mercredi 30 novembre 2022

JUSTICE SOCIETY OF AMERICA #1, de Geoff Johns et Mikel Janin


Quinze ans après son précédent volume (débuté en 2007), Justice Society of America revient. Enfin ! Et on le doit à Geoff Johns, celui qui était déjà à la manoeuvre la dernière fois, véritable amoureux de cette équipe. Il s'associe à Mikel Janin, dont c'est également le grand retour sur une série majeure. Et le résultat est aussi inattendu que classieux.


26 ans dans le futur. Huntress interroge de manière musclée la mafia de Gotham suite à la disparition de Doctor Fate. Elle est secondée par Salomon Grundy mais personne ne sait où est Khalid Nassour.


Au Q.G. de la J.S.A., Power Girl s'énerve après les nouvelles recrues et leur absence de résultat dans cette enquête. Deux jours plus tard, le corps, momifié, dans un sarcophage, de Nassour est retrouvé.


L'équipe se rend sur place quand elle est attaquée par Per Degaton. Il tue en manipulant le temps tous les membres sous le regard impuissant de Huntress.
 

C'est alors que Catwoman surgit et envoie à sa fille la boule à neige que Batman vola à Rip Hunter. Huntress est projetée dans le passé dont elle voit des moments-clés associés à la JSA défiler...

L'histoire éditoriale de Justice Society of America a toujours été compliquée. Au sein de DC Comics, deux clans se sont affrontés, entre ceux qui aimaient ce qui fut la toute première équipe de super-héros et estimaient qu'elle représentait les fondements de DC ; et ceux qui, au contraire, pensaient que ces personnages appartenaient au passé, qu'il fallait mieux les ranger au placard, les effacer de la continuité comme de vieilles reliques démodées.

C'est ainsi que, fort logiquement, quand survinrent les New 52, DC ignora le JSA puisque dans cette continuité réécrite, les premiers super-héros n'étaient là que depuis cinq ans. On aurait alors pu penser qu'avec le nouveau statu quo de Rebirth l'éditeur allait redonner leur place de fondateurs à ces héros, mais non.

Geoff Johns, dont la carrière est attachée à la JSA autant qu'au renouveau de Green Lantern ou Flash depuis qu'il succéda à James Robinson et David Goyer au tout début des années 2000, avait teasé le retour de l'équipe dans un one-shot consacré à Stargirl (à laquelle il consacre également actuellement une nouvelle série), pour lequel Bryan Hitch devait signer les dessins. Mais cela semblait rester sans lendemain.

Et puis, enfin, il y a quelques mois à peine, DC officialisait le retour du titre Justice Society of America pour ce mois de Novembre avec toujours Johns aux manettes mais avec Mikel Janin comme artiste( Hitch étant reparti chez Marvel entre temps). Cette série a été précédée d'un one-shot, The New Golden Age, au début du mois, qui faisait suite aux événements de Flashpoint Beyond.

Faut-il avoir lu The New Golden Age et même Flashpoint Beyond avant de se plonger dans Justice Society of America #1 ? Disons que ça aide à comprendre d'où sortent certains éléments, certains personnages, certains objets, comme les membres de l'équipe au début ou la boule à neige que lance Catwoman à Huntress (cette boule à neige provient même exactement de Doomsday Clock). Toutefois, il me semble juste de dire qu'on saisit tout sans avoir besoin d'être à jour sur toutes ces précédents histoires.

La question qu'on pouvait vraiment se poser, c'est à quand se situait ce nouveau volume de la série. Et sur ce point, on est très vite renseigné, dès la page 2 : l'action a lieu 26 ans dans le futur, 26 ans à partir de maintenant ("26 years from now"). Dans les comics, le temps est fluctuant, on vit dans une sorte de présent éternel, les personnages ne vieillissent pas, du moins pas à vitesse réelle, donc c'est malin de dire qu'une intrigue démarre 26 ans à partir de maintenant car dans un an, ce sera toujours valable.

Dans ce futur, Batman est mort depuis 8 ans. Il a été tué par un gangster sans intérêt mais que quelqu'un avait dôté de capacités spéciales pour accomplir sa mission. Batman (comme on le voyait dans The New Golden Age) avait eu une fille avec Catwoman, prénommée Helena, et celle-ci, après la mort de son père, a décidé de devenir Huntress pour traquer le meurtrier et poursuivre le travail paternel. Catwoman est encore active, mais davantage pour (sur)veiller sa fille que pour jouer les justicières ou les voleuses.

Helena Wayne/Huntress a donc 28 ans et elle a aussi contribué à refonder la Justice Society of America avec Power Girl. C'est la grosse surprise de cet épisode que de découvrir la nouvelle et très étonnante composition de l'équipe puisque ce sont d'anciens vilains qui siègent autour de la mythique table ronde. On reconnait Salomon Grundy (longtemps adversaire de la JSA mais aussi ami de Starman/Jack Knight) ou Gentleman Ghost (ennemi de Hawkman et Hawkgirl). Mais sinon ce sont des créations originales, comme le fils d'Icicle, le fils d'Harlequin (qui, elle, était une adversaire d'Alan Scott/Green Lantern), Ruby Voskov (fille de Red Lantern, le héros soviétique vu dans The New Golden Age), the Mist (fils de Jack Knight et Nash).

Ensemble et séparément, ils enquêtent sur la disparition de Khalid Nassour/Doctor Fate  qui avait donné rendez-vous à Huntress pour lui confier des infos (sur l'assassin de Batman). Pas de suspense : il sera retrouvé mort, momifié dans un sarcophage. Et la JSA subit alors l'attaque de Per Degaton qui, grâce à ses pouvoirs sur le temps, les abat sans pitié et rapidement. Huntress seule en réchappe grâce à l'intervention de sa mère en étant projeté dans le passé...

Geoff Johns est à son meilleur dans cet épisode. Non seulement parce qu'il ne cherche pas, comme trop souvent dans ses travaux pour DC ces dernières années, à imiter (mal) Alan Moore, mais parce qu'il produit un script à la fois dense et frustrant. C'est en effet un vrai pâge-turner et quand on arrive à la fin, on se dit "déjà ?!", ce qui est bon signe puisque ça signifie qu'on a envie d'en lire plus et vite. En commençant par une histoire dans le futur avec une JSA composée de vilains, il surprend, désarçonne, tout comme il le fait en tuant Doctor Fate (pourtant un des magiciens les plus puissants du DCU). Il s'attache aussi et enfin à suivre non pas une équipe mais un personnage, Hintress, qui, sur la couverture, a à ses pieds le casque de Jay Garrick, celui de Fate, la masse de Hawkman, la lanterne de Alan Scott : une image puissante, dramatique, qui suggère que la série va expliquer ce qui est arrivé à la JSA historique. Ou comment expliquer le futur en explorant le passé.

En étant renvoyé dans le passé, Huntress voit défiler sur une double page (dessinée par Scott Kolins, Brandon Peterson, Steve Lieber - Jerry Ordway signe aussi une page plus tôt sur des actualités du passé) des moments qui vont sans doute être expliqués dans les prochains épisodes et participer à la résolution du mystère. C'est un procédé cher à Johns que de teaser le programme à venir de manière cryptique mais excitante. En tout cas, que les fans de la JSA classique soient rassurés, tout indique qu'on reverra Jay Garrick, Alan Scott, Wildcat, Doctor Fate (Kent Nelson), Hawkman et Hawkgirl, Starman (Ted Knight). Et leurs héritiers - car c'est de tout temps le sujet essentiel de Justice Society of America.

On ne saura jamais à quoi aurait ressemblé la série dessinée par Bryan Hitch, mais on ne perd pas au change avec Mikel Janin. L'artiste espagnol a connu les sommets avec ses runs sur Grayson puis Batman (par Tom King les deux fois). Mais depuis il paraissait avoir du mal à s'imposer. Peut-être aussi que DC estimait qu'il était justement trop associé à Batman. L'ironie du sort, c'est qu'il revient sur une série avec la fille du dark knight en vedette...

