jeudi 30 avril 2009

Critique 40 : BATMAN - THE KILLING JOKE, d'Alan Moore et Brian Bolland


Voici un récit complet qui a marqué au fer rouge nombre de lecteurs de Batman, et de comics en général. La première raison à cela est qu'il a été réalisé par un tandem artistique exceptionnel s'emparant d'une des plus célèbres icones de la bande dessinée américaine. Jugez un peu : d'un côté, vous avez Alan Moore, le scénariste hors du commun de séries historiques comme Watchmen ou V pour Vendetta, et de l'autre, Brian Bolland, un des graphistes les plus prodigieux de sa génération et un des cover-artists les plus admirables (comme en témoigne d'ailleurs celle de ce livre).
La réunion de deux hommes d'une telle valeur reste un évènement plus de vingt ans après la parution de cet opus (The Killing Joke, aussi traduit comme Souriez ! ou Rire et mourir, date de 1988), et le résultat est d'une haute facture. Parfois la collaboration de deux fortes personnalités n'aboutit qu'à des oeuvres mitigées, mais pas ici : au contraire, rarement deux talents aussi puissants ont su si bien rendre justice au travail de l'autre.
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Le récit se focalise principalement sur le duel psychologique entre Batman et le criminel dément appelé le Joker. Ce dernier vient une nouvelle fois de s'échapper de l'asile d'Arkham et compte cette foi-ci s'en prendre au fidèle allié de l'homme chauve-souris, le commisaire Jim Gordon. L'objectif que s'est fixé le Joker est simple : il s'agit pour lui de prouver que n'importe qui, même le plus parfait des citoyens, peut sombrer dans une folie sans retour après avoir subi un violent traumatisme.
Le Joker se rend donc au domicile des Gordon et tire sur la fille du policier, Barbara, qui deviendra paraplégique suite à cette agression. Puis il la déshabille (peut-être même est-elle violée par les complices du Joker...) et la photographie avant de kidnapper son père.
Le Commissaire Gordon est ensuite conduit dans un parc d'attraction à l'abandon et soumit à une intense torture mentale.
Batman arrive enfin pour sauver son ami et affronte brièvement le Joker pour finalement l'appréhender. James Gordon est sous le choc de cette nuit cauchemardesque mais encore sain d'esprit. Le plan de son ravisseur a échoué.
Batman offre son aide au Joker pour qu'il se fasse soigner mais le criminel refuse car il se considère comme irrécupérable. Finalement, il raconte une blague au justicier qui ne peut s'empêcher d'en rire... Cette plaisanterie rapproche les deux ennemis, au fond semblablement sous l'emprise d'une aliènation profonde : celle qui mène au crime pour le Joker, à l'obsession de l'éradiquer pour Batman.

Mais l'histoire recèle une deuxième intrigue, qui éclaire la première d'un jour nouveau et tout aussi pertubant. En effet, nous est contée l'origine (ou une des origines possibles) du Joker.

Avant d'être ce dément avec cet effrayant rictus figé, ce fut un simple ingénieur qui quitta son emploi dans une usine chimique pour tenter sa chance comme acteur. Ses ambitions se brisent rapidement et accablé par cet échec, il sombre dans la dépression : pour pouvoir faire vivre confortablement sa femme enceinte, il accepte de participer avec deux malfrats à un cambriolage dans l'usine où il travaillait.
Pour opérer, ces criminels le persuadent de porter le casque et le costume de Red Hood. Mais le jour prévu pour le casse, le comédien raté apprend que sa femme est morte. Il refuse d'abord de participer au coup avant de céder sous la menace.
Une fois à l'usine, le trio est vite repéré par les vigiles qui abattent les deux complices. Batman intervient pour essayer de mettre la main sur Red Hood, mais celui-ci tombe dans une cuve d'acide. Il en sort miraculeusement vivant mais défiguré et surtout complètement ravagé psychologiquement : ainsi nait le Joker !

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Batman responsable de l'état du Joker ? L'idée est aussi audacieuse que dérangeante. Mais c'est surtout en liant ainsi le destins des deux adversaires que ce livre se révèle d'une grande puissance. Une astuce diabolique comme seul Alan Moore pouvait en avoir.
Pourtant, jamais il n'est clairement et formellement établi que cette version de l'origine du Joker prévaudrait sur d'autres. Effectivement, le personnage laisse planer le doute en disant qu'il ne se souvient pas avec certitude des évènements de la nuit où il est devenu ce qu'il est. Le Joker apparaît comme un maître-manipulateur, sadique, mais aussi comme un individu à la mémoire devenue peu fiable à cause de la démence irréversible dans laquelle il a sombrée. Seul point indéniable : il a endossé l'identité du Red Hood. Mais il ne sait plus exactement pourquoi, trop ébranlé par la mort de sa femme et sa chute dans la cuve d'acide.
Alan Moore emploie des motifs qui sont familiers à ses fans pour traiter ses intrigues : le plus évident reste celui de la boucle fermée. Ainsi, le récit débute un soir de pluie, les gouttes forment elles-même des cercles sur le sol, et s'achèvera de la même manière, avec les mêmes effets. C'est dans un asile que s'ouvre l'histoire. C'est dans un parc d'attraction évoquant le cirque du film Freaks (La monstrueuse parade), de Tod Browning, lieu aussi cauchemardesque, peuplé de créatures aussi inquiètantes, qu'elle se clôt.
Une autre figure typique de l'auteur : les raccords symétriques entre passé et présent. Un personnage se fige dans une position aujourd'hui qu'il avait déjà hier. Le temps semble être aboli par cette transition où deux situations se ressemblent de manière très troublante, comme si elles se faisaient écho l'une l'autre.
Le thème de la gémellité est encore une fois exploré avec une puissance et une habilité peu communes, qui témoignent de la méticulosité des scripts de l'auteur (connu pour livrer des découpages incroyablement détaillés à ses illustrateurs). Batman et le Joker apparaissent ainsi comme les deux faces d'une même médaille, pareillement aliènés, détraqués : ne faut-il pas déjà être fou pour se déguiser en pseudo-chauve-souris ? Et plus encore pour prétendre faire régner l'ordre dans un monde harcelé par des anarchistes déséqulibrés comme le Joker ?
A la fin de l'histoire, pris d'un fou rire, Batman et le Joker semblent en vérité plus proches que jamais, admettant tous deux la dérision de tout cela, mais également le fait que leur affrontement sera sans fin. Peut-être même ont-ils fini par se battre pour mieux se retrouver, pour mieux justifier leurs positions respectives - le vertueux redresseur de torts, le dangereux pertubateur - ? Cette proximité, cette complicité, bouscule la hiérarchie habituelle des comics de super-héros et donne une humanité confondante à ses protagonistes. Et on s'interroge : le Joker n'est-il pas finalement plus sage, plus conscient, de sa névrose que Batman ? Il s'est abandonné à la folie là où son adversaire affirme encore avoir conserver sa normalité...
Moore nous déstabilise encore plus avec son évocation brutale de la violence du Joker, qui mutile Barbara Gordon, humilie son père, et avec la relation de son passé aussi traumatisante : il y est décrit sans complaisance comme un raté complet, qui va perdre la femme qu'il aimait dans des circonstances horribles puis être obligé de commettre son méfait originel, fondateur, alors qu'il a perdu tous ses repères, contraint par deux acolytes aussi abrutis que sans pitié. C'est aussi ce qui fait de cette Killing joke une farce amère, pathètique et bouleversante dont on ne sort pas vraiment indemne.
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Brian Bolland illustre ce récit avec une maestria difficile à traduire. La finesse de son trait, l'expressivité qu'il a donnée aux personnages, la manière dont il a su restituer au plus près les subtilités de l'écriture de son partenaire, sont dignes de tous les éloges. On se prend à s'arrêter de longs moments sur chaque vignette pour en admirer la composition, le luxe de détails, l'élégance, et plus encore pour analyser la fluidité dans la succession de chaque image. Du grand art.
Rompu à l'art de la couverture où il faut à la fois évoquer, suggérer tout en surprenant le futur lecteur, Bolland ne se contente pourtant pas, loin s'en faut, d'aligner de beaux dessins, encrés et mis en couleurs avec goût et savoir-faire. Il enrichit esthétiquement un scénario déjà exceptionnel en lui offrant un écrin à la mesure de son propos.
Grâce à cet artiste, cet album fait indiscutablement partie de ces ouvrages dans lequel on peut se replonger avec l'assurance d'en découvrir de nouvelles pépites, de ceux qu'on peut étudier pour reconnaître une grande bande dessinée et en tirer des leçons de storytelling lorsqu'on entreprend de réaliser ses propres comics.
Il en subsiste un sentiment mémorable : on est intimidé par tant de maîtrise mais on est aussi enrichi par cette leçon dispensé par un ténor du genre.
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Il existe une expression, en définitive, toute désignée pour qualifier un album comme celui-ci : celle d'avoir sous les yeux un "classique instantané", cette catégorie de bouquins dont l'impression initiale tellement forte ne se dilue jamais mais qui surtout se pose comme une évidence dès la première lecture.

mercredi 29 avril 2009

Critique 39 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (3/7)


DAREDEVIL : TO THE DEVIL, HIS DUE ;
(vol.2, #94-99) ;
Avril-Septembre 2007).

