vendredi 26 janvier 2024

G.O.D.S. #4 (Jonathan Hickman / Valerio Schiti)


Après la tentative d'assassinat d'Amelia Addison contre l'agent de l'A.I.M. Richard Forson, le dieu de l'Oubli a tenté d'effacer cet événement mais il en a été empêché in extremis par le Dr. Strange. Ce dernier et Wyn découvre alors d'où vient Forson et ce qu'il a subi...
 

Disons-le tout net : s'il n'y avait pas Doctor Strange dans le casting de G.O.D.S., rien ou presque dans cette série ne permettrait de la rattacher à Marvel. Certes, on y mentionne l'A.I.M. (Advanced Idea Mechanics), une organisation criminelle de savants fous et de laborantins, mais c'est générique : cela pourrait s'appeler tout autrement, en conservant le même rôle. Mais tout cela éclaire sur le projet de Jonathan Hickman.


Plutôt que de partir de rien et de devoir tout inventer, tout contextualiser, le scénariste s'appuie sur des éléments familiers au lecteur des comics Marvel pour gagner du temps. Il retient ce qu'il lui est utile et fait fi de tout le reste pour développer une mythologie propre qui lui permet d'explorer les mondes de la science (ou de la super-science) et de la magie. G.O.D.S. se dresse alors comme la cartographie de ces deux pans de l'univers Marvel dans un registre qui évoque le récit policier.
 

Les créations de Hickman - Wyn l'avatar du Pouvoir-en-place, donc de la magie, et Aiko, le centivar de l'Ordre-naturelle-des-choses, et leurs apprentis respectifs, Dimitri et Mia - sont en quelque sorte trop neufs et encore trop peu familiers pour le le fan lambda, alors Hickman emploie le Dr. Strange comme une sorte de personnage-témoin, une sorte de passeur, c'est à lui que revient le rôle de guide. Jusqu'à quand ? Là est la question, mais il semble inévitable qu'à un moment ou un autre Hickman s'en passe pour laisser à ses propres personnages tout l'espace.


Dans le précédent épisode, on assistait à la tentative d'assassinat par Amelia Addison, une Cassandre (dont une voyante maudite puisque personne ne croit à ses prédictions catastrophiques) contre un agent de l'A.I.M. en possession d'une arme terrible. L'incident était perturbé par l'intervention de l'Oubli (Oblivion), un dieu ancien, voulant effacer ce qui allait se produire, et le Dr. Strange, qui voulait éviter à la fois ce meurtre et son oubli. Strange, comme on le découvre ici, réussit cet effort et l'agent de l'A.I.M. est neutralisé. Par contre Oubli fait savoir à Wyn que cette intervention lui vuat d'être son ennemi - ce qui n'effraie pas l'avatar du Pouvoir-en-place...

Mais reste la question : qui est cet agent de l'AIM ? L'épisode va alors procéder à des va-et-vient entre son passé et le présent. On découvre alors qui est ce Richard Forson (tiens, tiens, Forson est également le nom de famille d'Andrew Forson, un des cadres historiques de l'AIM, entré ensuite en dissidence avec l'organisation au point de devenir un agent double à la solde du SHIELD...), comment il a été le sujet d'expérimentations menées par l'Intermédiaire, l'incarnation d'une force cosmique, au moyen d'une boîte de Skinner (un dispositif expérimental inventé par B.F. Skinner dans les années 1930 pour étudier les mécanismes du conditionnement au moyen de stimuli et de punitions positives ou négatives).

Ce que découvrent donc ainsi Wyn et Strange va les conduire à une révélation encore plus spectaculaire et qui met en évidence un plan plus vaste des Intermédiaires et qui explique ce qui s'est déjà produit lors de leur affrontement avec le proto-mage Cubisk Core.

Entre temps, on assiste aussi à une prise de bec entre Wyn et son ex-femme Aiko quand il découvre qu'elle a recruté une jeune magicienne (Mia) sans l'en avertir (alors que lui chaperonne Dimitri, disciple de l'Ordre-naturel-des-choses dans le cadre d'un accord).

