, que les habitants du quartier où ils s'installent pourraient appeler à l'aide comme on demande à la police ou aux pompiers d'agir.
Quelques problèmes se posent toutefois : ces héros sont tous des crétins finis, peu ou pas ou plus habitués à travailler ensemble, dirigés par un incompétent encore supérieur, rejettés par leurs voisins, et devant faire face à des menaces les dépassant largement. La vraie Ligue de Justice les surveille, prête à intervenir (et, c'est inévitable, elle le fera), mais, bien qu'ils s'en doutent, cela ne va pas les arrêter.
Plus occupée à se châmailler entre eux (voire à s'entretuer) qu'à sauver le monde (ou alors sans le faire exprès), cette bande de losers magnifiques va d'abord vaincre la morosité...
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Entre les sagas épiques et les sombres drames qui ont agité le DCverse ces dernières années, Formerly Known as the Justice League procure un contraste aussi saisissant que bienvenu, l'archétype du comic-book qui ne se prend pas au sérieux.
Dès l'introduction, on est dans le ton : un Batman bien déglingué et dessiné à la manière de Sergio Aragones présente le groupe dont chacun des membres se décrit ensuite de façon décalé, entre dédain pour le chevalier noir, admiration béate, surprise, détachement, quand Fire ne lui fait pas des avances sexuelles très explicites.
Les séquences s'enchaînent rapidement : Lord recrute ses héros à louer, puis ils s'installent dans leur Q.G. minable tandis que Sue Dibny et Beatriz Da Costa/Fire passent le temps en notant le physique des garçons de l'équipe sur une échelle de 1 à 10. Très vite, ils doivent faire face à une bande d'étudiants de Harvard pourvus de pouvoirs et n'appréciant leur arrivée dans le quartier...
Ces scènes résument l'esprit potache de la série où le pathétique des personnages domine, comme lorsque Mary Marvel fuit Captain Atom, craignant pour sa santé, puis affole (sans le faire exprès) par sa plastique les mâles du groupe (déjà bien chauffés par la présence de la bien-nommée Fire).
On ne s'étonne pas dès lors de la facilité avec laquelle la malfaisante Roulette les kidnappe pour ses jeux du cirque modernes puis qu'ils soient dépassés par l'arrivée du potentat cosmique Manga Khan...
L'écriture de Giffen, qui excelle dans les situations burlesques, et les dialogues sarcastiques de DeMatteis font merveille dans cette parodie où, finalement, les scènes d'action sont dispensables.
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La plastiscité extraordinaire du dessin de Maguire sert au mieux le script : il n'a en effet pas d'égal pour traduire en images les mimiques des personnnages, leur donner une gestuelle minimale mais extrèmement juste.
La réussite de cette sitcom au pays des super-héros lui doit énormèment et son trait élégant et clair est superbement mis en valeur par l'encrage du vétéran Joe Rubinstein.
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Parce que c'est un exercice de style rare dans le registre super-héroïque et qu'il est parfaitement maîtrisé par une équipe créative à la complicité éprouvée, cet album est un vrai petit chef-d'oeuvre.

Critique 165 : MANHUNTER 1 - STREET JUSTICE, de Marc Andreyko et Jesus Saiz



Manhunter: Street Justice rassemble les cinq premiers épisodes de la série créée par Marc Andreyko et publiée par DC comics en 2004.
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Bien qu'il y ait eu de précédentes séries dont le héros portait ce nom, cette fois, l'histoire s'intéresse à une femme. Il s'agit d'un procureur, Kate Spencer, mère et divorcée, qui décide de devenir une justicière masquée parce qu'elle est excédée par le laxisme du système pour lequel elle travaille. Sa décision est prise après avoir échoué à faire condamner un tueur méta-humain qui récidive rapidement.
Elle dérobe des équipements saisis sur des scènes de crime impliquant des surhommes, enfile un costume et un masque, et traque le criminel en fuite, déterminée à le supprimer. Mais Kate Spencer va apprendre dans la douleur : son jeune fils se blesse en découvrant son arme, son mari entreprend d'en avoir la garde exclusive, ses adversaires vont la malmener, et enfin elle va devoir vivre avec la peur d'être découverte par les autres super-héros dont les méthodes ne sont pas aussi expéditives que les siennes...
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Marc Andreyko a été, comme il le raconte dans la préface de cet album, le premier surpris que DC lui donne carte blanche pour mener ce projet dont bien des éléments rompent avec la tradition de l'éditeur : un personnage féminin, antipathique, une ambiance sombre et urbaine, totalement en décalage avec le crossover cosmique qui se préparait alors (Infinite Crisis).
Pourtant, contre toute attente, le résultat est une réussite : tout ce qui pouvait jouer contre l'héroïne et l'intrigue devient un atout. Kate Spencer n'est pas aimable, certes, et sa maladresse ajoutée à sa conception radicale de la justice font penser à une tentative racoleuse de la part de DC de créer un équivalent au Punisher de Marvel.
Au lieu de ça, Andreyko propose un récit initiatique accompagnant une réflexion sur le fantasme du super-héros comme solution aux problèmes de la loi humaine et ses failles : ses erreurs lui font prendre douloureusement prendre conscience de la folie de la double vie qu'elle a choisie, entre sa détresse de mère et sa panique de néo-vigilante craignant d'être démasquée par la Ligue de Justice d'Amérique (quand celle-ci recherche, comme elle, le Shadow Thief après la mort de Firestorm dans Identity Crisis).
La construction des récits en flash-backs rend l'ensemble attrayant : on suit en parallèle la formation accélèrée de Manhunter, qui fait chanter un ancien détenu, qu'elle avait envoyé derrière les barreaux, pour qu'il l'aide à s'entraîner et à réparer son équipement, et ses combats contre des ennemis coriaces sur lesquels elle n'a pas vraiment l'avantage.
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La partie graphique est assurée par l'excellent Jesus Saiz, alors auréolé du succès de la saga OMAC Project : son trait à la fois sombre, réaliste et élégant, mis en valeur par l'encrage de Jimmy Palmiotti, convient parfaitement au projet.
Dommage cependant qu'il ne soit resté que 6 épisodes sur projet, mais, malgré sa rareté, on a pu à nouveau l'apprécier dans les premiers temps de Checkmate (écrit par Greg Rucka) et récemment dans le run de The Brave and The Bold (écrit par J. Michael Straczynski).
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Une découverte très recommandable que cette série atypique.

