mercredi 29 février 2012

Critique 312 : DAREDEVIL, VOL. 1, de Mark Waid, Paolo Rivera et Marcos Martin


Daredevil, Volume 1 rassemble les épisodes 1 à 6 de la nouvelle série écrite par Mark Waid et dessinée par Paolo Rivera (#1-3) et Marcos Martin (#4-6 + la back-up du #1), publiée en 2011 par Marvel Comics.
*
Rappel des faits : Devenu maître de l'organisation criminelle de la Main, Matt Murdock a, en nettoyant son quartier natal de Hell's Kitchen avec son armée de ninjas, affronté certains de ennemis (tuant même Bullseye) et quelques héros. Mais il était alors sous l'emprise d'un démon et, revenu à lui, a choisi de prendre le large (confiant son territoire à Black Panther).
De retour à New York après un passage au Nouveau-Mexique, il convainc son ami Foggy Nelson de rouvrir un cabinet d'avocats. L'objectif pour Murdock est double : renouer avec son métier de conseil juridique et restaurer son image de justicier...

Fred Van Lente (texte) et Marcos Martin (dessin)
résument les origines de Daredevil.

- Épisodes 1 à 3. Dessinés par Paolo RiveraDaredevil surgit lors d'une cérémonie de mariage dont les époux font partie de deux familles mafieuses de New York et empêche l'enlèvement d'un des invités en affrontant the Spot, un mercenaire.
En tant que Matt Murdock, il accepte ensuite de plaider la cause d'un certain M. Jobrani dans une affaire de violence policière et d'expropriation. La séance au tribunal se passe mal car l'avocat de la partie adverse insiste sur la partialité de Murdock et sa double vie de justicier. Foggy Nelson finit par lâcher le dossier mais Murdock sous le masque de Daredevil mène l'enquête et découvre que l'épicerie de son client abrite les machinations d'un super-vilain...
Entretemps, DD doit également faire face à Captain America, bien résolu à lui réclamer des comptes à propos de ses agissements passés.



4 planches de Daredevil # 1 dessinées par Paolo Rivera.

- Épisodes 4 à 6. Dessinés par Marcos Martin. Matt Murdock et Foggy Nelson se reconvertissent en conseillers juridiques pour coacher leur clients afin qu'ils puissent se défendre seuls, et donc éviter à la partie adverse de mentionner Daredevil. Plusieurs clients se succèdent, jusqu'à ce qu' Austin Cao, un jeune interprète aveugle, brutalement renvoyé de son entreprise après avoir surpris accidentellement une conversation entre clients, retienne l'attention de Murdock. 
En investigant, Daredevil découvre que plusieurs organisations terroristes sont en affaire avec l'ex-employeur de son client. Surpris, il doit affronter the Bruiser, mais il va mettre la main sur un précieux document...

2 planches de Daredevil #4 dessinées par Marcos Martin.
*
Après le départ d'Ed Brubaker et Michael Lark et le run controversé d'Andy Diggle et Roberto de la Torre, Marvel choisit de suspendre la publication de Daredevil. Il ne s'agit pas seulement de préparer un relaunch (qui s'inscrira dans le cadre de l'opération "Big Shots" avec les relances de Moon Knight, par Brian Bendis et Alex Maleev, et du Punisher, par Greg Rucka et Marco Checchetto) mais aussi d'un aboutissement logique, qui a vu la série sombrer dans des lignes narratives de plus en plus sombres et extravagantes (surtout avec Diggle et son crossover Shadowland).
Parti de chez DC, Mark Waid accepte de reprendre les commandes du titre mais  en lui insufflant un nouveau souffle, une direction inattendue : il faut sortir Daredevil de cette spirale infernale et en (re)faire une bande dessinée d'action, bref rompre avec "l'école" Frank Miller (perpétuée avec Bendis et Brubaker) et renouer d'une certaine façon  avec l'époque Ann Nocenti. Plus encore, c'est aux origines historiques de la série que Waid veut faire référence, à l'époque où Stan Lee avec Bill Everett et Wallace Wood pilotaient l'Homme sans peur.
Il ne s'agit pas de transformer Daredevil en comédie super-héroïque ou en pseudo-Spider-Man, mais d'y réinjecter de la légèreté. Ainsi, après tous les coups durs qu'il a endurés, Matt Murdock change d'état d'esprit : plutôt que subir, il redevient pro-actif et optimiste (quand bien même il accepte que Foggy Nelson considère cette attitude comme du déni), et il se sert de Daredevil pour mener l'enquête sur les clients de Murdock, qui décide de devenir un conseiller juridique parce qu'il ne peut plus plaider sereinement. C'est très habile. Mais ce n'est pas tout.
En effet, Waid n'a pas effacé les évènements relatés par Bendis, Brubaker et Diggle : il y fait des allusions discrètes mais claires, comme lorsque Daredevil est appréhendé par Captain America - leur face-à-face laisse la situation en suspens, l'avenir nous dira si Waid y reviendra (Bendis a, lui, déjà décidé d'intégrer DD aux Nouveaux Vengeurs, dans la tourmente de Fear Itself - Waid avait d'ailleurs exprimé que si son héros devenait un Vengeur, sa réhabilitation serait plus rapide).
Ensuite, le scénariste renouvelle la galerie des ennemis de l'homme sans peur : il a décidé d'écarter (pour longtemps à l'en croire) les ninjas et le Caïd. Dans la première histoire, c'est Klaw, le maître du son, qui est opposé à DD ; dans la seconde, c'est un catcheur colossal à la solde de plusieurs organisations criminelles : dans les deux cas, ces adversaires permettent à Waid d'exploiter les super-sens de son héros, en particulier son radar (très ingénieusement quand il est jeté dans l'eau, par exemple, ou face à the Spot). En tout cas, on a affaire à des ennemis atypiques mais retors, qui démontrent que, même si la série est plus bondissante, elle ne ménage pas sa vedette.
Waid insiste beaucoup, mais toujours intelligemment, sur le fonctionnement des pouvoirs de Daredevil et ses relations avec son entourage "normal", introduisant même un nouveau personnage avec l'assistante Kirsten McDuffie et sa colocataire (dont on devine qu'elles vont accompagner sentimentalement Murdock et Nelson). Ces directions trouvent un écho remarquable dans leur représentation visuelle, mais ont d'abord pour qualités de redonner de l'air frais à la série, où alternent, à parts égales, les combats traditionnels et les rapports humains (sans qu'ils soient forcèment dramatiques).
L'auteur prouve que, lorsqu'il est vraiment inspiré, il n'a guère de rivaux pour régénèrer un titre, comme à la glorieuse époque où (avec Mike Wieringo) il avait écrit Fantastic Four.
*
Visuellement donc, cette nouvelle version est un régal, même si elle tranche radicalement avec ce à quoi Maleev ou Lark nous avaient habitués.
Paolo Rivera et Marcos Martin ont des styles distincts, mais complémentaires (hélas ! Martin a quitté la série après ses trois épisodes). Paolo Rivera (qui est encré par son père, Joe) a un trait appliqué, à la ligne claire, où on retrouve son souci du détail, de la justesse et de la lisibilité : à la fin du recueil, une interview de l'artiste et une de ses planches permet d'apprécier la méticulosité dont il fait preuve (et par conséquent pourquoi il ne peut pas enchaîner plus de trois épisodes d'affilée). On pense à Everett et Wood, et ce n'est pas un petit compliment.
Marcos Martin se montre peut-être moins étincelant que dans ses épisodes de Spider-Man, même s'il propose quelques trouvailles épatantes. Néanmoins, l'expressivité de ses personnages, la souplesse de ses découpages et l'élégance de son trait font merveille. Plus encore, il joue énormèment sur la représentation du son et parvient ainsi à traduire avec force le script de Waid.


trois planches de Marcos Martin (Daredevil #3). 
Les couleurs de Javier Rodriguez et Muntsa Vicente sont très vives, confirmant la luminosité nouvelle, l'entrain et le plaisir contagieux du héros. C'est audacieux mais parfaitement accompli.