La narration de G.O.D.S. ne ressemble à rien de connu, en tout cas on ne trouve rien de semblable actuellement chez les Big Two (et certainement aussi chez les indés). Hickman ne procède pas par arcs narratifs, chaque épisode est un maillon d'une chaîne dévoilant à chaque fois quelque chose de surprenant et d'énorme, et qui revisite de manière complètement originale les grandes forces cosmiques régissant l'univers Marvel. Les héros vedettes de l'éditeur en sont absents (pas d'Avengers, de X-Men, de Fantastic Four, juste Dr. Strange qu'on ne peut ranger dans la même catégorie), le reste de la distribution sont des personnages inventés pour l'occasion. Et les divinités évoqués sont revisités visuellement de telle sorte qu'on ne les reconnaît pas (comme l'Intermédiaire).

Mais il ne fait aucun doute, en revanche, qu'il s'agit d'un pur produit de Hickman : le scénariste aime voir grand et il est un des rares auteurs à manier des concepts pareils avec aisance (comme Al Ewing), un plan très ambitieux se dessine progressivement (comme c'était le cas dans ses productions antérieures) mais de dévoilant à son rythme, n'hésitant pas à frustrer le lecteur. Certains, à coup sûr, se décourageront, d'autres trouveront qu'il fait trop durer les plaisir ou douteront que la révélation soit à la hauteur. Mais il est indéniable que tout ça est original, atypique, intrigant. 

Et surtout Hickman, comme pour sa revisite de l'univers Ultimate, semble seul maître à bord : personne à part lui n'a les clés de cette histoire, il paraît avoir obtenu la garantie qu'aucun event ou crossover ne viendra parasiter ce qu'il a en tête (et, échange de bons procédés, il n'utilise aucun héros déjà exploité par un de ses confrères - même son Dr. Strange est employé sans que cela gêne la série écrite par Jed MacKay actuellement). C'est devenu, visiblement, la condition pour que Hickman travaille pour Marvel : qu'on lui fiche la paix, qu'il puisse s'amuser de son côté sans avoir à se mêler de ce qui se passe ailleurs. Et, ma foi, compte tenu de ce qu'il met en place, il n'en a pas besoin (et nul n'oserait s'y aventurer).

Enfin, il dispose d'un artiste capable de suivre sa fantaisie. Avec Valerio Schiti, il bénéficie d'un dessinateur au sommet de son art et capable d'enchaîner les épisodes sans faiblir. Schiti s'est lui-même beaucoup investi sur le plan graphique dans ce projet, imaginant des designs, co-créant les nouveaux personnages : c'est une vraie collaboration avec son scénariste, pas simplement quelqu'un qui est là pour mettre en images un script.

Cet épisode prouve aussi, encore une fois, l'imagination féconde et l'énergie de Schiti, capable de créer des environnements à la fois majestueux et inquiétants, piochant aussi bien chez David Lynch que chez Stanley Kubrick tout en insufflant une subtile touche horrifique. Le tout encadré par un découpage virtuose, challengeant sans cesse ce que lui écrit Hickman. Cet épisode ressemble au précédant, en introduisant un personnage, en présentant son conditionnement, et pourtant c'est palpitant, et ça ne s'arrête pas là puisque les dernières pages conduisent les héros et le lecteur vers un niveau supérieur.

G.O.D.S. est, je le répète, une expérience - jubilatoire. D'autant plus que Marvel est avare en ce domaine. Mais en laissant Hickman et Schiti développer tranquillement leur récit, l'éditeur montre qu'il n'a pas perdu toute son audace. 

jeudi 25 janvier 2024

THE IMMORTAL THOR #6 (Al Ewing / Martin Coccolo)


Le combat contre Toranos a fait comprendre à Thor que les anciens dieux sont une menace à prendre au sérieux. Il veut en parler à sa mère, Gaia, mais pour cela il doit s'y préparer. Loki lui raconte une de leurs premières aventures qui les avait emmenés aux confins d'Asgard...