Voici le nouveau tome de Daredevil, le 16ème, toujours écrit par Ed Brubaker avec des dessins de Michael Lark plus Lee Weeks.
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Matt Murdock alias Daredevil, après un éprouvant séjour en prison et une enquête qui la mené jusqu'en Europe, est de retour New-York. Les choses semblent s'être apaisées avec le FBI et la presse, après qu'ils aient révèlé sa double identité. Mais notre héros ne va pas se reposerr longtemps...
En effet, en son absence, la situation dans le quartier d'Hell's Kitchen s'est gravement détériorée. La criminalité est en pleine recrudescence et les malfrats rusent pour faire règner la terreur en commettant des attaques séparées pour mieux se couvrir. A l'évidence, quelqu'un semble tirer les ficelles dans l'ombre pour contrarier Daredevil et reprendre la placce laissée vacante par le Caïd, mais qui ?
Pour corser encore le plat, Melvin Potter alias le Gladiateur paraît sombrer lui aussi sombrer toujours plus profondèment dans la folie : il est accusé d'avoir tué plusieurs co-détenus mais ne s'en souvient pas et prétend avoir été piègé. Becky convainc Murdock de plaider la cause de Potter. Mais il ignore quand acceptant ce dossier, il se précipite dans un traquenard. La démence meurtrière du Gladiateur est en effet liée à celle des criminels qui sévissent dans Hell's kitchen...
Enfin, resurgit sur ces entrefaîtes Lily Lucca, la femme fatale qu'il a croisée en Europe et dont le pouvoir intact d'envoûtement sur les hommes fait littéralement des ravages...

Ed Brubaker nous entraîne dans une nouvelle histoire au long cours puisqu'elle se poursuivra dans le prochain tome. L'ultime page de cet album nous laisse sur un angoissant cliffhanger avec le retour d'un vieil adversaire de DD, totalement à sa merci.

L'ouvrage débute pourtant par un épisode de transition, comme celui centré sur Foggy Nelson dans le précédent volume, une sorte d'entracte, cette fois consacré à Milla Donovan, l'épouse aveugle de Matt Murdock. La détresse de cette femme face à la double vie de son mari, ses souvenirs douloureux de leur vie de couple, sont efficacement relatés, ponctués par quelques interventions nocturnes et musclés de "tête à cornes" contre divers malfaiteurs de seconde zone.

Illustré par l'excellent Lee Weeks, Le résultat est assez émouvant. Mais les plus pressés pourront zapper cette vingtaine de pages pour entrer dans le vif de l'action...

Comme avec Captain America, Brubaker ramène sur le devant de la scène des ennemis un peu oubliés du héros. Ici, le retour du Gladiateur est excellement utilisé et le doute sur sa culpabilité réelle est entretenu avec tout le savoir-faire du scènariste, qui nous fait vite supposer que cela cache un complot plus vaste. La violence suicidaire du méchant est relayée par les troubles identiques des bandits à la petite semaine qui s'agitent dans Hell's kitchen.

Tout le talent de Brubaker consiste en vérité à nous entraîner sur une piste pour en suggérer une autre, et ça fonctionne à merveille. Les interrogations de Murdock et les investigations de Daredevil, tous deux rapidement excédés par ce qui se trame sans qu'ils sachent de quoi il s'agit vraiment, confèrent au récit un rythme haletant, une ambiance intriguante et débouche sur une fin ouverte terrriblement indécise.

Comme d'habitude aussi, les personnages ont une épaisseur, une humanité, bref une vérité, un réalisme troublants, supérieurs aux standards des comics de super-héros. Ils y gagnent en vulnérabilité et le lecteur a peur pour eux.

Graphiquement, Michael Lark et Stefano Gaudiano livrent des planches extraordinaires : l'intensité des scènes d'actions égale l'intérêt des séquences d'exposition et de réflexion.

Le découpage est d'une réelle virtuosité, utilisant brillamment des vignettes horizontales très cinématographiques. Le jeu sur les lumière est superbe, soulignant l'ambiance oppressante et trouble du récit.

L'interaction avec le texte, où la voix-off du héros est très présente, est remarquable. C'est un vrai régal à lire tant il se dégage de chaque planche une impression de fluidité : on tourne les pages sans s'en rendre compte et on finit le livre avec un délicieux sentiment de frustration - on en veut encore, et vite, ce qui ne trompe pas sur la qualité de la "marchandise".

Enfin, encore une fois, il faut saluer la mise en couleurs de Matt Hollingsworth, qui est magistrale de nuance.

Si on pouvait encore en douter, cette fois, c'est sûr : Daredevil bénéficie d'une équipe à la hauteur de ses devancières. Mais ça va être long d'attendre la suite...

samedi 25 avril 2009

Critique 38 : DAREDEVIL par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (2/7)


DAREDEVIL : THE DEVIL TAKES A RIDE ;
(vol. 2, #88-93) ;
(Octobre 2006-Mars 2007).

Ce receuil est la suite directe du Diable dans le bloc D.

Aprés son éva­sion du pénitencier de Ryker's Island, Daredevil va enquêter sur le responsable de sa déchéance et de la mort de son meilleur ami, Foggy Nelson. Comment cela va-t-il finir ? Matt Murdock retrouvera-t-il un semblant de vie normale ?
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Foggy Nelson est toujours vivant, comme on l'avait vu dans les ultimes pages du volume précédent, mais cela, Matt Murdock l'ignore. Placé sous la protection du FBI, l'avocat en profite, entre deux séances pour s'habituer à sa nouvelle vie, pour faire le point sur sa relation avec Daredevil et les dangers que cela représente. Il essaie de s'échapper mais rebrousse chemin lorsqu'il est à nouveau sur le point d'être exécuté.

Matt Mur­dock/Da­re­de­vil débarque en France et suit une piste tortueuse qui le mène à Monaco puis Paris.
Sa rencontre avec Lily Lucca, une jeune femme dont le parfum l'entête et lui rappelle son ancine amour Karen Page trouble considérablement le justicier, qui devine que l'ennemi à l'origine de ses ennuis est une vieille connaissance. En vérité, on se joue de lui, de son passé, à la fois pour l'agacer et l'orienter. Il affronte les coriaces Tombstone et Matador, qui ne sont sur sa route que pour éprouver sa pugnacité à résoudre l'énigme.
Quand enfin il atteint sa cible, la surprise est totale et le ramène à ce qui a conditionné toute sa trajectoire depuis qu'il a évincé le Caïd : c'est en effet la femme de celui-ci qui a tout manigancé. Rongée par la maladive, elle a agi par vengeance mais aussi pour démontrer au justicier aveugle qu'il n'a cessé d'entretenir une liaison destructrice avec Wilson Fisk. Daredevil est ébranlé car il comprend, tout en l'admettant avec difficulté, qu'il est le premier responsable de ce qui lui est arrivé.
Pour être réhabilité, il se résout à accepter l'impensable : faire libérer le Caïd. Il peut à nouveau exercer comme avocat, le FBI abandonne les poursuites contre lui et il retrouve Foggy. Mais ce périple pour recouvrer sa vie laissé des traces et ses fantômes n'ont pas fini de le hanter...


Il aura fallu 12 chapitres haletants et sinueux à Ed Brubaker pour dénouer ce que Brian Bendis avait échafaudé durant tout son run. Certes, la résolution de l'affaire Murdock/Daredevil laisse encore des doutes aux autorités, aux médias et au public, mais somme toute, cette issue équivoque arrange quand même l'avocat-justicier. Il lui reste désormais à continuer son oeuvre en cohabitant avec de douloureux souvenirs et la conscience qu'il a évité de peu le pire.

Le scénariste a ingénieusement joué avec nos nerfs, et les sens de son héros. Il avait déclaré dans une interview vouloir s'intéresser particulièrement à une des facultés de Daredevil à chaque nouvel arc.

Dans Le Diable dans le bloc D, l'ouïe était mise en avant : l'environnement anxiogène de la prison atteignait Murdock par ce qu'il en entendait (le coeur de Foggy qui s'arrêtait après qu'il ait été poignardé, les voix menaçantes des autres détenus lui promettant une mort certaine, le silence inquiet s'installant à l'arrivée de Bullseye dans l'arêne, le vacarme de la mutinerie...).

Dans Le Diable en cavale, c'est l'odorat de Daredevil qui est sollicité par le biais du parfum de la femme fatale qu'il va rencontrer et qui lui rappelle sa défunte amante Karen Page. Une fois en Europe, ce sont aussi les odeurs de villes étrangères où il n'a plus ses repères comme à New York qui l'assaillent, celle aussi d'une hacienda où se déroule une corrida-mascarade ou de l'appartement-mouroir de Vanessa Fisk avec sa cheminée et ses médicaments, et bien sûr le fumet de pistolets avec lesquels on lui tirera dessus.

Cette manière impressionniste de nous balader est vraiment originale et adroitement employée et rendue dans l'écriture de Brubaker, dont le talent est décidément étonnant. La complexité du récit, ses fausses pistes, ce parcours semé d'indices discrets et d'embûches inquiétantes, tout concourt à maintenir le lecteur sur le qui-vive, attentif aux moindres détails, mais quand même surpris à l'heure de la révélation finale. Du grand art !

Graphiquement, encore une fois, Michael Lark et Stefano Gaudiano accomplissent un boulot de première classe. Avec eux, Daredevil acquiert une vulnérabilité troublante, à la fois acrobate émérite, lutteur tenace et homme désorienté, traqueur dérouté. La fluidité du découpage, le sens esthétique de chaque séquence, le soin apporté à la traduction des ambiances urbaines tout en situant l'action dans des lieux inattendus, témoignent d'une exigence qui ne peut que combler le lecteur.

Dans le segment d'ouverture consacré à Foggy Nelson, le tandem Lark-Gaudiano est remplacé par le non moins excellent David Aja, dont j'ai eu l'occasion de faire l'éloge pour sa contribution au titre Immortal Iron Fist. Il livre lui aussi des planches mémorables où le cadrage et les lumières transcendent le récit.

Matt Hollingsworth a succédé à D'Armata aux couleurs, et dans un registre plus délicat, s'impose naturellement. Sobre et raffiné, son apport est remarquable - spécialement dans les scènes en sépia où Murdock se rappelle l'apprentissage de ses pouvoirs.

Une époque s'achève en même qu'une nouvelle débute. Assurèment un des plus beaux passages de témoins qui soit. Ne le manquez pas !