Un choix de couleurs volontairement plus "flashy" (Daredevil #6.)
*
Le pari de Mark Waid était risqué, sa réussite n'en est que plus éclatante. A la fin de ces six premières issues, la situation de Daredevil est redéfinie et promet des développements accrocheurs. Par conséquent, ne manquez pas ce relaunch qui s'impose déjà comme une des meilleures productions Marvel du moment.

samedi 25 février 2012

Critique 311 : THE MOTH, de Gary Martin et Steve Rude

The Moth rassemble les épisodes 1 à 4, la "Special Issue" et l'extrait de Dark Horse Presents n° 138, de la série créée et dessinée par Steve Rude et écrite et encrée par Gary Martin, publiée en 2004 par Dark Horse Comics.
Comme The Silencer, un autre personnage créé par Steve Rude, The Moth a été imaginé initialement pour une collection de cartes. Puis avec son encreur Gary Martin, le dessinateur a entrepris de développer une série avec ce héros costumé en 2004. Tous les épisodes ont été collectés dans ce recueil paru en 2005 chez Dark Horse Comics : les 42 pages de The Moth Double-Sized Special, les 8 pages de l'histoire publiée dans l'anthologie Dark Horse Presents (# 138), et les quatre épisodes de de 22 pages de la mini-série The Moth. Malheureusement, depuis, le titre n'a pas connu de suite.
*
The Moth est, dans le civil, Jack Mahoney, un jeune et vigoureux arobate qui hérite du Vansant Circus. Il veille sur son frère jumeau, Tad, et sur les membres de la troupe. A l'occasion, il se déguise et loue ses services pour financer le cirque.
Jack est un athlète qui possède un solide physique après avoir été séparé, alors qu'ils étaient encore bébés, de Tad (qui, lui, souffre depuis de nanisme), et son costume de justicier est doté de plusieurs gadgets (comme des ailes qui lui permettent de voler, des fumigènes dans ses gants...). Mais il n'a aucun super-pouvoir.
Néanmoins, il ne manque pas d'adversaires entre un gang de bikers, des gangsters, des mercenaires, ou un homme-lion, incarnation d'un démon africain. 
Détails du costume de The Moth, par Steve Rude.

The Moth compte également quelques alliés. D'abord parce que sa double vie est connue de tous les membres de sa troupe, qui le soutiennent sans réserve (même si les clowns le charrient volontiers), comme l'haltérophile Melvin ou la femme à barbe Sophia. Ensuite il fait la connaissance, lors d'une de ses missions en ville, d'American Liberty, une autre justicière, très médiatisée depuis qu'elle a succédé à son père, et qui collabore en secret avec le F.B.I. - qui connaît tout du passé de Jack... 


La couverture et deux planches de The Moth Special Issue,
par Steve Rude.
*
Le plus frustrant avec cette série est qu'elle s'achève sur un cliffhanger et une affaire irrésolue (contre un trio de "ninjettes" voleuses). Il semble que de faibles ventes aient conduit Dark Horse Comics à annuler le titre, bien que Steve Rude et Gary Martin avaient de grands plans pour leur héros comme en témoignent les annonces à la dernière page du recueil.
Rude et sa femme ont co-fondé "Rude Dude Productions" pour auto-éditer les oeuvres de l'artiste, mais sans grand résultat, et The Moth est resté dans les lîmbes depuis 2004 et son 4ème épisode. Dommage, car le matériel avait un potentiel très prometteur, celui d'une production atypique à contre-courant de beaucoup de comics super-héroïques.
(Pour l'anecdote, Steve Rude avait initialement proposé The Moth à Image Comics mais l'éditeur, gêné par le logo du héros - une tête de mort ressemblant à celle qui orne le costume du Punisher - avait préféré refuser par crainte d'une action en justice de Marvel.)


3 planches de The Moth #1 (avevc la 1ère apparition
d'American Liberty) par Steve Rude.

La prépondérance des anti-héros dans les comics fait de The Moth une série rafraîchissante : c'est en effet un héros qui va à l'encontre de la mode des justiciers cyniques et évoque plutôt les personnages des âges d'or et d'argent (des années 40 à 60 donc). Les aventures de Jack Mahoney ont un aspect intemporel et léger, très divertissant et premier degré, avec des braves d'un côté et de grosses crapules de l'autre, de vrais bons et de vrais méchants à l'ancienne, avec leur lot de clichés.
Par ailleurs, The Moth se pose comme l'opposé de Nexus, l'autre héros emblématique de la carrière de Rude, évoluant non plus dans l'espace, avec des aliens, mais dans un environnement urbain et le milieu folklorique du cirque, avec sa cohorte de "freaks" (la référence au chef-d'oeuvre de Tod Browning est évidente, sans le côté tragique).


3 planches de The Moth #2 par Steve Rude.

Mais, soyons honnête, plus que ses qualités scénaristiques (modestes au demeurant, avec des intrigues assez sommaires et quelques blagues scatologiques dispensables), ce qui rend The Moth vraiment attrayant, c'est sa partie graphique.
Steve Rude est un immense artiste, qui synthétise tout ce qu'on peut aimer chez Jack Kirby (pour l'intensité), John Romita Sr (pour la finesse) et Alex Toth (quand bien même ce dernier ne fut pas tendre avec lui quand il critiqua, à la demande du "Dude", des planches de Jonny Quest : tapez "Alex Toth Steve Rude"sur Google et vous trouverez facilement les détails de cette échange). The Moth est une création qui lui tenait visiblement à coeur et, comme il se doit, il l'a particulièrement gâté. Ses planches sont des modèles du genre, avec des compositions élégantes et fortes, un découpage à la fois simple mais inventif, une fluiditié exceptionnelle.
Et l'encrage, d'une finesse pafaite, de Gary Martin sert à merveille ce trait précis et puissant, tout comme le font les couleurs de Glenn Whitmore (sans oublier le lettrage manuel - Rude insiste sur ce point - de Patrick Owsley).




Ci-dessus, quand on examine ces quatre planches du 4ème épisode, on ne peut que regretter et que la série n'ait pas été prolongée, mais plus encore que Rude ne produise pas davantage (certes son caractère difficile lui a joué des tours, mais quel gâchis de la part des grands éditeurs que de se priver d'un tel talent !).
*
L'album se conclut sur une douzaine de pages de bonus : une postface de Rude, des photos de l'artiste lors de signatures (avec ses enfants mais aussi aux côtés du légendaire John Romita Sr !), une histoire originale illustrée de trois pages (The Honeypot of Doom), un poster d'American Liberty (dessiné, encré et colorisé par Gary Martin) et des lettres de fans (dont Joe Casey avec lequel le "Dude" collabora sur la mini-série X-Men : Children of Atom).
*
Comme je le disais au début de cette critique, la série s'achève en plein vol et des questions restent sans réponses (quelles sont les origines exactes du héros ? Pourquoi ce surnom ? Quid du partenariat d'American Liberty avec le FBI ? Et des trois cambrioleuses ? Etc). Il est très improbable qu'on retrouve The Moth un jour (Rude travaille actuellement au retour de Nexus), mais quoi qu'il en soit, ce recueil est une bien belle bande dessinée signée par un des tout meilleurs artistes modernes.

