samedi 31 juillet 2021

ETERNALS #6, de Kieron Gillen et Esad Ribic


Avec ce sixième épisode se conclut le premier arc de Eternals, écrit par Kieron Gillen et dessiné par Esad Ribic. Un final qui ne déçoit pas, au contraire car ce qu'on y apprend nous cueille complètement. Pour une relance, c'est un coup de maître, qui redéfinit les personnages et leur nature même. Maintenant, il faudra s'armer de patience pour la suite car on ne connaît pas la date de sortie du prochain numéro.


Ikaris, Gilgamesh, Thena, Kingo et Sersi gagnent le coeur de la Machine pour appréhender Phastos qu'ils savent désormais responsable de son sabotage. Mais ils sont attendus apr Thanos qui engage le combat. Sersi use alors de ses pouvoirs sur la matière pour raisonner le titan fou.


Phastos tente, lui, de reprendre le contrôle de la Machine mais il en est incapable, elle est en train de s'auto-détruire, menaçant la Terre toute entière. Dans un parc, Sprite marche aux côtés de Toby Robson lorsque des éclairs déchirent le sol.


Ikaris vient en aide à Phastos pour tenter de maîtriser la Machine et n'hésite pas à se sacrifier pour empêcher sa destruction. Phastos est maîtrisé par les autres Eternels et explique alors les raisons de ses actes récents, tandis que Thanos est fait prisonnier dans une boucle.


Il a découvert, après sa dernière résurrection, que pour chacune de leur renaissance un humain mourait. Ikaris revient en même temps que Toby Robson s'éteint. Devant Zuras, lui aussi revenu, le groupe renonce à invoquer le Grand Esprit pour corriger cela car il leur laverait le cerveau pour qu'ils oublient.

C'est une étrange impression qui reste à la fin de la lecture de Eternals #6 : en effet, à l'heure qu'il est, Marvel n'a toujours pas communiqué sur la date de sortie du septième numéro, le titre est absent des sollicitations de Novembre comme avant cela de Octobre (si on excepte le fait que sera publié ce mosi-ci un one-shot, sous titré Celestia, où Ajak et Makkari rencontreront les Avengers préhistoriques de Jason Aaron, sur une scénario de Kieron Gillen et des dessins de Kei Zaima).

Pourtant, la série va continuer car le film de Chloe Zhao sera en salles le 5 Novembre 2021 (en France) et on imagine mal Marvel tout arrêter alors que long métrage va redonner un coup de projecteur sur le comic-book.

Mais il est aussi certain que ce premier arc s'impose comme un jalon, la volonté de son scénariste est claire : il a voulu frapper un grand coup et redéfinir la nature même des personnages avec une révélation choc. Avant d'en arriver là, l'épisode nous gratifie d'une belle bagarre entre Thanos et quelques Eternels - Kingo, Gilgamesh, Thena, Ikaris et Sersi.

A cette occasion, Esad Ribic lâche les chevaux : la technique toujours impressionnante de ce dessinateur classique confère une vraie puissance à cette bataille. Chacun y va à fond, et quand Sersi sort son joker, inspirée par un souvenir avec She-Hulk, l'effet est saisissant. On voit alors Thanos en proie à un assaut effrayant, après l'avoir vu, dans les deux premières pages, sur une table d'opération dans les mains de Phastos. Attention ! Âmes sensibles s'abstenir.

Kieron Gillen imprime un rythme soutenu à l'épisode et une démesure à chaque scène : les manipulations de Phastos sur la Machine mettent en danger la Terre entière et si on peut regretter que le script n'ait pas développé davantage cet aspect (quitte à rajouter un épisode de plus à l'arc), visuellement là encore, Ribic et Matt Wilson, pour les couleurs, en mettent plein la vue. Le sauvetage sacrificiel d'Ikaris a une vraie beauté tragique dans la fournaise de cette ingénierie affolante.

Et puis, enfin, Gillen conclut son premier récit et là, il nous cloue le bec avec un twist aussi imprévisible que déchirant et tragique. Pourquoi Phastos a-t-il oeuvré avec Thanos pour saboter la Machine et tuer des Eternels ? Le personnage n'est pas un meurtrier, c'est d'ailleurs pour cela qu'il a utilisé Thanos pour accomplir le sale boulot. Mais quel était son mobile ? Et quelles seront les conséquences de ses actes ?

La réponse est une leçon de narration car Gillen résoud non seulment ce mystère mais aussi celui qui entourait le cas de Toby Robson, ce jeune garçon ordinaire qui préoccupait tant Ikaris sans que lui ou le lecteur sachent pourquoi. Le fait de lier les résurrections des Eternels à la mort des humains est une astuce bouleversante car elle ébranle autant les héros que le lecteur. Le procédé tranche avec, par exemple, les résurrections actuelles des mutants sur Krakoa grâce aux efforts conjugés des Cinq et de Cerebro : elle est beaucoup plus organique et accablante.

Mais Gillen ne s'arrête pas là car les Eternels, parmi leurs pouvoirs, ont celui de communier pour invoquer le Grand Esprit (Uni-Mind en vo). Lui seul pourrait remédier à cette aberration. Mais Sersi sait que cela serait vain car le Grand Esprit ne corrigera rien, sinon laver le cerveau des Eternels pour qu'ils oublient leur requête et le fait que, pour qu'ils renaissent, des humains doivent mourir. C'est la voie des Eternels, leur destink leur malédiction.

L'intensité expressive des dessins de Ribic dans ces moments est aussi impressionnante que lors des scènes d'action et de grand spectacle. La façon dont il découpe la scène de la résurrection d'Ikaris et celle, aussitôt après, du décès de Toby Robson est redoutablement efficace. Tout comme quand il aligne sur un strip les visages ahuris par la révélation de Phastos ou la case occupant toute la largeur de la bande pour cadrer l'abattement de Thena après l'explication de Sersi sur ce que ferait le Grand Esprit.

On termine ce premier arc et ce sixième épisode un peu sans dessus-dessous. Il est rare qu'on soit cueilli par un comic-book de cette manière, sans avoir rien vu venir. Mais cela prouve que Marvel a eu raison de faire confiance à Kieron Gillen et Esad Ribic, de leur laisser aussi du temps pour produire leurs épisodes, quitte à ne pas coller à une périodicité mensuelle. Quand la série reviendra, espérons que l'éditeur sera toujours dans ses bonnes dispositions, et que ses auteurs seront toujours aussi inspirés (mais sur ce second point, je suis confiant). 

vendredi 30 juillet 2021

STRANGE ADVENTURES #11, de Tom King, Mitch Gerads et Evan Shaner



C'est le pénultième épisode de Strange Adventures et son équipe créative avait prévenu sur Twitter que nous n'étions pas prêts. C'est exact : je m'attendais à quelque chose de prévisible et le dénouement m'a complètement cueilli. Visuellement, c'est aussi superbe, même si les planches de Mitch Gerads éclipsent quelque peu celles d'Evan Shaner. Tom King va conclure son récit en Septembre sans que ses lecteurs sachent à quoi s'attendre.


Les conclusions de l'enquête de Mr. Terrific ont profondément remué Alanna Strange et elle confronte Adam. Il avoue qu'il a effectivement livré la Terre aux Pykkt pour sauver Rann mais aussi parce qu'ils tiennent Aleea en otage sur Mars.


Sur Rann, à la fin de la guerre, Alanna et Adam échouent en territoire Moorm. Ceux-ci n'apprécient pas leur présence mais savent que ce que la planète doit à Adam et ils lui indiquent un dernier bastion Pykkt non loin dont ils veulent être débarrassé.


Adam et Alanna se rendent sur place avec les Moorm et obtiennent la réddition des soldats Pykkt. Mais ceux-ci sont piègés et livrés aux Moorm qui les tuent et les dévorent. POur ce service rendu, les Moorm autorisent les Strange à passer la nuit sur leurs terres.


Le ton monte entre Alanna et Adam quand elle déclare vouloir faire appel à la Justice League pour qu'elle aille libérer Aleea sur Mars. Adam dégaine son pistolet. Alanna tente de le désarmer. Un coup part...

Si on veut aller à l'essentiel, alors il suffirait de s'en tenir à la toute dernière page de ce pénultième épisode, tout à fait inattendue et dramatique. Mais ce serait vous spoiler une énorme surprise, un coup de théâtre imprévisible, et je ne peux m'y résoudre.