mardi 28 septembre 2010

Critique 164 : NEIL YOUNG'S GREENDALE, de Joshua Dysart et Cliff Chiang



Le fan de Neil Young mais aussi de Cliff Chiang attendait avec impatience ce "graphic novel" mais les previews m'avaient ébloui... Et le livre ne déçoit pas.

Il s'agit d'une fable, d'un conte plus qu'un récit classique sur l'émancipation d'une jeune femme, Sun Green, issue d'une famille dans laquelle les femmes ont toutes en commun de posséder un pouvoir qui les connecte avec la nature. Cette même nature qui est exploitée et ravagée par les grandes compagnies. Cette même nature dont les richesses servent de prétexte à la guerre lancée par les américains en Irak (l'action se déroule en 2003).
En découvrant son héritage, en s'ouvrant à l'activisme politique, en affrontant un mystérieux et inquiétant "loner", en traversant des moments tragiques (la perte de proches) et d'autres plus heureux (l'amour dans les bras d'un jeune homme), Sun Green changera en espérant changer le monde.
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Joshua Dysart a rédigé un scénario qui a le bon goût de ne pas expliquer la magie des évènements, ce qui produit une atmosphère à la fois aérienne, sensuelle et angoissante. La lecture est très agrèable car tout en donnant le sentiment de survoler les évènements, l'auteur ne néglige pas l'émotion : si parfois cela peut sembler naïf, limite cliché, c'est aussi parce que nous évoluons dans cette histoire au même rythme que son héroïne. La fatalité y côtoie une vraie grâce, au terme des épreuves se trouve une belle lumière.
Les dialogues sont remarquables, sans manièrisme, avec juste ce qu'il faut de symbolisme : il n'est pas aisé de garder un certain naturel dans ce style d'intrigue, Dysart y parvient. Ces 160 pages défilent sans jamais ennuyer.
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Les illustrations de Cliff Chiang, mises en couleurs par un Dave Stewart en grande forme, sont enchanteresses : il dessine les femmes, au coeur de l'aventure, comme personne, en leur donnant une élégance fabuleuse. Mais ses tableaux de la nature sont aussi magnifiques et donnent lieu à des doubles pages renversantes, comme celle où Sun plane sur la branche d'un arbre dominant la forêt avant de s'y endormir.
C'est aussi dans les détails qu'on remarque la qualité graphique de l'ouvrage et Chiang réussit à rendre le moindre élément (costumes, décors) authentique. Grâce à lui, Greendale est une sorte de transposition "bédestique" du "réalisme fantastique".
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Un récit complet envoûtant et esthétiquement remarquable auquel on ne peut que reprocher son absence de bonus (un extrait du script, quelques sketches, auraient été appréciables).

samedi 18 septembre 2010

Critique 163 : PETITS MIRACLES, de Will Eisner



PETITS MIRACLES est une compilation de quatre récits écrits et dessinés par Will Eisner, publiée en 2000 par DC Comics et traduit en France chez Delcourt en 2001.

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(Extrait de Le Miracle de la Dignité.) 

- 1/ Le Miracle de la Dignité (15 pages). L'oncle Amos était un petit escroc qui mendiait pour survivre, jusqu'à ce que l'oncle Irving le tire de là en lui accordant un crédit, sous la forme d'un chèque de 5 000 $ et en lui confiant la gérance d'une de ses boutiques dans le quartier du Concourse. Tandis qu'Amos va s'enrichir, Irving voit ses affaires péricliter au point de lui demander de le rembourser. La générosité d'Amos lui vaut la considération de sa communauté. Mais dix ans plus tard, il est ruiné et c'est son neveu Julius, dont il a payé les études, qui rachète don commerce. De retour dans la rue, personne n'osait plus aider Amos de peur qu'il ne se vexe.

- 2/ Magie de rue (7 pages). Des adolescents belliqueux veulent tendre un piège à un jeune voisin qui ce jour-là se promène en compagnie de son petit cousin. Ils lui proposent un marché : s'il pioche dans une casquette un petit papier, il accepte ce qui est écrit dessus (soit, disent-ils, une bonne raclée, soit le droit de continuer son chemin tranquillement - en vérité, les deux papiers promettent une correction). La victime déjoue les plans de ses bourreaux en avalant le papier qu'il a choisi. Ainsi, il échappe à la raclée puisqu'il a dû avaler le papier qui lui garantissait de poursuivre sa promenade sans ennui !

- 3/ Un Nouveau dans le Bloc (45 pages). Un jeune garçon surgit de nulle part dans le quartier et est recueilli par Melba, libraire. Elle lui loue une chambre chez les Rizzo, dont la mamma se persuade rapidement qu'il est son fils, Silvio, pourtant mort de la polio des années auparavant. Le garçon prend peur et s'enfuit. La présence de l'inconnu semble provoquer plusieurs miracles dans le voisinage. Melba, qui l'héberge en secret, lui apprend à lire et à parler puis découvre qu'il est l'héritier des Rensaliers, kidnappé 14 ans auparavant mais jamais rendu à sa famille après que la livraison de la rançon se soit mal déroulée (il a donc été probablement entretenu par son ravisseur dans des conditions très dures). Les Rizzo s'en remettent au Père Vincent pour retrouver le garçon et l'identifier formellement. Un inspecteur des écoles, Bogen, est chargé de l'enquête et suit Melba chez qui il surprend le garçon. Une fois de plus, effrayé, il disparaît. Les querelles entre voisins reprennent. Melba finira vieille fille et on ne reverra pas plus l'inconnu dans le quartier.

