vendredi 30 juillet 2021

STRANGE ADVENTURES #11, de Tom King, Mitch Gerads et Evan Shaner



C'est le pénultième épisode de Strange Adventures et son équipe créative avait prévenu sur Twitter que nous n'étions pas prêts. C'est exact : je m'attendais à quelque chose de prévisible et le dénouement m'a complètement cueilli. Visuellement, c'est aussi superbe, même si les planches de Mitch Gerads éclipsent quelque peu celles d'Evan Shaner. Tom King va conclure son récit en Septembre sans que ses lecteurs sachent à quoi s'attendre.


Les conclusions de l'enquête de Mr. Terrific ont profondément remué Alanna Strange et elle confronte Adam. Il avoue qu'il a effectivement livré la Terre aux Pykkt pour sauver Rann mais aussi parce qu'ils tiennent Aleea en otage sur Mars.


Sur Rann, à la fin de la guerre, Alanna et Adam échouent en territoire Moorm. Ceux-ci n'apprécient pas leur présence mais savent que ce que la planète doit à Adam et ils lui indiquent un dernier bastion Pykkt non loin dont ils veulent être débarrassé.


Adam et Alanna se rendent sur place avec les Moorm et obtiennent la réddition des soldats Pykkt. Mais ceux-ci sont piègés et livrés aux Moorm qui les tuent et les dévorent. POur ce service rendu, les Moorm autorisent les Strange à passer la nuit sur leurs terres.


Le ton monte entre Alanna et Adam quand elle déclare vouloir faire appel à la Justice League pour qu'elle aille libérer Aleea sur Mars. Adam dégaine son pistolet. Alanna tente de le désarmer. Un coup part...

Si on veut aller à l'essentiel, alors il suffirait de s'en tenir à la toute dernière page de ce pénultième épisode, tout à fait inattendue et dramatique. Mais ce serait vous spoiler une énorme surprise, un coup de théâtre imprévisible, et je ne peux m'y résoudre.

Il y a deux mois, à la fin du dixième épisode, j'anticipai sur ce que contiendraient les deux derniers chapitres de Strange Adventures, mais j'étais loin de me douter que Tom King allait me surprendre comme il l'a fait; C'était impossible d'imaginer ce qu'il avait dans son jeu.

Strange Adventures, je l'ai souvent écrit, m'a paru un peu trop long. Tom King a pris l'habitude de construire ses mini-séries en douze chapitres, un format qui lui convient et qui a fait le succès de Mister Miracle ou actuellement de son excellent Rorschach. Ce sera encore la durée de The Human Target qui débutera cet Automne. Mais on voit aussi que le scénariste peut faire preuve de souplesse en adaptant son travail comme c'est le cas avec Supergirl : Woman of Tomorrow (huit numéros). Quand il s'entête en revanche, plutôt bêtement, cela donne Batman/Catwoman, une histoire vraiment conçue pour être appréciée d'un seul bloc et qui souffre d'énormes retards qui gâchent le plaisir (et conduisent à remplacer ponctuellement d'artiste).

Il me semble que Strange Adventures aurait gagné à être plus resserré, en dix épisodes peut-être. Mais il faut aussi reconnaître que, contrairement à beaucoup de ses confrères, si King décompresse un peu trop et cède parfois au verbiage, il sait finir ses histoires en beauté, en laissant le lecteur sidéré. Et ce onzième épisode en est une nouvelle preuve.

Ce défaut structurel de Strange Adventures tient essentiellement au fait que King a expérimenté une narration à deux niveaux soulignée par l'emploi de deux artistes, s'occupant chacun d'une ligne temporelle différente. Si, au commencement, ce dispositif fonctionnait très bien et était bien équilibré, chacun des dessinateurs profitant de scènes fortes en égales proportions, à la longue c'était moins concluant, au point qu'aujourd'hui les flashbacks sur Rann ont beaucoup moins d'impact que les scènes au présent sur Terre. De façon assez ingrate, Evan Shaner se trouve éclipsé par Mitch Gerads à qui reviennent des moments plus forts, plus chargés.