Janin, en tout cas, a de quoi briller à nouveau et, même si, donc, il laisse quelques pages à des confrères sur ce premier épisode, il réalise une prestation excellente. Son trait din et élégant fait merveille, son découpage précis et dynamique sied parfaitement à un script nerveux. Il n'est pas du tout à la ramasse et s'est investi jusque dans les characters designs (celui d'Huntress en particulier, très classe). Il nous gratifie de pages intenses, raccord avec ce que raconte Johns (visiblement très heureux de l'avoir comme collaborateur, comme il l'a expliqué en interview).

Pour ne rien gâcher, c'est Jordie Bellaire qui s'occupe des couleurs et elle participe grandement à la réussite de ce premier épisode avec une palette nuancée le plus souvent, mais aussi vive à d'autres moments, qui est dans la ligne de qu'elle a fait sur The Nice House on the Lake (en moins radical cela dit). Johns, Janin, Bellaire : y a pas à dire, ça a de la gueule.

Parce que ces trois-là ont réussi à surprendre tout en donnant des gages pour la suite, ce retour de Justice Society of America promet beaucoup et comble même ceux qui attendaient désespérement le retour de ce titre emblématique.

mardi 29 novembre 2022

LES GARDIENS DE LA GALAXIE : JOYEUSES FÊTES !, de James Gunn


Guardians of the Galaxy : Holidy Special (en vo) est un court métrage écrit et réalisé par James Gunn. Ce programme est semblable dans son format (trois quarts d'heure environ) à Werewolf by Night diffusé en Octobre dernier, mais cette fois il s'inscrit dans la continuité du MCU, comme un avant-goût du Volume 3 des Gardiens de la Galaxie qui sortira en Mai 2023 (en France). Un intermède sympa, drôle et touchant.


Désormais installés à Knowhere qu'ils ont racheté au Collectionneur, les Gardiens de la Galaxie retapent l'endroit. Noël approchant, Kraglin Obfonteri raconte à Mantis, Drax, Nebula et Rocket Raccoon que cette période déprime Peter Quill car, enfant, Yondu ne voulait pas qu'on en fasse une fête. De plus, la disparition de Gamora mine le moral de Star-Lord.


Mantis, qui n'a pas avoué à Peter qu'ils ont le même père (Egp - affronté dans le Vol. 2) et qu'ils sont donc frère et soeur, convainc Drax d'aller sur Terre pour trouver le seul cadeau susceptible de ragaillardir leur ami : Kevin Bacon, dont il loue les exploits légendaires. Mais sans indices sur l'endroit où il habite, ils errent sur le Walk of Fame, dans un night club avant qu'une guide touristique ne leur indique qu'il demeure à Beverly Hills.


Drax et Mantis enlèvent Kevin Bacon après avoir neutralisé les forces de police qu'il a appelées au secours et rejoignent Knowhere dans leur vaisseau spatial. mais en reoute, ils comprennent que leur cadeau n'est pas un héros mais un acteur et Mantis utilise ses pouvoirs pour le rendre plus docile.


Peter Quill découvre son "présent" et est très contrarié. Mais Kevin Bacon est convaincu par Kraglin de rester pour la fête que les Gardiens ont préparée. Groot et Nebula distribuent les cadeaux achetés sur Terre par Mantis et Drax avec l'argent de Kevin Bacon avant que celui-ci ne soit ramené chez lui. Mantis trouve alors la force de dire à Peter leur lien de parenté.

J'avais beaucoup aimé Werewolf by Night, le premier programme spécial produit pour Dusney +, et j'espérai vivement que Kevin Feige développe d'autres courts métrages comme celui-ci, plutôt que de s'entêter à mettre en chantier des séries qui, une fois sur deux, s'avèrent très décevantes. Un an après Hawkeye, qui se déroulait déjà durant les fêtes de fin d'année, voici donc Guardians of the Galaxy : Holiday Special (Joyeuses fêtes ! en vf).

Tourné pendant les prises de vue des Gardiens de la Galaxie Volume 3 (qui sortira en France en Mai 2023), ce projet tenait à coeur à James Gunn, grand fan d'un format identitique pour Star Wars (Du Temps de la Guerre des Etoiles) diffusé en 1978. Soiuvent considéré comme un nanar, il est devenu culte auprès des fans de la saga avec les années.

Ce qui est très malin de la part de Gunn, c'est d'avoir collé à l'esprit de l'objet qui l'a inspiré. On sent que tout ça a été filmé rapidement, avec peu de moyens, et surtout en respectant de manière quasi-fétichiste aux clichés du genre. Tout est parfaitement inoffensif, bon enfant, avec un esprit tendrrmeent loufoque. Plus Disney que Disney.

Du coup, James Gunn coupe l'herbe sous le pied des grincheux qui ne peuvent critiquer son court métrage en l'accusant d'être trop gentil, mièvre, puisque c'est précisément le but avoué, recherché. Il en restera toujours pour râler et dire que c'est trop sucré, que ça ne ressemble pas aux Gardiens de la Galaxie (ceux de Dan Abnett et Andy Lanning, portés aux nues pour ne pas avoir à dire du bien de ceux de Brian Michael Bendis). Mais laissons ces fâcheux sur le côté.

Car j'ai bien aimé ce Joyeuses fêtes !, qui est drôle, bienveillant, absurde et touchant aussi. Le scénario tient sur un post-it mais avec une dinguerie vraiment divertissante. Enlever Kevin Bacon pour l'offrir à Peter Quill qui a parlé de lui à ses amis comme s'il était un héros fantastique avant que les Gardiens ne comprennent qu'il ne s'agit que d'un acteur (ce qui les irrite car ils l'assimilent à un usurpateur) est extra. Et James Gunn a eu de la chance que l'acteur accepte de se moquer de lui-même comme ça (même si, apparemment, il avait prévu un plan B en cas de refus, mais ça aurait été vraiment dommage).

Mantis et Drax, qui ont été très réécrits dans les films du MCU par rapport à ce qu'on sait d'eux dans les comics, sont ici deux pieds nickelés sensationnels, enchaînant gaffe sur gaffe sans se rendre compte de l'énormité de leur projet. Et Pom Klementieff et Dave Bautista s'en donnent à coeur joie pour incarner ces deux imbéciles heureux, sûrs de leur affaire.

Bien entendu, le format du téléfilm ne donne guère de temps d'écran aux autres Gardiens, en dehors de Chris Pratt, curieusement éteint. On découvre un Groot qui a changé d'apparence (plus vraiment l'ado boudeur du Vol. 2, mais plus baraqué), Nebula toujours aussi ombrageuse mais qui fait un cadeau étonnant et très amusant à Rocket.

On a aussi droit à deux scènes en animation que Gunn justifie en expliquant que c'est encore un clin d'oeil au Holiday Special de Star Wars mais aussi parce que c'était la meilleure manière de montrer Peter jeune et de saluer Michael Rooker (l'interprète de Yondu, dont le personnage est mort dans le Vol. 2). En prime, on apprend enfin que Mantis et Peter sont demi-frère et soeur (leur père commun étant Ego, qu'ils ont affronté dans le Vol. 2 - vous l'aurez compris, il faut avoir vu ce Vol. 2 avant).

Sans prétention mais très rafraîchissant, Les Gardiens de la Galaxie : Joyeuses Fêtes ! confirme que Disney + a tout intérêt à continuer dans cette voie. Surtout que dans ce cas précis, le réalisateur-scénariste a prévenu que le Vol. 3 serait son dernier projet chez Marvel (puisqu'il est désormais en charge du DC Cinematic Universe) et surtout serait une histoire plus dramatique.  

samedi 26 novembre 2022

THE HUMAN TARGET #9, de Tom King et Greg Smallwood


J'ai gardé, en quelque sorte, le meilleur pour la fin avec ce neuvième épisode de The Human Target. Où il est donc question de Batman... Ou pas. Car le coup de maître de Tom King dans ce numéro consiste à jouer aussi bien avec les nerfs de Christopher Chance qu'avec ceux du lecteur. Cette pirouette magistrale est une fois encore somptueusement mise en images par Greg Smallwood.