- 4/ Une Bague de Fiançailles Spéciale (37 pages). Marvin Fegel et Reba Grepps sont tous deux enfants uniques et lourdement handicapés (lui a un pied-bot, elle est sourde et muette). Leurs mères arrangent leur mariage pour lequel le diamantaire Shloyma Emmis leur offre une bague. Reba recouvre l'ouïe et la parole mais se détache alors de Marvin pour participer à des mondanités et finit par demander le divorce. C'est alors que, peu après, elle perd la vue. Marvin revient vers elle et elle accepte de rester avec lui.

Des innombrables talents de Will Eisner, celui de nouvelliste équivaut certainement, voire surpasse, celui d'auteur de fresques. Petits Miracles en offre un exemple avec quatre récits dont la diversité de format prouve la virtuosité de ce génie : ici, la générosité humaniste côtoie l'émotion la plus tendre, l'ironie aiguisée, l'étrangeté quasi-fantastique.

D'où lui est venue l'inspiration pour ces quatre fables ? De sa propre enfance et de sa foi dans les miracles qui parsèment l'existence. Eisner s'affranchit des contraintes de la narration classique encore une fois, mais aussi des considérations esthétiques, au profit d'un écriture admirable de simplicité et d'efficacité.

Si je ne devais que conseiller une des histoires de ce recueil, je choisirai la deuxième, Magie de rue, qui, par sa concision et son humour si inspiré, a effectivement quelque chose d'aérien : on ne peut s'empêcher de tomber sous le charme de la manière dont son héros se sort d'une périlleuse situation, et de l'intelligence malicieuse avec laquelle Eisner nous la conte.

Mais en vérité, désigner un segment en suggérant que les autres lui seraient inférieurs est une erreur, car les quatre récits sont merveilleux. En somme, les premiers de ces Petits Miracles sont la finesse et la virtuosité avec lesquelles Eisner nous les sert.

Prenez l'histoire de l'oncle Amos : son prologue est délicieux, comment il filoute l'oncle Irving, puis lorsqu'il devient plus riche que lui et continue malgré tout à le gruger, avant que la fortune lui tourne le dos jusqu'à le renvoyer où on l'a découvert. C'est à la fois un conte cruel, mais aussi plein de fantaisie, au héros roublard mais attachant, et la morale est admirable sans être hautaine. Eisner ne peut s'empêcher d'aimer ses personnages, si bien qu'il nous les fait aimer aussi, même quand il s'agit de fieffés malandrins.

La pièce de résistance de l'album est Un nouveau dans le bloc. Pas seulement parce qu'il s'agit du plus long chapitre du livre mais aussi parce que c'est là que l'auteur prend en fait le plus de risque. Ce qu'il narre est invraisemblable, les éléments qu'il manie sont fantaisistes - l'enfant sauvage, la mamma italienne hystérique, la découverte de la libraire sur le passé du garçon, l'espèce d'influence bénéfique puis maléfique que ce dernier semble exercer sur le quartier - mais c'est comme si Eisner avait cumulé ces obstacles pour mieux les surmonter et arriver quand même à nous convaincre. La fluidité dans la relation des événements est extraordinaire, au moins autant que l'histoire elle-même, et on tourne les pages sans interruption, curieux de savoir où cela va aboutir, comment cette intrigue farfelue va se dénouer - et même justement ce faux dénouement passe comme une lettre à la poste.
Chez Eisner, en somme, tout s'accepte par la grâce d'une façon de raconter si habile que le plus improbable devient évident.

Enfin, la romance compliquée entre Marvin et Reba conclut ce volume avec le même succès. Là encore, Eisner dispose une somme de choses totalement outrancières, exagérées : on nage en plein mélodrame avec cette histoire d'éclopés dont l'union est manigancée par des mères très persuasives. Tout est convenu et prévisible, du rétablissement de Reba à son odieuse attitude envers Marvin une fois qu'elle lui préfère les frivolités de la vie mondaine aux obligations de la vie conjugale et qu'elle lui avoue être embarrassée de traîner un handicapé comme lui.
Oui, tout là-dedans flirte avec le ridicule, le grotesque, tout est "too much". Mais Eisner relève le défi de surmonter ces écueils pour livrer in fine une fable touchante, à la faveur d'un rebondissement incroyablement théâtral (la cécité de Reba comme une sorte de punition divine suivant la mort du joaillier et l'ingratitude de la jeune femme). 
Quelle démonstration d'équilibriste que de jouer avec des éléments dramatiques aussi soulignés sans jamais sombrer dans une résolution grossièrement écrite !

Visuellement, Eisner produit des planches magnifiques, où il se passe volontiers de tracer des cadres pour représenter l'action de ses personnages. On passe ainsi d'une image à l'autre, d'une page à la suivante sans être jamais freiné par une réflexion sur l'espace inter-iconique (ce qui se passe entre deux cases).
Lorsqu'il veut provoquer un saut dans le temps ou l'espace, Eisner glisse quelques lignes de texte, qui résument sobrement ce qui s'est passé sans avoir été montré, ou a recours à une mise en scène elliptique qui évite aux récits toute visualisation vulgaire (ainsi, le meurtre crapuleux de Shloyma Emmis est plus deviné que vu, et pourtant on a l'impression d'y avoir assisté in extenso).

Les décors, comme toujours chez Eisner, sont traités avec un souci d'évocation plus que de reconstitution : en ayant recours à un encrage léger, souvent au lavis, il peut ainsi de permettre de silhouetter simplement un bâtiment, un perron d'immeuble, de suggérer une rue, de croquer sommairement un intérieur, mais cela suffit au lecteur pour situer parfaitement l'action, en saisir toute l'ambiance.