C'est encore une fois le cas cette fois tant la confrontation entre Alanna et Adam Strange passionne bien plus qu'un énième segment sur Rann à la fin de la guerre contre les Pykkt. Shaner ne démérite pas : il créé un design saisissant pour les Moorm, sortes de grands hibous cendrés, énigmatiques et brutaux, dans un décor enneigé, superbe. Mais, soyons lucides, si l'épisode n'avait pas comporté les pages de Shaner, il aurait été encore plus puissant, plus intense. Cest terrible à dire, mais je crois que c'est juste.

Car le climax de l'épisode tient dans le dialogue entre Alanna et Adam : Alanna, dans l'épisode précédent, a reçu les conclusions de l'enquête de Mr. Terrific au sujet des crimes de guerre dont a été accusé Adam. La disparition de leur fille durant le conflit contre les Pykkt sur Rann est lié aux atrocités commises par son époux. L'argumentation de Michael Holt était implacable, en tout cas assez pour que Alanna, soutien jusqu'alors inconditionnel d'Adam, décide de mettre ce dernier dos au mur.

King et Mitch Gerads rendent cet échange incroyablement électrique, ne levant jamais le pied, acculant Adam Strange comme le lecteur, les poussant dans les cordes. Ce n'est pas une banale scène de ménage, mais un interrogatoire et des aveux, puis des justifications. Ce qui est prononcé par Adam est écoeurant et pathétique. Il a vendu la Terre aux Pykkt qui tiennent sa fille en otage pour sauver Rann en faisant croire aux habitants de cette planète qu'il avait, à lui seul (quasiment), eu raison des envahisseurs barbares. Acquis à leur chef de guerre, les ranniens n'ont reculé devant aucune manoeuvre pour commettre des massacres, en utilisant des armes affreuses. Mais c'est bien la compromission de Adam qui dégoûte le plus.

A n'en pas douter, certains lecteurs reprocheront à King d'avoir démoli patiemment Adam Strange. En même temps, Strange Adventures étant publié sous la bannière du Black Label, cela en fait une série hors continuité, qui épargne le personnage pour ses futures apparitions dans des séries DC classiques. King s'est surtout servi de Adam Strange pour communiquer sur la réalité de la guerre, le fait qu'il n'y a pas de guerre propre, honorable. Les vainqueurs gagnent toujours par des moyens compromettants. Il n'y a pas de "belle guerre". Et donc plus largement, il n'y a pas non plus de héros vraiment complètement héroiques, nobles. En temps de guerre, on ne peut l'emporter qu'en se salissant les mains. 

Les comics, super-héroïques, glorifient la notion de héros pour nous présenter des surhommes dont les pouvoirs leur permettent de vaincre le Mal sans se comporter en sauvages ou en criminels. C'est le fondement même du héros de comics : s'il s'abaisse à utiliser les mêmes armes et tactiques que l'adversaire, il ne vaut pas mieux que lui. Mais ce n'est pas réaliste et nous le savons, nous l'acceptons. C'est l'avantage du surhomme : au-delà de ses talents spéciaux, il gagne noblement, de manière irréaliste, et c'est ce qui nous le rend sympathique, admirable, fascinant.

Seulement qu'en est-il quand il s'agit d'un héros qui n'a ni super-pouvoir, ni donc le choix des armes ? C'est ce à quoi répond Strange Adventures en nous montrant à quelles bassesses s'est résigné Adam Strange. Il a quelques circonstances atténuantes bien sûr : fait prisonnier, torturé, contraint par l'ennemi qui tient sa fille, il s'est compromis en pensant sauver l'essentiel. Mais cela ne pèse pas lourd au regard de ce qu'il a accepté pour sauver Rann, sa famille. C'est un héros déplorable, méprisable, non pas tant parce qu'il a abdiqué tout honneur, mais parce qu'il a vraiment cru bien faire, qu'il a cru qu'on lui serait reconnaissant. Et finalement, la colère de King s'exprime à travers Alanna qui n'admet pas ce qu'a fait son mari, parce qu'il la trompé aussi, en lui faisant croire à la mort de leur fille, à la noblesse de leur combat, de leur stratégie. Il l'a compromise aussi.

Oui, vraiment, on n'était pas prêt. Et on est totalement incapable de prévoir comment va se terminer la série désormais. C'est un coup de force. Et c'est ce qui assurera certainement à Strange Adventures, malgré ses hauts et ses bas, une belle place dans la bibliographie de son scénariste et de ses artistes.

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