mercredi 22 février 2012

Critique 310 : PLANETE ROUGE, de Ray Bradbury et Al Feldstein

Planète Rouge est un recueil de douze nouvelles écrites par Ray Bradbury adaptées par Al Feldstein et mises en images par un collectif d'artistes, publiées à l'origine par EC (Entertainment Comics) dans les années 50.
*
L'histoire de ces comics est amusante : Al Feldstein était le rédacteur en chef d'EC, maison d'édition spécialisée dans les bandes dessinées de genre (western, horreur, fantastique, romance, guerre), qui a souvent affronté la censure de l'époque. 
Toujours à l'affut de talent, scénaristes comme dessinateurs, il découvre les écrits de Ray Bradbury dans un recueil de nouvelles. Il décide alors de les adapter mais en modifiant les noms et les personnages, puis les confie à quelques-uns de ses dessinateurs.
Bradbury, fan de comics depuis l'enfance (il raconte dans la préface de l'ouvrage comment il suivait les aventures de Flash Gordon, Mandrake le magicien, Jungle Jim ou Buck Rogers, constituant de 1928 à 1938 une impressionnante collection), écrit quelque temps après à Feldstein en s'étonnant gentiment qu'il n'ait pas reçu de royalties pour ces adaptations.
Feldstein rencontre alors le romancier et c'est ainsi que démarra une longue et fructueuse collaboration entre l'auteur, l'éditeur et ses artistes.
*
Cet album compte douze histoires fortement marquées par leur époque : nous sommes dans les années 50, l'Europe panse les plaies de la seconde guerre mondiale, le rock'n'roll apparaît, l'aérospatiale commence à se développer, et l'Amérique du Nord entretient des relations tendues avec l'Union Soviétique.
Durant cette période, les comics sont en pleine mutation : les super-héros sont au creux de la vague tandis que les récits de genre (western, romance, guerre, science-fiction, épouvante) garnissent les stands des kiosques. Ces bandes dessinées, d'une dizaine de pages par histoire, sont souvent lourdement métaphoriques pour traiter de la guerre froide mais aussi de l'évolution de la cellule familiale ou de la vie citadine et rurale.
Ce sont les années du mobilier "atome", que Franquin mettra en images dans Modeste et Pompon, du lancement de Spoutnik, d'Elvis, du maccarthysme... On rêve de Mars et de ses habitants, les extraterrestres figurant les envahisseurs d'Europe de l'Est et de la Chine, cristalisant le choc des cultures capitaliste et communiste. Des temps troubles donc.
Mais des temps propices à l'émergence de formidables talents : EC va abriter une pépinière d'artistes exceptionnels, comme Reed Crandall, Frank Frazetta, Al Williamson, Wallace Wood et John Severin (qui vient de disparaître à l'âge de 91 ans, en n'ayant jamais arrêté de dessiner !), qu'on trouve tous dans cet album.
*
- L'ouvrage s'ouvre par une fascinante et glaçante histoire post-fin du monde où l'humanité à disparu, laissant leurs maisons au mobilier électronique continuer à vivre comme si de rien n'était... Jusqu'à ce qu'un grain de sable ne dérègle tout. Il s'agit d'Il viendra des pluies douces, magnifiquement servi par le graphisme de Wallace Wood, un des artistes les plus inventifs (et méconnus) de la seconde moitié du XXème siècle (comme Alex Toth, Wood a souffert de ne jamais avoir lié son nom à un héros connu, produisant toutes sortes de comics, de l'horreur à l'érotisme).

- Puis Les Villes muettes prolonge cette thématique de la fin du monde, avec le récit d'un homme seul sur Mars... A moins qu'il reste encore une dernière femme. D'un humour sarcastique, cette nouvelle bénéficie des illustrations d'une autre pointure mésestimé, Reed Crandall (qui oeuvra sur le titre Blackhawks, des héros pilotes de chasse, chez DC).    
La 1ère planche des Villes muettes par Reed Crandall.

- Le niveau du contenu reste somptueux avec Moi, Fusée : la narration est très originale (comme l'indique le titre, il s'agit d'un récit exprimé du point de vue d'un vaisseau de guerre), avec une voix off étonnamment suggestive. Mais encore une fois, c'est la partie graphique qui impressionne, et pour cause, on a affaire à deux des meilleurs dessinateurs d'EC réunis : Frank Frazetta encré par Al Williamson. Les planches sont splendides, dignes du meilleur travail d'Alex Raymond (l'influence majeure des deux partenaires et le mentor du second), avec des effets de trame admirables.

- Châtiment sans crime explore le registre "crime story" en l'agrémentant de fantastique et d'humour noir puisqu'un mari tue sa femme qui est en vérité une marionnette (comprenez un robot). Visuellement, Jack Kamen n'a pas le niveau de ses prédécesseurs, mais son trait noir et épais convient bien à cette ambiance.

- Paria des étoiles parle d'un père de famille de condition trop modeste pour s'offrir un voyage dans l'espace, et qui conçoit alors un plan ruineux mais ingénieux pour exaucer son rêve et le partager avec les siens. C'est assez anecdotique et les dessins de Joe Orlando, comme ceux de Kamen avant, sont inférieurs en qualité.

- Le Roi des espaces gris est une belle fable sur l'amitié mise à l'épreuve par l'élection d'un des protagonistes pour participer à des voyages spatiaux. C'est l'occasion de découvrir les images de John Severin, encrées par Will Elder : cet artiste élégant, à la productivité ahurissante, fut un maître du  noir et blanc classique.

- On en a encore la preuve dans le récit suivant : Le Pique-Nique d'un million d'années, où toute une famille  part en randonnée sur Mars, dont ils sont quelques-uns des derniers résidents. Le climat à la fois mélancolique et angoissant est une réussite.

La 1ère planche du Pique-Nique d'un million d'années
par John Severin et Will Elder.

- Paquet-surprise peut être considéré comme le complèment de Châtiment sans crime puisqu'il s'agit d'un récit criminel teinté de fantastique, mais où les rôles sont inversés - cette fois, c'est une femme qui tue son conjoint, remplacé par une réplique robotique. Le dénouement est aussi inattendu que brutal (un suicide). Tout cela aurait mérité mieux que Jack Kamen au dessin, dont le style a mal vieilli.

- Mais cette déception est vite balayée par ce qui constitue l'indiscutable chef-d'oeuvre de ce recueil : Celui qui attend est une variation saisissante sur le thème de la possession, avec Mars une nouvelle fois comme décor. La voix-off, comme dans Moi, Fusée, est remarquablement utilisée. Et l'immense Al Williamson illustre ce récit avec une virtuosité bluffante.

La 1ère planche de Celui qui attend par Al Williamson.

- Les Longues années est une vraie curiosité avec ses personnages au look moyen-âgeux évoluant là encore sur Mars, dans une histoire de famille et d'abandon troublante. Le "twist" final est imprévisible. Dommage cependant là encore que ce soit Joe Orlando qui ait mis cela en images.

- L'Heure Zéro souffre du même défaut : Jack Kamen, encore lui, peine à traduire visuellement avec efficacité une histoire d'enfants ayant rencontré des aliens sur le point d'envahir la Terre. Le scénario traîne par ailleurs un peu et la chute est trop abrupte pour être aussi frappante qu'elle le devrait.

- Enfin, Pour de bon est la seconde contribution de Wallace Wood à cet album : il illustre magnifiquement cette nouvelle sur un astronaute préférant l'espace à la vie de famille. Le script est, là, à la hauteur de l'artiste avec un dénouement cruel et ironique.  

Une planche de Pour de bon par Wallace Wood.
*
Un album rare, acquis pour un Euro il y a deux ans lors d'une vente de la bibliothèque municipale de ma ville et dont j'avais presqu'oublié l'existence !

mercredi 15 février 2012

Critique 309 : FABLES 16 - SUPER TEAM, de Bill Willingham, Mark Buckingham, Eric Shanower et Terry Moore

Fables : Super Team est le 16ème tome de la série, rassemblant les épisodes 101 à 107, écrits par Bill Willingham et dessinés par Eric Shanower (#101), Mark Buckingham (#102-106) et Terry Moore (#107), publiés en 2011 par DC Comics dans la collection Vertigo.
*
- The Ascent (# 101). Dessiné par Eric Shanower. Dans l'ancien bureau du maire de Fabletown, le singe Bufkin (qui a terrassé Baba Yaga) questionne le miroir magique pour connaître son avenir. Il lui prédit qu'il lui faudra accomplir treize nouveaux exploits avant de se proclamer roi. Il part donc explorer les limites du bureau tandis que Frankie (la tête du monstre de Frankenstein) émet des doutes sur les dires du miroir et la capacité de Bufkin à réussir ses travaux.

Bill Willingham a développé au sein de Fables plusieurs univers depuis le cataclysme provoqué par Mr Dark. Exilé on-ne-sait-où, avec les rebuts du bureau du maire, Bufkin a désormais droit à ses propres aventures, qui sont également mouvementées puisqu'on l'a vu affronter (et vaincre) Baba Yaga. Désormais, il aspire à de hautes fonctions, légitimé par son exploit, mais peut-il faire confiance à ceux avec qui il cohabite ? A l'évidence, le scénariste va développer la trajectoire de ce singe en l'entraînant dans une quête au long cours, à la découverte de nouveaux territoires. Et c'est, contre toute attente, passionnant de suivre ce qui se joue chez ces outsiders de la série.