Il y a deux mois, à la fin du dixième épisode, j'anticipai sur ce que contiendraient les deux derniers chapitres de Strange Adventures, mais j'étais loin de me douter que Tom King allait me surprendre comme il l'a fait; C'était impossible d'imaginer ce qu'il avait dans son jeu.

Strange Adventures, je l'ai souvent écrit, m'a paru un peu trop long. Tom King a pris l'habitude de construire ses mini-séries en douze chapitres, un format qui lui convient et qui a fait le succès de Mister Miracle ou actuellement de son excellent Rorschach. Ce sera encore la durée de The Human Target qui débutera cet Automne. Mais on voit aussi que le scénariste peut faire preuve de souplesse en adaptant son travail comme c'est le cas avec Supergirl : Woman of Tomorrow (huit numéros). Quand il s'entête en revanche, plutôt bêtement, cela donne Batman/Catwoman, une histoire vraiment conçue pour être appréciée d'un seul bloc et qui souffre d'énormes retards qui gâchent le plaisir (et conduisent à remplacer ponctuellement d'artiste).

Il me semble que Strange Adventures aurait gagné à être plus resserré, en dix épisodes peut-être. Mais il faut aussi reconnaître que, contrairement à beaucoup de ses confrères, si King décompresse un peu trop et cède parfois au verbiage, il sait finir ses histoires en beauté, en laissant le lecteur sidéré. Et ce onzième épisode en est une nouvelle preuve.

Ce défaut structurel de Strange Adventures tient essentiellement au fait que King a expérimenté une narration à deux niveaux soulignée par l'emploi de deux artistes, s'occupant chacun d'une ligne temporelle différente. Si, au commencement, ce dispositif fonctionnait très bien et était bien équilibré, chacun des dessinateurs profitant de scènes fortes en égales proportions, à la longue c'était moins concluant, au point qu'aujourd'hui les flashbacks sur Rann ont beaucoup moins d'impact que les scènes au présent sur Terre. De façon assez ingrate, Evan Shaner se trouve éclipsé par Mitch Gerads à qui reviennent des moments plus forts, plus chargés.

C'est encore une fois le cas cette fois tant la confrontation entre Alanna et Adam Strange passionne bien plus qu'un énième segment sur Rann à la fin de la guerre contre les Pykkt. Shaner ne démérite pas : il créé un design saisissant pour les Moorm, sortes de grands hibous cendrés, énigmatiques et brutaux, dans un décor enneigé, superbe. Mais, soyons lucides, si l'épisode n'avait pas comporté les pages de Shaner, il aurait été encore plus puissant, plus intense. Cest terrible à dire, mais je crois que c'est juste.

Car le climax de l'épisode tient dans le dialogue entre Alanna et Adam : Alanna, dans l'épisode précédent, a reçu les conclusions de l'enquête de Mr. Terrific au sujet des crimes de guerre dont a été accusé Adam. La disparition de leur fille durant le conflit contre les Pykkt sur Rann est lié aux atrocités commises par son époux. L'argumentation de Michael Holt était implacable, en tout cas assez pour que Alanna, soutien jusqu'alors inconditionnel d'Adam, décide de mettre ce dernier dos au mur.

King et Mitch Gerads rendent cet échange incroyablement électrique, ne levant jamais le pied, acculant Adam Strange comme le lecteur, les poussant dans les cordes. Ce n'est pas une banale scène de ménage, mais un interrogatoire et des aveux, puis des justifications. Ce qui est prononcé par Adam est écoeurant et pathétique. Il a vendu la Terre aux Pykkt qui tiennent sa fille en otage pour sauver Rann en faisant croire aux habitants de cette planète qu'il avait, à lui seul (quasiment), eu raison des envahisseurs barbares. Acquis à leur chef de guerre, les ranniens n'ont reculé devant aucune manoeuvre pour commettre des massacres, en utilisant des armes affreuses. Mais c'est bien la compromission de Adam qui dégoûte le plus.

A n'en pas douter, certains lecteurs reprocheront à King d'avoir démoli patiemment Adam Strange. En même temps, Strange Adventures étant publié sous la bannière du Black Label, cela en fait une série hors continuité, qui épargne le personnage pour ses futures apparitions dans des séries DC classiques. King s'est surtout servi de Adam Strange pour communiquer sur la réalité de la guerre, le fait qu'il n'y a pas de guerre propre, honorable. Les vainqueurs gagnent toujours par des moyens compromettants. Il n'y a pas de "belle guerre". Et donc plus largement, il n'y a pas non plus de héros vraiment complètement héroiques, nobles. En temps de guerre, on ne peut l'emporter qu'en se salissant les mains. 

Les comics, super-héroïques, glorifient la notion de héros pour nous présenter des surhommes dont les pouvoirs leur permettent de vaincre le Mal sans se comporter en sauvages ou en criminels. C'est le fondement même du héros de comics : s'il s'abaisse à utiliser les mêmes armes et tactiques que l'adversaire, il ne vaut pas mieux que lui. Mais ce n'est pas réaliste et nous le savons, nous l'acceptons. C'est l'avantage du surhomme : au-delà de ses talents spéciaux, il gagne noblement, de manière irréaliste, et c'est ce qui nous le rend sympathique, admirable, fascinant.

Seulement qu'en est-il quand il s'agit d'un héros qui n'a ni super-pouvoir, ni donc le choix des armes ? C'est ce à quoi répond Strange Adventures en nous montrant à quelles bassesses s'est résigné Adam Strange. Il a quelques circonstances atténuantes bien sûr : fait prisonnier, torturé, contraint par l'ennemi qui tient sa fille, il s'est compromis en pensant sauver l'essentiel. Mais cela ne pèse pas lourd au regard de ce qu'il a accepté pour sauver Rann, sa famille. C'est un héros déplorable, méprisable, non pas tant parce qu'il a abdiqué tout honneur, mais parce qu'il a vraiment cru bien faire, qu'il a cru qu'on lui serait reconnaissant. Et finalement, la colère de King s'exprime à travers Alanna qui n'admet pas ce qu'a fait son mari, parce qu'il la trompé aussi, en lui faisant croire à la mort de leur fille, à la noblesse de leur combat, de leur stratégie. Il l'a compromise aussi.

Oui, vraiment, on n'était pas prêt. Et on est totalement incapable de prévoir comment va se terminer la série désormais. C'est un coup de force. Et c'est ce qui assurera certainement à Strange Adventures, malgré ses hauts et ses bas, une belle place dans la bibliographie de son scénariste et de ses artistes.

jeudi 29 juillet 2021

S.W.O.R.D. #7, de Al Ewing et Stefano Caselli


Ce septième épisode de S.W.O.R.D. fait partie d'un crossover avec Guardians of the Galaxy, autre série écrite par Al Ewing, et intitulé The Last Annihilation. Mais le scénariste ne ment pas quand il assure que ce chapitre peut se comprendre sans avoir lu ce qui le précéde. Encore une fois, Ewing fait preuve d'une intelligence dans l'écriture exceptionnelle, et positionne SWORD comme un titre au carrefour de diverses franchises. Valerio Schiti parti, c'est Stefano Caselli qui officie au dessin, sans qu'on perde au change.


Dormammu a pris possession d'Ego la planète vivante pour en faire sa base arrière. Les Incérébrés y lancent une série d'assauts contre l'Alliance Kree/Skrull et Hulkling, l'empereur des deux peuples, doit rappeler en renfort Captain Glory lorsque Hala est attaquée.
 

Cependant sur Arakko, le Dr. Fatalis dîne avec Tornade, régente de l'ancienne Mars. Il évoque rapidement le Mysterieum, ce métal qui a permis aux mutants d'acheter le conseil galactique, et qui a des propriétés magiques. Fatalis propose son aide pour l'exploiter à bon escient.


Les forces Kree/Skrull sont submergées par les Incérébrés. Abigail Brand, chef du SWORD, mène une équipe pour aller au secours de Hulkling et Manifold l'évacue avant un nouvel assaut des agents de Dormammu.


Excédée par l'arrogance de Fatalis, Tornade abrège brutalement leur dîner, arguant du fait que les mutants n'ont pas besoin de lui pour exploiter le Mysterium et encore moins pour juger de leur expansion galactique, malgré ses mises en gardes sur le déséquilibre politique provoqué par ls mutants.