Ce matin-là, Ice se réveille la première. Chance ne bouge pas. Elle commence à s'inquiéter, prend son pouls. Il est mort. Elle lui fait un massage cardiaque et du bouche-à-bouche.


Après avoir repris connaissance dans l'infirmerie du Dr. Midnight, Chance emmène Ice en balade hors de la ville. Il est nerveux, lui avoue qu'il n'a plus que quatre jours à vivre.


Une halte dans un bar sur la route ayant mal tourné, Ice et Chance repartent. Elle provoque une sortie de route pour savoir ce qui le préoccupe. La voiture ne redémarre pas.


Dans le désert environnant, Ice façonne une maison en glace. Chance consent enfin à lui dire ce qui le tracasse : il attend Batman car il pense que ce dernier sait pour ce qui est arrivé à Guy Gardner...

Quand j'ai écrit sur la mini-série Batman : Killing Time de Tom King et David Marquez, paru de Mars à Août dernier, et qui m'avait franchement déçu, j'espérai que le scénariste saurait s'éloigner pour un temps du dark knight sur lequel il ne me semblait plus avoir grand-chose d'intéressant à dire. Bien entendu, c'était un voeu pieux.

Depuis, avec Mitch Gerads, King a inauguré une collection de one-shots sous le titre Batman : One Bad Day qui met au premier plan un de ses ennemis emblématiques et il a consacré son épisode au Sphinx (The Riddler) dans un récit de 64 pages. Et donc pour ce neuvième chapitre de The Human Target, comme la couverture l'indique, revoilà la chauve-souris.

Sauf que ce n'est pas aussi simple. Batman figurait parmi les membres de la Justice League International, suspectés d'avoir voulu tuer Lex Luthor et d'avoir involontairement empoisonné Christopher Chance. Il est était donc prévu que ce dernier finisse pas croiser la route du caped crusader. Mais entre temps, l'histoire a pris des directions imprévues.

D'abord, il semble bien que le coupable de la tentative de meurtre et de l'intoxication de Chance ait été Guy Gardner. Lequel a été tué par Ice et Chance. Le mois dernier déjà, Red Rocket interrogeait Chance sur la disparition de Gardner sans parvenir à le faire parler - il se faisait mystifier à l'issue de l'épisode. The Human Target n'est plus une série sur la quête de Christopher Chance de trouver celui qui l'a accidentellement condamné. C'est devenu une mini-série sur celui qui allait confondre Chance (et Ice) pour le meurtre de Guy Gardner.

Dans ces conditions, la rencontre entre Chance et Batman est totalement bouleversée : Chance ne questionnera pas Batman sur Lex Luthor, il s'attend désormais à ce que Batman l'interroge sur la disparition de Guy Gardner.

Avant cela, l'épisode s'ouvre sur une scène glaçante. Ice trouve Chance mort dans son lit. C'est une piqûre de rappel terrible sur ce qui attend Chance. Sans un mot, Greg Smallwood fait des prodiges pour narrer ce moment : Ice se réveille, Chance ne bouge pas mais on suppose comme elle qu'il dort encore profondément. Pourtant très vite, comme Ice, un malaise nous saisit. Elel prend son pouls et comprend. Elle commence à essayer de le réanimer. Sans succès.

Smallwood saisit les expressions, les gestes avec virtuosité et justesse. La valeur de chacun de ses plans, la rigueur du découpage, le rythme même de la scène nous saisissent à la gorge. On partage la panique, le désarroi de Ice et on entrevoit pour la première fois, véritablement, la fin de la Cible Humaine. Comme Tom King n'avait pas hésité à tuer Adam Strange un épisode avant la fin de Strange Adventures, on se dit qu'il est bien capable de faire mourir Christopher Chance quatre épisodes avant la fin de The Human Target, laissant Ice seule au pied du précipice.

Chance se réveillera quand même dans l'infirmerie du Dr. Midnight et plus tard il avouera que ce dernier ne l'a pas guéri du poison qu'il a ingéré mais qu'il lui reste seulement quatre jours à vivre. Un choc pour Ice. Qui remarque toutefosi comme nous que le comportement de Chance est bizarre. Sa voix-off nous informe sur son état d'esprit : il se sent suivi - ou plutôt, pour être exact, il s'attend à l'être. Mais sans remarquer quoi que ce soit. Qui peut filer un homme aussi aguerri à la filature comme lui sans se faire remarquer ? Batman bien sûr.

Tom King va nous passer sur le grill, Chance et le lecteur. Un client dans un diner sur la route ? Ne serait-ce pas Batman déguisé ? Chance perd ses nerfs et flanque un coup de poing à l'homme qui tombe au sol sans se relever. Ce n'est pas Batman. Ou alors il simule. Ice presse Chance de sortir et de repartir. Elle sera obligée de provoquer un accident pour forcer Chance à se confier sur ce qui le tracasse.

Mais bien entendu, Chance ne va pas parler tout de suite. Il noie le poisson. Smallwood utilise des couleurs chaudes : les deux personnages sont dans le désert, sous un soleil de plomb, leur véhicule en panne. Le dessinateur illustre le plus commun et le plus délicat : une conversation où les deux interlocuteurs tournent autour du pot, évitent le sujet qui fâche, esquivent. Il est question de surnoms : Ice n'aime pas le sien, simplement attribué en relation avec son pouvoir. D'où Chance tient-il le sien ? Il l'explique et ça tombe également sous le sens. Puis l'échange se poursuit, alors qu'ils s'enfoncent dans la sierra.

Smallwood, dont l'intelligence narrative sert si merveilleusement le script de King, l'imite en alternant plans lointains (où on voit les deux personnages marcher côte à côte) et très rapprochés (sur les yeux, les mains), à mesure que leurs propos se font plus intimes. Car Ice et Chance comparent leurs ressentis sur leurs fins : Ice est morte puis elle est revenue. Chance va mourir et ne reviendra vraisemblablement pas; Chacun s'accorde à dire que ça fait mal, pas tellement de mourir, mais de savoir qu'on va mourir et qu'on va perdre des amis, l'amour, le fait même d'être de ce monde.

Smallwood, encore, toujours, s'offre uen double page pour montrer la maison de glace que Ice façonne en plein désert pour se protéger du soleil et passer la nuit qui arrive. A l'intérieur, enfin, Chance prononce le nom de Batman. Toute la journée, il a cru qu'il les rattraperait parce qu'évidemment, s'il y a bien quelqu'un qui découvrira ce qu'ils ont fait à Guy Gardner et les confondra, c'est lui, le meilleur détective du monde. Mais Batman ne s'est pas montré et cela vrille les nerfs de Chance. Ice non plus, maintenant, n'est plus sereine : elle sait elle aussi que Batman les coincera. La question demeure : à quand ? Et une autre suit : pourquoi ne l'a-t-il pas encore fait ? 

En attendant Batman, pour paraphraser Samuel Beckett. Je ne vous dirai pas ce qu'il en est. King joue trop bien avec nous et Chance pour que je lui grille la politesse. Cet épisode est vraiment, une nouvelle fois, une leçon de storytelling. Smallwood doit dessienr une longue discussion, avec très peu d'action, et il réussit à le faire avec une intelligence, une maîtrise qui laissent pantois, qui n'ennuie jamais. On est sur le qui-vive pendant la quasi-trentaine de pages que fait cet épisode, mesurant à quel point la série a basculé vers autre chose que son argument initial.

Il est aussi très probable que la mini-série ne mettra pas en scène les douze suspects présentés dans le premier épisode (en parlant de sa prochaine production, Danger Street, qui débute le mois prochain, King a avoué n'être pas prêt à réécrire Mister Miracle, un des membres de la JLI. Je doute aussi qu'on voit Captain Atom, mais je peux me tromper.). Le dixième épisode va confronter Chance à G'nort, membre du Green Lantern Corps (donc en relation avec Gardner) et les couvertures des n° 11 et 12 laissent planer le doute sur leur contenu (avec à nouveau Ice et Chance au premier plan).