Al Ewing entame ce deuxième arc de The Immortal Thor en continuant à combiner la mythologie du personnage et ce qu'il affronte au présent. On sent que le scénariste maîtrise son sujet et adresse en ce sens une vraie lettre d'amour à Jack Kirby, qui, sans verser retomber dans le débat consistant à trier ce qu'a créé Stan Lee ou son compère, est aujourd'hui unanimement reconnu comme le premier animateur du titre.


C'est donc un périple dans le mystère (Journey into Mystery) des origines de Thor mais aussi de Loki que Ewing nous entraîne. Il joue toujours sur l'ambiguïté des relations entre les deux demi-frères, comme il l'a fait depuis la relance de la série sous sa plume - Loki se présentant lui-même comme l'allié mais aussi le pire ennemi de Thor qui l'admet.


C'est donc un récit initiatique en bonne et due forme auquel on a droit aux confins de Asgard, censé instruire Thor avant qu'il ne s'entretienne avec sa mère, Gaia, seule à même de l'éclairer sur les plans des anciens dieux après l'attaque de Toranos. Ewing rédige des dialogues plein d'esprit : il met ainsi en évidence mais sans lourdeur le jeune Thor arrogant et qui malmenait Loki, lequel n'est pas dépeint comme un manipulateur mais plutôt comme un jeune homme craintif à cause de l'attitude de son demi-frère et de son père adoptif tout en se révélant plus intelligent.
  

C'est donc un récit initiatique en bonne et due forme auquel on a droit aux confins de Asgard, censé instruire Thor avant qu'il ne s'entretienne avec sa mère, Gaia, seule à même de l'éclairer sur les plans des anciens dieux après l'attaque de Toranos. Ewing rédige des dialogues plein d'esprit : il met ainsi en évidence mais sans lourdeur le jeune Thor arrogant et qui malmenait Loki, lequel n'est pas dépeint comme un manipulateur mais plutôt comme un jeune homme craintif à cause de l'attitude de son demi-frère et de son père adoptif tout en se révélant plus intelligent.

mardi 23 janvier 2024

BARBALIEN : RED PLANET (Tate Brombal & Jeff Lemire / Gabriel Hernandez Walta)

 

Pkanète Mars. Mark Markz/Barbalien fait face à ses juges qui le condamnent à mort au terme d'un procès expéditif. Son crime : avoir déserté les siens et être devenu ami avec les terriens, jusqu'à partager son amour avec un homme. Spiral City, 1986, quelques mois auparavant : Mark Markz est agent de police et intervient avec des collègues devant l'hôtel de ville où se tient une manifestation contre l'inertie des pouvoirs publics en faveur des malades du Sida.



A cette occasion, Mark Markz remarque le leader du mouvement, Miguel Cruz, et lui sauve la vie sous son apparence de Barbalien. Désirant en savoir plus sur la situation, il infiltre les milieux gays en prenant l'aspect d'un jeune homme, Luke, et découvre les descentes de police dans les clubs homosexuels, la position de l'église qui considère le Sida comme un châtiment frappant les "invertis", l'indifférence des autorités à leur égard...


Luke se rapproche de Miguel et devient son amant alors que Boa Boaz, un martien, traque Barbalien pour le ramener et qu'il soit jugé...


Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu quelque chose d'attaché au monde de Black Hammer. J'ai en effet choisi d'attendre la fin de la publication de Black Hammer : The End pour en tirer une critique. Puis je me suis souvenu de cette mini-série consacrée à Barbalien sur laquelle je n'avais rien écrit à l'époque de sa parution (en 2019).


Barbalien, dans le monde de Black Hammer, est la version du Limier Martien (Martian Manhunter) de la Justice League. Jeff Lemire s'est ici "contenté" d'écrire l'intrigue, laissant à Tate Brombal (un acolyte de James Tynion IV dans l'univers étendu de Something is killing the children) le soin de rédiger le script et les dialogues : les deux auteurs ont eu visiblement à coeur de raconter une histoire accessible au plus grand nombre, c'est-à-dire même pour ceux qui n'ont pas suivi les différents volumes de Black Hammer.
 

