C'est à la vitesse d'un cheval au galop que se déroule cet arc fou de Batman : on sent que James Tynion IV veut attraper le lecteur par le col et ne plus le lâcher, ne pas le laisser s'échapper. Cette même énergie se retrouve dans le dessin survitaminé de Jorge Jimenez, très à son aise dans ce registre, plein d'action. Autant dire qu'on se régale, et ce n'est pas fini !
L'explosion de la mairie décide le maire Nakano au déploiement du programme Magistrat conçu par le milliardaire Simon Saint. Renee Montoya objecte et est démise de ses fonctions au sein du GCPD. Depuis sa forteresse volante, Saint autorise Sean Mahoney, le Gardien de la Paix 01, à tuer Batman.
Mais Batman, dont les communications avec l'extérieur sont coupées, bien qu'en grande difficulté, n'entend pas se laisser faire. Oracle appelle à la rescousse toute la Bat-famille. Ghost-Maker et Harley Quinn répondent les premiers pour prêter main forte à Batman.
Grâce à une manoeuvre périlleuse et subtile, Batman réussit à sortir du gratte-ciel de Simon Saint et sème le Gardien de la Paix 01 en sautant du haut de la tour dans le vide. Ghost-Maker l'intercepte. Les télés révèlent que le Gardien de la Paix est Mahoney dont Harley Quinn a subi les mauvais traitements à Arkham.
Redirigé par Saint, Mahoney se rend au Q.G. du Collectif Insense avec un escadron du Magistrat. Il arrête Molly Miracle et reçoit l'autorisation de l'abattre. Batman arrivera-t-il à temps pour la sauver ?
Il y a quelque chose de grisant dans ce nouvel épisode : l'histoire file à toute allure, multiplie les points de vue, enchaîne les scènes d'action les plus spectaculaires, mais sans jamais que le lecteur ne soit essoré ni égaré par tout ce qui se passe. C'est le signe que la série fonctionne à fond et que son auteur maîtrise son sujet.
James Tynion IV est comme transfiguré depuis la reprise de la série après l'intermède Future State (auquel il n'a pas participé, c'est notable pour un scénariste aussi choyé par DC). Loin de s'être croisé les doigts pendant que ses collègues déliraient sur un futur apocalyptique, il semble au contraire en avoir tiré une inspiration nouvelle, comme un objectif à atteindre.
Quand il a succédé à Tom King, débarqué de Batman à cause d'un caprice de Bob Harras (depuis renvoyé) qui n'aimait pas l'ambiance romantico-dépressive de l'auteur, James Tynion IV s'est lancé dans une saga, Joker War, où il appliquait la volonté de ses patrons à proposer tout autre chose. Il a pris des décisions discutables (comme imposer une séparation d'un an à Batman et Catwoman, alors que King venait de les réunir et voulait achever son run par leur mariage), établir le Joker à nouveau comme l'ennemi n°1 de Batman, et introduire de nouveaux personnages (Ghost-Maker, Clownhunter, Punchline).
Le succès ayant été au rendez-vous, DC a maintenu Tynion à son poste et développé des projets sur ses idées (une série sur le Joker, avec Punchline, un retour de Clowhunter dans Batman : Secret Files, le maintien de Ghost-Maker dans le supporting cast de Batman, la reconversion de Harley Quinn dans le camp du dark knight). Juste avant Future State, au terme d'épisodes beaucoup plus inégaux, Tynion avait posé les bases de son futur sur la série.
Aujourd'hui, cinq mois après, on en mesure la portée car Tynion IV peut voir loin (il a la confiance de sa hiérarchie, les ventes sont toujours aussi bonnes, la critique est élogieuse). Mais pourtant il ne se contente pas de préparer son crossover automnal, Fear State (auquel il fait franchement mention au début de cet épisode), il développe une histoire palpitante, une rampe de lancement explosive.
En vérité, le projet de Tynion et celui de Tom King avant lui ne différent que sur la forme : les deux scénaristes ont à coeur d'humaniser Batman, de le rendre vulnérable, de le pousser dans les cordes. King s'appuyait sur la romance avec Catwoman. Tynion sur le fait que Batman n'est plus en odeur de sainteté à Gotham, directement accusé de provoquer le chaos en attirant des criminels qui désirent entrer en compétition avec lui. Désormais, il est, comme ses ennemis, traqué par la police et un milliardaire partenaire du maire qui collabore avec l'Epouvantail.
En réponse, Batman a choisi de s'appuyer plus clairement sur sa Bat-famille. C'était déjà le principe du run de Tynion sur Detective Comics avec les "Gotham knights" (Red Robin, Batwoman, Gueule d'argile, Spoiler, Orphan, Batwing, Azraël, remplacés désormais par Oracle, Ghost-Maker, Harley Quinn, certainement Huntress, et Nightwing). Pourquoi changer une recette gagnante ? D'ailleurs, Tynion ne reproduit pas une formule puisque Batman (la série) est davantage tournée vers l'action que ne l'était Detective Comics (qui déroulait une intrigue au long cours mais plus complexe - quitte parfois à convoquer des éléments capillotractés).
Pour illustrer cette descente aux enfers de Batman, Jorge Jimenez est un partenaire de choix. Ses dessins sont électrisants par l'énergie qu'ils déploient. L'artiste ibérique s'éclate, c'est évident, il donne tout ce qu'il a mais en s'amusant visiblement. L'effet est très sympa.
Bien entendu, ce qu'on en retient au premier abord, ce sont des planches généreuses par leur degré de détail, particulièrement dans les décors, toujours très soignés. Une fois ce cadre posé, Jimenez peut mettre en scène des bastons musclés qui montrent un Batman souvent dominé mais dont l'intelligence, piquée au vif par la difficulté, lui permet encore de faire la différence. Toutefois, on sent bien dans les images de Jimenez que le dark knight puise dans ses réserves, que le doute l'assaille : il a rarement paru aussi surpris, décontenancé, surpassé par un adversaire. Non pas parce que le Gardien de la Paix 01/Sean Mahoney est plus fort qu'un Bane par exemple, mais parce que le véritable ennemi est multiple - Simon Saint, l'Epouvantail, Nakano.
Jimenez se permet même dans cet épisode un clin d'oeil à The Dark Knight returns de Frank Miller quand il ponctue l'action avec des interruptions médiatiques, des flashs infos sur les télés - le procédé qui fonctionnait déjà sur l'oeuvre de Miller pour commenter à la fois l'histoire et aussi le comic-book. Bien entendu, ni Tynion ni Jimenez n'évoluent dans le registre politique et sociétal, méta-textuel, de Miller : leur Batman reste un pur divertissement, très efficace, puissant. Ce n'est pas diminuer leur travail que de le dire : on ne peut pas s'aventurer de la même manière sur ces plans-là dans un comic-book mensuel, avec l'exigence du feuilleton, que dans un graphic-novel dystopique et visionnaire. Tynion en est encore à courir après Future State, en le nommant à moitié (en le transformant en Fear State), et encore cet event n'avait pas la prétention de rivaliser avec le classique de Miller.
N'empêche, qu'est-ce que c'est bon ! J'ai beaucoup aimé le run de King (malgré un second acte laborieux, trop long). Celui de Tynion a un autre goût, mais c'est précisément ce changement qui le rend aussi savoureux.
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