La mort et la vérité sur les actes de Chance sont désormais au coeur de The Human Target. Pour ce héros atypique qui est employé pour être confondu par ceux qui le recrutent, il semble bien qu'il soit plus que jamais dans le viseur après avoir cherché qui l'a visé.

vendredi 25 novembre 2022

THE MAGIC ORDER 3 #5, de Mark Millar et Gigi Cavenago


Ce péultième épisode du volume 3 de The Magic Order file à toute allure et comble le lecteur de bout en bout. Plus que les précédents numéros, il suit une ligne unique et résoud une intrigue avec efficacité, comme si Mark Millar se recentrait. Gigi Cavenago impressionne toujours autant avec ses dessins, rehaussés par les couleurs flamboyantes de Valentina Napolitano.


Alors qu'elle va être dévorée par le démon Shavatan à qui l'a livré Sacha Sanchez, Rosie prévient l'Orde Magique de sa situation grâce à un double qu'elle s'est créé. Cordelia intervient in extremis.


Face à l'Ordre Magique, Sacha préfère fuir mais il est rattrapé par Regan Moonstone qui le défie. Il résiste étonnamment aux ripostes de Sacha et l'efface de l'existence avec un sort emprunté à son père.


Cette victoire inattendue éveille les soupçons de Cordelia qui en parle à Francis King, craignant que son frère n'ait eu recours à la magie noire - ce qui le condamnerait à être exclu de l'Ordre magique.


Cordelia avec d'autres membres de l'Ordre vont donc interroger Regan à la sortie de son cabaret pour en avoir le coeur net...

Le mois prochain prendra fin le troisième volume de The Magic Order et si ce cinquième et avant-dernier épisode résoud un des nombreux subplots de la "saison", on peut toutefois se demander comment Mark Millar va boucler les trois autres.

Car si on assiste à la fin de Sacha Sanchez, cet espèce de tueur à la solde de l'Ordre Magique, qui était convaincu que Rosie, la fille de feu Gabriel Moonstone, revenue des morts (dans le volume 1), était celle qui détruirait l'organisation dans le futur, il reste bien d'autres dossiers en suspens.

Mark Millar règle le cas de Sacha avec son efficacité coûtumière et Gigi Cavenago illustre tout ça avec une maestria incroyable. Si l'artiste italien impressionne depuis le début de sa prestation, il ne faut pas minorer la contribution de sa coloriste, Valentina Napolitano, qui acccomplit ici un travail tout à fait splendide.

Comme je l'ai évoqué en parlant de Kroma (de Lorenzo de Felici), le travail du coloriste est ingrat car (et je je me compte parmi ces oublieux) on a tendance à ne retenir que la "performance" du dessinateur. Certains fans de comics estiment même que la BD se porterait mieux sans la couleur ou qu'en tout cas un bon dessin se juge en noir et blanc, que la "vérité" du dessin est dans le noir et blanc.

Mon opinion à ce sujet a évolué avec les années, et notamment en m'adonnant au travail de la critique, qui m'a fait reconsidérer l'importance des contributeurs à un comic-book. Si effectivement je pense qu'un bon dessin doit s'évaluer en noir et blanc, sans artifices, il faut prendre en compte l'évolution du dessin lui-même et des outils dont dispose l'artiste.

Par exemple, aujourd'hui, énormément de dessinateurs se passent d'encreurs car il dessinent sur des tablettes graphiques mettant à leur service des fichiers très pratiques pour corriger le dessin, l' "encrer", prendre en charge les décors, etc. Certains poussent même jusqu'à effectuer leur colorisation pour contrôler complétement ce à quoi ressemblera leurs planches (par exemple Phil Noto, Greg Smallwood, Cliff Chiang...). Aux Etats-Unis, ça reste exceptionnel alors que dans la BD franco-belge il existe beaucoup d'artistes qui assument tout, du crayonné à la colorisation (mais le rythme de production n'est pas le même et il est évidemment plus difficile de tenir des délais mensuels en accomplissant tout).

Souvent, pour en revenir aux coloristes, ils sont là, dans les comics comme les lettreurs, en fin de processus. S'il existe des coloristes avec un style identifiable (par exemple Jordie Bellaire, Brad Anderson, Matt Wilson, Dave Stewart), la plupart est considérée comme interchangeable, le lecteur, même exigeant, n'y prête guère attention, tant que ça ne gâche pas le dessin/l'encrage.. 

Dans le cas de Gigi Cavenago, la contribution de Valentina Napolitano prend une importance spéciale car Cavenago, qui est un cover-artist virtuose, est aussi son propre coloriste habituellement. Si vous êtes curieux, allez sur Google images et tapez sans votre barre de recherche "Gigi Cavenago couvertures Dylan Dog" et vous verrez ce qu'il produit.

On pouvait donc craindre qu'en délégant la colorisation à Napolitano, le dessin de Cavenago serait moins puissant. Mais il n'en est rien et cet épisode le prouve magistralement, avec des pages et des scènes entières bluffantes, notamment le duel entre Sacha et Regan. La palette est vive mais exprime bien le déferlement d'énergies magiques à l'oeuvre et établit une ambiance fantastique à tout point de vue.

Ce qui est remarquable, c'est qu'après ça, Napolitano et Cavenago enchaînent avec une scène beaucoup plus banale, le discussion entre Francis King et Cordelia Moonstone, et ils calment le jeu, aussi bien dans les teintes employées que dans le découpage, non pas parce qu'ils sont moins motivés, mais pour souligner le contraste entre le combat et le dialogue. Et les dernières pages de l'épisode renouent avec un effort sublime de Napolitano et Cavenago pour représenter un décor urbain nocturne, les lumières au néon du cabaret de Regan, les phares des voitures, etc.

Reste que, pour revenir à des points plus basiquement narratifs, Mark Millar a encore bien des éléments à finaliser et un seul épisode pour le faire. Quid de Sammy Liu, le magicien milliardaire (lui aussi accusé d'avoir utilisé la magie à des fins personnelles) ? Quid du tueur traqué par Salomé et Leonard (le Puzzle) ? Qui du secret entourant l'oncle Edgar dans le château Moonstone ?

Je ne pense pas, en vérité, que Millar va solutionner tout ça dans le prochain épisode, mais en gardera sous le coude pour le volume 4 (qui arrivera en Janvier). Il n'y aura donc pas à patienter pour sauter d'un volume au suivant (ce qui me conforte dans l'idée que les volumes 3 et 4 sont intimement liés).

jeudi 24 novembre 2022

X-MEN #17, de Gerry Duggan et Joshua Cassara


Le premier arc de la "saison" 2 de X-Men version Gerry Duggan s'achève avec ce n°17. Le scénarisste sait surprendre en entraînant le lecteur là où il s'y attendait pas et la fin de l'épisode est sentimental à souhait, reformant un couple emblématique. Les dessins de Joshua Cassara semblent avoir trouvé le bon équilibre, se démarquant plus nettement de ce qu'il avait produit pour X-Force.


A l'intérieur de la Voûte, Forge a découvert le corps en animation suspendue de Laura Kinney. Mais il n'est pas venu pour elle. Serafina lui tombe dessus et l'interroge sur sa présence ici.


Lui répondant honnêtement, Forge a la vie sauve et Serafina s'éclipse. Mais c'est alors que Forge a un malaise. Darwin pénétre son esprit et a une conversation avec lui  en toute discrétion.


Depuis le début de captivité, Darwin a fait l'objet d'expériences éprouvantes par les Enfants de la Voûte. Mais il a réussi à infiltrer mentalement l'endroit et continue à recueillir des informations.


Forge sort de la Voûte, sans Darwin, qui a souhiaté continuer sa mission. Synch appelé par Jean Grey découvre alors avec qui Forge est revenu...