Dès sont deuxième numéro, la série S.W.O.R.D. avait composé avec l'event King in Black écrit par Donny Cates. A cette époque, j'avais déploré qu'un titre aussi récemment lancé soit si vite impacté par une saga qui semblait bien loin de son propos. Mais la maestria avec laquelle son scénariste, Al Ewing, avait géré la chose forçait le respect.

Aujourd'hui, Ewing répéte l'opération mais de son propre fait : en effet, il s'est lancé dans un crossover entre deux séries qu'il écrit, et donc dont il contrôle la progression. Il s'agit de The Last Annihilation, qui concerne Guardians of the Galaxy et SWORD (plus un épisode spécial de Cable). Et encore une fois l'auteur démontre sa capacité à manager un projet pareil. Mais surtout à revenir sur ce qu'il avait mis en place il y a un an à la fin de l'event Empyre.

Tout d'abord, chose promise, chose dûe : Al Ewing a tenu à rassurer les lecteurs qui ne suivraient pas Guardians of the Galaxy que SWORD #7 serait compréhensible malgré tout, se suffirait à lui-même. Et c'est bien le cas. On est rapidement et clairement mis au courant du pitch de The Last Annihilation dans lesquel Dormammu et ses incérébrès (les Mindless Ones) ont colonisé Ego la planète vivante pour en faire leur base arrière. Ils attaquent de manière efficace et express plusieurs cibles (Shi'ar, Kree, Skrull, etc) grâce à des portails de téléportation magiques. Leurs assauts sont agressifs et imprévisibles.

Premier tour de force donc pour Ewing. Suivi d'un deuxième quand il dévoile une ruse terrible d'Abigail Brand : elle a intercepté l'appel au secours de l'Empereur Hukling lancé à Alpha Flight et aux Avengers. Pourquoi ? Parce que, pour gagner la confiance de l'Alliance Kree/Skrull et de leur règent, méfiant envers les mutants qui refusent leur pardon à sa mère, la Sorcière Rouge, et qui ignore que celle-ci vient d'être retrouvée morte après le Hellfire Gala, elle doit lui faire croire que Alpha Flight et Avengers ont délibérément ignoré son S.O.S.. En constatant que seul le SWORD a répondu présent, il leur sera naturellement reconnaissant ensuite.

Ewing fait ainsi de Brand l'égale en machiavélisme d'un Nick Fury de la grande époque (je parle du Nick Fury original et non de son fiston, imposé par Marvel pour que les spectateurs du MCU et les fans de comics aient affaire au même maître espion avec la tête de Samuel L. Jackson). La stratégie est sournoise mais particulièrement brillante. Si Brand ne veut pas dépendre de Krakoa pour mener son business, elle s'avère aussi implacable que les mutants en manoeuvrant ses partenaires. C'est, je trouve, particulièrement jubilatoire.

Trosième tour de force : lorsque Brand et son équipe arrive sur Hala pour exfilter Hulkling blessé, cela renvoie directement à la fin de Empyre : Aftermath Avengers lorsqu'on était projeté dans le futur et que l'Empereur terrassé par on-ne-sait-qui voyait le SWORD débarquer pour le sauver en déplorant que personne depuis la Terre ne soit venu l'aider. Ewing boucle la boucle, assez génialement. J'éai d'abord été étonné qu'il revienne à cette scène maintenant, car j'imaginai qu'il gardait cette cartouche pour plus tard, mais c'est brillant. En fait, SWORD n'est pas une série qui procède par arcs, de manière classique, mais par bonds : tout consiste à montrer comment Brand et son équipe règle des problèmes, scelle des alliances, tout en magouillant, en complotant, sans rien dire à personne, sans demander de permission. Chaque épisode est un pion de plus avancé sur l'échiquier dans une partie que conduit Brand, stratège hors-pair.

Mais l'épisode n'est pas que magistral sur ce plan car Ewing souligne que cette tactique ne fonctionne que tant que le Conseil de Krakoa ignore ses mouvements. En parallèle, une autre femme rebat les cartes : Tornade devenue la régente d'Arakko. Elle a accepté de recevoir sur Mars le Dr. Fatalis comme il l'exigeait et on assiste à nouveau à un morceau de bravoure narratif de la part de Ewing. Pour faire le lien avec les activités du SWORD, la question du Mysterium, ce métal ramené des confins du cosmos par l'équipe de Brand, devient le sujet de leur discussion autour d'un repas copieux.

Ewing connaît bien ses classiques et rappelle avec à-propos que Tornade et Fatalis ont une histoire en commun plutôt délicate : dans Uncanny X-Men #147, les X-Men étaient intervenus en Latvérie pour délivrer Arcade aux mains de Fatalis. Le souverain avait alors asservi Tornade de manière humiliante pour en faire son arme contre les X-Men. Aujourd'hui, il se défend en racontant que c'était un de ses Doombots qui était responsable - une manière de s'excuser sans le faire directement, en reportant la faute sur un autre. Fatalis tente d'amadouer Tornade en la flattant aussi (référence à son ex-statut de femme du roi T'challa. Black Panther, déesse devenue reine de Arakko). Tornade le défend de flirter, amusée mais pas dupe.

Puis Fatalis, comme toujours, s'enflamme : il a deviné les propriétés du Mystérium; leurs origines (magiques) et propose son expertise. Les mutants le remercieront plus tard. Tornade (et les mutants) ont toutefois beaucoup changé depuis deux ans (en temps éditorial) et Fatalis est renvoyé dans les cordes sans ménagement car il n'a aucune autorité. Qu'importe ses mises en garde concernant le déséquilibre des forces provoqué par les mutants, l'exploitation du Mystérium, les alliances galactiques - autant de préventions que, pourtant, Tornade et ses pairs devraient considérer car Fatalis, malgré ses défauts, est un politicien aguerri, au moins autant si ce n'est plus que les nouveaux dirigeants mutants... Tout ce dialogue entre Tornade et Fatalis est magistralement écrit et développé : c'est un régal à lire.

Restait l'interrogation de la partie graphique : Valerio Schiti, qui s'est beaucoup investi dans la série, a choisi de la quitter pour participer au prochain gros coup de Jonathan Hickman, Inferno. C'est un peu dommage car j'aurai adoré que Schiti s'installe durablement sur ce titre, mais en même temps on ne refuse pas de collaborer avec Hickman pour le futur virage de la franchise X, c'est aussi une preuve de la confiance placée en lui par le scénariste star et Marvel.

Toutefois, quand Stefano Caselli a été désigné pour lui succéder, l'appréhension a vite laissé la place au soulagement (même si les deux prochains n° devront se passer de lui puisque Hickman a confié à Caselli un chapitre de Inferno). L'artiste italien n'a pas besoin de s'échauffer pour s'installer dans le fauteuil de son compatriote sur le départ et comme l'histoire est riche en action, il met le bleu de chauffe.

Si la colorisation laisse parfois un peu à désirer, mangeant un peu trop l'encrage, Caselli livre une copie impeccable. Qu'il s'agisse de mettre en scène le dîner entre Fatalis et Tornade, au cours duquel, subtilement on sent la tension monter jusqu'à l'explosion, ou d'orchestrer les scènes de guerre sur Hala avec les Incérébrés et l'Alliance Kree/Skrull, on en prend plein les mirettes. C'est expressif, fluide, puissant. Nul doute que, quand il aura fait sa part d'Inferno, Caselli va s'imposer comme un partenaire irréprochable de Ewing.

SWORD gardera en tout cas cette patte italienne puisque Guiu Vilanova et Jacopo Camagni vont suppléer Caselli en Août et Septembre. Sous la direction ferme de Ewing, on peut rester confiant sur la qualité de la série, une des toutes meilleures de la franchise X et au-delà.

mardi 27 juillet 2021

BLOODY MILKSHAKE, de Navot Papushado


Si, comme moi, vous avez été déçu par Black Widow et que vous cherchez un bon film d'action avec des filles, qui ne se prend pas au sérieux, alors je vous conseille de voir Bloody Milkshake, une pure série B, jubilatoire. Co-écrit et réalisé par Navot Papushado, le long métrage évoque à la fois John Wick et le cinéma de Quentin Tarantino, tout en ayant sa propre personnalité - un petit exploit. Qui doit aussi beaucoup à ses vedettes féminines, Karen Gillan en tête.