De même, l'artiste reste toujours à bonne distance de ses acteurs, ce qui permet au lecteur d'apprécier pleinement le langage du corps au même titre que l'expressivité des visages, pour lesquels Eisner s'affranchit du beau et du laid au profit du juste. C'est aussi pour cela que, lisant une de ses histoires, on éprouve ce sentiment rare d'avoir non pas affaire à des créatures de papier mais à de véritables individus, directement inspirés de la vraie vie.        

Ne vous passez as de ce livre magique qu'a réalisé le maître peu avant sa mort : il y prouve qu'en prenant de l'âge, c'est comme si c'est tout son art qui rajeunissait. 

lundi 13 septembre 2010

Critique 162 : NEW AVENGERS 55 à 60 - POWERLOSS + ANNUAL 3, de Brian Michael Bendis, Stuart Immonen et Mike Mayhew








New Avengers : Powerloss est le 14ème story-arc de la série écrite par Brian Michael Bendis et dessinée par Stuart Immonen, rassemblant les épisodes 55 à 60, publiés par Marvel Comics de Septembre 2009 à Février 2010.
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L'histoire débute avec un flash-back qui renvoie au 50ème épisode lorsque, pensant attirer les Dark Avengers dans un piège au Hellfire Club, les New Avengers durent affronter le gang de The Hood. A cette occasion, nos héros détenaient un instrument dérobé par Ms Marvel à Stark Industries, un draineur de pouvoirs, mais il fut désactivé à distance par Norman Osborn/Iron Patriot.
Qu'est devenu cet outil après la bataille dont les Nouveaux Vengeurs sont sortis précipitamment ? Il est tombé dans les mains de Jonas Harrow, un savant malfaisant, membre du gang de The Hood. Mais aujourd'hui Parker Robbins n'est plus là (il a été exorcisé par Dr Strange, Daimon Hellstrom et Brother Voodoo dans l'épisode 54) et ses acolytes décident de suivre le plan d'Harrow qui a réparé le draineur d'énergie pour neutraliser non seulement les New mais aussi les Dark Avengers.
Pour ce faire, les Nouveaux Vengeurs sont attirés à Times Square où Chemistro sème le chaos. Privés de leurs pouvoirs, les héros sont dépassés - seule Mockingbird n'est pas touchée et tente de combattre contre les camarades de Chemistro et Harrow, mais en vain.
Les Vengeurs Noirs débarquent alors en espèrant mettre la main sur les justiciers hors-la-loi mais sont à leur tour victimes du draineur et Norman Osborn doit se résoudre à un nouvel arrangement avec Harrow. Pendant ce temps, les Nouveaux Vengeurs en profitent pour fuir.
Ils se réfugient chez l'Infirmière de Nuit car Luke Cage souffre d'un grave problème cardiaque à cause du draineur. Lorsque, grâce à Daken qui a pisté les fugitifs, les Dark Avengers arrivent sur place, Cage se rend pour permettre à ses amis de s'échapper.
Pour libérer Cage, Jessica Jones appelle à la rescousse tous les amis de son mari et ensemble, ils échafaudent un plan : attaquer le camp Hammond (où sont formés les super-agents du HAMMER) pour y attirer Osborn et ses sbires pendant que les Nouveaux Vengeurs et leurs alliés assailleront l'héliporteur où est retenu Luke.
Mais Osborn avait prévu cette évasion en greffant sur le coeur de Cage un traceur doublé d'une bombe. Lorsqu'il découvre cela, les New Avengers reçoivent l'aide d'Hank Pym avec lequel ils vont faire subir à leur adversaire un échec... explosif !
Cependant, Parker Robbins reçoit de Loki de nouveaux pouvoirs, grâce auxquels il reprend sans tarder le contrôle de son gang et sa place à côté d'Osborn, préparant une riposte radicale - à la mesure de sa prochaine opération : le siège d'Asgard...
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Tout d'abord, cet arc marque l'arrivée sur le titre de Stuart Immonen comme dessinateur, et, bien que la série ait compté de très bons artistes (comme Steve McNiven ou Leinil Yu, le temps d'une histoire ou plus, ou Olivier Coipel, Frank Cho, Pasqual Ferry, plus brièvement), c'est incontestablement un plus incomparable. Le canadien donne à ces épisodes un sens du découpage, un soin pour les expressions, une énergie tout à fait exceptionnelle. Sa complicité avec Bendis, rôdée sur Ultimate Spider-Man, éclate ici et il illustrera encore deux épisodes de l'arc suivant (annexé au crossover Siege) avant de revenir pour le volume 2 de New Avengers, dont la publication vient de commencer aux Etats-Unis.
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De son côté, Brian Michael Bendis, comme stimulé par le niveau de son nouveau partenaire, fait feu de tout bois et livre un récit d'excellente facture, bourré d'action et d'humour, riche en rebondissements, avec des évasions à répétitions, des bastons spectaculaires, et une équipe de Vengeurs à la composition plus équilibrée (ne pas se fier aux couvertures car Wolverine ne figure pas du tout dans ces épisodes - et, ma foi, on s'en passe fort bien !).
La formation des NA, arrêtons-nous-y justement : elle a gagné en densité (même s'il y a encore 8 membres) en s'articulant sur des duos, comme Luke Cage-Jessica Jones, Spider-Man-Spider-Woman, Ronin-Mockingbird, Captain America-Ms Marvel. C'est une des line-ups les plus inspirées de Bendis, à la fois avec des héros sans pouvoirs, d'autres plus puissants, des Vengeurs historiques, d'autres plus récents, avec des relations dynamiques (en particulier les deux couples romantiques Ronin-Mockingbird et Cage-Jones).
Ensuite, il y a le contexte : nous sommes toujours au coeur du "Dark Reign", et même si ce statu quo n'a pas produit toujours des étincelles, il sert ici habilement la situation d'outlaws des Nouveaux Vengeurs, qui sont réellement devenus des justiciers traqués par Osborn et sa clique. Même s'ils doivent encore une fois une partie de leur salut à des interventions extérieures (la réunion des Défenseurs, Hank Pym), dans la tradition de la série, cette fois, les Vengeurs se vengent réellement de leur persécuteur dans un final à double détente (l'assaut du camp Hammond et de l'héliporteur, la destruction de la résidence secondaire d'Osborn) et ne sont plus des héros contraints à la retraite. L'équipe est devenu plus pro-active (même si cela lui joue des tours - cf. le piège de Times Square) et cela prépare son rôle dans l'event Siege où il s'agira vraiment de stopper Osborn...
Les puristes ont tiqué devant l'attitude de Clint Barton, déterminé à tuer Norman Osborn, alors qu'il a toujours défendu le fameux "no kill" des Vengeurs (notamment lorsque Mockingbird tua le Phantom Rider dans la série West Coast Avengers). Mais c'est refuser d'admettre que le personnage a considérablement enduré depuis l'arc Disassembled de Bendis où il a été tué par la Sorcière Rouge, puis ressucité par la même lors du cross House of M, puis dépossédé de son identité d'Hawkeye avec le "Dark Reign" : ce n'est plus le même homme, mais un desperado en colère, qui a été durement ébranlé (retour d'entre les morts, liaison éphémère avec Maya Lopez/Echo, mort de Captain America - le seul héros qu'il respectait vraiment -, retrouvailles avec Bobbi Morse/Mockingbird).
Powerloss offre son lot de satisfactions, parmi les plus notables depuis le début de la série, avec des séquences jubilatoires - Mockingbird vs les Démolisseurs, Spidey infligeant une correction express à Iron Patriot, Captain America face à Arès, l'assemblée de la "Luke Cage family", l'hommage à L'aventure intérieure avec Pym). Plus des scènes bien senties, formidablement dialoguées entre tendresse et tension (Jessica Jones apprenant à Spidey l'estime que lui porte Luke, Spidey débattant avec Clint, Mockingbird ironisant sur la liaison de Strange et l'Infirmière de Nuit...).
Et enfin, il y a cette sortie drôlissime à un moment tendu, quand Pym et Strange, miniaturisés, pénétrent le corps de Cage pour lui retirer le traceur greffé par Osborn : "C'est ouf. Tu as deux mecs en toi, dit Spidey. - Ne redis pas ça, répond Cage." Bien tristes ceux qui ne riront pas en lisant ça !