Critique 37 : DAREDEVIL, par ED BRUBAKER et MICHAEL LARK (1/7)



DAREDEVIL : THE DEVIL IN CELL-BLOC D ;
(vol. 2, #82-87) ;
(Avril-Septembre 2006).

La série Daredevil a souvent permis à des auteurs de grands talents d'acquérir une notoriété durable, et encore aujourd'hui elle est animée par des scénaristes et dessinateurs parmi les plus recommandables.

Frank Miller écrivit et dessina les aventures de "tête à cornes", secondé par l'encreur Klaus Janson, et le transforma en "must-have" les histoires de ce héros atypique, au concept très symbolique (Matt Murdock l'avocat au service de la Loi, alter ego de Daredevil qui appliquait la Justice).
Miller, encore, comme "simple" scénariste, et David Mazzucchelli produisirent une suite d'épisodes mémorable (l'arc Renaissance).
Puis Ann Nocenti et John Romita Jr signèrent un run atypique et marquant.
Récemment, Brian Michael Bendis et Alex Maleev ont présidé à la destinée du justicier aveugle pendant une période conséquente qui a révolutionné la mythologie du personnage et a impressionné à la fois des connaisseurs et des amateurs. Durant leur passage, l'auteur et l'artiste ont principalement travaillé sur le thème de la double identité, un des concepts fondamentaux chez les super-héros :

Matt Murdock a été soupçonné publiquement d'être "DD" mais il est aussi devenu "Le roi d'Hell's Kitchen" (pour reprendre le titre d'un des arcs narratifs crucial de la série), envoyant Wilson Fisk, le Caïd de la pègre new-yorkaise, en prison, et régnant à sa place contre de potentiels successeurs. Le héros a encore gagné en ambiguïté et sa vie privée est devenue un tel enfer qu'à la fin du tome 13 (Le Rapport Murdock), il est à son tour incarcéré.

C'est sur cette spectaculaire chute (dans tous les sens du terme) que Bendis et Maleev ont choisi de se retirer... Et c'est au défi de prendre la suite que se sont attelés Ed Brubaker et Michael Lark dès ce 14ème volume.
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Bien qu'il se soit acharné à nier auprès des médias, des autorités et du public le fait qu'il était Daredevil, comme le suggéraient ses ennemis, Matt Murdock échoue derrière les barreaux du pénitencier de Ryker's island. Le FBI s'arrange pour faire retarder son procès, faute de preuves indiscutables, dans le but avoué de son directeur de se débarrasser de DD en le livrant à ses pires adversaires, également détenus.
Son avocat et ami, Foggy Nelson, victime d'un traquenard dans l'enceinte même de la prison, meurt sous les coups de couteau d'un homme de main. Ce décés brutal va décider Murdock à se venger sans faire de quartiers puisqu'il est désormais coupé du monde. Il veut également savoir qui a commandité le meurtre de Nelson et évidemment, ses soupçons se portent rapidement su le Caïd.
Mais à l'extérieur, un nouveau Daredevil mène aussi l'enquête, semant la confusion chez ceux qui croyait avoir piègé Murdock et ceux qui continuent de vouloir l'aider.
Lorsqu'à la faveur d'une mutinerie à Ryker's Island, Murdock parvient à s'échapper avec le Punisher - mais non sans s'être assuré d'avoir laissé sur place Fisk et Bullseye - , il rencontre d'abord celui qui se fait passer pour lui et poursuit ses investigations sur les responsables de sa déchéance...

Passer après Bendis qui avait, qui plus est, laissé son héros en très fâcheuse posture avait de quoi décourager plus d'un scénariste. Mais Ed Brubaker n'est pas n'importe qui et a su magistralement relever le défi : l'homme qui dirige déjà si brillamment Captain America nous entraîne dans un récit sous (très) haute tension, et commence à dérouler une intrigue qui n'en est qu'à sa moitié, une fois arrivée au terme de cet album.

La trame de cette histoire est excellente, construite avec une habilité redoutable et menée avec une intensité implacable. Sa première qualité est d'être très bien développée et exposée, la lisibilité est parfaite mais les rebondissements sont permanents et vont crescendo. L'ambiance est oppressante à souhait : ce (quasi) huis-clos dans un pénitencier rempli de criminels prêt à massacrer celui qui les a envoyés ici est d'une puissance fabuleuse.

Les quelques séquences en extérieur, avec ce second Daredevil qui s'affaire en ville, nous intriguent et permettent presque de décompresser. Pourtant, l'étreinte du drame en train de se jouer et ses mystérieuses arcanes nous captivent avec une force égale.

Avec une telle densité dans le propos et son traitement, on sort de là littéralement essoré, dans l'expectative la plus totale.

Le nombre de personnages célèbres et intéressants est subtilement géré, et Brubaker sait comme personne soigner les entrées en scène de protagonistes comme le Punisher, le Caïd ou encore Bullseye (dont l'arrivée tétanise toute la prison), tous connectés à Daredevil.

Visuellement, Michael Lark s'impose immédiatement, sans souffrir du passage marquant de Maleev. Son trait est fin, précis, avec des masses sombres imposantes, qui colle parfaitement aux codes de ce genre de récit. Ce mélange d'élégance, de sobriété et d'angoisse est impressionnant de maîtrise.

L'encrage de Stefano Gaudiano en est le parfait complèment et il suffit de voir, dans quelques galeries en ligne, des illustrations de Lark seul ou avec Gaudiano pour comprendre à quel point leur relation est quasi-symbiotique. Une telle complémentarité est aussi rare que troublante.

Enfin, il faut saluer la superbe colorisation de Frank D'Armata (également responsable de celle de Captain America), qui restitue idéalement l'atmosphère de l'histoire, dans des teintes chaudes, moites, et nocturnes. C'est magnifique.

La suite, très bientôt avec Le Diable en cavale !

jeudi 23 avril 2009

Critiques 36 : Revues Marvel VF Avril 2009


WOLVERINE 183 :
J'ai craqué : je me suis à Wolverine et j'en prends pour 8 mois. Tout ça par la faute de Mark Millar et Steve McNiven, l'explosif duo de Civil War s'empare du griffu ominiprésent pour la saga Old Man Logan.Et c'est vrai que c'est à la hauteur des previews !
Sorte de transposition du Impitoyable de Clint Eastwwod appliquée au Marvelverse, ce premier volet nous plonge tout de suite dans le grand bain.50 ans dans le futur, les vilains ont pris le pouvoir et Wolverine est devenu fermier, époux, père de famille et... Pacifiste ! Après s'être fait dérouillé par la progéniture dégénéré de Hulk venu le rançonner, Logan reçoit la visite de Hawkeye, devenu aveugle, qui lui propose de l'accompagner pour une mystérieuse livraison...
Grosse claque, les amis ! Ce western futuriste et déjanté est déjà un sommet du genre : Millar nous prend pour ne plus nous lâcher, le trip promet d'être corsé et servi saignant (comme ce flash où Wolvie éventre carrèment un des rejetons de Hulk).
Graphiquement, McNiven accomplit lui aussi quelque chose de tout à fait exceptionnel. C'est littéralement à vous couper le souffle : le dessin est d'une incroyable richesse et la mise en couleurs comme l'encrage sont au-dessus du lot.
En revanche, inutile de s'attarder sur Wolverine Origins. Steve Dillon est toujours aussi nul. Et ce que propose Daniel Way inintéressant.
Je mets un A+, même si c'est juste pour la moitié de la revue.


SECRET INVASION 3
-Secret Invasion 3 : Ce mois-ci, on voyage et on bastonne à tout-va ! Dans le triangle des Bermudes, l'Héliporteur du S.H.I.E.L.D. est pris d'assaut par les Skrulls, menés par le clone de Jarvis. Dans le Colorado, le QG des Thunderbolts est attaqué par Captain Marvel. En Terre Sauvage (là où même Frédéric Lopez n'ose pas emmene des peoples...), Tony Stark se fait embobiner par Spider-Woman (est-il lui aussi, sans le savoir, un aline vert avec des oreilles pointues ?). Au Camp Hammond, les super-bidasses en folie de l'Initiative sont envoyés à New York pour rétamer de l'extraterrestre envahissant. A New York, justement, les Jeunes Vengeurs tentent de contenir les skrulls, sans grand succès... Jusqu'à ce que Nick Fury et son Howling commando débarque ! Crénom de nom, ça va saigner le mois prochain ou je ne m'y connais pas !
Le rythme est enlevé et ça castagne dur dans ce troisème chapitre de la saga bendisienne : bon sang, Stark serait un skrull ? C'est vrai qu'il a tellement déconné, Iron Man, ces derniers temps, qu'on se pose la question - mais n'est-ce pas trop évident ? Et Echo s'est-elle fait dézinguer par Spider-Woman, qui, on le sait maintenant n'est pas celle qu'elle prétend être ? Pendant ce temps, les jeunôts de l'Initiative se préparent à la guerre, la vraie : l'angoisse mais aussi l'excitation est palpable. Et pour finir, Fury débarque et il a l'air résolu de celui qui ne fera pas de quartiers... J'aime quand Brian Bendis accélère comme ça, il devrait le faire plus souvent, ça lui va bien. Leinil Yu lui assure comme depuis le début en nous offrant des planches à la mesure du conflit, tout en réussissant les scènes plus calmes où plâne le doute.
- Secret Invasion : who do you trust ?#1 nous propose des retrouvailles ambiguës entre Wonder man et le Fauve (avec son ancien look, mi-Wolverine-mi-schtroumpf). C'est bien mené, on ne sait vraiment pas quoi penser, et Mike Perkins livre de belles pages.
- Enfin Les Agents d'Atlas entrent en scène. Une petite douceur signé par le duo Jeff Parker-Leonard Kirk, qui avait déjà produit une série avec ces persos. Mine de rien, ce groupe d'outsiders est très bien intégré à l'intrigue globale.

