C'est la fin pour Prodigy : The Icarus Society avec cet épisode double (40 pages). Mais ce n'est pas la fin de Prodigy puisqu'on apprend à la fin de ce n°5 qu'il y aura un troisième volume ! Mark Millar a de la suite dans les idées, mais il donne quand même une sacrée conclusion à sa mini-série. Le tout est merveilleusement mis en images par Matteo Buffagni qui n'a pas fini de faire parler de lui dans le "Millarworld"...
Les mercenaires de Felix Koffka attaquent Shangri-La pour piller sa technologie. Surpris au lit avec Ana, Edison Crane a juste le temps d'éviter des balles meurtrières pour elle et lui.
Koffka laisse à Prisha d'exécuter Crane en faisant exploser la bombe miniature qu'elle lui a fait absorber à son insu. Mais Edison a piégé la belle qui meurt à sa place.
Crane profite de la confusion qui s'ensuit pour se cacher. Koffka menace alors d'exécuter des habitants de Shangri-La. Mais Edison détruit la machine qui inhibe les citoyens.
C'est un vrai canrage qui s'ensuit. Crane tue lui-même Koffka. Ana est affligée mais Edison l'aide à réparer sa machine inhibitrice avant de se retirer pour entamer une quête plus personnelle...
Mark Millar, c'est habituel, aime conclure ses histoires avec démesure, parfois en sombrant dans le mauvais goût. Il l'évite ici et, mieux même, il offre à Prodigy : The Icarus Society un final tonitruant et introspectif à la fois, car Edison Crane reviendra pour une troisième aventure plus personnelle.
Le scénariste écossais a développé une intrigue qui était nettement mieux construite et plus fournie que le premier volume de Prodigy (un de ses pires travaux). Et, quand Edison Crane quitte Shangri-La et que Lucy, l'assistante de Fleix Koffka, lui demande pourquoi il part et surtout pourquoi il ne s'est pas échappé avant, la réponse fuse comme si Millar lui-même la prononçait : il ne pouvait pas manquer ça !
Ma petite théorie, c'est que Prodigy est quelque part ce que Millar a écrit de plus fantasmé par rapport à lui-même : avec ce personnage qui sait tout, qui est un athlète et un savant, mais aussi quelqu'un qui cherche à prouver au monde qu'il est le meilleur, j'ai toujours eu le sentiment que c'était ce qu'ambitionnait certainement le jeune Millar au début de sa carrière et qu'il a en quelque sorte accompli.
Même s'il a vendu son label Millarworld à Netflix pour écrire à l'abri du besoin et voir ses créations adaptés sur la plateforme de streaming (ce qui a valeur de consécration pour cet auteur qui pense comics comme matière première pour l'écran, petit comme grand), Millar a plus réussi que n'importe qui dans le milieu des comics. Il a gagné une indépendance royale, a conquis un géant des médias, a séduit les plus grans artistes, tout en restant un scénariste de comics qui adore ce support et s'amuse toujours avec.
Mais pour qui, pourquoi ? Est-ce que Millar comme Edison Crane a voulu conquérir le monde pour prouver à quelqu'un ? Crane, c'est confirmé dans cet épisode, est un fils qui a voulu épater son père et partira à sa recherche dans son prochain périple. Cela lui confère une sorte de fragilité, de vulnérabilité bienvenues alors qu'il apparaît toujours infaillible. Dans ce numéro on découvre ainsi que la bombe miniature que Felix Koffka et Prisha Patel croyaient lui avoir fait ingéré ne l'a jamais menacé. Mais on retient surtout qu'il a failli tomber amoureux deux fois : d'abord, par le passé, d'une femme comme lui, mais trop semblable pour que cela marche selon lui, et ensuite de Ana de Tourzel, cette femme pirate devenue la maîtresse de Shangri-La, qui pensait qu'il serait son roi.
L'affrontement avec Koffka a de l'allure et Millar réussit à donner à son héros un adversaire digne de ce nom, digne de la réputation dont il se vante. La manière dont le scénariste résoud le conflit est spectaculairement sanglante et violente mais a le mérite de tomber sous le sens, quand on comprend pourquoi et comment. On peut y lire un propos, rapide mais percutant, sur des loups transformés en agneaux pour fonder une société paisible qui, lorsqu'elle est menacée, libère ses démons. Et l'épilogue est ambiguë quand on voit que Crane et Ana reconditionne les citoyens de Shangri-La en moutons. Moutons comme ce que Koffka voulait faire de l'humanité en pillant la technologie de la cité mythique.
Tout aussi ambivalent est le sort réservé à Koffka par Ana. Tout cela enrichit la palette de ce récit d'aventures grandiloquent et prouve que Millar sait ne pas se contenter d'intrigues simplistes quand il le veut bien. Du coup, cette fois, on n'attend pas de la suite de Prodigy : The Icarus Society qu'elle soit meilleure que la précédente mais au moins aussi bien car, après un premier volume navrant, le redressement est épatant.
Cette progression est aussi le résultat de la collaboration de Millar avec Matteo Buffagni. Les deux hommes on profité chacun de l'autre : Millar en ayant exploité un talent graphique mésestimé par Marvel, Buffagni en gagnant une exposition inespéré et un script auquel il a apporté ce que Rafael Albuquerque n'avait pas su lui donner.
Et ce qu'il lui a donné, c'est une élégance. Car les planches de Buffagni témoignent d'une volonté d'être belles, agréables à lire. C'est tout bête, mais l'art de dessiner, s'il réclame de l'efficacité narrative dans les comics, oublie souvent le beau, comme si c'était secondaire, comme si c'était une charge encombrante.
Buffagni conjugue le beau et l'efficace. C'est plaisant à lire parce que c'est fin mais aussi parce que c'est bien raconté. Grâce à un usage intelligent de l'infographie, l'artiste italien produit des planches bien fournies mais jamais désincarnées, avec des compositions audacieuses. Parfois on pourrait presque dire que Buffagni se fait d'abord plaisir en magnifiant personnages et décors, puis on se rend compte que ce plaisir n'entame pas le brio du découpage, la valeur des plans, la plus value apporté au texte.
Millar a raison d'afficher son admiration pour les italiens : ce sont des artistes talentueux, très pros, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont tous bons, mais que, quand ils le sont, les autres peuvent s'accrocher. Alors on comprend mieux pourquoi le scénariste prévient dans sa newsletter qu'il a deux futurs projets avec Buffagni (peut-être le vol. 3 de Prodigy et une autre histoire originale). En tout cas, l'italien ne fait pas tâche à côté de stars que fidélise ou attire l'écossais.
Rideau donc pour Prodigy : The Icarus Society. A ranger dans le haut du panier du Millarworld.
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