Cet épisode, qui n'a donc rien d'un bouche-trou, est dessiné par Eric Shanower, familier de ces univers loufoques puisqu'il a signé Adventures of Oz (pour les enfants). 
C'est presqu'un spin-off mais qui continue à s'animer au sein de la série-mère et on se demande bien où tout ça va aboutir.
*
- Super Team (# 102-106). Dessiné par Mark BuckinghamDésormais réfugiés au royaume de Haven, sous la protection de Flycatcher, les Fables savent que Mr Dark va resurgir et ils se préparent donc à le combattre. Pinocchio a persuadé Ozma qu'une équipe bien entraînée pourrait défaire leur ennemi et, s'inspirant des comics de super-héros, il recrute quelques membres qu'ils affublent de costumes bariolés et de surnoms évocateurs. Mais entre les exigences d'Ozma, les souhaits de Pinocchio, l'utilité des recrues, la nécessité de faire appel à des soldats sans peur, et l'arrivée de Mr North, le père de Bigby, qui a découvert l'existence de son 7ème petit-fils (Ghost), la situation se complique rapidement. De son côté, Mr Dark achève de préparer la Nurse Spratt pour un futur et mystérieux projet...

La faculté de renouvellement de Bill Willingham est la clé de la qualité de Fables, et ce nouvel arc prouve qu'il n'est pas à court d'idées après plus de cent épisodes. Ayant également écrit des comics super-héroïques, on se demandait si (et quand) il mixerait le folklore de sa série avec les codes des récits de justiciers costumés. Super Team réunit donc ces deux courants, mais avec malice puisque le scénariste se joue de nos attentes.
En effet, sans dévoiler l'issue de l'histoire, on devine rapidement que cette équipe de super-Fables, vêtus et rebaptisés pour l'occasion, n'aura pas le dernier mot et que le duel contre Mr Dark (comme celui qui l'a précédé avec Frau Totenkinder/Bellflower dans Fables 15 : Rose Red) se décidera avec un autre challenger.
Entretemps, Willingham s'est (et nous a) amusé(s) en détournant les figures traditionnels des histoires de super-héros : il convoque des Fables emblématiques, ressemblant à des héros connus ailleurs (Bigby-Wolverine, the Green Witch-Scarlet Witch, the Golden Knight-Iron Man, Grinder-Hulk, Thumbelina-Wasp, Rapunzel-Medusa, Pinocchio-Pr Xavier), met en scène de façon drôlatique leur engagement, leur entraînement...

Gepetto complote aussi dans son coin, mais Willingham garde cette piste narrative au chaud pour plus tard...   
Le scénario réussit de manière miraculeuse à entretenir toutes ses intrigues et subplots, à caractériser ses personnages sans les figer (la Belle commence à se douter que quelque chose cloche avec son bébé et doute que les Fables cessent de fuir un jour, la Bête ne peut plus se transformer, Mr North hésite en se sacrifier et sacrifier sa descendance - ce qui aura là encore des conséquences importantes...). Willingham réussit à éviter les conventions et s'engage dans des circuits très prometteurs.

Mark Buckingham a la possibilité de rendre hommage à son idole, Jack Kirby (qu'il remercie d'ailleurs), avec cette histoire. Ses planches sont énergiques et son découpage toujours fluide, utilisant le gaufrier en quatre ou six cases et le ponctuant avec des splash ou des doubles pages superbes. Les encrages de Steve Leialoha et Andrew Pepoy se relaient sans rupture de style, ce qui est  toujours aussi agréable
*
- Waking Beauty (# 107). Dessiné par Terry MooreDans l'ancienne capitale de l'Adversaire, une armée a découvert la Belle au Bois Dormant et un nouveau prétendant empereur, Jubilee Mirant, s'emploie à la réveiller pour asseoir son autorité.

En dehors des Fables réfugiés à Haven et de Bufkin dans le bureau de la mairie de Fabletown, Bill Willingham n'oublie pas le sort des anciens royaumes de l'Adversaire, livrés à eux-mêmes. Dans ces territoires, de nouveaux aspirants régents apparaissent et découvrent ce qui a été abandonné sur place, après la guerre. Parmi les éléments ayant participé à la défaite de l'Adversaire et négligés par les Fables se trouve la Belle au Bois Dormant.
A priori, le scénariste semble proposer un récit déconnecté du reste, mais en vérité il prépare de nouveaux rebondissements. Il est évident que, comme avec Bufkin, la situation de la Belle au Bois Dormant va alimenter de prochaines intrigues et rattraper le destin des personnages principaux.

Pour l'occasion, la série acceuille un invité prestigieux puisque Terry Moore, créateur de Strangers In Paradise et de Echo, illustre cet épisode. Il a soigné son ouvrage et le résultat est magnifique, avec des décors incroyablement riches, un découpage merveilleusement conçu, et une galerie de personnages instantanèment mémorables. C'est à la fois très drôle et plein de suspense.
*
Aucun souci à se faire, la série continue de surprendre positivement et ona déjà hâte de lire le 17ème tome prévu pour Juillet !

mardi 7 février 2012

Critiques 308 : REVUES VF FEVRIER 2012

 Avengers 2 :

- Thor 2 : Le germe cosmique (2). Tandis que Thor, dont la blessure (reçue en explorant les racines de l'arbre-monde) continue de le faire souffrir, et Sif entraînent des asgardiens à devenir la brigade de royaumes, Odin est questionné par Heimdall sur la nature de l'oeuf d'Yggdrasil. Cependant, le Surfeur d'Argent arrive dans les ruines d'Agard, réclamant ledît oeuf pour Galactus...

Les cachotteries d'Odin sont au coeur de cet épisode : le régent asgardien a donc menti (et n'hésite pas à manipuler Heimdall pour qu'il garde le silence sur ses manigances) pour récupérer le mystérieux oeuf d'Yggdrasil. Le lien avec Galactus, annoncé par l'arrivée du Silver Surfer, est donc établi et va fournir l'occasion d'une bataille entre Thor et le héraut du dévoreur de mondes. Tout cela s'annonce alléchant, mais Matt Fraction avance ses pions lentement et il faut prendre son mal en patience.

Il est manifeste que la décompression narrative du scénariste (se) repose beaucoup sur le talent d'Oliver Coipel qui enchaîne les doubles pages, au demeurant superbes, mais dont la puissance visuelle ne dissimule pas la progression frustrante de l'intrigue. Il faut espérer que cet arc ne se contente pas d'être un beau livre d'images mais délivre un récit à la (dé)mesure de son artiste.
*
- Thor 620.1 : Fruit défendu. Situé avant Fear Itself et donc avant la série Thor actuelle (critiquée ci-dessus), cet épisode fait partie de l'opération ".1", devant permettre à de nouveaux lecteurs de découvrir les titres Marvel. La Gargouille Grise s'invite à une fête donnée en l'honneur de Thor pour dérober la pomme d'Idunn, conférant l'immortalité à qui la mange...

Ecrit par le tandem Dan Abnett-Andy Lanning, ce chapitre originellement publié à la fin du précédent run de Matt Fraction sur Thor (en Mai 2011) ne mange pas de pain mais est loin d'être désagrèable. Le dieu du tonnerre n'y apparaît que secondairement et le combat contre la Gargouille Grise est un peu frustrant, mais c'est effectivement une bonne porte d'entrée pour de nouveaux fans.

Mark Brooks illustre ceci avec bonheur, imitant de façon concluante Coipel (le dynamisme en moins), ses planches sont soignées, riches en détail tout en étant pas surchargées.

Pour une fois que Panini offre un bouche-trou de qualité, on ne va pas bouder.
*
- Captain America 2 : Rêveurs américains (2). Après l'enlèvement de Jimmy "Jupiter"Jancovicz, Cap', Sharon Carter, Nick Fury et Dum Dum Dugan localisent et attaquent une nouvelle base de cette branche surarmée de l'Hydra qui les a agressés à Paris (lors de l'enterrement de Peggy Carter). La dimension parallèle des rêves de Jimmy Jupiter a permis à Bravo et ses acolytes de revenir de nos jours avec un équipement adéquat pour neutraliser les héros...