Scarlet, une tueuse professionnelle, abandonne sa fille, Samantha, âgée de 12 ans, après avoir assovi une vengeance personnelle. La gamine est confiée à Nathan, cadre de la Firme, qui emploie des assassins à gages, et qui en fait une de ses meilleurs employées.


Mais, 15 ans plus tard, Samantha est à son tour compromise après un règlement de comptes. Nathan l'envoie descendre le comptable de la Firme qui a fui avec la caisse. Samantha s'arrête chez les Bibliothècaires, des anciennes collègues de sa mère, qui n'ont pas pardonné à celle-ci sa désertion, pour changer d'armes.


Samantha retrouve le comptable dans un motel et le blesse gravement en lui tirant dans l'estomac avant de comprendre qu'il a volé la Firme pour payer une rançon aux kidnappeurs de sa fille, Emily. Contre les ordres de Nathan elle décide de récupérer la fillette en payant ceux qui la retiennent avec l'argent de la Firme. Nathan envoie trois hommes de main intercepter Samantha.


Samantha se débarrasse des hommes de main de Nathan en leur infligeant une raclée puis remet la rançon aux kidnappeurs. Mais ceux-ci se disputent le magot et s'entretuent. L'argent part en fumée. Blessée, Samantha retourne à la clinique privée où elle a déposé le père d'Emily pour apprendre qu'il n'a pas survécu à sa blessure et que les hommes de main de Nathan sont dans une chambre voisine. Elle réussit à s'en débarrasser définitivement. Nathan, entretemps, s'est résolu à lâcher Samantha en la livrant au caïd Jim McAlester dont elle a tué le fils.


Pourchassées par le gang de McAlester, Samantha et Emily se rendent à la dernière adresse connue de Scarlet qui les entraîne chez les Bibliothècaires. L'endroit est bientôt pris d'assaut par le gang de McAlester et une fusillade éclate. Virgil, le neuveu de McAlester, réussit à tuer Madeline, une des Bibliothècaires, qui veillait sur Emily et enlève la fillette. 


Madeline est enterrée quand Samantha reçoit un appel de Jim McAlester à qui elle accepte de se rendre en échange de la vie sauve et la libération d'Emily. Mais c'est un piège car le caïd veut torturer Samantha devant la fillette. Il n'en aura pas l'occasion car Scarlet, Anna May et Florence surgissent et massacrent McAlester et ce qui lui reste d'hommes de main tandis que Samantha évacue Emily.


Pour s'assurer que la Firme ne les poursuivra pas, Samantha appelle Nathan en le menaçant de les tuer, lui et tous les cadres de l'organisation. La bande de filles peut filer profiter d'un repos bien mérité au soleil où Emily grandira au calme.

Gunpowder Milkshake, soit le milkshake à la poudre à canon, est le titre original et aussi éloquent de Bloody Milkshake - changer un titre anglais par un autre toujours en anglais, c'est franchement ridicule.

En tout cas, c'est un titre programmatique bien trouvé car il ne ment pas sur la marchandise. Comme je le disais en préambule, j'ai vu - et j'en ai parlé il y a peu - récemment Black Widow, et j'ai été déçu par ce film à message bien lourd déguisé en film d'action assez pataud. Un ratage qui montre bien que les bonnes intentions ne font pas toujours de bonnes histoires.

Black Widow voulait trop jouer la carte de l'action movie féministe pour ne pas enfoncer des portes ouvertes et s'empêtrer dans des scènes souvent grotesques pour dénoncer les violences machistes. Or, ce que prouve Bloody Milkshake, c'est qu'on peut très bien divertir en assumant une démarche féministe. A condition de ne pas placer la charrue avant les boeufs, c'est-à-dire en n'oubliant pas que l'histoire passe avant tout et que si elle est bien tournée, alors le message passera mieux.

Car, au fond, le film de Navot Papushado n'a évidemment rien d'un chef d'oeuvre mais il s'assume pour ce qu'il est : une série B qui ne cherche pas à dépasser son statut. Simplement, la différence ici, c'est que tout le projet est mis au service de son intrigue et de celles qui l'animent. En d'autres temps, le casting aurait été essentiellement masculin mais en choisissant de le faire interpréter par des femmes, le film gagne en originalité et acquiert une dimension féministe sans avoir besoin de souligner une ambition féministe puisqu'il l'est naturellement.

Il me semble que beaucoup d'actrices se trompent non pas de combat (car le machisme et ses dérives sont une plaie) mais de méthodes. Il en va de même pour le combat des "minorités éthniques". Que ce soit dans les comics ou le cinéma, les décideurs et les acteurs pensent qu'il faut communautariser leurs productions pour flatter ceux qu'ils espèrent toucher, autrement dit faire écrire, dessiner, réaliser, jouer des histoires par des noirs pour des noirs, par des femmes pour des femmes, etc. 

Outre que cela aboutit donc à un résultat communautariste qui ne résout rien (sinon à de l'entre-soi, où si on n'est pas noir, femme, etc, on n'a pas sa place), c'est grotesque et absurde car le talent ne se définit pas par la couleur de la peau ou le sexe : on peut très bien être un individu de couleur ou de l'autre sexe et être malgré tout incompétent ou dénué de talent pour signer un livre ou un film, même avec toute la bonne volonté du monde. Et puis, alors, si on pousse ce raisonnement jusqu'au bout, que penser des femmes qui dirigent des hommes dans leurs équipes techniques ou devant leur caméra ? Ou, comme Navot Papushado, des hommes qui filment des actrices ?

Ce qui est vraiment agréable avec Bloody Milkshake, c'est qu'on ne sent jamais qu'on regarde un film qui aurait été réécrit pour des femmes par un homme. Cette histoire ne fonctionne vraiment que parce que des femmes en sont les héroïnes, c'est ce qui donne sa singularité au projet. Et avec son co-scénariste, Ehud Lavski, Papushado n'a pas à se forcer pour filmer ça. Il s'en amuse même, comme en témoignent plusieurs scènes, telles que celle où Samantha et Emily échappent aux hommes de McAlester au volant d'une voiture dont la gamine tient le volant (pour des raisons que je ne spoilerai pas, mais qui sont irrésistibles) ou l'emploi du costume des serveuses endossé par les tueuses dans la fusillade finale dans le dinner (une manière habile et marrante de renverser le rapport de force - les serveuses ici servent de sacrés pruneaux !).

Une autre leçon, un peu plus technique, que livre Bloody Milkshake concerne son montage : Papushado ne cède jamais à un cut effréné qui découpe trop les scènes et les empêche de se déployer pleinement et efficacement, comme c'est parfois le tort des films d'action. Pourtant, le film ne dépasse pas les deux heures, et ça aussi, ça fait du bien à l'heure où beaucoup de longs métrage de genre sont inutilement longs.

Et donc, il y a le casting. Pas de vedettes issues de la A-list de Hollywood dans ce film qu'on devine au budget modeste (mais bien exploité). Mais des actrices solides, parfaitement choisies. Dans des seconds rôles marquants, le trio composé par Michelle Yeoh, Angela Bassett et Carla Gugino fait des étincelles, en plus de montrer des femmes d'âge mûr sans en faire des vieilles pistoleras. C'est important quand on sait que l'industrie n'est pas tendre avec les comédiennes passées un certain âge, les cantonnant à des rôles de mère, de grand-mère. 

Mais Bloody Milkshake peut surtout se reposer sur un autre trio, en verve, avec Lena Hadey (la Cersei Lannister de Game of Thrones), d'une classe inusable ; la jeune Chloe Coleman (excellente de bout en bout, à des lieues de la fillette mièvre) ; et de Karen Gillan (Nebula dans Guardians of the Galaxy), impeccable en tueuse sensible mais résolue. On adore ces trois nanas, bien plus drôles et pêchues que Florence Pugh-Scarlet Johansson-Rachel Weisz dans Black Widow.

Un popcorn movie qui n'a pas honte, et n'a pas à avoir honte, car il est bien fait. La fin laisse même la porte ouverte à une suite, car il y a de matière pour une franchise et que j'aimerai bien revoir ces Bibliothècaires.

lundi 26 juillet 2021

DES NOUVELLES NOUVELLES TOUTES FRAÎCHES

C'est Lundi, le jour des News comics. Et Il y a à boire et à manger cette semaine. Les éditeurs ne prennent pas de vacances, il faut faire tourner la machine et prévoir les sorties de l'Automne. Donc, allons-y gaiement sans tarder !