New Avengers : Annual 3 est écrit par Brian Michael Bendis et illustré par Mike Mayhew, publié par Marvel Comics en Février 2010.
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Faisant suite non pas à Powerloss mais à Dark Reign: The List - Avengers, un one-shot annexe écrit par Bendis et dessiné par Marko Djurdjevic, cet épisode "king-size" (38 pages) explique ce qu'il est advenu de Clint Barton après qu'il ait décidé d'assassiner, seul, Norman Osborn dans la Tour des Vengeurs. Mis en échec facilement, il est torturé, d'abord physiquement puis mentalement, pour qu'il donne l'adresse de la planque des Nouveaux Vengeurs.
Cependant, Mockingbird apprend où il est allé et sollicite de l'aide pour le sauver. Mais en l'absence des hommes de l'équipe, elle se résout à riposter avec les seules Ms Marvel, Spider-Woman et Jewel - Jessica Jones reprenant du service pour l'occasion.
Ces drôles de dames vont-elles réussir à sortir Clint Barton du pétrin ?
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En écartant les mâles du groupe, Bendis fait preuve de légèreté, mais s'offre une récréation féminine assez divertissante, bien que très inférieure aux précédents Annuals de la série (le meilleur restant le premier, avec le mariage de Luke Cage et Jessica Jones, dessiné par Olivier Coipel).
Le récit alterne, de manière classique, entre des scènes d'action mineures et d'autres où les dialogues dominent, avec plus de bonheur. Les dialogues, justement, sont la marque de fabrique de l'auteur et il s'amuse visiblement à s'autoparodier en faisant bavarder ses héroïnes ou les Dark Avengers tandis que le pauvre Clint est malmené avec sadisme (plus que tout autre, qui aime bien châtie bien, quand Bendis s'occupe de ce personnage).
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Les illustrations de Mike Mayhew - un dessin au crayon sur lequel a peint numériquement Andy Troy - sont inégales. Parfois, le résultat est très esthétique comme lorsqu'Hawkeye tente de s'échapper et revoit les moments les plus douloureux de sa carrière sous l'emprise de Mentallo. Mais parfois aussi, cela est terriblement statique et dessert l'action sous des effets informatiques franchement laids - la limite de l'hyper-réalisme mal maîtrisé (n'est pas Alex Ross qui veut).
Mayhew est de toute manière plus à son avantage dans les scènes calmes que dans les séquences plus spectaculaires où son style fige tout.
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Un annual assez décevant.