C'est du beau travail que fait Gerry Duggan avec cette nouvelle "saison" de X-Men et le scénariste a prévenu qu'il réservait quelques surprises aux fans, que les prochains mois seraient agités et que la nouvelle équipe des mutants serait beaucoup plus instable que la précédente.

Toutefois, avant de vérifier sur pièce, ce qu'on retient surtout, c'est la volonté de Duggan d'exploiter des histoires amorcées par Jonathan Hickman. L'ex-grand architecte du renouveau mutant est certes parti depuis plus d'un an, en laissant de son propre aveu beaucoup de choses en suspens, contrarié dans ses plans par la pandémie et l'impact qu'elle a eue sur les publications. Mais Duggan entend bien faire fructifier l'héritage Hickman.

La question que cela pose, c'est à quel point en vérité cela est justement la volonté de Duggan ou celle du staff éditorial de Marvel, qui a aussi tout à gagner à cultiver ce que Hickman a laissé en plan. On sent bien en tout cas que les lignes bougent depuis le départ de ce dernier qui avait établi une sorte de protectorat autour de la fraanchise, ne permettant plus aux autres scénaristes de l'éditeur d'emprunter les mutants.

Or désormais les deux Wolverine ou Magik (Logan et Ilyana font partie des Midnight Suns) sont utilisés hors des frontières de Krakoa et du département X de Marvel. Et il faut donc s'attendre inévitablement à ce que les mutants se mélangent avec les autres héros dans le futur. On parle par exemple d'une relance du titre Uncanny Avengers, signant une réconciliation ou du moins une coopération entre X-Men et Avengers.

Pour en revenir à la série X-Men proprement dîte, Duggan n'est pas un scénariste aussi bon que Al Ewing, il n'a pas, me semble-t-il, cette ambition ou cette mentalité d'architecte, construisant des intrigues d'envergure capables d'ébranler toute la franchise. Et le fait qu'il se serve dans les réserves d'Hickman le confirment à mes yeux. Je ne dis pas que c'est moins bien, ni même que c'est mal, mais ça donne l'impression que Duggan est bien content de disposer d'idées aussi fertiles que celles inachevées de Hickman. Et Jordan White ne doit pas être malheureux de voir Duggan oeuvrer en ce sens car il sait ce que la franchise X doit à Hickman (tant que "l'âge de Krakoa" subsistera).

Cet arc qui se termine avec ce n°17 prouve tout ça : la mission de Wolverine (Laura Kinney), Darwin et Synch dans la Voûte date du run de Hickman et s'était à moitié conclu avec la sortie du seul Synch. Darwin avait été capturé et Wolverine avait couvert la fuite de Synch. Duggan a donc entrepris de savoir ce qu'était devenu Darwin et de le tirer de là, tout en entretenant un doute (raisonnable) sur l'état d'esprit du mutant captif depuis des lustres (le temps s'écoulant différemment à l'intérieur de la Voûte, on pouvait penseer que Darwin se serait senti légitimement abandonné).

La fin de l'épisode 16 nous laissait sur le flanc quand Forge, au lieu de trouver Darwin, découvrait Laura Kinney conservée dans un caisson. Ce qui voulait dire que la Laura Kinney ressucité au terme de l'histoire d'Hickman l'a été sans que celle restée dans la Voûte soit morte (mais il n'y avait aucun moyen de le savoir - normalement, c'était le boulot de X-Factor, série annulée depuis, de vérifier ça, mais évidemment aucun d'eux ne l'a fait).

Quid de Darwin ? Comme il est littéralement "intuable" (ses pouvoirs lui permettent de s'adapter à n'importe quoi), il a fait l'objet d'expériences éprouvantes par les Enfants de la Voûte, dont des examens cérébraux. On le voit trépané et son cerveau raccordé à un tas de fils et de cables et il s'en est servi pour pirater le logiciel de la Voûte et amasser d'énormes quantités d'informations à leur sujet comme il le révèle à Forge. Il refuse de partir, estimant qu'il peut encore en apprendre plus, sans souffrir plus qu'il a enduré déjà.

Forge accepte tout en remerciant Darwin et sort de la Voûte en emmenant Laura Kinney. Qui retrouve donc à l'extérieur Synch. Contrairement à celle qui a été ressucitée, cette Laura a conservé intact le souvenir de leur romance durant leur séjour dans la Voûte.

Mais Duggan, sans avoir besoin de le souligner, dit qu'un problème se pose en en ayant résolu un : il y a désormais deux Laura Kinney à Krakoa, un cas inédit. Que va-t-il se passer ? Celle qui vient de sortir de la Voûte et est l'amante de Synch est la plus légimite. Mais cela signifie-t-il que celle qui a été ressucitée doit/va être éliminée (et comment ?). De même, l'histoire avec les Enfants de la Voûte est appelée à se poursuivre dans le futur puisque Darwin est toujours leur "prisonnier" mais aussi que Serafina a surpris Forge lors de sa mission. Cela pourrait-il fournir l'argument pour l'event Fall of X annoncé pour l'été 2023 ? 

Visuellement, cet épisode est celui qui m'a le plus plu depuis l'arrivée de Joshua Cassara au dessin. Il m'a semblé que l'artiste avait enfin trouvé un équilibre. Encore marqué par le style sombre de X-Force sur les deux mois précédents, Cassara accusait quelques maladresses. Ce n'est toujours pas devenu un narrateur très subtil, au trait élégant, mais j'ai l'impression qu'il commence à prendre ses marques.

La réserve que j'ai toujours avec lui concerne la musculature trop prononcée qu'il donne à certains personnages (comme Cyclope, qu'on ne surnomme pas "Slim" pour rien). Mais en ce qui concerne ses personnages féminins, il y a du mieux alors que Cassara n'est pas toujours flatteur avec eux. A voir comment cela va évoluer car l'épisode n'offre pas non plus de garantie absolue.

En revanche, là où Cassara est très fort, c'est pour tout ce qui est décors. la scène onirique entre Forge et Darwin permet d'apprécier son brio pour camper des extérieurs à la végétation luxuriante, dans des compositions très aérées et spectaculaires (voir ci-dessus). Cela offre un contraste saisissant avec l'intérieur de la Voûte, froid, dur, souligné par les couleurs de Guru-FX.

Tout ça manque donc un brin de personnalité mais est contrebalancé par le fait qu'on suit des pistes ouvertes par Hickman. Et il y a du potentiel pour la suite.

mercredi 23 novembre 2022

SHE-HULK #8, de Rainbow Rowell et Takeshi Miyazawa


She-Hulk #8 est sorti la semaine dernière mais j'ai tardé à le critiquer parce que... Comment dire ?... C'est nul. C'en est même gênant. Non pas que jusqu'à présent, la série ait atteint des sommets mais c'était sympathique à lire, reposant entre deux titres exigeants. Mais là, comment Rainbow Rowell a-t-elle pu croire que ça fonctionnerait ? Luca Maresca absent, il est remplacé par Takeshi Miyazawa, non sans talent. Mais c'est tout ce qu'il y a de bien ici.


Mark et April Booth étaient des bi-ingénieurs étudiant ce qui avait trasformé Bruce Banner puis Jennifer Walters en Hulk.


Leur objectif était de répliquer cette transformation en l'expérimentant sur eux-mêmes. Il analysèrent ainsi les différents Hulks et dérobèrent un échantillon du sang du premier conservé par Tony Stark.
 

Ayant, entre temps, collecté des fonds pour leurs recherches, ils synthétisèrent une nouvelle formule et se l'injectèrent. D'abord avec succès. Puis rapidement tout dégénèra.


Colosse au Q.I. d'un enfant, Mark dépendait de April, devenue naine mais ayant conservé ses facultés intellectuelles. Et résolue à pièger She-Hulk pour trouver une solution à leur état...

Il était prévisible après la fin du précédent épisode où Mark et April ont piégé She-Hulk que Rainbow Rowell allait nous en dire plus sur ce couple très bizarre et donc ce huitième numéro de la série est une origin story en bonne et due forme.