Un bon numéro, assurèment. Je donne un B+.
Et on enchaîne avec :


MARVEL ICONS 48 :
- Les Nouveaux Vengeurs 42 : L'Empire (3). Les Skrulls ont donc envahi la Terre : le plan a été conçu de longue date et même leur reine est de la partie puisqu'elle a usurpé l'identité de Spider Woman !
Bendis revient sur plusieurs évènements passés pour nous détailler la gigantesque opération d'inflitration des skrulls. Ainsi justifie-t-il quelques faits dont les détails nous avaient échappés alors : pourquoi ne pas s'être débarrassé de Wanda Maximoff (et des mutants) ? Comment a été élaboré la grande évasion du Raft - même si cela a abouti à la création des Nouveaux Vengeurs ?Bendis a-t-il vraiment prévu tout ça depuis le début de son run sur la série ou en profite-il aujourd'hui pour tout remonter à la faveur de Secret Invasion ? Le doute est permis, mais le scénariste réussit quand même à nous mener par le bout du nez avec savoir-faire.
Les dessins de Jim Cheung sont toujours aussi raides mais certaines planches sont quand même de toute beauté (comme cette double page sur la transforrmation de la reine).
- Invincible Iron Man 2 : Les 5 cauchemars (2). Je passe mon tour sur ce coup. Matt Fraction n'est vraiment pas à la hauteur des Knauf père et fils. Et Salvador Larroca... Une horreur ! Pourquoi tant de haine ? Quel gâchis !
- Captain America 38 : L'homme qui a acheté l'Amérique (2). En voilà une série qu'elle et vraiment bien ! Fraction devrait la lire... Sharon Carter croit retrouver Steve Rogers vivant dans les labos de Crane Rouge. Le Faucon et Bucky/Cap affrontent des agents de l'A.I.M. dirigés par Arnim Zola.
La vache, que c'est bon ! Ed Brubaker est un sacré scénariste : quelle densité, quel sens du récit, quelle profondeur. Prenez-en de la graine, savourez (d'autant que le bonhomme semble vouloir prendre ses distances avec les comics mainstream...) ! C'est admirable. Réussir à évoquer des figures des 50's sans égarer le lecteur, c'est fort.
Et avec Steve Epting et Mike Perkins aux crayons, en plus, c'est beau. Que demander de plus ? Vite, la suite !
- Fantastic Four 558 : La mort de la femme invisible (1). Le Dr Fatalis surgit dans le Baxter Building pour demander de l'aide aux 4 Fantastiques ! Mais il est aussitôt enlevé par un mystérieux groupe. Que se passe-t-il ?
Millar sait y faire, le bougre, pour nous alpaguer en quelques pages et nous donner l'envie irrésistible d'en savoir plus. Ce nouvel arc démarre sur les chapeaux de roue et je prends le pari qu'il sera bien plus abouti que le précédent.
Bryan Hitch, à présent encré par ses soins et ceux de l'excellent Andrew Currie, se fait pardonner ses récentes et inhabituelles faiblesses : scènes d'action époustouflantes, rythme soutenu, découpage lisible... He's back !
Ah ! Si seulement il n'y avait pas Iron Man, ce serait le sans-faute. Mais ça mérite quand même un A +.



MARVEL HEROES 18 :
- Les Puissants Vengeurs 15 : Secret Invasion - Hank Pym. Ou comment Ant-Man/Giant-Man/Yellowjacket n'est pas celui qu'on croit... Hé, oui, lui aussi est tout vert avec le menton craquelé et les oreilles pointues !
Bendis nous révèle comment le boulet historique des Vengeurs s'est fait piquer sa place par un alien. Vous doutiez du potentiel menaçant de ce loser, vous allez être surpris... Cet épisode est narré avec nervosité et un brin de malice, mais surtout superbement mis en images par le légendaire John Romita Jr. (Filez-lui la série !)
- Les Vengeurs : l'initiative 14 - Notre pire ennemi, c'est nous-mêmes ! Pym est à nouveau en bonne place dans cet épiosde où on retrouve un personnage dont le look est plus inoubliable que lui-même : 3D-Man, le seul à pouvoir repérer les skrulls grâce à sa visière !
Franchement, cette série ne vaut pas grand'chose : pesonnages interchangeables sans charisme, intrigue ficelée par deux scribouillards (le sinistre Dan Slott et le passable Christos Gage), "dessiné" par Stefano Caselli (dont la laideur du travail est d'un remarquable constance)... Typiquement le type de concept prometteur qui aboutit à une énorme déception.
- Hulk 5 : Le fracas du tonnerre. Ou alors, pour les plus lucides, le vacarme de la nullité ! Jeph Loeb se surpasse dans la bêtise absolue avec une prodigieuse vitalité. Comment fait-il ? Je demande un contrôle anti-dopage ! Quant à Ed McGuiness, pauvre homme, il n'a pas grand'chose à dessiner mais il prend beaucoup de place pour le faire. Les frères Bogdanoff devraient se pencher sur cette série...
- Thor 9 : Perspective forcée. Heureusement, J. Michael Straczynski et Olivier Coipel nous réconcilient in extremis avec le beau et le bon comic-book. Quelle merveille que cette production, écrite avec un style enchanteur et dessinée somptueusement ! Ce mois-ci, Balder est au coeur de l'histoire, manipulé par cette petite p... de Loki. La chute est bluffante. L'emballage divin. Encore ! Encore !

Bilan mitigé. Mais soyons indulgents car Romita Jr et Coipel dans la même revue, c'est quand même bath : B +.




ULTIMATE SPIDER-MAN 65 :
- Ultimate Spider-man 123-124 : La guerre des symbiotes (1 & 2). Ici débute un nouvel arc qui, comme son titre l'indique, va signer le retour de Venom (et Carnage)... Donc, de nouveaux gros ennuis pour le tisseur !Dans le premier volet, grâce à une astuce narrative d'un humour noir réjouissant, nous retrouvons Eddie Brock relatant ses déboires existentiels depuis qu'il est devenu l'hôte du monstrueux symbiote... Le tout en bouffant littéralement tous les infortunés auditeurs qui viennent s'asseoir sur le même banc public que lui ! Quelque temps auparavant, Spidey a mis une raclée au Rhino, et parallèlement Silver Sable et sa bande se sont mis sur la piste du symbiote pour le capturer (pour le compte de qui ? Mystère !).
Dans le deuxième volet, Spidey et Venom se retrouvent et s'en mettent plein la tronche alors que Peter, MJ et leur classe sont en visite au musée. Silver Sable s'en mêle. Auparavant, le tisseur a croisé la route de l'énigmatique Beetle, apparemment de mêche avec la Roxxon et peu désireux de se lier à notre héros. Qu'est-ce qui relie tout ce beau monde ? Il va falloir attendre pour le savoir.
Dira-t-on jamais assez les merveilles que réussit Bendis sur cette série ? Il y déploie tout son art du récit, jouant avec le temps, jetant des personnages dans un flux ininterrompu d'action, avec une verve incomparable. Si vous vous demandez à quoi ressemble un auteur inspiré par son sujet, lisez USM !
Quant à Stuart Immonen, depuis son arrivée, c'est un émerveillement permanent. Admirez le génie de cet homme pour découper n'importe quelle séquence afin d'en tirer tout ce qu'elle peut raconter, transcendant le récit pour livrer un véritable feu d'artifices visuel. Il alterne vignettes horizontales, en jouant sur la profondeur de champ, et verticales, pour dynamiser chaque planche avec une maîtrise royale. Une authentique leçon pour quantité de dessinateurs pros ou amateurs !
Jetez-vous dessus, que diable ! C'est un pic, que dis-je c'est un pic, c'est un sommet !