samedi 4 septembre 2010

Critiques 161 : REVUES VF SEPTEMBRE 2010

MARVEL ICONS 65 :
- Les Nouveaux Vengeurs 60 : Panne sèche (6).
La fin du 14 ème arc de la série annonce le crossover Siege, qui sera traduit en vf à partir du mois prochain dans une revue spéciale. Le dénouement de Powerloss synthétise en tout cas ce qu'a apporté Bendis au titre depuis cinq ans en mettant en scène une équipe de Vengeurs souvent en difficulté, comptant un des leurs dans une situation critique, et qui ne doit son salut qu'à l'intervention d'un invité-surprise. Mais, la révolte se profile et avec elle, on assiste à une évolution, celle d'un groupe de justiciers résolu à rendre coup pour coup à son adversaire.
Luke Cage libéré des griffes de Norman Osborn, le Dr Strange devine cependant vite que l'ennemi avait prévu cette possibilité et découvre qu'un traceur doublé d'une bombe a été greffé au coeur du héros. Pour l'ôter, il va falloir le concours d'un allié : Hank Pym, la Guêpe, leader des Puissants Vengeurs.
Osborn, qui croit enfin tenir le moyen de capturer les fugitifs, va avoir une mauvaise surprise... Mais cela va également le décider à déclencher de nouvelles hostilités, en prenant des mesures encore plus radicales !
Brian Michael Bendis rend hommage à ce classique du fantastique qu'est L'Aventure Intérieure dans ce chapitre, mais il le fait avec son détachement coutumier, qui fait sourire ses fans (exemple : Strange et Pym se glissent dans le corps de Cage, Spider-Man balance : - "C'est ouf. T'as deux mecs en toi. - Cage : - Ne redis pas ça.") et horripile les autres.
Et puisque ses héros s'appellent les Vengeurs, il leur offre une vengeance, explosive, à la mesure des tracas que leur fait subir Osborn.
La dernière image dit tout de la folie qui a (re)gagné ce dernier et va conduire aux évènements de Siege.
Stuart Immonen illustre l'épisode avec une aisance formidable : le soin qu'il apporte aux expressions, aux postures des personnages, la fluidité et le dynamisme de son découpage, tout est exemplaire et agrèable - et semble si simple, si évident.
La série a incroyablement gagné depuis son arrivée et son style complète impeccablement celui de Bendis.
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- Les Nouveaux Vengeurs : Girl Power (Annual 3).
Cet épisode "king-size"(38 pages) est le 3ème Annual de la série, à nouveau bizarrement édité par Panini - pour mémoire, le 1er l'avait été dans un HS de "Marvel Icons", le 2ème dans la revue avec le 37ème épisode (qu'il concluait), et celui-là fait est en fait l'épilogue de Dark Reign : La Liste - Les Nouveaux Vengeurs publié voici quatre mois dans un HS de la revue "Dark Reign" !
Petit rappel des faits : Clint Barton, excédé par les exactions d'Osborn, décide d'aller le tuer mais échoue et est fait prisonnier.
En apprenant par un billet qu'il lui a laissée ce qu'il va faire, Mockingbird, catastrophée, sonne le rappel des troupes, mais seules Ms Marvel, Spider-Woman et Jessica Jones sont là pour l'aider à sauver son compagnon...
Affublé d'un titre débile par Panini (Girl Power !... Pourquoi pas "Spice Girls" tant qu'on y est ?), ce nouvel Annual est dans la lignée de ses prédécesseurs, centré sur l'action, tournant autour de Vengeurs dans une situation exceptionnelle (après le mariage mouvementé de Luke Cage et Jessica Jones et l'attaque du manoir du Dr Strange par le gang de the Hood), en l'occurrence le couple formé par Bobbi Morse et Clint Barton.
Dommage que sa publication française ait été faîte en dépit du bon sens puisqu'on a vu Ronin libre et en bonne santé dans NA 60 juste avant et donc qu'on sait que Barton a été sauvé, ce qui tue tout suspense.
Néanmoins, avec son quartet de super-nanas, Bendis nous sert une histoire divertissante, rythmée, à défaut d'être mémorable.
Les illustrations sont signées par Mike Mayhew et Andy Troy : le traitement en couleurs directes donnent un résultat agréable, parfois un brin esthétisant et statique. Toutefois, il fallait à ce récit un artiste capable de dessiner les femmes et sur ce point, c'est réussi (même si leur rouge à lèvres est vraiment digne d'une pub pour les cosmétiques). Le découpage est classique mais offre quelques beaux plans.
Oui, tout cela est joli, manque un peu d'âme et de vie, mais bon, le traitement est atypique comme il se doit pour de genre d'épisode.
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- Iron Man 19 : Dans la ligne de mire (12 - conclusion).
Je ne vais pas m'acharner sur cette série à laquelle je reste hermétique (ou plutôt donc l'écriture et le dessin actuel me déplaisent définitivement).
Néanmoins, difficile de ne pas lire avec stupéfaction une scène comme celle où Maria Hill et la Veuve Noire, sur le point d'être arrêtées par les forces du HAMMER dans la tour des Vengeurs, convainc les soldats de les laisser filer avec ce dialogue édifiant :
- "Ecoutez. Vous êtes ou étiez du SHIELD et vous n'êtes plus que des clowns. Combien en ont assez d'obéir à un pourri et un assassin comme Norman Osborn ? Réfléchissez, les gars. Vous êtes avec qui ?"
Et les deux hors-la-loi s'en vont sans rencontrer de résistance !
Enorme... Comment se fait-il qu'aucun super-héros n'y ait pensé avant et dit aux méchants troufions d'Osborn : "Hé, les gars , rappelez-vous qu'avant vous étiez des gentils, donc laissez-nous filer, merci." ? Sacré Matt Fraction !
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Bilan : un bon numéro avant l' "event" appelé à (encore) tout changer.
MARVEL ICONS HORS-SERIE 18 :
- Captain America : Renaissance (4,5 & 6/6).
Suite et fin de la saga annonçant le retour de Steve Rogers, et une question : le dénouement de l'aventure allait être à la hauteur de l'attente, après un début un peu décevant ? Ne faisons pas durer le suspense et répondons par l'affirmative : Ed Brubaker, Bryan Hitch et Butch Guice réussissent à boucler leur histoire avec brio.