*

DAVE COCKRUM :


Disparu en Novembre 2006, Dave Cockrum a été le héros de mon enfance et de mon adolescence quand j'ai commencé à découvrir les comics de super-héros, au premier rang desquels ceux qu'on appelait en France, dans la revue Special Strange, Les Etranges X-Men, dont il fut l'un des créateurs. Je parle ici de la seconde génération, lancée par Len Wein en 1975, mais dont le dessinateur conçu tous les designs et une partie de la caractérisation.
Si le dessin de Cockrum a plus ou moins bien vieilli - je le préfère quand il s'encrait lui-même - , en revanche ses designs restent une référence absolue, pour les fans comme pour les autres artistes. Cockrum, ce sont les épaules pointues, les bottes retournées, les couleurs vives, les coupes près du corps, et souvent l'absence de masque. Songez qu'il voulait se débarrasser de Wolverine car il préférait Diablo (son personnage fêtiche, dont il n'a jamais admis qu'on en fasse un curaillon par la suite puisque lui l'avait imaginé comme un pirate) : la face de l'histoire des comics Marvel en eût été changé à jamais...


Cockrum et les X-Men resteront à jamais associés, même si je vous engage aussi à lire Les Justiciers du Futur (Futurians) ou Starjammers, par exemple. Mais pourquoi je vous parle de Cockrum cette semaine ? Hé bien, d'abord parce que ça ne fait jamais de mal de se rappeler ce grand homme. Mais surtout parce qu'a eu lieu la remise des Eisner Awards et qu'à cette occasion Dave Cockrum a été honoré en entrant dans le Eisner Hall of Fame, l'équivalent du Rock'n'Roll Hall of Fame pour les comics, une manière de reconnaître son impact artistique dans l'industrie.
Il état temps, mais réjouissons-nous de l'initiative. Et que Cockrum inspire les dessinateurs et scénaristes par-delà les temps comme il a enchanté tant de fans.

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DC COMICS :


La semaine dernière, je me suis moqué de DC et de la Bat-mania, avec cette pléthore de titres consacrés à la chauve-souris. Mais, cette année, on fête aussi les 80 ans de plusieurs autres héros emblématiques de l'éditeur : récemment c'était Green Arrow. Cet Automne, ce sera au tour de Wonder Woman, pour laquelle DC a mis les bouchées doubles.
De manière la plus classique d'abord avec un un numéro anniversaire de 100 pages où des auteurs fameux présenteront des petites histoires inédites sur l'amazone. En consultant les crédits annoncés, j'ai pu quand même noter l'absence de Jodi Picoult et Allan Heinberg qui ont signé deux runs remarqués. Mais Yanick Paquette, qui a collaboré aux trois volumes de Wonder Woman : Earth One (sur des scénarios de Grant Morrison) signe une jolie couverture pour l'occasion. Moi, j'avoue être un bon client pour ce genre de n°, donc j'en rédigerai certainement la critique.


Plus attendue, on sait enfin qu'en Novembre sortira Wonder Woman : Historia, une mini-série de prestige en trois épisodes, sur laquelle travaillent depuis plusieurs années la scénariste Kelly Sue DeConnick et le dessinateur Phil Jimenez.
L'ouvrage est copieux, avec une pagination plus développée qu'à l'accoutumée. Mais surtout, en plus de la magnifique couverture ci-dessus, DC a commencé à diffuser quelques pages (non lettrées) et il est impossible de ne pas être époustouflé par la production de Jimenez, pour qui c'est l'oeuvre d'une vie, une dédicace à son héroïne favorite.
Tout ça sent le chef d'oeuvre, le classique immédiat.


Et puis, DC a consenti à lancer une série consacrée à Nubia, la nouvelle reine des amazones de Temyscira (puisque Hippolyte remplace actuellement sa fille Diana au sein de la Justice League). Ce sont Stephanie Phillips et Vita Ayala qui écriront, et Alitha Martinez qui dessinera. Que des femmes donc. Bon, faut voir.


DC et ses Crisis, voilà un topic en soi. Et il semble bien que l'éditeur en prépare une nouvelle comme le suggère le n°2 de la mini-série Infinite Frontier, écrite par Joshua Williamson. Dans cette histoire, on assiste à la formation d'une équipe de super-héros chargé de veiller au maintien de l'ordre dans l'Omnivers. L'Omnivers est composé de plusieurs Multivers, donc il y a du boulot. Vous avez dit compliqué ? Nous sommes chez DC, je vous rappelle, et la devise implicite, c'est "pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué" (sous-entendu : il faut bien gérer le foutoir laissé par Scott Snyder après Metal, Justice League et Death Metal).


Mais pourquoi parler de nouvelle Crisis ? Parce que dans le dernier épisode en date de Infinite Frontier, à la toute fin, on a droit à deux planches qui ressemblent fort à un gros teaser pour un event de ce calibre en 2022. Tout d'abord, on voit le Directeur Bones (ancien chef de la DEO) devant plusieurs écrans dont les images évoquent des histoires à venir. Et évidemment autant de conflits potentiels.


Puis ensuite on a droit aux mains squelettiques de Bones qui tiennent une tablette sur laquelle sont inscrites plusieurs interrogations en relation avec des héros du DCU. Tout cela augure forcément de développements dans les mois à venir, qui devraient culminer dans une saga d'envergure, avec des Black Lantenrs, Swamp Thing, les Planète Unies, la Titans Academy, Aquaman...
Bon, comme tous les events, je suis très circonspect et perplexe, car ce qui doit souvent aboutir à plus de simplicité ne donne que plus de chaos. DC osera-t-il un énième reboot après les New 52, Rebirth, Infinite Frontier ? Ou plus "modestement" s'agit-il de redistribuer les cartes parmi les héros, leurs séries ? Ce qui paraît certain, c'est que plus que Snyder (qui a pris du champ), Tynion IV, Johns, Bendis, c'est bien Joshua Williamson qui a les clés actuellement pour bâtir le DCverse de demain, un projet ambitieux et casse-gueule, qui a souvent été très mal géré éditorialement par le passé à cause d'un manque de communication entre les editors.


Enfin,cette semaine, du côté de DC, quelqu'un (je n'ai pas retenu le nom de l'auteur de l'article) a relevé quelque chose d'assez fou. Pour cela, il faut remonter dans le temps, jusqu'en Juillet 2007, il y a donc 14 ans de cela précisèment. J'insiste sur ce point car c'est vertigineux pour la suite. A cette époque, c'est Grant Morrison qui écrit la série Batman : le scénariste britannique y fait feu de tout bois, établissant le concept d'über-Batman, introduisant officiellement Damian Wayne comme le fils de Bruce, fruit de sa liaison avec Talia Al Ghul, dont il fait son nouveau Robin.
Dans l'épisode 666 (tout un programme), Morrison, avec le dessinateur Andy Kubert, se projette dans le futur... En 2021 ! Damian a succédé à Bruce dans le rôle de Batman, il arbore un crâne rasé et applique une justice expéditive, dans un Gotham plus sombre que jamais. Mais ça va plus loin...


En effet, dans ce même épisode, une scène montre Damian dans la Batcave face à ses écrans de contrôle sur lesquels sont diffusées toutes les news du monde. Et là, Morrison devient un vrai devin car ce qu'il écrit correspond étonnamment à aujourd'hui, dans la vraie vie, le vrai monde : il est question du réchauffement climatique qui cause des dégâts catastrophiques, mais surtout d'une pandémie mondiale obligeant à des quarantaines. 
Morrison s'est souvent confronté à Alan Moore (dont il sera question plus loin dans cette entrée), se posant à la fois comme un fan, un concurrent, un détracteur. Mais au fond Morrison a toujours semblé envieux de la portée visionnaire des eouvres de Moore, de la manière dont ce dernier anticipait l'évolution de la société. Dans Batman #666, il avait réussi à deviner ce qui se passe actuellement avec une acuité assez bluffante à son tour.