Pourtant, dès le début, on sent que ça ne va pas fonctionner. Pourquoi ? Parce que, il faut bien l'avouer, l'objectif de Mark et April est complètement con. Vous avez déjà lu une histoire où des personnages tentaient d'obtenir les pouvoirs de Hulk et qui finissait bien ? Non. Et pour cause : qui voudrait être Hulk, ce personnage aussi surpuissant qu'incontrôlable.

Donc, oui, ces deux savants amoureux qu'on nous présente sont de parfaits abrutis, arrogants comme seuls le sont ceux qui se croient capables de réussir là où tout le monde a échoué avant eux. Leurs motivations pour devenir des Hulks sont stupides et le résultat est donc couru d'avance. Ce sera un échec que Rainbow Rowell rend particulièrement grotesque, ce qui n'arrange rien puisque ça rend le couple encore plus stupide alors que la scénariste voulait visiblement nous les rendre dangereux.

Rowell ne recule devant ânerie et elle veut nous faire croire que ces deux idiots réussissent à dérober un échantillon sanguin de Hulk chez Tony Stark comme ça, sans se faire prendre. Elle veut aussi nous convaincre qu'ils obtiennent des fonds pour leurs recherches sans plus de difficultés. Et n'oublions pas, en étant au départ des bio-ingénieurs... N'aurait-il pas été plus simple, logique d'ne faire des généticiens ? Apparemment bio-ingénieurs sonne mieux. Je sais pas.

Le plus étonnant dans cette affaire, c'est que ça prend quand même une vingtaine de pages à Rainbow Rowell pour nous raconter ça. On fait souvent le procès des scénaristes adeptes de la narration décompressée en les accusant de rallonger artificiellement leurs récits. Mais c'est plus mou que vraiment décompressé. Le découpage écrit est ostensiblement très léger et laisse au dessinateur une bonne marge de manoeuvre pour que tout ça tienne en vingt pages.

L'apparence finale de Mark et April est une autre énigme car on n'a jamais vu expériecne aussi ratée pour acquérir les pouvoirs de Hulk aboutir à pareilles bizarreries, avec d'un côté un colosse neuneu et de l'autre une naine avec une tête énorme. C'est un peu comme si on était face à Bizarro (sans le côté rigolo) et le Leader au féminin (mais bine moins maline et sans être devenue verte).

Ce naufrage est affligeant. She-Hulk sur ses sept premiers épisodes n'était certes pas renversant, mais bon, ça se lisait, c'était sympa, inoffensif et bien dessiné. L'entreprise était très opportuniste de la part de Marvel qui voulait profiter de la série She-Hulk : avocate sur Disney + pour redonner un couo de projecteur sur Jennifer Walters, redevenue plus abordable après des années à être massacrée par Jason Aaron dans ses Avengers. Mais la série Disney + a été une des pires produites par la plateforme de streaming et ce comic-book suit la même pente.

Surtout on se demande quel est le plan derrière ça ? J'ai d'abord pensé que Mark et April étaient derrière la régression des pouvoirs du Valet de Coeur (il est possible que ça reste le cas, mais j'en suis moins convaincu). Finalement, c'est une fausse piste (quoique, sait-on jamais). En tout cas, c'est trop fumeux pour satisfaire. Et cet épisode est vraiment accablant pour que la série s'en relève. C'est l'épisode "jumping the shark" par excellence. Comment la brillante auteur de Moon Girl and Devil Dinosaur a-t-elle pu commettre ce machin ?

Comme les emmerdes volent en escadrille, Luca Maresca est absent (le dessinateur va être très occupé dans les mois qui viennent puisqu'il dessinera deux séries mensuelles !). C'est pourtant un très bon fill-in artist qui le remplace avec Takeshi Miyazawa. Ce dernier avait notamment supplée Adrian Alphona sur Ms. Marvel et on peut apprécier ses dessins sur sa page FB (même si ça fait un moment qu'il n'en a pas posté).

Miyazawa se débrouille bien mais il ne peut pas sauver cet épisode de la catatrophe. On sent qu'il n'a pas eu un script bien fourni et il doit donc se débrouiller avec le peu dont il dispose. Ou plus pragmatiquement il n'a pas eu envie de se forcer. Mark et April sont des individus très génériques, sans charisme. Comme leurs apparences post-opération a été établie par Maresca, Miyazawa se contente de suivre le guide. C'est très plat, très insipide. Mais je ne lui en veux pas : franchement, qui aurait envie de dessiner un machin pareil ?

J'en profite quand même pour rajouter que Jen Bartel, qui a pourtant du talent, a gagné un Eisner award comme meilleure cover artist. Sans être méchant, on peut se demander ce qui a motivé les votants à l'honorer quand on observe la banalité des illustrations de couvertures pour She-Hulk alors qu'en face d'elle il y avait par exemple Julian Totino Tedesco, dont chaque image est géniale, quel que soit le titre.

Honnêtement, je doute de rédiger la critique du prochain numéro de She-Hulk car celui-ci m'a achevé. Je n'étais pas tellement captivé jusque-là mais j'appréciai la série parce qu'elle m'offrait un moment de détente. Mais après ça...

lundi 21 novembre 2022

IRREDUCTIBLE, de Jérôme Commandeur


Pour une fois, je vais écrire sur une comédie française. Un sujet délicat puisque, généralement, les comédies françaises ne me font pas rire. Mais Irréductible m'a vraiment fait marrer et ce n'est pas un hasard puisqu'elle est co-écrite, réalisée et jouée par Jéröme Commandeur, un humoriste irrésisitible. Librement inspiré d'un film italient, c'est une franche réussite.


Véhiculé au beau milieur de la jungle équatorienne, Vincent Peltier est capturé avec son chauffeur par une tribu indigène. Présenté au chef, Coca, il doit lui raconter sa vie et pourquoi il est ici pour prouver que son âme est pure. Sinon, il sera brûlé vif. Vincent commence donc le récit de son existence, lui qui, dès l'enfance, a rêvé d'être, comme son père, agent de la fonction publique...


Dans son bureau des Eaux et Forêts, il est gâté par ceux à qui ils accordent divers permis. Jusqu'au jour où, avec ses collègues, il regarde à la télé le ministre de la fonction publique, Rosalyn Bacheron, annoncer une réduction massive des effectifs. Au pied du mur, Vincent monte donc à Paris pour recevoir ses indeminités de licenciement lorsqu'il se rappelle de Michel Gougnat, un ami syndicaliste de son père, à qui il se confie. Suivant ses conseils, il refuse le chèque qui lui tend Isabelle Baillencourt, l'assistante du ministre, qui décide, pour le faire craquer de le muter dans le pires endroits possibles.


C'est ainsi que Vincent est envoyé au Groenland pour veiller à la sécurité d'une équipe de scientifiques contre les attaques d'ours. Soumis à des conditions de vie extrêmes et à un travail dangereux, Vincent tient le coup car il rencontre Eva Bréband, une chercheuse dont il tombe amoureux. Ils deviennent intimes et elle l'invite lors d'un congé chez elle en Suède où Vincent fait la connaissance de ses trois enfants, nés de trois pères différents.


Mais le mal du pays se fait sentir malgré ce bonheur familial. Simultanément, le ministre remarque que la mutation de Vincent coûte une somme folle et menace Isabelle de trouver une solution pour se débarrasser de Vincent sinon c'est elle qui sera mutée. Suivant à nouveau le conseil de Gougnat, Vincent accepte une nouvelle mutation et convainc Eva et ses enfants de le suivre. Le voilà gardien de prison, fournissant ce dont les détenus ont besoin pour gagner leur confiance,  tandis que Eva échoue à retrouver du travail et que sa progéniture échoue dans trois établissements scolaires différents. Ecoeurée par les magouilles de Vincent et ne s'habituant pas à la vie en banlieue, Eva s'en va.


Comme l'avait prévu Gougnat, la réforme du ministre est retoquée. Vincent réintègre son poste à Limoges. Quelques mois après, Eva lui téléphone pour l'informer qu'elle est sur le point d'accoucher de leur enfant. C'est ainsi qu'il débarque en Equateur et, convaincu, le chef Coca le relâche. Vincent accepte enfin de démissionner pour fonder une famille contre un chèque revu nettement à la hausse remis par Isabelle Baillencourt.