L'esprit de Rogers dissocié de son corps et errant dans le passé et de possibles futurs, Crâne Rouge avec la complicité de sa fille Sin, de Crossbones, Arnim Zola, Norman Osborn et du Dr Fatalis cherche à occuper l'enveloppe charnelle de son ennemi. Mais les alliés du vengeur étoilé - Bucky Barnes, la Veuve Noire, Hank Pym, la Vision, Clint Barton, le Faucon - s'emploient à contrarier ce plan maléfique dont Sharon Carter est la clé : en effet, la jeune femme, manipulée mentalement, a cru avoir tué son amant mais va découvrir qu'elle peut lui permettre de renaître...
Les trois premiers volets du récit de Brubaker mettaient l'accent, un peu trop longuement et pesamment, sur l'errance de l'esprit de son héros, condamné à revivre les épisodes marquants de son passé - autant de moments bien connus des fans et sur lesquels s'était déjà appuyé le scénariste dans la série consacrée à Captain America.
Le résultat donnait le sentiment de faire du surplace, de proposer du déjà-vu, baignant dans des ingrédients s.f. eux aussi manquant d'originalité (comme le transfert de personnalité). Ne restait, même si c'était déjà pas si mal, des illustrations de grande classe.
Avec ces trois chapitres-ci, l'action s'accélère et le spectacle prend de l'ampleur, en même temps que l'ambition du projet s'éclaire : Brubaker semble utiliser le plan de Crâne Rouge comme une métaphore où le criminel nazi, ayant vu le IIIè Reich échouer à dominer le monde durant la 2nde guerre mondiale, veut occuper le corps de son soldat le plus emblématique comme on occupe un pays pour l'asservir. L'idée est vicieuse et très bien trouvée et traitée.
En outre, ce qui était suggéré dans les chapitres précédents est ici confirmé : Brubaker a écrit autant l'histoire du retour de Steve Rogers qu'une histoire des Vengeurs en mettant vraiment en scène une équipe dont tous les membres ont un lien historique et affectif particulier avec Rogers - Bucky, la Veuve Noire, Hank Pym, le Faucon, la Vision, Clint Barton : tous ont été des partenaires fétiches du héros. On pourra presque s'étonner que pour sa future série (Secret Avengers) il n'ait pas voulu (à moins qu'il n'ait pas pu) prolonger l'existence de ce groupe...
L'intrigue se déroule crescendo, les deux niveaux narratifs n'en faisant plus qu'un lorsque Steve Rogers réintègre son corps et que les héros affrontent un Crâne Rouge géant devant le Capitole dans une bataille délirante mais jubilatoire au milieu de cadavres de Modoks, mutilant Sin, terrassant Crossbones.
La fin montre cependant un visage équivoque car Rogers a cru voir son futur (peu réjouissant), ce qui va le conduire à un choix surprenant, et par ailleurs renvoie Osborn à un nouvel et cuisant échec - avec les épisodes des Nouveaux Vengeurs dans Marvel Icons 65, ces évènements convergent tous vers le crossover Siege.
Graphiquement, le tandem formé par Bryan Hitch et Butch Guice confirme tout le bien déjà énoncé dans les précédents volets : la démesure de Hitch retrouve les cîmes auxquelles il nous avait habitués avec Ultimates et l'apport de Guice est particulièrement notable dans le soin apporté aux finitions.
Le mélange des styles des deux artistes produit des effets parfois étonnants où la "patte" de l'un domine l'autre puis inversement : Hitch a un sens du spectacle sur lequel se greffe le trait plus nerveux de Guice. C'est un peu comme si Neal Adams était mixé avec John Holdaway. Mais si c'est quelquefois déroutant, c'est toujours impressionnant et l'on sait que sans eux, cette mini-série n'aurait pas la même allure.
- Captain America : Qui portera le bouclier ?
Bien que Panini ne propose pas, comme il l'avait plus ou moins promis, les doubles couvertures réalisées par Hitch et Guice pour Reborn en bonus, on ne boude pas son plaisir en lisant, en guise d'épilogue, cet extra écrit par Brubaker et co-illustré par Guice et Luke Ross (12 pages chacun) où, sans spoiler personne, on assiste au passage de flambeau (ou plutôt de bouclier) officiel entre le Captain America originel et son successeur, Bucky.
C'est surtout l'occasion de profiter de très belles planches (car ce récit aurait pu être expédié en moitié moins de pages), en particulier de la part de Ross qui s'amuse à donner à Sharon Carter le visage de Faye Dunaway - ainsi qu'une scène avec Obama, réhabilitant le héros.
Bilan : ce hors-série est non seulement fortement conseillé pour comprendre le retour de Cap, mais aussi pour son efficacité narrative et sa force visuelle - une vraie réussite.
DARK REIGN SAGA 4 : SIEGE PROLOGUE.
- Siege : La Cabale.
Afin de préparer le terrain pour l'imminente parution en vf du crossover Siege, Panini publie donc ce nouvel exemplaire du trimestriel Dark Reign Saga, qui ne contient même pas 48 pages mais coûte 4,20 E - plus cher qu'un titre Ultimate pour moins de pages donc... N'aurait-il pas été plus judicieux de proposer le récit principal de cette revue dans le n°1 du mensuel Siege, avec le premier volet de l'event et de Siege : Embedded, pour un prix supérieur ? Non, car tous les moyens sont bons pour faire quelques profits, même si c'est avec des choix éditoriaux ineptes !
Siege : La Cabale boucle la boucle entamée Dark Reign : La Cabale (paru dans le n°1 de la revue Dark Reign, en Octobre 2009) et sert à la fois de mise au point et de bilan pour Norman Osborn et son gang de conspirateurs. Leur alliance a, comme on pouvait s'y attendre, volé en éclats : Emma Frost et Namor ont trahi le nouveau super-flic de l'Amérique, Loki a fait don en douce à The Hood de nouveaux pouvoirs, le Maître de Corvée (administrateur du Camp Hammond) a rejoint la table des discussions, et Fatalis défie son partenaire...