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MARVEL COMICS :


Les annonces des sorties de Novembre chez Marvel sont tombées à la fin de la semaine dernière, sans apporter beaucoup de grain à moudre. Il faudra attendre pour savoir, par exemple, qui succédera à Ta-Nehesi Coates pour écrire Captain America (certainement une fois la mini The United States of Captain America terminée). 
En attendant, revenons sur ce qui sortira en Août. Al Ewing est sur le point d'achever son run sur Immortal Hulk (au #50) mais il prépare déjà la suite. Déjà bien occupé avec SWORD, Guardians of the Galaxy, la reprise de Venom (avec Ram V et Bryan Hitch), le voilà qui relance Defenders dans une mini-série en cinq numéros avec le dessinateur Javier Rodriguez.
Il semble qu'Ewing continue une intrigue entamée avec Incoming, lui-même prélude à l'event Empyre, et Immortal Hulk puisqu'aux côtés du Silver Surfer et de Dr. Strange (deux Defenders historiques), on retrouve Betty Ross (dans son nouvel avatar de Red She-Hulk) et le Masked Raider ainsi que Cloud. Du cosmique en vue donc et un nouveau team-book pour l'auteur.
La présence au dessin de Rodriguez donne envie, même si j'ai peur d'être un peu largué avec l'histoire. A voir.


Luke Cage, depuis le départ de Brian Michael Bendis chez DC, est beaucoup plus discret chez Marvel : sa dernière apparition mémorable était justement dans les Defenders version Bendis, identiques à ceux de la série Netflix. C'est bien dommage de négliger de personnage, surtout à l'heure de Black Lives Matter.
Chez Marvel, on a fini par arriver à la même conclusion et une mini-série en trois épisodes intitulée Luke Cage : City of Fire va remédier à cet oubli. Ecrite par Ho Che Anderson, cette histoire s'inspirera des bavures policières commises contre les afro-américains avec Cage dans le rôle de l'enquêteur. Chaque chapitre sera dessiné par un artiste différent : Ray-Anthony Height, Farid Karami et Sean Damien Hill.
Si c'est bien fait, c'est-à-dire si la charge politique de cette histoire n'est pas édulcorée, ce pourrait être très audacieux et salutaire, surtout venant d'un gros éditeur comme Marvel. Car hélas ! même après la condamnation de Derec Chauvin, le flic qui a étouffé George Floyd, le problème du racisme dans la police américaine n'est pas classé.


Depuis le début de son run sur Captain Marvel, je ne dirai pas que Kelly Thompson a été particulièrement brillante. Elle a certes beaucoup à faire pour rendre à nouveau sympathique et attractive une héroïne à la réputation bien entamée depuis Civil War II, mais de toute façon, même sans ce handicap, les histoires de la scénariste sont à peine passables. La faute aussi à une valse de dessinateurs (pratiquement un différent à chaque arc).
Pourtant, Thompson ne renonce pas et veut frapper un grand coup cet Automne avec une intrigue baptisée The Last of the Marvels. La scénariste et le dessinateur Sergio Davila vont faire revenir pas mal d'avatars de Captain Marvel. Voire Mar-Vell lui-même ? Attention ! Sujet sensible car le Captain original est mort dans un récit culte de Jim Starlin et n'est jamais revenu (comme l'oncle Ben dans Spider-Man), même si d'autres auteurs ont été tentés d'orchestrer son come-back (Rick Remender dans Uncanny Avengers).
Début de cet arc périlleux à partir de Captain Marvel #32.


Loki Président ! Si vous avez vu la série sur Disney +, vous avez remarqué l'apparition du personnage dans l'épisode 5, tel qu'issu de la mini-série (en comics) Votez Loki ! de Christopher Hastings et Langdon Foss de 2016. Mais, cette semaine, on a appris que tout cela aurait pu tourner très différemment.
En effet, il y a cinq ans, Tom King est encore scénariste chez Marvel et sa mini-série The Vision reçoit un bel accueil critique et public. Il propose un pitch pour une autre mini, en douze n°, à Marvel : Loki President. Tout commence par l'accession au pouvoir de Loki aux Etats-Unis, il est félicité apr Thor (même si celui-ci lui glisse à l'oreille qu'il ne le mérite pas) puis montre sur une estrade pour prononcer un discours devant la foule de ses supporters. Une détonation retentit alors. Loki est tué ! Puis un carton annonce : "un an avant..."
Ce début renvoie de façoj troublante à celui, récent, de Rorschach du même Tom King chez DC. Le scénariste a raconté qu'il était inspiré par la campagne de Donald Trump à l'époque, alors que personne (pas même lui) n'osait croire qu'il allait remporter l'élection présidentielle américaine : qui pourrait être un candidat aussi improbable et générateur de chaos dans l'univers Marvel ? Loki !
King développe son synopsis et Tradd Moore est désigné comme artiste. Il croque quelques idées sur le personnage du dieu de la malice, des roughs de couvertures. Mais ça n'ira pas plus loin. Pourquoi ? Dan Didio contacte Tom King et lui offre sur un plateau Batman pour sa relance à l'occasion de Rebirth, c'est seulement la troisième fois que la série sera renumérotée. King ne peut refuser mais doit être exclusif DC. Il quitte Marvel en abandonnant Loki President.
Pourtant l'histoire ne tombe pas tout de suite dans les oubliettes car Chip Zdarsky, avec la bénédiction de King, est choisi pour reprendre le projet. Problème : le canadien ne sait pas quoi en faire. Hastings reformule le pitch et le transforme en Votez Loki, mais le résultat ne connaîtra pas le même retentissement.
Mais peut-être qu'on reverra quand même Loki Président puisque Loki sur Disney + a été renouvelé pour une deuxième saison...
 

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ARCHOE COMICS :



Je sais que je ne parle pratiquement jamais de Archie Comics, excepté à l'occasion des arcs de Sabrina the teenage witch écrits par Kelly Thompson et dessinés par Veronica Fish. C'est un éditeur qui ne m'attire pas des masses et puis, je ne peux pas tout lire. Mais cette semaine on a eu droit à deux annonces assez croustillantes.
Car avant Kelly Thompson et Veronica Fish, Sabrina Spellman était l'héroïne d'un comic-book bien différent, plus noir, écrit par Roberto Aguirre-Sacasa, le showrunner de la série produite par Netflix sur la jeune sorcière, et dessiné par Robert Hack. Huit épisodes étaient sortis...
... Il y a quatre ans ! Pas officiellement annulée, la série était en pause, selon l'éditeur. Et la pause est terminée puisque cet Automne sortira le neuvième épisode de Chilling Adventures of Sabrina, toujours par Aguirre-Sacasa et Hack. On peut penser que l'annulation de la série sur Netflix a motivé Archie Comics à relancer le titre (sans repartir de zéro) puisque le scénariste a clairement affirmé qu'il entendait développer des idées prévues pour la plateforme de streaming.


Mais Aguirre-Sacasa n'en reste pas là puisqu'il va lancer une nouvelle série sur Sabrina : The Occult World of Sabrina. Cette fois, il sera accompagné par le dessinatrice Audrey Mok et il s'intéressera aux autres personnages qui gravitent autour de la jeune sorcière, sans qu'elle soit absente des intrigues, qui sont annoncées comme proche de l'épouvante. 
Reste à savoir ce qu'il adviendra de la série de Kelly Thompson (si elle trouve du temps dans on agenda pour en écrire une suite) et Veronica Fish, au ton diamétralement différent mais que j'apprécie bien.

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ALAN MOORE :



Alan Moore mérite bien qu'on lui réserve une section à part entière de cette entrée, même s'il est aussi question de sa fille, Leah, également scénariste de comics. Comme Dave Cockrum, Moore est un des mes héros, quelqu'un d'intouchable : il a révolutionné la BD comme aucun autre, mais a décidé de ne plus en écrire, écoeuré par les traitements qu'il a subis de la part de plusieurs éditeurs, épuisé par ses combats pour la reconnaissance de ce média et de ses créateurs. Un terrible gâchis.
Et la cause d'un énorme et désastreux malentendu car pour beaucoup aujourd'hui Moore est cet écrivain britannique au look de sorcier qui peste contre l'industrie des comics comme un vieux grincheux aigri. Une image qui a fini par quasiment éclipser celle du scénariste génial, souvent copié, jamais égalé.
Pourtant, Moore vaut tellement mieux que ça. S'il a effectivement toujours refusé d'être associé aux spin-off de ses oeuvres (cf. Before Watchmen) ou à ses adaptations (V pour Vendetta, Watchmen, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, From Hell), et donc imposant à ces productions que son nom ne soit pas mentionné dans les crédits, il a également fait en sorte que les royalties soient intégralement reversées à ses artistes (David Lloyd, Dave Gibbons, Kevin O'Neill, Eddie Campbell).
Donc oui, Alan Moore ne veut plus rien avoir à faire avec les éditeurs de comics, mais il n'a pas entraîné dans sa retraite ses collaborateurs, il ne les a pas mêlés à ses combats (même si Kevin O'Neill et Eddie Campbell n'ont jamais franchi le Rubicon en travaillant pour des majors).