La couverture montre ainsi Barbalien qui est enchaîné et on découvre vite la raison de cette situation. Il est jugé sur Mars pour avoir sympathisé avec les terriens au point d'être tombé amoureux de l'un d'eux. L'homosexualité du personnage ne surprendra pas les fans de Black Hammer puisque Lemire l'avait clairement traitée mais ici, elle est abordée à la fois pour explorer une dimension socio-politique et comme une métaphore sur le secret d'un individu et le fait d'assumer ce qu'il est.

Ainsi, le récit est précisément contextualisé en 1986 : à cette époque, le virus du Sida est déjà notoirement connu et frappe durement la communauté homosexuelle au point que l'église considère la maladie comme un châtiment divin contre les dépravés. Les pouvoirs publics sont encore très réservés sur la communication de ce fléau et on assiste partout dans le monde à l'émergence d'associations qui se plaignent de cette apathie quant au manque de moyens alloués à la recherche pour un traitement.

Quand l'histoire démarre, Mark Markz est agent de police à Spiral City (exactement comme Jonn' Jon'zz.John Jones/le Limier Martien dans le DCU). Il est en patrouille avec un collègue et on devine la tension entre eux suite à des avances que lui a faites Mark. Cette tension ne va pas baisser car les deux agents sont appelés devant l'hôtel de ville où a lieu une manifestation d'activistes gay contre les autorités.

Brombal développe ensuite sur cinq épisodes un récit qui est plutôt avare en scènes d'action spectaculaires. Ne vous attendez donc pas à lire un comic-book de super héros classique, même si les éléments fantastiques sont présents avec un héros extraterrestre, des flashforwards sur Mars, un vilain cruel et brutal. En vérité, le propos se veut plus intimiste et réussit brillamment à atteindre cet objectif.

Sans verser dans la diatribe militante, Brombal montre la réalité de l'époque avec les descentes de police dans les clubs gays, les malades du Sida auxquels on refuse l'entrée des hôpitaux ou la location d'appartement ou même une simple poignée de main. Le tableau n'est pas complètement noir non plus avec la solidarité des activistes entre eux, le réconfort apporté par une docteur (fille de super héros et elle-même détentrice de super pouvoirs) dans une clinique tenu par des religieuses, et surtout par la belle romance qui se noue entre Luke (identité sous laquelle Mark Markz infiltre la communauté homosexuelle de Spiral City) et Miguel (le leader des manifestants).

On comprend progressivement le message subtil de cette mini-série où Barbalien est comme Miguel un paria dans la société : l'un comme l'autre doivent vivre cachés, le pouvoir les méprise et les maltraite, mais la différence essentielle et qui sous-tend l'intrigue, c'est que Miguel assume ce qu'il est alors que Barbalien va le découvrir et y faire face. A cet égard, on mesure les progrès qu'il doit faire quand il révèle son apparence martienne aux militants et comprend qu'il n'a fait que la moitié du chemin, tout comme il comprend que le pacifisme de ses parents sur Mars l'a mené comme eux dans une impasse et qu'il devra se faire violence et se défendre avec véhémence contre ses persécuteurs.

La partie graphique bénéficie encore une fois d'un artiste inspiré : après Max Fiumara pour Doctor Star, Tyler Crook pour The Unbelievable Unteens ou Tonci Zonjic pour Skulldigger & Skeleton Boy, Gabriel Hernandez Walta s'avère un choix remarquable pour illustrer cette histoire.

Le trait parfois fébrile de ce dessinateur sert à merveille le coming-out de ce super héros mais aussi l'ambiance délétère qui règne aussi bien dans les rues de Spiral City que sur le sol martien vis-à-vis des hommes qui aiment les hommes. Walta semble parfois se passer d'encrage mais en vérité il apparaît en examinant attentivement ses images qu'il conserve son crayonné pour conserver à son dessin son côté organique.