Dark Reign : La Cabale m'avait laissé un sentiment de déception tenace : remake de la première réunion des Illuminati, écrit par un Brian Michael Bendis peu inspiré et surtout affreusement dessiné par un Alex Maleev méconnaissable, cet épisode avait lancé une période (le fameux règne du mal) qui ne m'a pas emballé en surenchérissant sur la situation de crise dans la communauté méta-humaine établie depuis le brillant Civil War.
A présent que se profile l'heure des comptes et une nouvelle ére pour le Marvelverse, ce prologue à Siege n'a rien d'indispensable, mais demeure cependant bien mieux ouvragé. Tout d'abord, Bendis signe un échange très réussi entre Fatalis et Osborn, tendu à souhait, où le roi de Latvèrie méduse son interlocuteur en même temps qu'il le précipite encore plus dans les griffes du fourbe Loki. Ne serait-ce d'ailleurs pas lui qui, dans la superbe scène d'ouverture, inspire à Osborn ce qu'il projette, plutôt que la voix du Bouffon Vert qui le hante depuis qu'il a dirigé les Thunderbolts (durant le run aussi bref qu'épique de Warren Ellis sur le titre) ? En tout cas, à la fin de ce prologue, le choix d'Osborn apparaît clairement expliqué et annonce une saga prometteuse (d'autant qu'elle ne comptera que quatre actes).
Illustré par le tandem Michael Lark-Stefano Gaudiano, qui m'avait enthousiasmé sur Gotham Central et Daredevil, cet épisode est visuellement magnifique, et j'espère que ce duo d'artistes retrouvera vite une série régulière.
- Siège : Origines (1 & 2).
En cinq vignettes, le temps d'une planche, le scénariste Fred Van Lente nous fait réviser nos classiques en résumant de manière enlevée le passé des futurs protagonistes de Siege : des héros comme les deux Captain America, Spider-Man, les Fantastic Four, Wolverine, et des vilains comme le Bouffon Vert, Loki, Dr Fatalis, The Hood, Arès, Sentry, nous sont (re)présentés.
Rien de nouveau sous le soleil pour le connaisseur, mais de bons dessinateurs mis à contribution comme Steve Epting, John Romita Jr, Dale Eaglesham...
Du remplissage, donc. Mais agrèable à regarder.
- Siege : Préparatifs.
Vous aviez oublié le nom des Neuf Mondes selon la mythologie nordique ? Bendis vous offre cette séance de rattrapage de Alfheim à Asgard en passant par Midgard (la Terre).
Si vous n'aimez pas les peintures de Lucio Parrillo (comme moi), vous avez le droit de zapper.
Bilan : vous avez tout lu ? Très bien. Vous êtes donc fin prêts pour Siege et la fin attendue du "Dark Reign". ULTIMATE AVENGERS 3 :
- Ultimate Avengers : La Jeune Génération (5 & 6/6).
Suite et fin du premier arc de Mark Millar et Carlos Pacheco, ces deux épisodes sont dominés par l'action : Crâne Rouge en possession du Cube Cosmique affrontent en Alaska les Vengeurs récemment formés par Nick Fury et Gregory Stark. Le père du criminel qui n'est autre que Captain America, précédemment arrêté par le SHIELD, va-t-il avoir son mot à dire ? Et qui a engagé Crâne Rouge depuis le début de cette histoire ? C'est l'heure des explications et elles vont être musclées !
Je me souviens que, lorsque j'étais ado et que je découvrai les comics super-héroïques, j'étais frappé par ce que j'apprendrai plus tard par formuler comme un mélange de mélodrame et d'action. La prédominance des bagarres et les sentiments exacerbés des protagonistes donnaient à ces lectures une saveur unique en plus des costumes bariolés, des machines fantastiques, des situations primitives où les gentils étaient de vrais braves et les méchants des gens sinistres qu'on voulait voir terrassés.
Aujoud'hui, tout cela a évolué et dans sa ligne "Ultimate", Marvel, en même temps que sont redéfinis ses personnages iconiques, a permis à un auteur comme Mark Millar de bousculer les codes du genre en les violentant. Cela trouve une sorte d'aboutissement avec ses Ultimate Avengers composés de justiciers à la solde du contre-espionnage américain et qui sont tous des tueurs aussi impitoyables que leur ennemi. On peut considérer cette approche comme une perversion ou comme une parodie (je penche pour la seconde hypothèse).
Ce mix de mélodrame et d'action culmine dans ces deux derniers chapitres dans lesquels on assiste à une longue bataille à l'issue incertaine, entre des héros "bad-ass " apprenant sur le tas à bosser ensemble et un méchant en possession d'une arme lui permettant d'exercer son sadisme sur eux. Crâne Rouge s'amuse à faire souffrir ses assaillants alors qu'il pourrait les abattre sans effort et c'est un instant de distraction qui lui sera fatal.
Millar est excellent à ce jeu-là : avec une équipe réduite de Vengeurs et un seul adversaire, comme dans les épisodes 3 et 4, il peut tenir 40 pages sans vous ennuyer, et même sans dialogue, son récit serait compréhensible. Paradoxalement, c'est quand, sur la fin, il nous impose une explication sur les mobiles de Crâne Rouge (digne d'un piètre soap) qu'il nous perd, en justifiant les actes de son affreux méchant il lui ôte une bonne partie de son ignominie... Et du plaisir qu'on a pris à sa défaite.
Carlos Pacheco rend une copie d'une efficacité indéniable, au découpage certes sommaire mais compensé par de la variété dans la composition des images, le dynamisme dans l'enchaînement des vignettes et des planches. On ne met pas beaucoup de temps à lire ça ? Tant mieux : cela prouve que le dessinateur nous a motivé à tourner les pages et c'est ce qu'il faut pour ce type d'histoire. On regrettera juste qu'il ait dû être encré par des partenaires peu inspirés et trop divers (même si Dexter Vines et Tom Palmer s'en sortent bien).
Bilan : un très bon moment. Maintenant, rendez-vous dans deux mois avec une nouvelle aventure et un nouvel artiste (Leinil Yu).