Mais c'est un gâchis artistique. Moore qui n'écrit plus de comics, c'est terrible, et le milieu devrait le regretter à haute voix. Après tout, il n'a que 67 ans. Il n'a pas non plus écrit que des chefs d'oeuvre (Rob Liefeld l'a même entraîné dans une ses pitreries lamentables à une époque), mais cela ne pèse pas lourd quand on a créé Watchmen, Tom Strong, V pour Vendetta, etc. Qui sait, si on l'avait laissé faire, ce que Moore aurait pu donner à ses fans ? Maintenant, il se consacre au roman.

Si je vous parle d'Alan Moore, c'est parce que son nom a resurgi d'une façon inattendue récemment. Un article de journal bien documenté, avec témoignages à l'appui, a relevé la manière dont les gros éditeurs de comics américains rétribuaient ses auteurs et ce qu'on a appris à l'occasion s'est avéré embarrassant - ou évident. Ed Brubaker a ainsi affirmé qu'il avait reçu plus d'argent pour tourner un caméo dans Captain America : Le Soldat de l'Hiver que pour tout son run sur la série Captain América et la création du Winter Soldier : vous allez me dire qu'il n'a pas inventé Bucky Barnes, et c'est vrai, mais il a inventé le Soldat de l'Hiver et n'a touché que des clopinettes pour ça. Ta-Nehesi Coates, qui a revendiqué le run de Brubaker comme son modèle pour le sien sur Captain America, a fait part de son incompréhension quant au traitement de son collègue par Marvel à ce sujet.

Dans cette enquête, Jim Starlin a aussi raconté comment Marvel l'avait financièrement considéré alors qu'il est le créateur de Thanos, Drax, Gamora, des vedettes du MCU. Tandis que chez DC, plusieurs auteurs ont en revanche loué la manière dont l'éditeur, sous l'impulsion de Paul Levitz, faisait plus de cas de leurs contributions multimédias. Chez les indépendants aussi, les gros sous nourrissent des conflits : dernièrement, Lewis LaRosa a dénoncé le comportement de Rick Remender en l'accusant de l'avoir floué pour la série The Scumbag... Avant de se rétracter et que le scénariste clarifie les choses en expliquant que l'artiste devait initialement dessiner les 8 premiers épisodes, puis avait démissionné au terme du premier, victime de problèmes de santé, ce qui avait conduit la série à être illustrée par un dessinateur différent à chaque n°. Cela n'a pas empêché David Lafuente de refuser de collaborer avec Remender, par solidarité avec LaRosa, tandis que Wes Craig, dessinateur de Deadly Class (autre série écrite par Remender) a tenu au contraire à souligner l'honnêteté de son ami scénariste.

Et Moore là-dedans ? Hé bien, justement, Moore, à l'origine, a eu des démelès avec les majors pour ses rémunérations et ses droits d'auteur. Et donc, il a été cité en exemple des mauvais traitements par les éditeurs à l'occasion de cet article. Ce qui, incidemment, a fait remonter à la surface une intervention de Leah Moore en 2019 où elle dénonçait ce que l'industrie avait fait subir à son père, qui a fini par quitter, écoeuré et épuisé, les comics.

"he tried to make them into something that provoked thought and feelings, that addressed issues, that spoke to people the way superheroes had always spoken to him. That seems crazy to me. I have his collection of Marvel comics, dogeared from reading, from love. I heard so many times about his excitement at finding a stash of second hand Marvel comics in a junkshop, in a box, or buying them off the spinners in Great Yarmouth on holiday. He could not love superhero comics more if he tried. Jack Kirby was his idol, Ditko was his idol."

(Grosso modo, Leah Moore explique que ce qui la rend folle, c'est que son père adore les super-héros et les comics, plus que tout. Kirby et Ditko étaient ses idôles. Les super-héros l'ont toujours passionnés, inspirés, excités, depuis toujours.)

"the medium he adored was ruled by corrupt despots, that the people who made that magic were abused, that their contribution was not valued, that it was stolen from them. He already hated that before Watchmen. He already knew Kirby had been shafted. So when it happened to him, and then again, and then again, it wasn't just a business deal gone awry, or a bit of bad luck, it broke him. The thing he loved most, the thing he poured *all* his time and energy into for his whole entire life, he couldn't do it anymore."

("Ce média qu'il adore, ajoute-t-elle, est dirigé par des despotes corrompus, qui ont abusé des créateurs qui le rendent magique, dont les contributions sont dévaluées, dont les créations leur sont volées. Moore a toujours haï cela, même avant Watchmen. Il savait comment ça se passait car il savait comment avait été traité Kirby. Donc, quand ça lui est arrivé, à lui, encore et encore, il savait que ce n'était pas de la malchance, une mauvaise compréhension entre les créateurs et les affairistes, ça l'a brisé. La chose qu'il aimait le plus au monde, pour laquelle il a depensé tant de temps et d'énergie dans sa vie entière, il n'a plus voulu s'y consacrer.")

"Can you imagine if he hadn't been fucked over? If instead of being Grumpy Alan Moore Shouting From His Cave he had spent the past 40 years putting out book after book for DC and the rest? Creating vast worlds full of the superheroes he loves? Enjoying comics? Its a damn shame."

("Pouvez-vous imaginez à quel point il a été baisé ? Si au lieu de le considérer maintenant comme ce vieux grincheux d'Alan Moore qui passe son temps à pester après DC depuis 40 ans, il avait pu encore inventer des mondes entiers et merveilleux pleins de super-héros qu'il aime ? Faire son métier avec plaisir ? C'est vraiment honteux.")

Méditez ça. Et à bientôt pour de nouvelles critiques.

samedi 24 juillet 2021

CRUELLA, de Craig Gillespie


Drôle de période pour aller au cinéma, n'est-ce pas ? Il faut montrer patte blanche - et c'est de circonstance quand il s'agit de découvrir l'origin story de Cruella, dont le nom est associé aux (101) dalmatiens. Mais pourquoi est-elle si méchante ? C'est ce que le film de Craig Gillespie entreprend de raconter. En prenant son temps (133') mais san perdre son temps non plus. Surtout quand ce sont Emma Stone et Emma Thompson qui mènent le bal.


Enfant précocement doué pour le stylisme mais aussi doté d'un caractère bien trempé, Estella Miller contrarie suffisamment l'autorité de l'école où elle est instruite pour en être renvoyée. Sa mère, Catherine, décide de demander à une vieille connaissance de l'aider. Mais Estella désobéit encore et assiste à la discussion entre sa mère et sa bienfaîtrice. C'est ainsi qu'elle voit Catherine basculer du haut d'une falaise, poussée par les dalmatiens de celle auprès de laquelle elle était venue quémander.


Estella gagne Londres, seule. Elle y rencontre Jasper et Horace, deux garçons pickpockets dont elle devient la partenaire. Sous son impulsion, pendant dix ans, ils commettent des larcins de plus en plus audacieux. Jasper offre à Estella pour son anniversaire un cadeau inattendu : une place dans le magasin de la Baronne Hellman, temple de la mode à Londres dans les années 70.


Mais Estella déchante vite car on la cantonne à des corvées humiliantes. Pour noyer sa déprime, elle se soûle un soir et refait la vitrine du magasin à son idée. Contre toute attente, le résultat plait à la Baronne qui l'engage comme son assistante personnelle. Le talent d'Estella inspire cette grande bourgeoise qui n'a aucun scrupule à s'approprier ses idées pour son prochain défilé. Mais le destin d'Estella bascule quand elle remarque que la Baronne porte un collier appartenant à feu sa mère.


