vendredi 4 novembre 2022

ALICE, de Krystin Ver Linden


Voilà un bien curieux film que Alice. L'affiche fait penser à un long métrage de la blaxpoitation des années 70, mais la scénariste et réalisatrice Krystin Ver Linden signe une histoire bien plus bizarre, comme si M. Night Shyamalan rencontrait Quentin Tarantino. Le résultat est aussi tordu que la propostion, avec le sentiment que tout ça est raconté trop rapidement.


Georgie, XIXème siècle. Dans une plantation, Alice et Joseph, deux esclaves, se marient en secret. Mais ils rêvent tous deux de s'échapper. Joseph est le premier à tenter sa chance mais Aaron le contremaître qu'il a blessé le rattrape et le ramène dans un sale état. Bennett, le propriétaire du domaine, qui a appris à lire à Alice et abuse fréquemment d'elle, veut lui montrer ce qui lui arrivera si, elle, aussi, tente de s'évader.



Pourtant, elle se rebelle et après avoir agressé Bennett, se perd dans la forêt de la propriété. Elle en sort pour arriver sur une route départementale où un camion manque de la renverser. Elle s'avanouit. A son réveil, elle est conduite à l'hôpital par Frank, le chauffeur routier qui a faili la percuter. Effrayée, désorientée, elle ne comprend pas où elle est. Et Frank refuse qu'elle soit internée.


Alice est hébergée chez Frank qui lui explique qu'ils sont en 1973 et que l'esclavagisme a été abolie. Tandis qu'il part travailler, il lui laisse des livres et lui apprend à se servir du téléphone et de la télévision. En se documentant, Alice comprend que toute sa vie repose sur un énorme mensonge et projette de libérer ceux qui sont restés à la plantation et de venger Joseph. 


Elle fait part de ses plans à Frank qui rechigne à s'engager dans cette affaire insensée, même si; par le passé, il a milité pour les droits civiques, jusqu'à perdre un de ses amis à cause de la répression policière. Toutefois, il consent à accompagner Alice au rendez-vous qu'elle a donné à Rachel, sa première maîtresse qui l'avait vendue à Bennett. La rencontre se passe mal car Rachel justifie ce qu'ils ont fait en expliquant avoir voulu protéger les traditions et leurs employés.


Furieuse, Alice entend bien libérer ses compagnons d'infortune. Frank hésite encore mais accepte de l'aider. Après avoir provoqué un incendie dans la plantation, ils y entrent avec le camion de Frank qui s'occupe des esclaves tandis que Alice blesse Bennett en lui tirant dans les jambes. Les pompiers et la police arrivent sur place. Alice se présente à eux pour leur expliquer la situation.

Le plus étonnant, c'est que Alice est basé sur une histoire vraie, même si elle a été adaptée avec beaucoup de liberté. En 1961, Mae Louise Miller s'échappa ainsi de la propriété d'un cultivateur et confia son incroyable histoire aux autorités, révélant avoir été réduite en esclavage et vendue à l'âge de cinq ans, puis ayant travaillé dans les champs tout en subissant des mauvais traitements (violences, viols), sans rien savoir du monde extérieur.

C'étaut une formidable matière, mais depuis le succès critique et public de 12 Years of Slave de Steve McQueen, les afro-américains ont eu le sentiment que, racontée par un scénariste (John Ridley) et un cinéaste eux aussi afro-américains, leur tragédie est connue grâce à Hollywood. Désormais, c'est sur le terrain politique que la bataille se poursuit et d'une certaine manière, c'est en partie là-dessus qu'a émergé le mouvement woke, renforcé par le meurtre de George Floyd et le mouvement Black Lives. Matter.

Par un curieux retour de baton, les noirs américains ne veulent plus voir de films traitant de l'esclavagisme, ils préfèrent des oeuvres exaltant le black power, ils réclament de la représentation dans les fictions et dans la classe politique. Evidemment, cela créé une polarisation de la vie publique puisque les Etats-Unis sont aussi peuplés de conservateurs qui considérent que leurs privilèges sont menacées par cette émancipation. Et ce courant de pensée franchit désormais l'Atlantique pour envahir l'Europe avec l'a Gauche qui victimise les musulmans nord-africains et dénonce un racisme systémique, étatique, à des fins électoralistes.