Critique 35 : TOP TEN 1, d'Alan Moore, Gene Ha et Zander Cannon


Top 10 est une série limitée publiée par America's Best Comics, la collection créée et dirigée par Alan Moore au sein de Wildstorm (branche de DC Comics). Comme à son habitude, le célèbre scénariste a imaginé cette BD en étroite collaboration avec des artistes, en l'occurrence le tandem formé par Zander Cannon (qui réalise les crayonnés) et Gene Ha (qui signe les finitions et l'encrage).
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Cette brillante fantaisie, qui démontre la capacité de son auteur à briller dans tous les genres, détaille l'existence et le travail d'une brigade de police dans la ville (fictive) de Neopolis, une cité où tous les habitants, flics, criminels, civils, enfants et même animaux, possèdent des super-pouvoirs - et sont vêtus de costumes colorés comme les héros de comics.
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La série a connu des dérivés comme celui consacré en particulier au personnage de Smax, mais aussi un prologue, Top Ten : The Forty-Niners, dont l'action se déroule en 1949 (et dévoile les origines de cet univers), ainsi qu'une suite située cinq ans après son dénouement, Top Ten: Beyond the Farthest Precinct, de Paul de Filippo et Jerry Ordway.
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Les histoires de Top Ten relatent la vie quotidienne des officiers de police du 10ème commissariat (surnommé le Top 10) : on pense immédiatement à une transposition fantastique de la série télé Hill Street Blues (Capitaine Furillo en vf), créée par Steven Bochko, dont Moore revendiqua d'ailleurs l'influence.
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Récemment sortie de l'Académie de Police, la jeune Robyn "Toybox" Slinger est affectée au Commissariat 10, réputé comme le meilleur de Neopolis. Son partenaire, le géant bleu Jeff Smax lui réserve un accueil plutôt froid mais Robyn l'accompagne rapidement sur le lieu de leur première enquête commune : il s'agit d'une affaire d'homicide dans le ghetto des robots, Tin Town.
La victime, Stefan "Saddles" Graczik, laisse comme indice à la police l'adresse d'une fabrique de stupéfiants. Un télépathe est sollicité pour interroger le Pr Gromolko, mais le trafiquant se sucide alors avec le pistolet de l'agent Dust Devil.
Le lendemain, Shock-Headed Pete
et Dust Devil découvrent le cadavre d'une prostituée. Elle a vraisemblablement été tuée par "Libra", un criminel qui semblait avoir quitté la ville.
Pendant ce temps, ailleurs, Synaesthesia utilise le taxi de Blindshot pour trouver Marta "Boots" Wesson, compagne et associée de Saddles. Boots révèle que Gromolko devait faire une livraison spéciale pour un client unique. Dans la cachette du musée où Boots et Saddles attendaient, une boîte métallique est trouvée qui contient une drogue radioactive.
De retour au poste, Hyperdog et Peregrine
interrogent Annette "Neural 'Nette" Duvalle, une autre prostituée qui a survécu à sa rencontre avec Libra. Elle mène Hyperdog, Peregrine, Dust Devil, Shock-headed Pete et Jack Phanthom, où elle a été agressée. La brigade procède à l'arrestation de Libra, qui se révèle être le "héros de la science" M'rrgla Qualtz, un extra-terrestre métamorphe.
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Top Ten s'appuie donc sur un postulat simple mais d'une grande richesse : le monde entier est peuplé de super héros. A Neopolis, n'importe qui est doté de pouvoirs, vêtu d’un costume de carnaval, ce sont des élèments établis dès le départ. Cela suffit à en faire un objet atypique mais que tous les lecteurs pourront apprécier, qu'ils soient ou non amateurs du genre : c'est une convention narrative finalement semblable à celle des contes de fées ou des récits mythologiques où des personnages invraisemblables abondent.
Cette "licence poétique" permet à Alan Moore de réfléchir aux clichés propres des comics de super-héros pour en dégager ce qui les rend si attractifs : l’être humain sous le masque. Afin de cadrer son propos, l'auteur choisit un terrain d’expérimentation : un commissariat de police. Ce décor familier agit comme un filtre pour le lecteur : dans cet environnement, il a ses repères, mais ce qui s'y passe est subtilement décalé.
L’autre astuce, très habile, de Moore est de développer son récit comme dans un feuilleton télé en l'articulant autour de l'arrivée d’une nouvelle recrue, Toy Box, cette jeune femme dont le pouvoir consiste à commander aux jouets d'un coffre qu’elle porte en permanence sur elle. Comme elle, nous découvrons le commissariat, ses agents, son partenaire, les affaires sur lesquelles ils enquêtent, la ville, ses habitants. Comme elle, nous sommes saisis par l'excentricité de ce lieu, de ses acteurs, des drames (petits ou grands) qui s'y jouent. Le procédé est élémentaire mais très efficace pour s'identifier à l'héroïne et éprouver les mêmes émotions qu'elle.
Ainsi, très vite, ce ne sont ainsi plus les super-pouvoirs, les individus tous plus extravagants les uns que les autres, qui captent notre attention. On s'attache davantage aux personnalités que l'on croise tout au long des investigations des agents du Top Ten.
Ces enquêtes sont elles-mêmes décomposées comme une suite de péripéties, à la manière des séries télé là encore. Leur intérêt est inégal mais ainsi l'intrigue ménage ses effets. Alan Moore préfére développer les relations entre ses héros, même si la résolution des affaires n'est pas négligée - et réserve des surprises.
Plutôt que des "héros" traditionnels, je devrai plutôt parler de protagonistes qui occupent le devant de la scène à tour de rôle, chacun leur tour à un moment donné du récit : selon les besoins de l’enquête ou d’un conflit plus personnel au sein du commissariat, les officiers de la brigade ont l'occasion de mettre en avant leur talent particulier.
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Si elle peut paraître bien légère, une seule lecture de cette série ne permet pourtant pas d'en faire le tour complet et cela aussi grâce à la remarquable contribution de Gene Ha et Zander Cannon pour la partie graphique.
Les deux artistes ont réussi à faire exister cette ville, ses policiers et toute son extravagante population avec une force d'évocation, un sens du détail, une originalité esthétique proprement incroyable.
A la fin de ce recueil, on trouve d'ailleurs un sketchbook où figurent les études pour les designs des personnages principaux, et c'est l'occasion de mesurer avec quel pointillisme Gene Ha a conçu ces héros, avouant même avec humour qu'il leur a parfois dessinés des looks finalement trop difficiles à reproduire !
Il n'y a guère qu'une autre série comme Astro City, de Kurt Busiek, Brent Anderson et Alex Ross, pour proposer un univers d'une telle densité visuelle et d'une telle cohérence.
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Alors, si d'aventure, vous voulez explorer un autre pan de l'oeuvre foisonnante d'Alan Moore, offrez-vous une virée à Neopolis et vous ne le regretterez pas. C'est un voyage à la fois distrayant et intelligent, en dehors des sentiers battus. Une preuve supplémentaire, s'il en fallait une, du génie de cet auteur révolutionnaire et indispensable.

mercredi 22 avril 2009

Critique 34 : IMMORTAL IRON FIST 1 : THE LAST IRON FIST STORY, par Ed Brubaker, Matt Fraction et David Aja

Immortal Iron Fist : The Last Iron Fist Story rassemble les 6 premiers épisodes de la série co-écrite par Ed Brubaker et Matt Fraction, consacrée au héros créé par Roy Thomas et Gil Kane en 1974.
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Mais qui est Iron Fist ?

A la recherche de la cité mythique de Kun L'un, au coeur de l'Himalaya, et qui, parce qu'elle appartient à une dimension parallèle, n'apparaît sur Terre que tous les dix ans, le père de Danny Rand, un riche homme d'affaires, est assassiné par Ward Meachum, son partenaire, et son épouse est dévorée par une meute de loups, laissant son enfant seul au monde. L'orphelin est recueilli dans la cité cachée de K'un L'un et est entraîné par Lei Kung ("Le Tonnerre") aux arts martiaux. Le jeune Danny projjète alors de se servir de ses dons pour venger son père.
Mais avant cela, il doit subir un dernier test en étant confronté à Shou-Lao l'immortel, un dragon dont le coeur est en fusion. Vainqueur de cette épreuve, Danny Rand plonge ses mains dans les entrailles de la bête et acquiert le pouvoir du "Poing d'Acier" : il est devenu Iron Fist.
Dix ans se sont écoulés depuis le décés tragique de ses parents quand Danny retrouve l'Occident. Ward Meachum attend de pied ferme l'héritier mais celui-ci renonce à le tuer lorsqu'il découvre que son ennemi a eu les 2 jambes gelées dans l'Himalaya après avoir abandonné Danny et sa mère.
Iron Fist est devenu un des meilleurs artistes martiaux du monde.En concentrant son chi
, son poing s'illumine et se durcit considérablement. Il peut aussi se remettre plus rapidement de certaines blessures ou amoindrir la douleur qu'il ressent après une attaque. Mais le chi établit aussi un lien psychique avec ses acolytes - et c'est ainsi qu'il repère d'autres guerriers ayant la même faculté.
Par la suite, Iron Fist va nouer des liens très forts avec différents personnages comme Colleen Wing, Misty Knight et Luke Cage
avec qui il fonda l'agence de "Héros à louer" (Heroes for Hire). Ce qui nous conduit à la situation actuelle : fortuné comme Tony Stark/Iron Man, mais opposé philosophiquement à ce dernier, Danny Rand est le mécène des Vengeurs clandestins nés de Civil War tout en poursuivant son activité de justicier désormais hors-la-loi.
*

Danny Rand découvre que son pouvoir est transmis à d'autres que lui depuis des générations, partout à travers le monde. Combien d'autres détenteurs y-a-t-il eu - et y-a-t-il encore ? Depuis le XIIIe siècle, K'un L'un, l'une des Sept Cités Célestes, chacune possédant son propre champion différent, doit gagner le droit de passage dimensionnel avec la Terre au cours d'un tournoi. Ainsi 66 Iron Fist avant lui, tous décédés avant ou à l'âge de 33 ans, ont dû défendre ce privilège. Celui qui fait ses révèlations à Danny n'est autre que son prédécesseur, un vétéran de la Première Guerre Mondiale : il s'appelle Orson Randall.
Et c'est dans ce contexte agité qu'une entreprise couvrant les activités de l'organisation terroriste Hydra essaie de racheter l'empire financier des Rand...

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Honnêtement, c'est un régal absolu, et le plaisir est d'autant plus grand que le pari était loin d'être gagné. Redonner du lustre à un héros originellement conçu pour surfer sur la mode des films de kung-fu et de la blaxploitation des 70's, vêtu qui plus est d'un imprrobable costume vert et jaune au design hasardeux, ressemblait à une mission quasiment impossible - ou alors visant seulement quelques nostalgiques.
Les deux scénaristes aux commandes du projet, l'excellent Ed Brubaker (qui pilote déjà Captain America avec maestria) et le plus inégal Matt Fraction, ont pourtant accompli un travail admirable, d'une redoutable efficacité. Cette nouvelle série parvient à la fois à respecter la continuité du personnage tout en l'enrichissant singulièrement et en lui ouvant des perspectives très prometteuses - ou comment combler les connaisseurs et les néophytes.
L'usage, habilement dosé, de flashbacks mettant en scène les précédents Iron Fist donnent une ampleur épique et permettent de voyager à travers le temps et l'espace de manière jubilatoire.
La courte histoire qui clôt ce volume nous éclaire aussi sur le pacte conclu entre Iron Fist et Daredevil, avant que l'alter ego de ce dernier (l'avocat Matt Murdock) échoue en prison (aventure relatée dans le tome 14 de "DD", Le Diable dans le bloc D, écrite par Brubaker et dessinée par Michael Lark).
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Graphiquement, la série doit beaucoup à la révèlation qu'est l'espagnol David Aja. L'artiste imprime rapidement sa marque sur le projet en signant des planches somptueuses. C'est aussi un dessinateur dont l'art du découpage est extraordinaire et un exemple valant mieux que tous les discours, en voici la preuve éclatante :
D'autres illustrateurs ont été mis à contribution pour les flash-backs, comme Travel Foreman, Derek Fridolfs, John Severin ou le vétéran Sal Buscema. Ce qui peut sembler déroutant au premier abord est finalement une idée ingénieuse pour distinguer les époques.
Cette équipe artistique est en tout cas aussi à l'aise pour les scènes de dialogues que pour les séquences d'action, spectaculaires à souhait, esthétiques sans être complaisantes. La grande classe !
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Bref, c'est qu'on appelle un retour gagnant surr toute la ligne : celui d'un héros de seconde zone qui a tout pour séduire ceux qui l'aimaient déjà et ceux qui le découvriront. Ce recueil est exemplaire : introduction parfaite, il donne une irrésistible envie de connaître la suite. La beauté des dessins, le mix d'action et d'humour, l'alternance entre la modernité et les références au passé, tout est imparablement dosé. Qui l'eût cru ? Le kung-fu va redevenir à la mode !