Ed Brubaker entraîne une histoire a priori classique, avec un adversaire revanchard issu du passé, dans une direction inattendue, adressant un clin d'oeil appuyé au Little Nemo de Winsor McCay avec le personnage de Jimmy Jupiter. Le contraste entre la tournure plutôt délirante de l'intrigue et la lassitude dépressive de Cap' donne à l'ensemble un ton original qui donne envie de lire la suite.

Steve McNiven (encré par Jay Leisten et Dexter Vines) rend une copie un peu moins percutante que sur l'épisode précédent, mais s'appuie sur un découpage classique aux vignettes très élaborées quand même. Le trait reste un peu raide et déroûtant par rapport à la charte graphique de la série, mais ça reste très beau.
*
- Les Jeunes Vengeurs 2 : La croisade des enfants (2). Wiccan et Speed entraînent toute leur bande en Transie, dans la région des monts de Wundagore, à la suite de Magneto qui est (peut-être) leur grand-père. Ils sont attendus par Vif-Argent en froid avec le maître du magnétisme et toujours à la recherche comme lui de la Sorcière Rouge. Mais celle que tout le monde prend pour une fugitive (depuis House of M) ne serait-elle pas plutôt prisonnière d'un certain latvérien ?...

Allan Heinberg ne serait pas si bavard (avec des dialogues dont la jeunesse sonne terriblement faux), son récit avancerait bien plus vite, à l'image de Vif-Argent. Son art du cliffhanger reste efficace (quoique répétitif - le coup de l'invité surprise à chaque fois risque de faire long feu), mais pour l'instant on perçoit mal comment cette saga va résoudre et même relancer les évènements de House of M.

Jim Cheung a mis deux mois pour produire ces 23 pages (une série déjà en retard au n°2, c'est quand même fort) sans qu'on s'explique pourquoi vu qu'on y retrouve les mêmes défauts (personnages se ressemblant tous, plans larges encombrés, découpage sommaire, décors inégaux). Tout confirme la surestimation de cet artiste.
*
Bilan : la revue reste d'excellente facture, même si toutes les séries au sommaire avancent lentement. Sans compter qu'il faudra composer le mois prochain avec un nouvel épisode bouche-trou (qui risque de ne pas être aussi bon que celui de ce n°...).
  
Marvel Heroes 13 :

- Les Vengeurs 15 : Fear Itself (3). Hulk est devenu un des Dignesau service du Serpent alors qu'il se trouvait au Brésil en compagnie de Red She-Hulk. Steve Rogers envoie Ms Marvel, le Protecteur, Oeil-de-faucon et Spider-Woman protéger les civils sur place. Pour cette dernière, c'est l'occasion d'enfin prouver qu'elle mérite sa place de Vengeur, même si ses camarades lui font déjà confiance...

Brian Bendis alterne à nouveau les témoignages "face caméra" de divers Vengeurs (dont Spider-Woman au centre de l'histoire du mois) et séquences d'action spectaculaires (quatre héros contre Hulk transformé en Digne). Cette astuce narrative s'avère toujours aussi efficace, permettant à la fois d'affiner le profil d'un personnage en lui donnant la parole mais aussi en considérant ce que ses acolytes pensent d'elle, tout en ménageant de l'espace pour une bagarre qui est, pour le coup, vraiment dantesque. Spider-Woman contre Hulk possédé par le Serpent : le match est déséquilibré mais palpitant !

Chris Bachalo (épaulé par pas moins de cinq encreurs !) livre des planches inégales, surtout parce qu'il en a assuré la colorisation (pas toujours heureuse, manquant de lisibilité). Lors qu'il aligne sur des pages une douzaine de gros plans (pour les témoignages), son art pour croquer des trognes expressives, dans un style caricatural mais plaisant, fait merveille. En revanche, quand il représente les combats, son découpage est parfois brouillon, noyé sous des masses noires mal réparties, et parfois percutant, quand il se concentre sur la dévastation que provoque l'affrontement. Il est dommage que cet artiste ne soit pas plus rigoureux et ne freine pas ses délires visuels, ses planches y gagneraient une force et une clareté fabuleuses...
*
- Loki (Journey into mystery) 624-625 : Voyage vers l'inconnu (3-4). Loki poursuit ses manoeuvres en coulisses tandis qu'Odin et les asgardiens se préparent à contrer le Serpent sur Terre. Accompagné du corbeau Ikol et du Loup de Hel, il part à la rencontre de deux personnages également habitués aux manigances mais que les plans du Serpent pourraient contrarier : Méphisto et Héla, tous deux maîtres des Enfers...

Kieron Gillen continue de développer le plus passionnant des tie-in à Fear Itself en suivant les pas du jeune Loki : le récit est avare en action spectaculaire, mais d'une rare richesse en matière de caractérisation, d'intrigues. Aux jeux de la guerre brutale qui se déploient dans la saga (et ses séries annexes), Journey into mystery préfère les jeux d'échecs où la manipulation, la ruse, les petits arrangements entre ennemis sont maîtres. Et c'est passionnant, avec une ambiance prenante, des rebondissements en cascade !

Doug Braithwaite et le coloriste Ulises Arreola produisent encore de magnifiques planches qui respectent tout en le sublimant ce théâtre étrange et mythologique, sans oublier d'être narrativement intelligent. En effet, malgré son esthétisme, peu d'excentricités dans le découpage qui rest lisible et sobre.
*
- L'Académie des Vengeurs 12 : La fin de l'innocence. Comme Iron Man dans "Marvel Icons", cette série est le point noir de la revue : je commence à la lire mais elle me tombe des mains. Elle est, qui plus est, mochement dessinée. Bref, je zappe.
*
Bilan : très positif - les Vengeurs forment un complèment malin à Fear Itself, et les deux épisodes de Loki sont un pur bonheur. 
 Marvel Icons 13 :

- Les Nouveaux Vengeurs (vol. 2) 14 : Fear Itself (1). Miraculée, Mockingbird veut à présent savoir dans quelles mesures le sérum qu'on lui a injectée pour la sauver l'a affectée. Elle (et le reste de l'équipe) va avoir l'occasion de le savoir rapidement puisque New York est attaqué par les force de Sin et du Serpent...

Brian Bendis a trouvé un angle original pour traiter des annexes de la saga Fear Itself (qu'il n'écrit pas) : dans Avengers comme New Avengers, il aborde le sujet en s'appuyant sur un ou plusieurs témoignages de héros indirectement liés aux évènements. Ici, la parole est donnée à Mockingbird, dont la guérison au terme de l'arc précédent (Infinité) est donc rapidement exploitée : à l'insouciance, voire la griserie, succède vite la gravité quand l'héroïne ("la bassiste des super-héros" comme elle se définit elle-même : un bon mot "bendisien" bien trouvé) assiste à la chute de la Tour des Vengeurs. C'est très bien vu, amené et admirablement dialogué.

Mike Deodato s'adapte étonnamment bien au script de Bendis, avec un découpage très quadrillé (dans les scènes de confession - 10 cases par page) et plus éclaté (dans l'action). Son style évoque un mix entre Gene Colan et Joe Kubert, efficace mais un peu différent de ce qu'il a pu faire par le passé (sur Thunderbolts ou Dark Avengers).
  *
- Iron Man 506 : Fear Itself (3). Après la séquence parisienne qui laissait espérer un sursaut de la série vers plus d'action, de rythme et moins de bla-bla, Matt Fraction renoue avec ses mauvaises habitudes dans cet épisode annexe à Fear Itself laborieux (Tony Stark y sollicite l'aide des forgerons asgardiens qui l'accueille froidement, agrémentant leurs échanges d'insultes cryptées lourdingues).

Les dessins de Salvador Larroca sont presque supportables, mais enfin, restons calmes, c'est loin d'être beau et bon.
*
- La Fondation du Futur 2-3 : Le pacte de Fatalis - Que sont devenus tous les Red ? L'arrivée de Fatalis, voulue par Valeria Richards et son grand-père, Nathaniel, suscite l'incompréhension et la méfiance dans les rangs de la Fondation, qui se résout quand même à le soigner (le régent latvérien ne peut plus invoquer la magie et ses capacités intellectuelles ont été réduites). L'invitation d'autres anciens adversaires des FF à se joindre à l'aventure se poursuit tandis que les Red Richards des dimensions parallèles, ayant survécu à l'attaque des Célestes, élaborent un plan radical pour retrouver leurs mondes...

