vendredi 23 juillet 2021

SUPERGIRL : WOMAN OF TOMORROW #2, de Tom King et Bilquis Evely


C'est avec le même plaisir que le mois dernier qu'on lit ce deuxième épisode de Supergirl : Woman of Tomorrow. Tom King signe là une de ses histoires les plus inattendues, parce qu'elle possède un humour qu'on ne connaissait pas à l'auteur, même si celui-ci ne délaisse pas des thèmes qui lui sont chers. Visuellement, la série est grâce à Bilquis Evely et son coloriste Mat Lopes une splendeur.


Ruthye et Supergirl ont quitté la planète de la jeune fille à bord d'un vaisseau bondé. Le voyage comporte son lot de désagréments entre voisins de rangée encombrants et malfrats qui importunent la kryptonienne à cause des exploits de son cousin.


Toutefois, l'obstacle le plus sérieux qui se dresse sur leur route est un dragon de l'espace qui pourrait détruire le vaisseau car il se nourrit de son métal. Pour le terrasser, Supergirl, dont les pouvoirs ont été diminué, consomme une pilule de kryptonite rouge, prescrit à un passager anxieux.
 

Le remède a pour effet de modifier les capacités de Supergirl et elle peut dominer le dragon en l'écartant du passage du vaisseau. Le reste du trajet peut s'accomplir plus sereinement. Même si Ruthye questionne Supergirl sur le fait qu'elle n'a jamais voulu se venger des destructeurs de Krypton.


Supergirl semble pourtant en concevoir quelque regret. Mais elle n'aura aucune pitié contre Krem des collines jaunes qui a tiré une flèche empoisonnée sur Krypto et qu'elle doit à présent retrouver pour que le médecin du chien puisse produire un antidote.

Il y a quelque chose d'atypique dans ce projet de la part de Tom King. Pour ma part, je n'avais jamais rien lu de tel sous sa plume, comme s'il avait délaissé un peu de la gravité de ses projets habituels pour tenter autre chose, emprunter une nouvelle direction - peut-être amorcer un nouveau cycle (après tout, dans son futur The Human Target, il utilisera la Justice League International dans une sorte de super cluedo).

Il y a pourtant dans Supergirl : Woman of Tomorrow des éléments familiers chez King. L'héroïne est une alien loin de chez elle, comme l'étaient les Omega Men, ou Adam Strange (dans Strange Adventures). Il y a de l'aventure et des interrogations sur le passé des personnages comme dans Mister Miracle. Et la promesse d'une vengeance comme dans Batman/Catwoman. Mais cela est servi avec une légèreté nouvelle, comme si King avait choisi de garder de la place pour le simple divertissement, le pur spectacle.

L'épisode est ainsi émaillé de saynètes comiques qui mettent en scène Ruthye aux prises avec des voisins de rangée encombrants ou irascibles, incrédules devant les toilettes bizarres du vaisseau, ou comme quand Supergirl doit prendre de la kryptonite rouge pour pouvoir vaincre le dragon de l'espace. Elle sonde alors Ruthye pour qu'elle l'avertisse des effets secondaires ridicules de ce remède avant de dégager le passage de manière flamboyante.

Un autre moment est une vraie pépite d'écriture : un alien aborde Supergirl au bar du vaisseau et la menace de mort parce que Superman a fait arrêter ses cousins. Supergirl reste impassible tandis qu'en voix-off, Ruthye confie son admiration pour le calme de sa partenaire qui finit par rétamer l'importun rapidement et sans bavures. Il me semble que c'est comme ça que le personnage doit être écrit : sûre d'elle, de sa force, sans avoir besoin de le démontrer. 

Pour offrir un contraste à ce moment, plus tard, la bonté d'âme de Supergirl est illustrée par un lavage des mains de Ruthye, peu habituée à ce simple geste d'hygiène. Mais prodiguée si humblement et gentiment qu'il en en devient touchant. King touche juste parce qu'il échappe à l'écueil de dépeindre Supergirl (mais ce serait pareil - ce devrait être pareil avec Superman) comme le bon samaritain un peu niais : sa bienveillance s'exprime par l'action tout comme sa supériorité se traduit par l'absence de démonstration. Il ne faut jamais en faire trop avec des personnages pareils, c'est le meilleur moyen d'éviter de les rendre insupportables. C'est aussi pour ça que Batman plaît tellement plus : parce qu'il n'a jamais à prouver qui il est. Il fait. C'est la fameuse règle narrative : "Show. Don't tell."

Le lecteur ne manque toutefois pas de s'interroger durant tout l'épisode sur la convalescence de Supergirl qu'on avait laissée pour morte avec Krypto à la fin du précédent épisode. King utilise habilement un flashback à la toute fin pour légitimer cela et en même temps, et c'est très fort, une justification au fait que Supergirl ait finalement accepté de traqué Krem des collines jaunes.

Visuellement, l'épisode est d'une beauté à couper le souffle. Là encore, il me semble que ce n'est pas innocent que King collabore avec Bilquis Evely qui apporte une douceur déterminée à sa narration. La manière dont elle dessine Supergirl sort des sentiers battus dans la mesure où elle ne la représente pas comme la jeune femme trop lisse à laquelle on est habitué. Elle la dessine avec un look un peu rétro, des cheveux à la coupe qui évoque celle d'une actrice de cinéma des années 40. Son visage a d'ailleurs tout de celui d'une vedette du golden age de Hollywood, avec des lèvres fines, un regard perçant, un visage anguleux.

La silhouette de la kryptonienne est ouvragée de la même façon : Evely réduit considérablement sa gestuelle, donc pas d'effets de cape, pas de grands moulinets des bras quand elle frappe. Sa cape glisse le long de son dos de manière presque liquide, comme si elle était en satin. C'est vraiment très élégant. Là encore, je trouve que c'est très bien joué parce que soudain on ne voit plus Supergirl la cousine de Supergirl mais une femme, qui paraît plus que ses 21 ans mais qui y gagne vraiment en allure, en port de tête.

Les aliens qui figurent parmi les passagers témoignent aussi de l'inventivité de Evely pour varier la figuration, sans avoir peur d'y consacrer de grandes vignettes. Et puis, pour accompagner, valoriser ce dessin, il y a une colorisation somptueuse de Mat Lopes. Il est le fidèle collaborateur de Evely depuis un moment et il sait respecter son trait tout en sublimant chaque plan par des camaïeux de couleurs extraordinaires. Rien que les deux splash pages dans l'espace avec Supergirl et le dragon sont à tomber à la renverse (voir ci-dessus).

Oeuvre éblouissante et inspirée, Supergirl : Woman of Tomorrow est un vrai coup de coeur. On regrette déjà que l'aventure ne dure que huit numéros. 

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