Irréductible avait tout pour que je l'évite : je suis un spectateur difficile avec les comédies en général et plus encore avec les comédies françaises qui me désolent plus qu'elles ne me font rire. Je ne vais pas ni faire le procès de ce genre ni du nombre de films affligeants que j'ai commencés à regarder sans les finir, mais je suis toujours stupéfait par le succès de productions médiocres produits dans l'haxagone et qui sont censées faire rire.

Comme c'est un genre qui rencontre souvent le grand public, il n'est pas certain que ça encourage les auteurs de comédie à devenir plus exigeants ni les producteurs à être plus sélectifs. Mais alors comment se fait-il que, quand il y a une comédie française aussi réussie que Irréductible, elle ne déplace pas les foules ? En effet, le film co-écrit, réalisé et joué par Jérôme Commandeur a atteint péniblement 750 000 entrées sur tout le territoire !

Cela fait longtemps que je suis fan de Jérôme Commandeur. Il a souvent été un de mes rendez-vous favoris à la radio dans les matinales d'Europe 1 (avant que Bolloré ne s'empare de la station) et j'étais toujours plié en deux de rire en écoutant ses billets loufoques. Par ailleurs, il a brillé lorsqu'il a présenté la cérémonie des César ou même lorsqu'il n'a fait qu'y remettre une statuette. Enfin, ses one-man show sont des grands moments grâce à une écriture incisive et un jeu très maîtrisé.

En 2016, déjà, Commandeur était passé derrière la caméra pour le très oubliable Ma famille t'adore déjà ! (assisté par Alan Corno) et le public ne s'était pas déplacé. Il a pris son temps pour récidiver, temps mis à contribution pour être associé en tant qu'acteur à de francs succès (même si les longs métrages étaient moins bons que lui). De quoi au moins devenir bankable.

En 2016, en Italie, une comédie, Quo Vado ? (de Gennaro Nunziante), fit un triomphe en Italie et Commandeur avec son co-scénariste Xavier Maingon l'ont adaptée librement pour aboutir à Irréductible. Le pitch peut faire peur : c'est une comédie sur les fonctionnaires, mais rassurez-vous, on est loin des Chevaliers du Fiel ! En 1h 25, Commandeur emballe son affaire en la tirant vers le comédie d'aventure, avec bienveillance mais non sans ironie - il a reconnu que les agents de la fonction publique étaient raillés trop souvent à tort et comme le montre une scène du film (quand Vincent Peltier devient gardien de prison), l'administration est pleine de postes ingrats mais nécessaires.

Le héros du film n'est pas sympathique et c'est sans doute un trait que Commandeur a voulu conserver par rapport à la source originale, car les italiens ont souvent su rester mordants avec leurs personnages principaux (de Dino Risi à Ettore Scola en passant par Mario Monicelli, on ne compte plus le nombre d'individus pathétiques mis en avant dans des classiques de la grande époque). Vincent Peltier a toujours voulu être fonctionnaire pour travailler comme s'il était en vacances, profiter des privilèges accordés à ces professions. Il est volontiers malhonnête quand il reçoit des cadeaux de ceux à qui il accorde divers permis et à qui il raconte qu'il ne s'agit pas de corruption puisqu'ils lui font des présetns "volontairement". C'est également un mufle, un fils gâté par sa mère, chouchou de son père, et accroché son poste.

Tellement qu'il préfère être muté n'importe où plutôt que de toucher un chèque d'indemnités. Inflexible, résistant, il endure même le climat rigoureux du Groenland. Et, le comble, c'est qu'il y trouve l'amour. Mais quand le mal du pays et la colère d'un ministre s'en mêlent, fini le conte de fées et retour en France pour de nouvelles mises à l'épreuve. Le spectateur est alors partagé entre une certaine admiration face à la détermination de Vincent Peltier contre le harcélement de se hiérarchie et toujours une pointe de désapprobation en estimant que son attitude n'a rien de noble. D'ailleurs, c'est ce point qui l'emporte quand il laisse partir Eva plutôt que de renoncer à son confort.

Racontée en flash-backs, le film ne perd pas de temps alors que Commandeur pourrait se complaire dans des scènes d'explication au chef Coca et transformer le tout en one-man show déguisé. Au contraire, il privilégie les relations de son héros avec les autres, pimente le récit avec des guest-stars qui jamais ne parasitent ou ne cannibalisent le projet. Plutôt que de miser sur un montage haché, Commandeur préfère rythmer son histoire à l'intérieur de chaque scène avec des dialogues vifs, des péripéties nombreuses, ce qui donne une vraie densité à l'ensemble et permet d'apprécier son abattage de comédien mais aussi son invention de scénariste.

Car Jérôme Commandeur ne fait jamais de numéro : il ne cherche pas à sauver son personnage, ni à l'accabler d'ailleurs, il lui confère une sorte de bonhomie, de normalité hilarante. Pour Vincent Peltier, pas question de lui retirer ce qu'il a toujours voulu faire, ni d'acheter à bas prix sa démission. Mesquin mais attachant, maladroit mais drôle, il n'a pas besoin d'en rajouter puisque pour lui, tout est parfaitement intégré.

Le reste du casting réserve d'excellentes surprises, comme celle de confier le premeir rôle déminin à Laetitia Dosch, plutôt habituée aux films d'auteur sérieux et qui rayonne littéralement dans ce registre. Elle n'est jamais dominée par Commandeur qui d'ailleurs ne cherche pas à s'imposer en vedette. Christian Clavier est employé à contre-emploi  en syndicaliste (lui qu'on sait de Droite, grand ami de Sarkozy, et habitué aux rôles de bourgeois). Gérard Darmon est royal en ministre qui se croit irrésistible et Pascale Arbillot est géniale en chasseuse d'agents récalcitrants. On a même droit à une scène où Gérard Depardieu, dans son propre rôle, prononce magnifiquement un éloge de la France (savoureux de sa part quand on se souvient de ses exils à répétition).  

On rit donc beaucoup, de bon coeur, et parfois, bonus appréciable, on est touché. Le film aurait pu se payer le luxe d'être plus méchant sans rien perdre de ses qualités. Mais Commandeur au fond est un tendre qui rit de tout sans vouloir blesser mais sans non plus être naïf. De quoi trouver encore plus injuste le succès trop modeste de son film si réussi.

samedi 19 novembre 2022

KROMA #1, de Lorenzo de Felici


Kroma est une mini-série en quatre numéros écrite, dessinée et colorisée par Lorenzo de Felici, publié sous le label Skybound pour Image Comics. L'auteur s'est fait connaître chez nous en participant à la série Infinity 8 mais il explosé avec la série Oblivion Song, écrite et co-créée par Robert Kirkman. Et pour ce projet où il fait (pratiquement) tout, de Felici frappe un grand coup. Attention, chef d'oeuvre en vue !



I y a bien longtemps, le Roi des Couleurs enchantait le monde. Jusqu'à ce qu'un homme invente une nouvelle nuance et ne déclenche sa colère et une guerre, olbigeant les hommes à se réfugier dans une cité fortifiée, Pale Citt.


Derrière les murs de Pale City, le prêtre Makavi orchestrait chaque année un rituel en libérant un monstre envoyé par le Roi des Couleurs et livré à la vindicte populaire. Le jeune disciple Zet et ses amis y assistent cette fois et Zet découvre une vérité dérangeante au sujet du monstre.


Le prêtre devine le trouble qui s'est emparé de son élève et cherche à l'apaiser. Mais Zet, curieux, s'arrange pour soudoyer le garde et entrer dans le donjon où est retenu le monstre. En vérité, une jeune fille répondant au nom de Kroma, convaincue d'être maudite.


Les visites que lui rend Zet ne passent pas inaperçues auprès du prêtre et lors d'une sortie dans la forêt voisine en compagnie d'autres élèves, Zet manque d'être dévoré par un crocodile géant. Revenu à l'abri, il comprend qu'on lui a menti sur le monde extérieur à Pale City.