Jonathan Hickman dispose de manière (beaucoup plus) fluide (que dans Fantastic Four) ses pions en introduisant des éléments vraiment surprenants dans l'équation : lorsqu'il pose comme enjeu d'éliminer Red, on comprend ensuite que le héros que nous connaissons n'est pas directement visé et l'intrigue rebondit efficacement. C'est assez déroutant de voir le scénariste si décevant d'hier redistribuer si habilement les cartes mais sa Fondation du Futur est infiniment plus séduisante (au moins pour l'instant)...

La présence de Steve Epting au dessin n'est évidemment pas étrangère à la nouvelle attractivité du titre auquel il donne une superbe allure : voilà un artiste qui soigne vraiment ses effets, son découpage, ses personnages. Ses planches sont à la fois élégantes et dôtées d'une belle ambiance.
*
Bilan : un très bon mois - New Avengers retrouvent des couleurs, FF est prenant. La rechute d'Iron Man est vite oubliée.
X-Men Universe Hors Série 1 :
 
- Facteur-X 215-219 : En attendant l'aube - Monsieur le maire - Cicatrices - Un homme à terre - Ces maudits mensonges. Après une enquête rapide sur un succube menée par Madrox et Layla Miller, l'équipe de X-Factor est engagée par J. Jonah Jameson, l'ex-patron du "Daily Bugle" et désormais maire de New York, pour assurer sa protection. Trois tueuses veulent en effet l'abattre car il a autrefois financé les recherches du colonel Ryan et du Dr Pook. Et pour corser le tout, Black Cat est de la partie...
 
Passé un premier épisode anecdotique (si ce n'est pour suggérer à nouveau que Layla Miller a appris quelques tours de magie auprès du Dr Fatalis), le menu de cet arc développe une sous-intrigue entamée dans le précédent récit de la série (Happenings in Vegas) au cours de laquelle Ballistique, une ancienne militaire, découvrait grâce à Monet St-Croix qu'elle avait servi de cobaye pour un projet secret de l'armée. Après avoir abattu l'officier responsable, elle retrouve ici deux autres de ses amies, également sujettes à ces expériences, et entreprend de liquider JJ Jameson, qui avait financé tout ça, et le scientifique, qui l'avait aidé lui et Ryan.
Jameson, qui a déjà embauché la Chatte Noire pour enquêter sur le meurtre de Ryan, recrute Facteur-X pour le protéger, sans leur préciser pourquoi il est menacé. Mais évidemment, la vérité va finir par éclater et, entretemps, l'équipe de détectives mutants verra l'un des leurs atteint par les tueuses...
Peter David mène son affaire avec beaucoup de rythme et on ne s'ennuie pas en compagnie de ses héros. Le titre vaut surtout pour sa dynamique de groupe, qui, avec un effectif conséquent, produit nombre de combinaisons. On a droit à une révèlation majeure concernant deux d'entre eux (Big Guy est amoureux de Monet) et on devine que d'autres font des cachotteries (Layla Miller bien sûr, mais aussi Shatterstar et Longshot) : tout cela sera certainement exploité dans le futur.
Néanmoins, malgré ces à-côtés, l'histoire est accessible et efficace, supérieure même à Happenings in Vegas.
 
Le premier épisode est dessiné moyennement par Valentine De Landro, qui est cependant l'artiste le plus présent depuis le début du run de David. Les quatre autres sont réalisés par Emanuela Lupacchino, qui effectue un très bon boulot, toujours un peu influencée par Terry Dodson. Les quelques faiblesses de l'italienne sont largement compensées par la souplesse de son trait, l'expressivité de ses personnages, et un découpage qui en restant simple est énergique.
*
Facteur-X : ... En un clin d'oeil - Reine et roi de coeur ! Ces deux courts chapitres de huit pages chacun n'ont en vérité rien à voir avec X-Factor : ils sont issus de l'anthologie X-Men : To serve and protect, parue à l'issue du crossover Second coming, et ont été placés là par Panini pour complèter la pagination de ce HS.
 
Le premier segment, écrit par Chris Yost, est mauvais : le Dr Strange assiste quelques X-Men, menés par Emma Frost, pour désenvoûter Blink, possédée par Séléne. Tout ça n'a aucun intérêt, sauf pour les dessins de Dalibor Talajic, qui oeuvre dans un style différent de celui qu'il avait sur le GN 5 Ronin.
 
Le second segment est par contre un délice : écrit par Kathryn Immonen, il met en scène Gambit et Hellcat (personnage fêtiche de la scénariste) lors d'un rendez-vous arrangé et qui tourne à la catastrophe. C'est très drôle, enlevé, et bien dialogué. Pour l'occasion, Stuart Immonen s'est chargé de l'illustration et, bien qu'on sente qu'il a fait ça rapidement, ça reste brillant, plein de pêche, avec des trouvailles de cadrage, des personnages expressifs.
*
Bilan : un excellent premier hors-série. En vérité, Panini serait bien inspiré de ne publier X-Factor que dans ce format, au lieu de balader cette série de revue en album librairie en hs...      
Ultimate Spider-Man 12 :

- Ultimate Spider-Man 158-159-160 : La mort de Spider-Man (3-4-5). Blessé après avoir reçu une balle tirée par le Punisher et destinée à Captain America, alors que les Ultimates affrontaient les Vengeurs de Nick Fury, Spider-Man est mal en point mais doit regagner le domicile de sa tante May vers lequel il a vu Norman Osborn, Electro, Kraven, le Vautour, l'Homme-Sable se diriger. Sur place, les cinq criminels trouvent la Torche Humaine et Iceberg avant que le Tisseur n'arrive. C'est l'heure de vérité pour Peter Parker...
*
Vendu dans un sachet plastique noir, ce numéro conclut la série de Brian Bendis après 160 épisodes (... Avant son relaunch, en vf dès Mai prochain). Le titre de l'histoire ne fait guère mystère de son issue, mais la question était de savoir si le dénouement serait à la hauteur de l'annonce (et de run homérique).
Parlons peu, parlons bien : ces trois derniers chapitres ne se lisent pas comme un comic ordinaire, ils se dévorent. Bendis imprime un rythme échevelé à son récit, qui est en fait une longue bagarre d'une extraordinaire intensité. Rarement on a aussi bien senti les coups de boutoir frappant un héros, ce sentiment de lutte ultime, de baroud d'honneur. Ceux qui considèrent Bendis comme un auteur bavard, incapable d'écrire un comic-book d'action en seront pour leurs frais, tout comme ceux qui pensaient à une énième ruse commerciale promettant une mort spectaculaire amenée à être annulée dans quelques mois. Il n'y a aucun doute sur le sort de Peter Parker, d'autant plus que dans l'univers Ultimate, les morts ne se relèvent pas.
Décoiffant. Et poignant aussi. Et passionnant pour la suite car comment ne pas être impatient de découvrir la manière dont Bendis va rebondir ?

Mark Bagley a bouclé ses derniers épisodes avec une explosivité rageuse : frustré par son expérience chez DC, son retour chez Marvel, sur la série qui l'a consacré, était attendu au tournant, mais il ne déçoit pas. Bagley ne produit pas toujours un beau dessin, mais l'énergie qu'il lui transmet est indéniable et irrésistible. Il transforme cette longue bataille en un morceau de bravoure et Panini, en oubliant de reproduire les couvertures entre chaque volet, permet de la savourer sans interruption (bon, l'éditeur français aurait quand pu faire l'effort de placer les covers à la fin de la revue, cela dit).
*
Bilan : la fin d'une époque (la série va donc être relancée, après un n° hors-série qui sortira le mois prochain, mais sera en plus intégrée en vf dans un bimestriel avec deux autres titres Ultimate - je vais donc certainement poursuivre en vo et en tpb), mais quelle fin ! 

Spider-Man 145 :

- Fear Itself : Spider-Man 2. Aux prises avec Vermine, Spider-Man se démène comme il peut alors que la panique envahit New York, suite aux évènements de Fear Itself. Dans Yancy Street, la Fondation du Futur découvre un des marteaux magiques invoqué par le Serpent et qui va être récupéré par la Chose...