lundi 20 avril 2009

Critique 33 : ASTONISHING X-MEN, de Joss Whedon et John Cassaday



En 2004, Marvel a réutilisé le titre Astonishing X-Men pour lancer une nouvelle série-événement puisqu'elle serait écrite par Joss Whedon, célèbre pour avoir créé le programme télé Buffy et les vampires, et dessinée par John Cassaday, l'artiste aux commandes de Planetary avec Warren Ellis.
En vérité, cette série prolonge le run de Grant Morrison sur New X-Men. et rend hommage à celui de Chris Claremont et John Byrne. Toutefois le projet de Whedon et Cassaday peut très bien s'apprécier sans avoir lu ces épisodes. En outre, les deux auteurs en ont profité pour introduire quelques tout nouveaux personnages dans l'univers Marvel comme l'agent spécial Brand du SWORD, Hisako Ichiki, Ord et Blindfold.
Appréciable aussi pour celui qui a délaissé le monde des mutants depuis longtemps - comme c'était mon cas à l'époque où je me suis plongé dans cette série - est la volonté de Whedon d'écrire une histoire s'inscrivant en dehors de la production courante de Marvel (même si les Astonishing X-Men, comme groupe, sont apparus dans House of M). Toutefois, cette "marginalité" était aussi la conséquence des retards de plus en plus conséquents que prit la série au fur et à mesure de sa réalisation... Mais le résultat est si brillant qu'il vaut toutes les excuses.

Procèdons par ordre et examinons chacun des 4 recueils de cette saga, comprenant 24 chapitres plus un long épilogue.


- Volume 1 : "Gifted" (épisodes 1 à 6). Ce premier arc narratif se concentre sur la présentation des protagonistes et établit l'intrigue générale. Une scientifique indienne, le Dr Kavita Rao, met au point un sérum qui supprime le gène mutant. Cette découverte fait l'effet d'une bombe, mais ce que tous ignorent, c'est que la mise au point de cette antidote a été possible grâce à une alliance avec le guerrier extraterrestre Ord, venu sur terre pour y tuer un mutant dont les prophéties de son monde affirment qu'il sera son exterminateur. Hank McCoy alias Beast rend visite à Rao et apprend qu'elle a, pour finaliser sa formule, pratiqué des expériences sur un sujet humain inconnu. Les X-Men s'introduisent dans les laboratoires de Benetech et y retrouvent leur camarade Colossus, porté disparu et présumé mort. Avec son aide, l'équipe neutralise Ord, mais celui-ci a le temps de leur révèler le sort qui attend sa planète - le Breakworld - et donc sa mission sur terre.
- Volume 2 : "Dangerous" (épisodes 7 à 12). A peine remis de leur précédente aventure, les X-Men vont devoir faire face à une nouvelle menace. Il s'agit d'une des fameuses Sentinelles, un de ces robots gigantesques conçus pour le surveiller, mais qui est ici déterminée à les supprimer. Qui a réanimé cette Sentinelle ? Rien moins que la salle des dangers, qui a acquis une conscience et s'est rebaptisée "Danger" en prenant forme humaine. Bientôt, l'affrontement mène les mutants sur l'île de Genosha où vit désormais le professeur Charles Xavier, responsable de la transformation de la Salle des Dangers, installée initialement pour entraîner ses élèves au combat. Au terme d'une bataille disputée, durant laquelle Emma Frost s'éclipse subitement avant de réapparaître, on comprend que cette dernière s'est alliée avec une nouvelle formation du Club des Damnés.
- Volume 3 : "Torn" (épisodes 13 à 18). De retour à leur école, les X-Men vont être mentalement manipulés par ce nouveau Club des Damnés, composé de Cassandra Nova, Emma Frost, Perfection, Negasonic Teenage Warhead et Sebastian Shaw. Mais, en vérité, Emma est asservie par Cassandra Nova et surtout ce Club des Damnés n'est qu'une illusion mentale. Mais l'équipe de mutants est mise à mal : la rafale optique de Cyclops est bloquée, Beast devient un animal sauvage, Wolverine retombe en enfance... Seule Shadowcat réussit à esquive l'attaque et trouve les ressources pour sauver ses acolytes. C'est alors que Ord et Danger surgissent et que l'agent Brand téléportent les belligérants à bord du vaisseau du SWORD - direction : le Breakworld.


- Volume 4 : "Unstoppable" (épisodes 19 à 24 et "Giant-Size Astonishing X-Men" 1). Les X-Men, les agents du S.W.O.R.D., Danger et Ord se dirigent vers l'issue de leur épopée. Sur la planète Breakworld, les héros mutants découvrent qu'ils sont au centre d'un conflit politique entre deux dirigeants dont les prophéties de fin du monde, impliquant Colossus, opposent leurs partisans. Constatant l'échec de Ord, les extraterrestres ont élaboré un nouveau plan visant à la destruction de la Terre par un projectile géant. Shadowcat s'introduit dans cette balle de revolver pour en contrarier la trajectoire mais en devient prisonnière. Elle parvient néanmoins à éviter l'impact avec la Terre mais se condamne ainsi à errer dans l'espace. Son sacrifice laisse ses amis dans un profond désarroi tandis que sur le Breakworld, la situation s'apaise.
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Astonishing X-Men est une véritable fresque, et pour moi qui suis devenu fan des récits de super-héros avec les X-Men de Chris Claremont et John Byrne, le run de Whedon et Cassaday a ressemblé à un véritable retour aux sources. Comme à la grande époque, on y suit une histoire qui se développe patiemment mais amplement sur plus de 20 épisodes tout en étant ponctuée par des rebondissements palpitants. Que Whedon se soit fait connaître à la télé est sensible dans cette vaste entreprise où il déploie un art certain pour les coups de théâtre rocambolesques (comme dans le volume 1), les pirouettes jubilatoires (comme dans le volume 3), et une alternance de séquences d'exposition intriguantes et de scènes d'action spectaculaires.
L'autre talent de Whedon se situe dans les dialogues, qui permet à chaque protagoniste d'être puissamment caractérisé, mais aussi d'injecter une dose d'humour agréable. Un personnage effacé comme Cyclops y gagne une épaisseur séduisante ; Beast revêt une ambiguïté tout aussi épatante ; quant à Wolverine, il n'est plus résumé à une machine à tuer. Mais c'est avec Shadowcat que l'auteur semble avoir trouvé son vrai porte-parole : tout comme avec Buffy, il imagine une femme-enfant que les évènements conduisent à faire des choix poignants. Ce n'est pas si courant d'être ainsi ému par le destin d'une héroïne de comic-book.
*
Graphiquement, John Cassaday a également abattu un travail de titan. Déjà éblouissant dans le registre décalé de Planetary, son style fait merveille dans le genre mainstream des super-héros. Ses personnages féminins ont une beauté fabuleuse, une allure à la fois élégante et racée : Emma Frost, Kitty Pryde n'ont peut-être jamais été si bien dessinées.
Mais les protagonistes masculins ne sont pas moins bien traités : Beast inspire une authentique empathie, Cyclops fait vraiment jeu égal avec le charismatique Wolverine, et Colossus possède une expressivité qui lui a souvent fait défaut sous le crayon d'autres artistes.
Quant aux décors, ils sont tout simplement époustouflants : l'institut Xavier est pleinement exploité et le dénouement sur le Breakworld dépayserait le plus blasé des lecteurs. C'est magnifique.
Mais cette réussite esthétique n'aurait pas été complète sans le concours de la coloriste Laura Martin, peut-être la meilleure dans sa partie actuellement. La manière dont elle magnifie les ambiances, embellit chaque scène, est exemplaire et digne de tous les éloges.
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Quoi qu'il en soit, c'est avec un mélange d'émerveillement et d'émotion qu'on achève cette lecture. Deux sentiments qui suffisent à distinguer cette série, et à la recommander vivement.

dimanche 19 avril 2009

Critique 32 : BATMAN EGO / CATWOMAN LE GROS COUP DE SELINA, de Darwyn Cooke


Batman Ego. Après avoir été té­moin du sui­cide d'un mal­frat, le justicier de Gotham se réfugie dans sa Batcave et se trouve littéralement face à son démon intérieur, sa conscience. S'ensuit un long dialogue entre cette apparition et Bruce Wayne sur son enfance, la perte de ses parents (assassinés, on le sait, par un minable voleur), sa décision de les venger et de combattre le crime, le choix de ne pas exécuter les malfrats les plus dangereux (comme le Joker) au risque de provoquer d'autres crimes...
*
Cette confrontation entre Batman et son double intérieur est une déception, autant être franc et rapide. Le sujet n'est déjà pas ré­vo­lu­tion­naire, d'autres auteurs l'ont abordé sous bien des angles et avec plus d'originalité. On a le sentiment que Cooke ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes, comme par exemple que le Joker est l'antithèse de ce que représente Bat­man (l'anarchie démentielle et meurtrière contre l'obsession de la justice), ou que Double-Face incarne ce que le chevalier noir pourrait devenir (un maniaque voulant faire appliquer la loi dde manière expéditive)...
Pire encore, l'auteur revient sur l'inspiration originelle de Batman : Zorro, défenseur de la veuve et l'orphelin dont il vit un film avant le décés de ses parents. Redîte là encore, puisque cette référence a maintes fois été employée dans des récits bien plus puissants (comme le Dark Knight returns de Frank Miller ou Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean).
On n'est donc pas convaincu par le traitement du scénario, qui ne nous apprend rien qu'on ne sache déjà, ne nous émeut pas davantage, ne nous trouble point.

