vendredi 9 juillet 2021

THE NICE HOUSE ON THE LAKE #2, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


Après un premier épisode impressionnant, on pouvait craindre que The Nice House on the Lake de James Tynion IV et Alvaro Martinez marque le pas. Il n'en est rien ; ce deuxième numéro est une fois encore saisissant, aussi bien narrativement que visuellement. Quelque chose me dit qu'on tient là une trés grande BD de 2021, et au-delà...


Après le piège tendu par Walter, qui a disparu, le groupe de ses amis est sous le choc. Blessée, Norah est soignée par Naya qui a une trousse de premier secours dans ses bagages. Le lendemain, Ryan tente de comprendre pourquoi Walter l'a invitée alors qu'ils se connaissaient depuis peu.


Sarah et Norah décident d'inspecter la maison à la recherche d'indices sur Walter. Elle découvrent une immense bibliothèque et entre deux ouvrages sur une étagère une serrure avec une clé. Sarah ouvre et accède à une pièce secrète remplie d'armes et d'explosifs.


Sam montre aux autres la statue qui trône dans l'entrée de la propriété. Troublé par sa beauté triste, il l'a touché et a eu une vision. Chacun leur tour, ils effleurent la pierre et voit leur maison, ou ce qu'il en reste après l'attaque qui a ravagé la Terre. La fin du monde a bien eu lieu.


Rick joue du piano et Naya le rejoint. Il la convainc de rester unis et de prendre la tête du groupe avant que la situation ne dégénère. Naya est d'accord - mais elle ignore que Rick suit les recommandations de Walter...

Indéniablement, 2021 m'aura fait voir les travail de James Tynion IV d'un autre oeil. Jusqu'à présent, c'était pour moi un scénariste talentueux mais souvent laborieux, qui était resté longtemps dans l'ombre de Scott Snyder (à qui il servait régulièrement de doublure), lui-même un auteur avec lequel je rencontrai de récurrentes difficultés. J'étais si méfiant envers Tynion que j'avais accueilli son arrivée sur Batman, en remplacement de Tom King, avec appréhension (or, là encore, depuis cette année, il démontre une vraie maîtrise pour animer les aventures du dark knight).

On m'avait pourtant souvent loué les qualités de ses oeuvres en creator-owned, mais je n'avais pas eu le loisir de m'y intéresser (je ne peux pas tout lire car je ne peux tout acheter, il faut faire des choix). Quand DC a annoncé la publication dans le Black Label de The Nice House on the Lake, qui a priori était formaté pour un éditeur indépendant (comme Image Comics ou Boom ! Studios), j'ai été intrigué : le projet devait avoir une valeur certaine pour être conservé ainsi (même si, du temps où le label Vertigo existait, ça n'aurait surpris personne).

Et puis, donc, le mois dernier sortait le premier numéro et ce fut une énorme claque. Un récit simple, rapide, puissant, intense, visuellement somptueux. C'était sûr, on tenait là quelque chose de peu commun, du genre à marquer l'année - et peut-être plus. En tout cas, j'ai été conquis.

Mais quand une mini-série démarre aussi fort, encore faut-il qu'elle maintienne ce niveau. Vous pouvez être rassuré (si vous la suivez en vo ou si vous attendez la vf), c'est du costaud, fait pour durer, et capable de garder la même exigence. J'ai l'intuition qu'on a là un instant classic, un comic-book de première classe. DC a eu raison de ne pas laisser filer le projet, même s'il n'a rien à voir avec que qu'ils publient habituellement.

Le premier épisode nous a présentés un groupe de personnages ayant en commun un ami, Walter, qui a invité ce beau monde dans une somptueuse maison avec vue sur un lac, dans un cadre magnifique. Les invités sont de vieilles connaissances de leur hôte pour la plupart, à l'exception de Ryan, rencontrée plus récemment. Ils sont issus de tous les milieux, représentent les professions les plus diverses. Ce casting fourni est brillamment introduit, varié, le lecteur les identifie facilement.

Puis alors que le soir tombe, Ryan découvre en consultant les nouvelles sur son portable une attaque mondiale. Le groupe se réunit devant les infos du JT et accusent le coup en apprenant la catastrophe. Mais le pire, c'est que Walter semble en être l'initiateur. Et surtout Walter n'est pas humain. Il disparaît après avoir été frappé par une des invités qu'il blesse gravement.

Ce numéro reprend exactement là où on avait laissé les héros. C'est la panique à bord, même si certains sont dans le déni, croient à un énorme canular. Ils ignorent pourtant qu'ils sont filmés et enregistrés, que leurs échanges sont retranscrits. On se croirait dans une télé-réalité d'enfermement, mais vraiment flippante. C'est habilement fait, très intense, l'ambiance est électrique, le lecteur est scotché, ignorant comme les protagonistes ce qui va encore pouvoir se passer.