Ce tie-in à Fear Itself, sans être mauvais, est très anecdotique : écrit par Chris Yost et dessiné par Mike McKone, tout ça traîne en longueur et souligne bien à quel point les épisodes annexes d'une saga ne sont pas toujours un cadeau pour toutes les séries (a fortiori quand le héros est peu impliqué dans l'histoire).
 *
- Spider-Man 655-656 : Personne ne mourra (1 et 2/2). A l'heure où se déroulent les obséques de la femme de J. Jonah Jameson (l'ex-rédacteur en chef du "Daily Bugle" et désormais maire de New York), Peter Parker, qui n'a pu éviter cette mort (dûe à Alistair Smythe alias l'Anti-Araignée), est tourmenté dans son sommeil par le souvenir de tous ceux qu'il n'a pu sauver.
Lorsqu'un ancien trader, devenu insensible et fou après le meurtre de sa compagne, opère des prises d'otages virant au massacre, Spidey a fort à faire avec lui (surtout qu'il a perdu son sens d'araignée), mais décide que désormais il empêchera quiconque de mourir...

Ces deux épisodes ont justifié l'achat de la revue (que je ne suis plus) car ils bénéficient des illustrations une nouvelle fois exceptionnelles de Marcos Martin. Plus long qu'à l'accoutumée (32 et 30 pages), ces chapitres permettent à l'artiste espagnol de livrer des planches tout simplement ahurissantes, dont le découpage à la fois fluide et éclaté est souligné par des planches aux compositions virtuoses (notamment une double-planche littéralement renversante ou une splash en forme de jeu de l'oie).

Comme galvanisé par ce partenaire, le scénariste Dan Slott se déchaîne entre onirisme et action pure. Spidey a toujours été un héros fondé sur la culpabilité et ce nouveau deuil souligne cet aspect en dirigeant le personnage dans une quête délirante. On peut rêver à l'exploitation qui sera fait de cette direction, mais si Slott a de l'énergie à revendre, pas sûr en revanche qu'il ait le génie (et la lattitude) pour faire de la série du Tisseur un projet si ambitieux. 
Néanmoins, si vous voulez lire un script transcendé par un graphisme hors normes, alors ne passez pas à côté de ces épisodes !
*
- Spider-Man : A bras le corps. Pas grand'chose à sauver de ce bouche-trou, écrit par le vétéran Roger Stern, qui réactualise les origines de Dr Octopus, mais desservi par le dessin médiocre du français Phil Briones.
*
Bilan : les deux épisodes "king-size" dessinés par Marcos Martin justifient amplement l'achat et s'imposent même au-delà comme le top du top de ce mois. 

Critique 307 : SETTING THE STANDARD - COMICS BY ALEX TOTH 1952-1954

"Ne jamais juger un livre à sa couverture" : c'est en ayant ce principe bien en tête qu'il faut acquérir et lire ce volumineux ouvrage de plus de 400 pages qui rassemble l'intégralité de la production d'Alex Toth pour la maison d'éditon Standard Comics, de Février 1952 à Mars 1954.
*
Commençons par situer ces oeuvres dans la carrière de l'artiste : chez DC Comics, Alex Toth a appris les bases de son métier et fondé sa philosophie, inspirée par les éditeurs Shelly Mayer et Sol Harrison (ses fameux mantras :"tell the story" et "simplify !").
Cette éducation à la dure (ses mentors n'hésitaient pas à déchirer ses planches pour les lui faire redessiner) l'a dirigé sa vie durant, Toth sera logiquement son critique le plus intransigeant et un observateur exigeant pour ses confrères. Mais lorsque Julius Schwartz prend les commandes de la firme de Broadway, les relations entre l'artiste et l'éditeur se tendent.
Toth s'engage donc avec Ned Pines, le patron de Standard Comics. Ce dernier a démarré ses activités en 1928, et en 1940, son succès en affaires lui permet d'être à la tête de trois collections (Better, Nedor et Standard). Puis en 1949, pour consolider ses entreprises, il les rassemble en une seule entité, Standard Comics.
L'arrivée de Toth en 1952 coïncide avec l'émergence de plusieurs titres en tous genres - polar, horreur, romance, science-fiction, récits de guerre - et Standard Comics devient après EC Comics une maison d'édition phare sur le marché. Le directeur artistique Mike Peppe (qui officie également comme encreur) a dans son équipe des noms tels que Mike Sekowsky, Frank Giacoia, George Tuska, Mike Celardo, Ross Andru, Mike Esposito, Sy Barry.
Mais c'est Alex Toth qui va le plus frapper les esprits, à tel point que son style deviendra la charte graphique de Standard - non sans raison, en deux ans, il va illustrer plus de 60 histoires (et quelques couvertures), assurant occasionnellement les fonctions de dessinateur, encreur, et lettreur ! 

Toth collaborera souvent avec le scénariste Kim Aamodt, spécialiste des romances, à l'écriture à la fois simple et évocatrice, qu'il appréciait particulièrement pour sa subtilité. Mais la plupart des autres auteurs de scripts ne sont pas mentionnés.

Fin 1953, Ned Pines met fin à la ligne Standard. Quelques mois après, Toth rejoint l'armée : il a 26 ans. Il réalise encore trois comics pour Atlas Comics, puis signe, seul, le strip Jon Fury durant son service.
Après quoi, il faudra attendre 1957 pour qu'il renoue avec la bande dessinée, chez Dell Comics. Puis il participe à l'adaptation du Zorro de Disney (rééditée, telle qu'il l'avait conçue, chez Image Comics en 2001), une de ses plus belles réussites.
Dans les années 60, il s'investit dans l'animation, principalement comme designer et storyboarder (chez Hanna-Barbera).
Son chant du cygne sera Bravo for adventures, où s'exprimera sa passion pour l'aviation et les récits d'aventures.  
*
Le présent ouvrage débute par une longue interview que Toth accorda au Graphic Story Magazine, répondant avec une éloquence remarquable aux questions de Vincent Davis, Richard Kyle et Bill Spicer, en 1968.
C'est un document passionnant et dense, presqu'un manifeste de la part de l'artiste qui parle avec intelligence de son travail, de ses contraintes, de ses possibilités. Toth n'est pas langue de bois : il aborde tous les aspects de son métier, parfois en étant cassant, mais d'abord dur avec lui-même, d'une lucidité implacable, d'une exigeance exemplaire. Son rigorisme n'a d'égal que son enthousiasme et devrait être pris pour modèle aussi bien par les auteurs/artistes actuels que par les fans de comics.
*
Puis Greg Sadowski propose donc de découvrir les publications restaurées, dans un généreux format (24 x 19 cm), de Toth chez Standard.

1952 :

Tout commence par un mélodrame saisissant, My Stolen Kisses (issu de Best Romance #5, Février 1952), suivi par l'amusant Black Market Mary (issu de Joe Yank #5, Mars 1952). Déjà, on est épaté par la variété du matériel et la maîtrise qu'affiche Toth.
Dans New Romances #10 et #11 (Mars 1952), l'artiste fait encore merveilles avec le touchant Be Mine Alone ou le métaphorique My Empty Promise.

Dans le drôlissime Bacon and Bullets (Joe Yank #6, Mai 1952), c'est un autre genre de romance (avec une truie nommée Clementine) que Toth s'amuse, avant d'enchaîner avec le superbe Appointment with Love (Today’s Romance #6) et le percutant Terror of the Tank Men (Battlefront #5, Juin 1952), abordant la guerre de Corée.

Shattered Dream ! (My Real Love #5, Juin 1952) précéde l'excellent The Blood Money of Galloping Chad Burgess (The Unseen #5) et The Shoremouth Horror (Out of the Shadows #5), où Toth prouve qu'il est aussi irréprochable dans le registre horrifique.

Show Them How to Die (This is War #5, Juillet 52) renoue avec le brio de Toth dans les récits de guerre, tandis que Murder Mansion et The Phantom Hounds of Castle Eyne (issus de Adventures into Darkness #5, Août 52) démontre son génie de la mise en scène (l'artiste était un grand admirateur du maître du suspense, Alfred Hitchcock).