Graphiquement, Cooke est un peu en roue libre. Certaines planches retrouvent la fulgurance de ce qu'il a pu faire dans La Nouvelle Frontière, mais trop inégalement pour rattraper ce qu'il raconte. Le style "cartoony" de l'artiste ne convient pas vraiment pour nous effrayer ou nous déranger : on a le sentiment de lire un storyboard certes soigné mais décalé par rapport à l'ambiance que le récit veut installer. Il eût fallu une imagerie dont la stylisation soit plus choquante pour arriver à un résultat digne de qu'on prétendait nous révèler.

Dans son hors-série n°2, Comic Box (sous titré) Noir offrait un one-shot de 12 planches intitulé Déjà vu où Cooke revisitait déjà les origines de Batman à travers le meurtre des parents d'un garçon dont il finissait par capturer les auteurs, au terme d'une haletante course-poursuite.
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Catwoman - Le gros coup de Selina. Après un cambriolage foireux à l'étranger (le butin s'est avéré une babiole sans valeur), Selina Kyle alias Catwoman rentre à Gotham avec l'intention de se faire oublier. Mais lorsqu'un gros coup se présente, la voleuse saute sur l'occasion. Problèmes : l'opération est périlleuse (la mafia est impliquée), son indic' va être démasqué, et elle doit demander le renfort d'un ancien amant pour parvenir à ses fins...
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Après l'échec de Batman Ego, honnêtement, on n'en at­ten­dait pas grand'chose de cette autre aventure, réalisée bien avant (et publiée une première fois en vf par Semic). Pourtant, sans sauver complètement les meubles, on est positivement surpris.
Déjà, gra­phi­que­ment, le style de Cooke est nettement plus enlevé : encré intégralement au pinceau (!), on est loin des comics lambda. Le découpage est également de premier ordre : on retrouve avec bonheur le storyteller alerte de La Nouvelle Frontière, avec cette alternance décapante de plans serrés et plus larges qui donne un rythme échevelé à l'action.

Néanmoins, ne nous méprenons pas : d'une part, il s'agit moins d'un comic-book super-héroïque que d'un polar, et d'autre part, ce n'est pas non plus un chef-d'oeuvre. Rétrospectivement, le plus troublant dans ce projet est son influence indiscutable avec les romans de Donald Westlake /Richard Stark. "Troublant", pourquoi ? Parce que, justement, Cooke sortira bientôt l'adaptation en BD de Parker, créé par Westlake / Stark. On touve ici les ingrédients typiques du romancier : la relation d'un casse a priori impossible, un casting de gueules cassées au passé chargé et aux rapports ambigüs, une succession de rebondissements haletants, et un dénouement dramatique qui tranche avec la pure efficacité qui a précédé, comme un couperet symbolique de la fatalité qui colle aux gangsters.
Avoir mixé ce pur cocktail de série noire avec une héroïne de comic-book est déroutant, mais fonctionne bien contre toute attente. Mais il aboutit aussi à une frustration : l'amateur de polars s'interrogera sur l'évocation de Catwoman dans un univers qui s'en passe fort bien, le lecteur de comics se demandera un peu à quoi tout ça rime puisque les codes du genre super-héroïque ont été balayés.
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Expérience intéressante donc, mais conclusion mitigée.

samedi 18 avril 2009

Critique 31 : JSA : THE GOLDEN AGE, de James Robinson et Paul Smith


JSA : The Golden Age est une mini-série publiée en 1993 en quatre volets, dans la collection "Elseworlds" de DC Comics, et que l'on doit au scénariste James Robinson et au dessinateur Paul Smith.
Cette histoire, bien avant le chef-d'oeuvre La Nouvelle Frontière de Darwyn Cooke, proposait de revisiter le passé des super-héros au temps du McCarthysme, mais dans une veine beaucoup plus sombre.
*
Le récit s'ouvre avec le dénouement de la Seconde Guerre Mondiale et la retraite progressive et volontaire de plusieurs super-héros du "golden age". Ceux-ci formèrent la Justice Society of America et le All-Star Squadron mais à cause d'une arme magique détenue par Hitler, ne purent aller combattre en Europe.
L'un d'eux pourtant, Tex Thompson/
Mr America (ou the Americommando), s'est illustré Outre-Atlantique et revient au pays en héros. Il utilise rapidement sa notoriété pour se lancer dans une carrière politique, qui lui permet de devenir sénateur. Son projet est de créer une nouvelle équipe de surhommes pour contrer la "menace soviétique" qui pourrait atteindre les Etats-Unis.
Il recrute ainsi Robotman,
qui a perdu tout sens moral, Atom, qui rêve de gloire, Johnny Thunder, qui souhaite être reconnu à sa vraie valeur, et enfin Dan Dunbar alias Dan the dyna-mite, qui veut succèder à son défunt mentor TNT, et sur lequel Thompson a fait pratiquer plusieurs expériences pour le dôter de pouvoirs.
Les autres héros retirés doivent faire face à leurs propres problèmes : Alan Scott/Green Lantern
est blacklisté par la commission MacCarthy parce qu'il emploie des auteurs aux sympathies communistes ; Johnny Quick et Liberty Belle divorcent - Quick travaille à un documentaire sur les "Mystery men" et Belle est en couple avec le journaliste et écrivain John Law/Tarantula - ; Starman souffre d'une dépression nerveuse après avoir contribué à l'élaboration de la bombe atomique (responsable à la fois de la destruction d'Hiroshima et Nagazaski mais aussi du retrait des super-héros) ; Lance Gallant/Captain Triumph essaie de reprendre une existence banale mais le fantôme de son frère le hante ; Hourman continue de combattre le crime mais découvre son addiction à la pilule Miraclo qui lui procure ses pouvoirs.
De son côté, Paul Kirk/Manhunter, lui aussi de retour d'Europe où il s'est battu, est partiellement amnésique et fait d'éprouvants cauchemars, dont il a l'intuition qu'ils dissimulent un terrible secret. Il retrouve par hasard l'ancien partenaire de Thompson, Fatman, qui l'aide à se cacher puis à découvrir le sens de ses rêves en le conduisant jusqu'à Carter Hall/Hawkman.
C'est ainsi que la véritable nature de Thompson et de ses plans est dévoiléé : possédé par Ultra-Humanite, un des savants d'Hitler à Dachau, celui-ci veut briguer la présidence des Etats-Unis pour en faire le nouveau terrritoire de sa dictature...
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C'est un récit dense, très dense, et torturé que propose James Robinson. Tout d'abord, chaque épisode est beaucoup plus important qu'à l'accoutumée : 50 pages chacun, 200 pages au total, JSA The Golden Age n'entre pas dans les formats traditionnels mais la narration foisonnante, le nombre de protagonistes, les enjeux dramatiques, les entrées multiples du récit, la précision du contexte historique imposaient de voir plus grand que d'habitude.
Ensuite, et c'est sans doute une des limites du projet, il faut quand même être un peu initié à l'univers DC, quand bien même les séries "Elseworlds" ne s'inscrivent pas dans la continuité classique, pour tout comprendre. Ici, pas de Superman, Wonder Woman ou Batman pour nous prendre par la main : tous les personnages appartiennent vraiment à la période de "l'âge d'or" (c'est-à-dire des années 30 à 1956) et pour la plupart, ont disparu ou été remplacés par des versions modernisées (comme Green Lantern, ici incarné par Alan Scott et depuis devenu, avec un autre look, Hal Jordan). Mais on peut prendre cela comme une invitation à se documenter sur ces justiciers des origines - c'est d'ailleurs ce que j'ai fait - et ainsi mesurer toute la richesse à la fois de l'album et de DC Comics (au temps où la maison d'édition s'appelait encore la National).
Enfin, la construction même de l'intrigue, qui la rapproche des romans d'espionnage, avec ses esprits manipulés, ses cauchemars à tiroirs, son atmosphère de paranoia étouffante, ses personnages tourmentés, son complot diabolique, jusqu'à son dénouement à la fois tragique et spectaculaire, peut rebuter le lecteur habitué à plus d'action et de légèreté. Mais là encore, si l'on veut bien faire l'effort de s'accrocher, on ne risque pas d'être déçu par la profondeur psychologique et la variété des protagonistes, l'ambition d'un récit qui tient toutes ses promesses, et un final ravageur qui comblera l'amateur de batailles à l'issue incertaine.
Robinson ne caresse pas le lecteur dans le sens du poil mais il lui donne à lire quelque chose de vraiment consistant et dont il se souviendra longtemps. On a rapproché JSA The Golden Age des Watchmen de Moore et Gibbons pour sa complexité et sa manière d'injecter le pessimisme moderne dans une toile de fond rétro : à mon sens, c'est un compliment et le scénariste n'a pas à rougir de la comparaison - même si, évidemment, l'impact de son oeuvre est moindre que celle des "Gardiens".
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Graphiquement, cette série doit aussi énormèment à Paul Smith, qui s'y est beaucoup investi, au point de la considérer comme son meilleur ouvrage. Ceux qui se souviennent du graphiste suprèmement élégant des X-Men (encré par Bob Wiacek alors) retrouveront intact le talent de ce grand artiste méconnu, mais avec quelques nuances.
En effet, Smith, à la fois pour rendre hommage aux comics de l'époque et au traitement scénarristique de Robinson, a modifié quelque peu son style pour se rapprocher en particulier de ce que faisait l'immense Alex Raymond (le père de Flash Gordon). Respectant le design des costumes de super-héros, soignant particulièrement les décors et les lumières, et produisant de saisissantes scènes oniriques, l'artiste réussit à reproduire des effets "vintage" étonnants tout réalisant des planches d'une authentique modernité.
Smith s'est encré lui-même et a bénéficié de la mise en couleurs de Richard Ory, découvert par Howard Chaykin (qui signe la préface élogieuse de l'album). Et par mise en couleurs, c'est un véritable travail de peintre qu'effectue Ory, avec une gamme de nuances, de textures, d'ambiances, là encore exceptionnelle pour un comic-book de super-héros.
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Assurèment, un des comics fondamentaux de ces dernières années !

lundi 13 avril 2009

Critique 30 : ULTIMATES, de Mark Millar et Bryan Hitch


The Ultimates est une série en deux volumes de 13 épisodes chacun, écrite par Mark Millar et dessinée par Bryan Hitch, et a été lancé en 2002, il s'agit d'une re-création moderne et irrrévérencieuse des Avengers imaginés par Stan Lee et Jack Kirby. Mais aussi un choc scénaristique et graphique qui a contribué à imposer la ligne "Ultimate", au sein de laquelle furent aussi réinventés les Fantastic Four, les X-Men ou Spider-Man.

