Comme l'indique la couverture de ce deuxième épisode de Black Hammer Reborn, Jeff Lemire convoque d'autres personnages de son univers pour explorer la vie de Lucy Weber. Le résultat est à la hauteur des espérances, plein d'inventions, de rythme, de surprises. Caitlin Yarsky continue de faire forte impression au dessin. Retour gagnant.
Rose Weber entraîne sa meilleure amie dans le secteur de Spiral City circonscrit par le T.R.I.D.E.N.T. où est apparue une faille de la Para-Zone. Mais à l'intérieur de cette bulle dimensionnelle, les deux adolescentes sont confrontées à des monstres et tentent de rebrousser chemin.
Il y a vingt ans de cela, Lucy Weber et sa partenaire Amanda surprennent Skulldigger sur le point de tuer un super-vilain. Lucy se transforme en Black Hammer et s'interpose. Skulldigger engage le combat et, avec l'aide du Dr. James Robinson, réussit à la vaincre et à échapper à une arrestation.
Cependant, dans la Para-Zone, aujourd'hui, le même Skulldigger vient au secours de Rose et Sarah et les remet aux agents du TRIDENT. Rose appelle sa mère qui vient la chercher et la ramène à la maison. L'adolescente tente d'expliquer son geste.
Rose se sent mal dans sa peau, écrasée par le passé héroïque de sa mère. Lucy espère que sa fille n'aura pas à perpétuer l'héritage de Black Hammer mais son destin semble déjà écrit. Une fois dans sa chambre, Rose observe le badge que lui a remis Skulldigger.
Si on n'a pas lu tous les titres attachés à Black Hammer, on peut bien sûr se sentir un peu frustré par cet épisode où Jeff Lemire ressort Skulldigger, le héros d'une mini-série publiée ce Printemps. Mais le scénariste canadien est assez habile pour que le lecteur ne sente pas perdu par l'apparition d'un personnage qui ne serait pas familier à tout le monde.
Les présentations sont toujours vite mais bien faîtes avec Lemire : la scène, située vingt ans avant l'histoire actuelle de Black Hammer Reborn, ne laisse planer aucun doute sur le genre d'individu qu'est Skulldigger, l'équivalent du Punisher dans cet univers. Et sa confrontation percutante avec Lucy Weber permet d'apprécier ce que donnerait l'équivalent d'un duel entre Thor et Frank Castle chez Marvel, mais avec un dénouement imprévisible et inattendu.
C'est le point d'orgue de l'épisode qui comme le précédent va-et-vient entre présent et passé en n'en dévoilant pas trop sur les raisons de la retraite de Lucy Weber dans le rôle de Black Hammer. Lemire sait mettre l'eau à la bouche et décale le propos pour interroger une notion qu'il aime explorer : l'héritage.
Car, ce qui est en jeu ici, c'est bien ce que va devenir Black Hammer. Pour cela, le scénariste narre en parallèle de ses retours en arrière une mésaventure de Rose Weber, la fille aînée de Lucy. Cette adolescente rebelle et désobéissante se met dans un sacré pétrin en s'aventurant dans la faille de la Para-Zone apparue dans le centre-ville de Spiral City. Là encore selon que vous soyez ou non un lecteur averti, vous saurez que ce qui peuple cette dimension parallèle n'est guère hospitalier. Mais même si vous l'ignoriez avant, vous voilà prévenu. C'est simple et efficace.
J'avais oublié de le mentionner dans ma critique du n°1, mais Jeff Lemire a aussi enrichi son univers référencé d'un équivalent du SHIELD, baptisé le TRIDENT (pour Tactical Response International Defense Extranormal Neutralization Team - acronyme génial !), qui encadre cette intrusion dimensionnelle. Et on devinera tout seul que Lucy y a des contacts haut placés puisqu'elle récupère sa fille sans problème après qu'elle a été arrêtée par ces agents du gouvernement.
Le clou du spectacle, c'est donc le retour du Skuuldigger dans la partie. Il y a vingt ans, il s'est fritté avec Black Hammer et a réussi à lui échapper après une bagarre. Pour cela il a bénéficié de la complicité de James Robinson alias Dr. Star (ou Dr. Andromeda, puisque, pour des raisons de droits, Lemire a dû modifier l'alias de son personnage). Ce dernier, après la mort de son fils, a visiblement poursuivi ses recherches pour sonder le futur et il s'en est fait une représentation solide, assez pour sauver Skulldigger, prévenir Lucy qu'il agissait pour le bien de tous et, de manière plus suggestive, pour qu'elle se prépare un jour à redevenir Black Hammer.
Sauf que, on l'a appris le mois dernier, Lucy a raccroché, à la suite d'un événement aussi dramatique que mystérieux, et dans cet épisode, elle a une vision fulgurante où il semble bien que Rose soit amenée à la remplacer comme super-héroïne. C'est logique puisque Lucy a hérité du rôle de son père, donc Rose succéderait pareillement à sa mère. Les portes qu'ouvre cette éventualité sont prometteuses.
Visuellement, la série confirme que Caitlin Yarksy est vraiment une bonne pioche. Son style tranche totalement avec celui de Dean Ormston (le co-créateur du Black Hammer-verse) mais c'est excellent. Ses planches sont riches en détails, notamment dans celles où elle imagine l'intérieur de la bulle de la Para-Zone, avec des monstres vraiment flippants, dans des compositions renversantes.
L'autre point fort de son dessin, c'est l'expressivité des personnages. Si le trait ne cherche pas à produire des effets de matière, de texture (ce qui est le seul bémol que j'émettrai), en revanche la ligne est bien définie et met l'accent à bon escient sur les émotions qu'on peut lire sur les visages mais aussi dans la gestuelle. Par exemple, Skulldigger en impose physiquement, sa façon de se battre est sommaire et brutal. La panique de Rose et Sarah durant leur périple est très bien traduire par leurs mouvements désordonnés et leurs mines stupéfaites, tandis que les agents du TRIDENT opposent aux adolescents des figures réprobatrices et affolées. Lucy passe par tout une gamme d'émotions fortes, la colère, le dépit, la lassitude, l'effroi. Le découpage, classique (hormis pour les scènes dans la Para-Zone), renforce ces aspects.
C'est vraiment un trip jubilatoire. Black Hammer Reborn n'aurait pu être qu'une prolongation facile pour Jeff Lemire : il en fait un développement passionnant et haletant, avec le concours de sa dessinatrice inspirée.
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