Plus anecdotique est Peg Powler (une page de The Unseen #6, Septembre 52). Mais par contre, les expérimentations à l'oeuvre sur Five State Police Alarm (Crime Files #5) souligne l'aisance avec laquelle Toth utilisait la technique du duo-tone. I Married in Haste (Intimate Love #19, Septembre) offre une remarquable vision des relations amoureuses, échappant à toute niaiserie.

La science-fiction est à l'honneur dans Fantastic Worlds #5 (Septembre 52) où furent publiés Triumph over Terror et The Invaders, deux grandes réussites, avant Routine Patrol et Too Many Cooks (issus de This is War #6, Octobre 52).

The Phantom Ship est un autre sommet (issu de Out of the Shadows #6 en Octobre), suivi du chef-d'oeuvre Alice in Terrorland (dans Lost Worlds #5).

Toth n'a signé que quatre couvertures pour Standard, et les deux premières pour Joe Yank #8 et Fantastic Worlds #6 précédent la fabuleuse nouvelle The Boy who Saved the World (Novembre 1952), avant un autre récit de guerre (The Egg-Beater, issu de Jet Fighters #5).





La couverture de Lost Worlds #6 (Décembre 52) prépare parfaitement aux deux autres réussites que sont Outlaws of Space après l'intermède en une page de Smart Talk (New Romance #14), qui clôt cette première année et annonce les productions de 1953 comme l'efficace Blinded by Love (Popular Romance #22, Janvier) sur le thème du triangle amoureux.

1953 :

1953 permet à Toth de dessiner, encrer et lettrer un chef-d'oeuvre, The Crushed Gardenia (Who is Next? #5) : la qualité de l'histoire est réhaussée par un traitement graphique extraordinaire de finesse et d'inventivité. Undecided Heart (Intimate Love #21, Février 53) est une délicieuse comédie là où l'angoisse et la tension sont parfaitement traduites en images dans The House That Jackdaw Built et The Twisted Hands (issus de Adventures into Darkness #8).
La couverture de Joe Yank #10 est suivi par de splendides séquences d'aviation dans Seeley’s Saucer (Jet Fighters #7, Mars 53) et le subtil Free My Heart (Popular Romance #23, Avril). Mais encore meilleur est le terrible The Hands of Don José (Adventures into Darkness #9), d'un sadisme absolu, servi par un dessin redoutable de puissance.

No Retreat (This is War #9, Mai 53) s'inscrit dans la veine patriotique classique, mais I Want Him Back (Intimate Love #22) est plus intéressant, tout comme Geronimo Joe (Exciting War #8) qui prouve qu'il n'y a pas de place pour la rivalité entre soldats sur le terrain de guerre.

Toth atteint de nouveaux sommets avec Man of My Heart (New Romances #16, Juin 53), I Fooled My Heart (Popular Romance #24, Juillet, donc la somptueuse version originale en noir et blanc est reproduite dans la section des notes en fin d'ouvrage), Stars in my Eyes et Uncertain Heart (issus de New Romances #17, Août 53). Son vocabulaire visuel enrichit de manière conséquente n'importe quel script.

Durant cette période, Toth montre aussi qu'il a une préférence certaine pour des histoires romantiques, adultes et bien écrites, où il peut peaufiner les expressions, la gestuelle, les compositions, le découpage, tout en expérimentant (voir Heart Divided, issu de Thrilling Romances #22, et I Need You, issu de Popular Romances #25, Septembre 53).

The Corpse That Lived est un récit inspiré de faits authentiques (et terrifiants !), paru dans Out of the Shadows #10. Puis suivent des histoires sensibles, admirablement illustrées, comme Chance for Happiness (Thrilling Romances #23, Octobre 53), My Dream is You ! (New Romances #18), Grip on Life (The Unseen #12, Novembre 53), et Guilty Heart (Popular Romance #26).

Un autre page de Smart Talk conclut l'année 1953 tandis que Ring on Her Finger (Thrilling Romances #24) paraît en Janvier 1954. Frankly Speaking précéde ensuite le glaçant drame historique The Mask of Graffenwehr (Out of the Shadows #11).

Février 53 marque l'incursion de Toth dans le drame romantique sur fond médical avec Heartbreak Moon (Popular Romance #27), le retour au mystère fantastique avec The Hole of Hell (The Unseen #13), l'intermède en une page Long on Love (Popular Romance #27), la romance psychologique Lonesome for Kisses, et deux brefs récits mondains que sont If You’re New in Town et Those Drug Store Romeos (issus de Intimate Love #26).

Ces derniers épisodes sont publiés quelques mois après le départ de Toth qui les envoie depuis sa base militaire au Japon. De fait, le résultat est un peu plus brut, sans pourtant qu'il y ait une baisse notable de la qualité artistique.

1954 :

En Mars 1954, un nouvelle page de Smart Talk (New Romances #20) précéde une série de morceaux de bravoure dans la veine de l'angoisse : dans Out of the Shadows #12, se trouvent The Man Who Was Always on Time (également reproduite en noir et blanc dans la section des notes) et l'envoûtant Images of Sand – derniers travaux qu'il signe avec Mike Peppe, crédité comme co-dessinateur.
*
Après ces 62 histoires, d'une diversité remarquable, aux dessins d'une fabuleuse régularité, 28 pages d'annotations, enrichies de réflexions d'Alex Toth (et parfois de Kim Aamodt), nous informent de manière passionnante sur les coulisses de leur réalisation, le contexte dans lequel elles ont été produites, l'ambition de l'artiste, ses règles esthétiques. C'est là encore un document inestimable sur un créateur pour qui chaque projet était un défi, un pari esthétique, une grille de questions à laquelle il lui fallait trouver des solutions sans jamais sacrifier l'efficacité, la lisibilité et la nature du propos.

C'est cela l'enseignement de Toth synthétisé par l'injonction de Shelly Mayer : raconter l'histoire, toujours privilégier l'histoire, et la narrer de la manière la plus simple car le plus simple est toujours le plus efficace, car le plus simple est le meilleur moyen que l'histoire touche tout le monde, soit comprise par tous les lecteurs, touche chacun. 
*
Invariablement, Alex Toth ouvrait ses épisodes par une grande case surplombée par un texte résumant le noeud de l'intrigue. Cette première vignette - et la situation qu'elle présentait - était ensuite expliquée par un flashback où les protagonistes étaient introduits, leur relation nouée. Puis, enfin, une conclusion à la fois simple et logique, sur lequel planaît parfois une fatalité (dans les histoires fantastiques notamment), fournissait l'issue du récit.

Visuellement encore, Toth recourait volontiers aux silhouettes noires pour dramatiser les moments-clés et savait alterner des décors, aussi bien extérieurs qu'intérieurs, en les suggérant ou au contraire en les détaillant avec une minutie prodigieuse. La variété des physionomies de ses héros n'avait d'égale que son extraordinaire talent pour représenter n'importe quel endroit (qu'il s'agisse de domiciles bourgeois, de terrains de guerre, de sites exotiques, de lieux sinistres).

60 ans après, il est toujours aussi stupéfiant de lire ces nouvelles, au format variant entre une, trois jusqu'à douze pages maximum, avec des contraintes de découpage strictes (pas de splash-page ni de double-page ici), sans jamais que cela soit ennuyeux, répétitif...  Au contraire, c'est comme si, galvanisé par ces limites, Toth s'employait à en déjouer les pièges et s'était fixé pour mission de respecter ce format tout en l'exploitant au maximum. Une sacrée claque pour tous les dessinateurs qui savent à peine ce que signifie le storytelling, le respect du script, et abusent de cadrages tarabiscotés ou de d'images simulant le cinémascope comme si le 9ème Art ne savait plus que singer le 7ème, comme des storyboards de luxe. 
*
Alex Toth était un narrateur à part entière et un maître à la fois érudit et sobre, un sorte de missionnaire pour qui chaque trait était important et chaque page devait apprendre à rendre la prochaine meilleure. Son idéal était de produire des histoires au graphisme parfait, dans une quête perpétuelle - celle de "comment bien raconter une histoire, au-delà de toute autre considération”.

Cette collection exhaustive et exemplairement élaborée vient rappeler comment le talent, l'imagination et la conviction peut élever un genre d'histoires très codifiées en un authentique chef-d'oeuvre formel - la rencontre de l'art et du comic-book.