Dans ce contexte, Alice tente malgré tout de trouver un créneau et si le résultat laisse songeur, on ne peut nier une certaine audace à sa scénariste-réalisatrice. Si vous avez vu (et il faut le voir !) Le Village de M. Night Shyamalan (2004), les quarante premières du film en sont un décalque troublant mais plus rapide. Comme l'héroïne jadis incarnée par Bryce Dallas Howard, Alice va, en s'échappant de la plantation, faire une découverte renversante et le film aboutir à un twist très efficace (mais donc pas du tout original).

C'est là que les ennuis commencent pour Krystin Ver Linden car au lieu d'explorer le passé et le présent de son héroïne, elle choisit au contraire d'appuyer sur l'accélérateur. En vérité quand dans Le Village, Shyamalan nous menait patiemment en bâteau jusqu'au sidérant retournement de situation finale, Alice fait l'inverse : le premier acte dans la plantation expédié, le deuxième et le troisième acte développent l'inclusion de l'héroïne dans l'année de 1973.

Le problème, c'est que tout se fait alors en dépit du bon sens : le personnage de Frank ne s'étonne guère de l'accoutrement d'Alice, l'interroge à peine sur d'où elle vient, son histoire. Par contre, il l'héberge chez elle, lui apprend à allumer la télé et à zapper, à se servir du téléphone, et met à sa disposition des bouquins sur l'Histoire américaine. Alice, elle, se remet trop rapidement et comme elle a la chance d'avoir appris à lire, se plonge dans des livres, puis épluche l'annuaire pour trouver Rachel, sa première propriétaire (coup de bol : elle vit toujours dans la région et accepte de la rencontrer sans même songer à la pièger en appelant Bennett, le propriétaire de la plantation).

Alice trouve aussi le temps de se couper les cheveux pour se faire une belle coupe afro inspirée par Diana Ross et Pam Grier. Elle s'habille aussi de façon plus conventionnelle en s'habituant en un éclair à ce nouveau look pour une nouvelle vie. Et tant qu'à faire elle fouille dans les affaires du brave Frank , histoire d'en savoir plus à son sujet et de tomber sur son flingue (qu'elle maniera plus tard avec une adresse épatante).

Tout cela pourrait prêter à rire. C'est surtout à ce moment-là que l'histoire de Mae Louise Miller a disparu du projet de Ver Linden, car dans la vraie vie, il n'y a jamais eu de projet de vengeance. Pourtant malgré le ridicule qui s'est emparé du script, l'influence blaxpoitation est imprévisiblement efficace. et ce mélange incongru de Jackie Brown et du Village, de Shyamalan et de Quentin Tarantino (les dialogues pimentés en moins), s'avère divertissant.

Il faut dire que Ver Linden a choisi une actrice fabuleuse pour co-produire et jouer dans son film. D'abord connue comme chanteuse de funk, Keke Palmer est en train de devenir la nouvelle coqueluche de Hollywood, depuis le succès de Nope de Jordan Peele (je vais tâcher de vous en parler bientôt). Elle est sexy en diable quand elle se la joue comme Coffy, et émouvante en esclave désespérée. Surtout elle a une présence exceptionnelle qui fait que chaque fois qu'elle est à l'image (et elle est de tous les plans), elle ne laisse que des miettes à ses partenaires quand elle les affronte ou les fait briller quand elle le décide.

Common a compris qu'il fallait la jouer sobre face à cette panthère et il interprète Frank avec humilité. Jonny Lee Miller est méconnaissable dans le rôle de Bennett et Alicia Witt, qu'on n'avait plus vue depuis des lustres, est infecte à souhait en esclavagiste certaine d'avoir bien agi.

Alice n'est donc pas un bon film, avec une telle histoire on aurait pu faire une mini-série plus convaincante. Mais sa bizarrerie et surtout son actrice principale en font quelque chose de vértablement singulier, de totalement improbable.

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