Estella convainc Jasper et Horace de dérober le bijou lors du défilé. Pour créer une diversion, Estella devient Cruella et attire l'attention de l'assistance dans une robe créée par la Baronne quelques années auparavant et qu'elle a retaillée avec Artie, un vendeur des quartiers populaires. Hélas ! l'opération tourne mal et le collier finit dans l'estomac d'un des dalmatiens de la Baronne. Estella, Jasper et Horace sont obligés de fuir, bredouilles. Mais Estella n'entend pas en rester là !


Jasper et Horace kidnappent chez le toiletteur les trois dalmatiens de la Baronne et attendent qu'ils expulsent le bijou pendant que Estella et Artie organisent des happenaings avant chaque nouveau défilé où elle s'affiche dans des créations extravagantes qui volent la vedette à celles de la Baronne. La presse bruisse devant ce phénomène et débate du le déclin et la chute de la Baronne. Celle-ci fait suivre sa rivale et la piège dans son repaire, récupérant ses chiens, et provoquant un incendie. Les pompiers sauvent Jasper et Horace qui sont arrêtés par la police.


Déclarée morte dans les flammes, Estella/Cruella a pourtant survécu grâce à l'intervention de John, l'assistant de la Baronne. Il explique à la jeune femme qu'elle est la fille de la Baronne, qui a ordonné son exécution après sa naissance. John n'a pu s'y résoudre et l'a confiée à Catherine Miller, alors femme de chambre. Le Baron Hellman est mort de chagrin mais John a gardé un coffret avec l'acte de naissance d'Estella, qui prouve qu'elle est la seule héritière de sa fortune. Jasper et Horace évadés de prison, Artie appelé en renfort, Estella va règler ses comptes définitivement avec la Baronne lors du gala qu'elle donne.


Ayant livré à toutes les clientes de la Baronne des robes imitant le look de Cruella, celle-ci attire sa mère biologique au bord de la falaise où a chuté Catherine. La Baronne s'excuse en apprenant qui est Estella mais la pousse dans le vide. Cette fois, pourtant, son crime est vu par tous ses invités et la police vient l'arrêter. Estella, grâce à un parachute camouflé dans sa robe, a la vie sauve et hérite du château Hellman où, avec ses complices, et les dalmatiens, elle réfléchit à l'avenir...

Contre vents et marées, le film est finalement sortie en salles après plusieurs reports à cause de la crise sanitaire. Une stratégie payante puisque, aux Etats-Unis comme en France, il a reçu un accueil très favorable, qui ouvre déjà la porte à une suite. C'était le rêve des producteurs de transformer Cruella en (anti) héroïne de franchise, mais pourtant le pari était loin d'être gagné.

En effet, le personnage de Cruella est dans la mémoire collective resté celui d'une des plus infâmes méchantes des longs métrage d'animation Disney. Elle est apparue dans les 101 Dalmatiens en 1961, mis en scène par le génial Wolfgang Reitherman, d'après le roman de Dodie Smith, puis a été incarnée en 1996 par Glenn Close dans le film de Stephen Herek. Une composition mémorable, après laquelle il était difficile de passer.

Cependant, les scénaristes Dana Fox et Tony McNamara ont choisi de revenir à la source et de dévoiler l'origine de Cruelle Denfer, donc de se concentrer sur le personnage encore jeune, pour expliquer ce qui a fait d'elle cette méchante. Toutefois, le script final fournit pas mal d'excuses à Cruella et la rend plus sympathique que maléfique. Cruella version 2021 est un revenge movie.

Le noeud de l'intrigue est à la fois simple et terrible puisqu'il y est question de maternité et d'homicide. Lorsque la vérité est connue de l'héroïne et du public, on mesure à quel point, en vérité, la détermination de Cruella à vaincre la Baronne a des racines plus profondes et douloureuses que celles de récupérer un collier volé. La méchante, la vraie, du film est donc cette Baronne Hellman, présentée d'emblée comme une femme antipathique mais qu'on découvre criminelle et récidiviste !

Dans une scène clé, où Cruella enrage de ne pouvoir dominer sa rivale, mais avant de savoir tout ce qu'elle a pu commettre d'irréparable, elle énumère les différentes étapes du deuil : déni, colère, marchandage, dépression, et acceptation. Elle y ajoute un cinquième niveau : la vengeance. Et de fait, le conflit se fait de plus en plus personnel, il ne suffit plus de damer le pion de l'autre mais de l'humilier.

On peut déplorer que le film ne soit pas vraiment plus cruel, plus méchant. Mais je crois qu'il ne faut pas non plus trop charger la mule car les actes de la Baronne sont déjà atroces. Surenchérir en écrivant Cruella comme une vengeresse encore pire que sa cible aurait été maladroit et nous aurait fait perdre toute mpathie pour elle. C'est ce délicat équilibre qui définit le film : parler d'un personnage qui veut sa revanche, implacablement, mais sans en faire elle-même, elle aussi, une criminelle. En vérité, l'arme de Cruella, c'est son style, son sens de la réplique et du spectacle : sa mission, c'est confondre la Baronne et la surpasser, pas la tuer. La seule fois où le récit joue avec le spectateur, c'est quand il suggère que Cruella a pu dépecer les dalmatiens de la Baronne pour faire une robe avec leur peau tachetée - il n'en est rien bien sûr, mais cela corresponda aussi au moment où Jasper et Horace, ses complices, pensent à lui tourner le dos, estimant que cela va trop loin.

Dans sa tonalité, le film démarre donc sur un mode volontiers mélodramatique. Lorsque Estella rencontre Jasper et Horace, deux jeunes pickpockets, c'est presque du Dickens. Pus, par la grâce d'une ellipse très bien filmée, l'histoire change de braquet et fonce bille en tête dans la comédie débridée. La réalisation est au diapason : Craig Gillespie nous gratifie même d'un superbe plan-séquence quand, à la suite d'Estella, nous pénétrons dans le grand magasin, au chic un peu suranné mais à la décoration exubérante et classe, un vrai temple mais un temple de la consommation, un peu vulgaire et poussiéreux qui attend une tornade pour traverser son époque (la reconstitution du swinging London est à la fois sobre et efficace).

Gillespie et ses scénaristes s'amusent alors à mélanger les genres : farce, braquage, buddy movie, action, drame familial, tout en évitant la romance (même si on devine que Jasper en pince pour Estella avant sa transformation en Cruella). Il y a des moments pétillants, d'autres moins percutants, mais l'ensemble se tient bien, et pour un film d'une durée pareille, on ne s'ennuie jamais (même si, bien sûr, comme souvent aujourd'hui, quinze minutes en moins dans le montage final n'auraient pas fait de mal - toutes ces saynètes où Estella/Cruella s'adresse au souvenir de Catherine devant la fontaine de Regent's Park sont superflues). Ce rythme, le long métrage le doit aussi beaucoup à sa bande-son, bluffante, quasiment sans interruption, avec une kyrielle de tubes de l'époque, franchement jubilatoire.

Et puis le casting est royal. Revoir Emily Beecham, même dans un petit rôle, est un plaisir pour les fans de Into the Badlands. Kirby Howell-Baptiste, Joel Fry, Paul Walter-Hauser, John McCrea sont parfaits, chacun dans leurs seconds rôles. Mark Strong hérite d'un personnage sympathique (si, si), qu'il campe avec son charisme naturel.

Mais, bien sûr, c'est le duel des deux Emma qui vaut à Cruella de sortir du lot. Emma Thompson incarne la Baronne en en faisant des caisses, mais avec un vrai génie. On pense bien sûr à Meryl Streep dans Le Diable s'habille en Prada, mais Thompson a suffisamment de talent et de personnalité pour ne pas souffrir de la comparaison et assumer le côté absolument détestable de son rôle. Face à elle, Emma Stone fait son grand retour, et elle est épatante. Sa vis comica est intacte, elle aussi en fait des tonnes mais elle habite son personnage avec un brio jouissif, et parvient à imposer sa Cruella loin de celle de Glenn Close. Les deux comédiennes bénéficient en outre d'une garde-robe incroyable, qui témoigne du soin apporté à la production design du film et qui convoque de grands stylistes, de Pierre Cardin à Vivienne Westwood.

C'est donc une agréable surprise. Certains pourront se plaindre d'un certain polissage de l'héroïne, là où les autres considéreront ce film comme le premier chapitre d'une future franchise avec la possibilité d'aller plus loin. L'un dans l'autre, en tout cas, difficile de résister à ce divertissement dynamique et rafraîchissant.