- La première "saison" des Ultimates compte treize épisodes, divisés en deux actes, et publiés de Mars 2002 à Avril 2004. Bryan Hitch résuma la manière dont lui et Mark Millar abordèrent cette entreprise ambitieuse comme un retour aux fondamentaux pour les personnages et leurs premières grandes aventures tout en les inscrivant dans le présent de façon très réaliste : Captain America (le héros-phare de ce projet) y est traîté comme un super-soldat revenu des morts et complètement déphasé, Thor comme un illuminé ou un messie, Hulk comme une menace incontrôlable, et Nick Fury comme l'archétype du super-espion sans scrupules...

- La seconde "saison", développée elle aussi sur treize épisodes, a été publiée de Décembre 2004 à Mai 2007 - la série connut des retards de plus en plus conséquents à cause de chapitres plus longs, encore plus ambitieux graphiquement. Thématiquement, la titre explore plus profondèment, mais avec toujours autant d'insolence, ce qui se produit lorsqu'une bande de surhommes convertis en commando militaire se lancent dans une guerre contre le terrorisme : c'est une charge sans concessions contre l'administration Bush et sa politique en Irak, après le 11-Septembre 2001.
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- Ultimates, volume 1. Le Général Nick Fury, directeur du SHIELD, est chargé de composer une équipe de méta-humains représentant l'élite de l'armée américaine. Il recrute le légendaire Captain America, premier super-soldat présumé mort durant la Seconde Guerre Mondiale ; le couple de scientifiques formé par Henry et Janet Pym (alias Giant-Man et the Wasp) ; le chercheur Bruce Banner (alias Hulk) et l'aventurier-milliardaire Tony Stark (alias Iron Man).
Ils sont rassemblés dans la base du S.H.I.E.L.D, le Triskelion, lorsque Banner s'administre un sérum censé reproduire les facultés du super-soldat serum mélangé à une solution qui l'avait déjà transformé en monstre surpuissant, Hulk.
Après avoir dévasté Manhattan suite à sa rupture avec Betty Ross (publiciste des Ultimates), Banner/Hulk est finalement neutralisé grâce au concours de Thor, qui prétend être le dieu du tonnerre viking en mission sur Terre pour pacifier les hommes.
Tandis que Pym maltraîte violemment son épouse Janet et prend la fuite, avant d'être retrouvé par Captain America qui le corrige pour cet écart de conduite, l'équipe est renforcée par les deux mutants, Quicksilver et Scarlet Witch, puis les deux agents secrets, Hawkeye et Black Widow. Ensemble, ils vont devoir contrecarrer une invasion extraterrestre menée par les Chitauri, à l'origine de plusieurs abominations historiques (comme l'arrivée au pouvoir des nazis).

- Ultimates, volume 2. Un an après, le peuple conspue ses héros lorsqu'une fuite révèle que Banner est Hulk, responsable du carnage à Manhattan. L'affaire est étouffée mais les Ultimates sont ensuite ébranlés lorsque Thor est accusé d'être en vérité un malade mental.
Un complot ourdi par le frère du prétendu dieu du tonnerre, Loki, va opposer les super-soldats à un groupe rival aussi puissant, financé par plusieurs pays opposés à l'hégémonie américaine, les Liberators. Avec la complicité de Black Widow et d'Henry Pym, les Ultimates sont capturés les uns après les autres. Réussissant à s'évader in extremis, ils affrontent leurs adversaires dans un combat à mort.
Thor invoque les guerriers d'Asgard et terrasse le félon Loki, prouvant du même coup sa condition divine mais aussi son rôle d'émissaire d'Odin et de protecteur de Midgard (la Terre). Black Widow est exécutée par Hawkeye, dont elle a provoqué la mort de sa famille, et Pym, bien qu'il prétend avoir infiltré les Liberators pour mieux les torpiller, finit dans la prison du Triskelion.
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Ultimates prouvent que l'exigence artistique et la liberté de ton de Hitch et Millar ont su captiver les lecteurs tout en convaincant les critiques (dans leur ensemble...). Le cynisme du scénariste et le brio esthétique du dessinateur ont décapé la légende en en proposant une lecture revigorante. La volonté de produire un comic-book en cinémascope est parfaitement accomplie : on en sort repu, ébloui, renversé. C'est un classique instantané qui s'impose naturellement.
Si, au départ, Millar se "contente" de réécrire les origines de l'équipe des Vengeurs, avec le combat contre Hulk puis l'invasion Chitauri ; ensuite, une fois ces éléments établis (composition du groupe, caractérisation des personnages, contextualisation de l'histoire...), il nous embarque littéralement dans une épopée lors du second volume. Le récit se situe clairement au niveau du temps (sous l'administration Bush) et dans l'espace (les Etats-Unis contre une alliance de pays opposés à leu politique). De fait, on a peu vu de comics de super-héros être aussi nettement ancrés dans une réalité précise et Ultimates peut déjà se lire comme une sorte de document sur une époque et l'action d'une nation sur le reste du monde : c'est audacieux et puissamment porté.
L'autre point à apporter au crédit du scénariste est qu'il n'a cessé de s'améliorer tout au long de ce run conséquent. Au départ, Millar donne le sentiment de remplir un carnet de commandes, avec son lot de passages obligés pour poser cet univers. Il s'en sort remarquablement dans la partie Ultimates vs Hulk, avec un sens de l'humour mordant et du spectaculaire consommé. C'est moins concluant avec la partie consacrée à l'invasion Chitauri, censée se dérouler mondialement et dont la conclusion se cantonne à une bataille, certes épique, dans une base militaire : pour le coup, on a l'impression que le trublion écossais a eu les yeux plus gros que le ventre...
En revanche, dans le volume 2, toute l'intrigue est développée d'un trait, 13 épisodes riches en rebondissements vraiment surprenants, avec des séquences inoubliables (la capture de Thor au terme d'un affrontement que le lecteur espère voir remporter par le dieu du tonnerre, l'attaque dévastatrice et éclair des Liberators, l'identification des traîtres dans l'équipe...). L'intensité ne faiblit jamais et Millar est déchaîné. On est soufflé par la manière dont il anime cette suite, s'offrant même un épisode apparemment anecdotique avec des Ultimate Defenders de pacotille, mais qui révèle la déchéance de Pym. C'est brillant, insolent, bluffant.
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Graphiquement, Ultimates a couronné Bryan Hitch comme un des artistes les plus phénoménaux de sa génération. Révèlé par Authority, de Warren Ellis, son style alors très influencé par Alan Davis a mûri et trouvé sa vraie identité en collaborant avec Millar. Très impliqué dans la création de la ligne Ultimate, pour laquelle il a designé nombre de costumes et de décors, l'anglais a complètement réinventé le look des Vengeurs pour en en produire une version la plus réaliste possible. Rien que pour cela, sa contribution restera mémorable.
Mais Hitch s'est surtout affranchi visuellement pour réaliser des planches parmi les plus décapantes qu'on puisse lire. Son trait s'est affirmé pour s'orienter vers un réalisme là aussi de plus en plus poussé, n'hésitant pas, suivant les désirs de son scénariste, à s'inspirer d'acteurs pour camper ses personnages (Nick Fury ressemble ainsi à Samuel L. Jackson, Hawkeye à Kevin Bacon...). L'effet est aussi saisissant que troublant, sans gêner la lecture. On se trouve dans une BD très cinématographique presque prête à être filmée (et d'ailleurs, il ne serait guère étonnant que les premiers épisodes de la série serve de matrice pour un long métrage déjà programmé avec les Vengeurs).
Riche en "splash" et doubles-pages, la saga des Ultimates illustrée par Hitch procure un plaisir esthétique difficilement comparable avec la production des comics habituels. Dès le premier chapitre, en pleine Seconde Guerre Mondiale, où Captain America attaque une base nazie jusqu'à l'assaut final des asgardiens à Washington, les moments forts ne manquent pas et élèvent la série à un niveau bien supérieur aux standards. La somme de travail abattu par Hitch est époustouflante... Mais elle a eu un prix élevé : Marvel a consenti à sortir les derniers numéros avec des retards énormes (plus de six mois de retards pour l'ultime exemplaire !) et, sachant qu'un dessinateur est payé à la page aux Etats-Unis, l'artiste a failli être ruiné !
Encré au début par Andrew Currie puis ensuite par Paul Neary (longtemps partenaire d'Alan Davis), Hitch a eu droit à la crème des collaborateurs et il serait injuste de ne pas les citer car leur contribution est admirable.
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Un classique moderne !