De même, il utilise peu d'à-plats noirs, préférant pour texturer encore davantage son dessin des hachures, des croisillons, ce qui s'avère particulièrement efficace quand il s'agit de représenter Barbalien et sa peau sèche, correspondant au climat hostile de Mars. Les couleurs de Jordie Bellaire sont évidemment, comme toujours exceptionnelles de sensibilité : elle respecte le trait et le style de Walta en lui ajoutant une ambiance intense, notamment dans le scènes nocturnes qu'elle gère sans avoir recours à des lumières artificielles.

Le découpage est très simple, sans extravagance, comme pour ne pas parasiter le propos et cette façon de faire est payante, donnant un rythme soutenu au récit tout en sachant ménager du temps pour des scènes fortes, qu'il s'agisse des manifs, des mouvements de la police, ou d'une simple étreinte entre Luke et Miguel.

Si, en matière d'émotion, rien ne semble pouvoir égaler Doctor Star, Barbalien : Red Planet se distingue par son écriture ciselée et poignante et son graphisme à fleur de peau. Une nouvelle réussite dans l'univers passionnant de Black Hammer.

dimanche 21 janvier 2024

X-MEN #30 (Gerry Duggan / Phil Noto)


Trois tandems : Cyclope rêve de Jean Grey et en parle à une psy à la solde d'Orchis entre deus séances de son procès. Iron Man apprend par Firestar que Orchis la soupçonne d'être un agent double. Synch et Talon partent sur la Contre-Terre pour voler au Maître de l'Evolution de quoi soigner les humains victimes de l'empoisonnement des remèdes krakoans.


C'est un curieux épisode que ce (déjà) trentième numéro écrit par Gerry Duggan. Curieux d'abord parce qu'il se déroule en même temps que Fall of the House of X et nous montre que d'autres mutants sont affairés pendant que leurs semblables ont déclaré la guerre à Orchis. Et curieux par sa construction même.
 

En fait, comme l'indique mon résumé, Gerry Duggan découpe l'épisode en scènes où il suit des couples. Cyclope se confie à une psy aux ordres d'Orchis et du Dr. Stasis en particulier, qui veut se servir de ce que dit Scott Summers pour l'accabler durant son procès. Puis Iron Man retrouve Firestar qui lui fait part des soupçons qui pèsent sur elle dans la direction de Orchis. Enfin, et surtout, au coeur du dispositif, on a Synch et Talon en mission sur la Contre-Terre du Maître de l'Evolution qui possède un moyen de régler un des gros problèmes des mutants.


Duggan ne fait aucune mention de ce qui s'est passé dans Fall of the House of X, mais il ne fait pourtant aucun doute que ce qui se passe là se situe en parallèle, ne serait-ce qu'à cause de la situation de Cyclope qui se trouve à Paris pour son procès. En vérité, le scénariste prouve qu'il n'a pas oublié que tout ne tourne pas autour de cette mascarade judiciaire mais que d'autres mutants sont bien occupés par d'autres aspects de la crise actuelle.


Si la scène avec Cyclope ouvre l'épisode et celle avec Iron Man et Firestar est rapide, en revanche Duggan développe ce qui se passe avec Synch et Talon. Pour commencer, il revient sur ce qu'avait établi Jonathan Hickman dans X-Men #18-19 (dans le précédent volume du titre), avec la mission accomplie par les deux mutants chez les Enfants de la Voûte, les milliers d'années qu'ils ont passé ensemble ou séparés, la romance qui s'est nouée entre eux, mais aussi sur l'époque suivante (l'actuelle volume de la série) où Laura Kinney a été ressuscitée sans qu'on sache que sa précédente version vivait encore dans la Voûte.
   

Le retour du Maître de l'Evolution à cette occasion va aboutir à un tour particulièrement dramatique et la dernière page de l'épisode vous réserve une image mémorable et très troublante. En dire plus serait criminel, mais il sera intéressant de voir quand et comment Duggan va négocier cette affaire. C'est en tout cas très fort et retors.