Comme mon résumé et les images qui l'accompagnent le montrent, le scénario se déroule sur une journée. Cette unité de temps et de lieu renforce l'aspect volontiers théâtral de l'histoire. Mais surtout, James Tynion IV donne à observer les réactions des personnages. Certains craquent nerveusement, d'autres tentent de se reprendre. Walter resurgit devant l'un d'eux au moment où ils sont seuls. La découverte d'une cache d'armes effraie; Celle d'une étrange statue au contact de laquelle chacun va pouvoir voir ce qu'il est advenu de sa maison et donc de sa famille, via des images traumatisantes et fulgurantes, appuie là où ça fait mal.

Ce qui impressionne vraiment, c'est ce côté bouillonnant, cette tension extrême. Elle traduit à la perfection ce que n'importe qui ressentirait dans une telle situation. La fin du monde a eu lieu, tous les gens que vous aimez sont morts, vous êtes coincés dans une maison qui est certes splendide mais qui est désormais le seul endroit sûr sur Terre, une sorte de prison dorée, vous êtes sous la coupe d'un alien dont vous ignorez les objectifs mais qui par contre sait tout de vous... Ce cauchemar éveillé est particulièrement bien restitué. On passe d'un personnage à un autre, parfois d'un binôme (comme ceux formés par Norah et Sarah, ou Rick et Naya) à un autre, sans jamais être perdu, mais surtout en s'identifiant à tous. On est curieux de savoir ce que cache la bibliothèque, sidérés devant la statue, etc.

Bien entendu, la force de ce script doit énormément à sa mise en images et là, pas de surprise, Alvaro Martinez éblouit page après page. Le dessinateur espagnol s'est totalement réinventé pour ce projet, dont il assure l'encrage et pour lequel il a fait des travaux préparatoires considérables (sur Twitter, il a récemment posté une vidéo de son carnet de croquis avec notamment les plans précis de la maison pour définir le mobilier mais surtout l'agencement des pièces, la disposition des étages, pour ne pas être pris en défaut).

L'environnement de l'action fait de la demeure un personnage à part entière. C'est un décor absolument prodigieux et sur ce plan-là, à part Pepe Larraz et ses plans végétaux krakoans dans X-Men, je ne vois pas qui rivalise avec Alvaro Martinez. Pour des raisons de délais de publication, les décors sont souvent sacrifiés dans les comics où priment les personnages. Là où vivent, se déplacent les héros est souvent improvisé sur la planche, faute de temps pour établir la configuration exacte des lieux. Par contre, quand vous devez dessiner un huis-clos comme The Nice House..., pas moyen de tricher : il faut partir avec une base très solide, précise, sinon ni les personnages ni le lecteur ne sauront plus où ils habitent.

La diversité du casting est une autre gageure. Avec dix héros (plus Walter), Alvaro Martinez avait tout intérêt à bien caractériser ses personnages pour que le lecteur les reconnaisse facilement mais aussi pour que lui puisse les reproduire rapidement, sans avoir à constamment chercher dans ses croquis. Bien etendu, on peut pointer du doigt que les dix invités de Walter sont tous beaux, dans la force de l'âge - et c'est vrai : ils ont tous la trentaine, pas un n'est obèse ou petit ou handicapé. Mais je ne crois pas qu'il s'agit d'un procès à faire à l'artiste car j'ai l'impression que c'est un choix du scénariste : Walter a ostensiblement ciblé ses "amis" avec des critères particuliers (une diversité dans le niveau d'études, le métier exercé) mais aussi une homogénéité dans les physiques, comme un panel de que l'humanité pour un alien aurait de plus attrayant, de plus "sain". Or on fait rarement des expériences comme celle que suggère l'intrigue avec des gens malades, diminués ou qui en tout cas sortent trop du cadre.

En fait, j'ai le sentiment que Walter a choisi ses invités patiemment, méticuleusement, parce qu'il est évident qu'il a une idée derrière la tête. Il faut donc considérer ces personnages non pas avec un regard humain mais du point de vue d'un étranger qui a selectionné ce qu'il pense être le fin du fin, même si ça paraît tordu et même monstrueux. Si on critique Tynion et Martinez pour la trop grande santé de leurs héros, alors il me semble qu'on se trompe. Il faut tout simplement arrêter de penser en termes de qui n'est rien d'autre que des quotas et revenir à ce qui rend un personnage intéressant pour le projet dans son ensemble. Ici, tous sont des souris de laboratoire, des cobayes, des marionnettes. Walter a fait son marché en fonction de ses attentes, pas des nôtres.

En tout cas, c'est très addictif, cette histoire. Tout est en place pour des développements troublants, retentissants. Vivement la suite.

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