Zet est résolu à quitter la cité mais pas seul : il libère Kroma en la convaincant qu'elle a été instrumentalisée. Mais alors qu'ils contemplent la forêt, ils sont surpris par le garde...

A la fin de ce premier numéro (sur les quatre que comptera la mini-série), Lorenzo de Felici signe une postface dans laquelle il revient sur la genèse de son projet. Quand il a débuté sa carrière en Italie, il était coloriste mais il savait aussi que son job était peu valorisé, il n'intervenait qu'en fin de fabrication (comme le lettreur). En réflechissant au pouvoir de la couleur dans l'imagerie, il prit ses premières notes pour ce qui allait devenir Kroma.

En 2017, de Felici est recruté dans la série Infinity 8 conçu par Olivier Vatine et Lewis Trondheim, où il signe les dessins d'un arc en trois épisodes (comme chaque équipe créative impliquée). Une expérience qui lui vaut d'être remarqué par Robert Kirkman en quête d'un artiste pour son nouveau projet : Oblivion Song. L'année suivante marquera le début de la publication de cette épopée de 36 épisodes achevés cette année. Si cette série n'a pas eu le succès colossal de The Walking Dead ou Invincible, elle a permis à de Felici de s'imposer comme un dessinateur apprécié.

Il a ainsi convaincu Kirkman de signer Kroma sous son label Skybound au sein d'Image Comics. La forme est inhabituelle : chaque épisode fait 60 pages et le pitch est faussement simple. Dans le monde de Kroma, on suit les survivants d'une guerre contre le Roi des Couleurs qu'un homme a mis en colère en créant une nouvelle nuance. Pour se sauver, les rescapés se sont enfermés derrière les murs d'enceinte de Pale City où tout est noir, blanc et gris. Les couleurs y sont proscrites et désignées comme dangereuses. La société qui s'esst développée est régie par une sorte de religion bizarre conduite par les Makavi, des prêtres.

Le héros de la série est un jeune disciple du prêtre actuellement en place et qui répond au nom de Zet. Quand l'histoire débute, il assiste à une cérémonie annuelle où d'un oeuf noir on laisse percer un monstre aux ordres du Roi des Couleurs et capturé. Livrée ensuite aux coups de la populace, la créature, qui tente de s'échapper, voit le casque osseux qui lui recouvre la tête endommagé. Et Zet découvre que le monstre est en vérité une fille terrifiée avec un oeil bleu et l'autre verre...

Lorenzo de Felici nous raconte donc une sorte de conte violent (comme le sont souvent les contes) sur le mensonge entretenu par des religieux pour contrôler une société d'hommes reclus après une guerre qui s'est déroulée il y a longtemps et dont les protagonistes semblent sortis tout droit d'une légende. Le fait même de choisir un jeune garçon, disciple dun prêtre, comme personnage principal résume bien l'objectif de l'auteur : seul un être encore innocent, effrayé par ce qu'on lui a inculqué mais aussi perméable au doute, peut dévérouiller cette intrigue.

Zet n'est pas très discret : d'abord, il fait part de son trouble, après la cérémonie, au prêtre Makavi, puis ensuite, poussé par la curiosité irrésistible de l'enfant qu'il est encore, il soudoie le garde pour parler à Kroma. Il lui rend ensuite visite plusieurs autres fois et ils apprennent à se connaître. Kroma est effectivement terrifiée, convaincue d'être l'instrument du Mal, maudite, méritant son sort. Elle est coupée de tout, enfermée dans la cellule au sommet d'un donjon, plongée dans le noir avec juste une minsucule fenêtre à barreaux.

La jeunesse de Zet et Kroma n'a pas inspiré de Felici à suggérer une romance entre eux. L'enjeu de leur rencontre est ailleurs et se mêle à une notion peut-être plus grande que l'amour : la liberté. Zet finira par vouloir organiser l'évasion de Kroma et sans doute l'accompagnera-t-il hors de Pale City et de ses mensonges. Mais le cliffhanger à la fin de ce premier épisode remet tout en question, de manière dramatique. Impossible alors de ne pas vouloir lire la suite.

La maturité de l'écriture contredit le fait qu'il s'agisse du premier script produit par Lorenzo de Felici. Il a évidemment beaucoup mûri ce projet et la copie finale témoigne d'une exigence narrative assez bluffante, même si l'auteur ne cherche pas à épater la galerie. Le postulat est si simple qu'on s'étonne en vérité que personne n'ait pensé à developper un récit là-dessus avant.

Evidemment, on est aussi saisi par le fait que de Felici assume quasiment tous les postes de sa série. Il l'écrit donc, mais il la dessine, l'encre et la met en couleurs. Dans sa postface, il revient sur son premier métier de coloriste et implicitement sur le rôle qu'on fait jouer aux couleurs dans les comics. Le plus souvent, il s'agit d'une étape parmi d'autres, déconsidérée par les editors et les lecteurs car elle est naturelle et ne semble pas la partie la plus difficile. Il y a des coloristes de grand talent qui subliment des BD, mais on ne le cite pas aussi spontanément que le scénariste ou le dessinateur. En fait, dès qu'on dépasse le dessinateur, tous ceux qui suivent sont réduits à des subalternes pour le grand public : l'encreur, le coloriste, le lettreur.

Lorenzo de Felici mentionne aussi le fait que le noir et le blanc ne sont généralement pas comptés comme des couleurs. Or Kroma oblige à réviser cette erreur en l'intégrant au corps même du sujet. Ainsi, on découvre que les habitants de Pale City sortent de la ville pour ramener de la craie collectée par des ouvriers et dont ils se recouvrent ensuite. Ils deviennent alors des sortes de spectres noirs, blancs et gris dans une ville elle-même blanche (ou pâle).

La sortie que fait Zet avec ses camarades à la carrière, en compagnie d'un garde, les expose aux couleurs éclatantes, chatoyantes de la forêt et du ciel. Les camarades de Zet sont apeurés, agressés par ce nuancier, tandis que Zet est, lui, ébloui, fasciné. Il est subjugué par la beauté de la nature, au point d'ne oublier les dangers. Il faut que le gardien qui les accompagne égorge un ouvrier, en guise de punition, pour que le rouge de son sang le sorte de sa rêverie. Puis des crocodiles géants surgissent et les coursent jusqu'aux portes de la cité.

Avant cela, les premières couleurs apparaissant dans Kroma témoignent déjà de la violence mêlée à la beauté du monde quand Zet se réveille et découvre sur son lit le cadavre d'un oiseau au plumage multicolore tué par un rapace. Puis, lors de la cérémonie, il croise le regard du monstre et ses yeux bicolores. Ces mêmes yeux qui le troubleront profondément quand il entrera dans la cellule de Kroma, avec son regard terrifié. Enfin, il y a cette page qui montre bien les deux mondes, dans l'enceinte de la ville et au-delà, visibles depuis le sommet du donjon où Zet entraîne Kroma (voir ci-dessus).

Le trait de Lorenzo de Felici a cette vivacité qu'on retrouve souvent chez les artistes italiens formés à l'exigeante école des fumetti, où il faut savoir maîtriser rapidement tous les postes et tous les styles. Très expressifs, les personnages sont tracés finement et évoluent dans un environnement délimité par des à-plats noirs profonds, qui donnent des indications sur la lumière, les ombres, le volume.

La composition de chaque plan est un modèle du genre, de même que la valeur de chaque vignette est parfaitement calculée, avec une impression d'instinct dominant la technique qui rend le résultat si fascinant. Y a pas à dire, ces ritals sont très forts !

Malgré sa pagination consistante, on ne voit pas le temps passer. Tout est très rythmé et on arrive au terme de ce premier numéro impatient de lire la suite. Surtout il se dégage de tout cela quelque chose qui fait penser qu'on lit un livre exceptionnel. Kroma est la promesse d'un chef d'oeuvre.