On peut par contre s'interroger sur la qualité du dessin de Phil Noto. J'aime beaucoup cet artiste mais il semble avoir ici travaillé rapidement, comme s'il avait été appelé en catastrophe. Cela se voit nettement dans la pauvreté des décors, des finitions bâclées. Noto est un artiste rapide mais professionnel, aussi quand ses planches montrent des signes aussi évidents de laisser-aller, c'est qu'il a livré son travail dans l'urgence.

Par ailleurs, Noto fait tout : dessin, encrage (même si ça n'a plus grand sens d'appeler ça de l'encrage puisqu'il travaille numériquement et que le temps où des encreurs trempaient leurs plume et pinceau dans un encrier semble révolu), et couleurs. Les effets qu'il tire de ces ressources infographiques sont impeccables, maîtrisées, mais moins peaufinées que d'habitude. En fait, Noto n'est jamais meilleur que lorsqu'on lui confie des scènes tranquilles, pas de l'action (car il n'a pas un découpage et des compositions très stimulantes pour représenter ce type de scènes). Mais là, même dans le registre qui lui convient le mieux, tout est trop plat.

C'est dommage parce que ce que raconte Duggan mérite mieux qu'une simple illustration : par exemple, dans la première scène avec Cyclope, il y a un mélange d'érotisme et de mélancolie, mais Noto échoue lamentablement à le restituer. Passons sur la scène entre Iron Man et Firestar, qui est purement fonctionnelle. Mais on a le même sentiment d'impuissance de la part de Noto quand il lui faut raconter visuellement la mission de Synch et Talon et ses terribles conséquences. Là aussi ça traduit un manque de temps, de recherche : Noto se contente de dessiner ça à l'économie et le résultat en pâtit terriblement.

On a donc l'exemple type d'un épisode faible visuellement mais très bien écrit : ce n'est pas plus suffisant ou satisfaisant qu'un épisode superbement bien dessiné mais mal écrit. Souhaitons que Phil Noto se ressaisisse puisqu'il sera aux manettes des trois prochains numéros avant le retour en Avril de Joshua Cassara.

samedi 20 janvier 2024

BATMAN - SUPERMAN : WORLD'S FINEST #23 (Mark Waid / Dan Mora)


Gog confie sa mission à Magog : attaquer Apokolips pour tuer les Néo-Dieux. Mais les Supermen et Batmen de Terre 1 et Terre 22 s'unissent pour faire entendre raison au géant du troisième monde et son disciple. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?


C'est difficile à admettre mais cet arc n'est pas facile à apprécier. Mark Waid semble souffler le chaud et le froid en permanence dans cette histoire qui est vendue comme un retour à Kingdom Come mais sans en être vraiment un - puisqu'il a changé beaucoup de choses dans le dispositif originel du récit et a intégré des éléments de Thy Kingdom Come (un arc géant de la série Justice Society of America de Geoff Johns er Alex Ross).


Du coup, on ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre dans ce remix. Ce qui n'est pas déplaisant car les comics inattendus, imprévisibles, sont agréables à lire. Mais, en même temps, j'aurai, pour ma part, préféré quelque chose de plus familier, qui joue plus fidèlement avec la saga initiale ou l'arc de Johns et Ross. Ici, pardonnez-moi l'expression, on est assis le cul entre deux chaises et Waid ménage la chèvre et le chou comme s'il racontait une troisième version de Kingdom Come. Un effort bien superflu.
  

C'est tout à fait dispensable puisque, avec le jeu des reboots opéré par DC depuis Kingdom Come et Thy Kingdom Come, même le lecteur qui a suivi tout ça depuis le début (c'est-à-dire depuis pas loin de trente ans quand même - hé oui, tout ça ne nous rajeunit pas), tout ça a été au choix dénaturé, ou bien inscrit dans une continuité qui n'est de toute façon plus la même.


Ce qui m'embarrasse, c'est qu'on ne comprend pas bien ce que World's Finest comme série y gagne. On est perdu entre les intentions, cryptiques, de Waid et le résultat, pas désagréable en soi, efficace dans le fond et la forme, mais à condition qu'on ne cherche pas à assembler un puzzle auquel il ne manque certes pas de pièces mais dont le motif est de toute façon méconnaissable. 

Et puis, après l'arc précédent, qui commençait avec Metamorpho et une enquête sur le meurtre de Simon Stagg pour se terminer en une guerre contre les IA, ça fait quand même deux histoires compliquées à suivre, qui partent dans tous les sens. Waid aurait-il sacrifié la simplicité si impeccable de ses deux premiers arcs au profit de récits trop décousus ? En tout cas, il serait bien inspiré de revenir à des intrigues moins encombrées, moins fouillis.

Dan Mora n'a pas ce souci : l'artiste, qui va (avec son scénariste) arrêter de produire Shazam ! en Avril prochain (le duo sera remplacé par une nouvelle équipe créative - Josie Campbell et Emanuela Lupacchino. Vous pariez combien que la série ne va pas y survivre et sera annulée avant la fin 2024 ?), se donne toujours à fond, ignorant ce que s'économiser veut dire.

On a donc droit à du Mora en grande forme, avec des scènes de baston dantesques, dont celle qui oppose les deux Supermen à Gog, ou à une double page absolument dingue quand Magog et tous les héros de la Terre 22 donnent l'assaut. Enfin, la dernière page voit l'arrivée d'un personnage qui promet une fin d'arc très alléchante...

Peut-être que tout ça sera plus digeste lu d'une traite ? Mais j'espère surtout que les prochaines aventures de World's Finest seront un peu moins désordonnées, quitte à être plus classiques. C'est comme ça que Waid est le meilleur - et que DC laisse Kingdom Come tranquille !

mardi 16 janvier 2024

ECHO : les débuts de Marvel Spotlight

Ce qui suit ne contient pas de spoilers !

 

2007. Maya Lopez est victime d'un accident de la route qui lui vaut d'être amputée de la jambe droite et qui coûte la vie à sa mère Taloa. Sa grand-mère, Chula, ne pardonne pas à son père, William, ses mauvaises fréquentations et il part avec sa fille pour New York où il devient un des hommes de main de Wilson Fisk. Ronin tue William et Fisk prend Maya sous son aile, lui promettant de lui livrer l'assassin de son père. Formée au combat, elle a l'occasion d'affronter Daredevil, ce qui lui vaut l'admiration du Caïd.

 


Mais quand elle croise le route de Clint Barton, elle comprend que Fisk a sacrifié William. Elle tire à bout portant sur celui qu'elle considère comme son oncle et prend la fuite. De retour à Tamaha, dans l'Oklahoma, où elle est née, Maya s'assure la complicité de Biscuit, un ami d'enfance, et de Henry, son cousin, pour déclarer la guerre aux sbires du Caïd sans savoir qu'il a survécu.
 

Bientôt, Fisk resurgit dans la vie de Maya avec une offre : rentrer avec lui à New York pour devenir son héritière. Elle refuse et expose alors sa famille et ses proches à un conflit avec le Caîd tout en découvrant ses racines choctaw...


Maya Lopez est apparue pour la première fois dans les pages de Daredevil #9 en 1999 et a été co-créée par David Mack et Joe Quesada. Par la suite, Brian Michael Bendis, ami de Mack, utilisera l'héroïne cheyenne et sourde dans sa série New Avengers puis elle fera son entrée dans le MCU à la faveur de la série Hawkeye de 2021.

Aujourd'hui, Echo a droit à son propre show, mais il a connu une production difficile et une sortie en catimini. Disney + a choisi de mettre en ligne ses cinq épisodes d'un seul coup (comme c'est l'usage sur Netflix) : une curieuse façon d'inaugurer le label "Marvel Spotlight" qui a pour ambition de livrer ses séries moins dépendantes de la continuité et au contenu plus adulte, avec une violence plus prononcée.


Même si j'ai beaucoup apprécié Hawkeye, je sais que ce n'est pas le cas de grand-monde et donc on peut légitimement s'étonner que Maya Lopez ait eu droit à sa propre histoire. On peut s'en étonner d'autant plus que le personnage n'a rien de vraiment sympathique et que ces cinq épisodes ne vont pas changer le regard que les téléspectateurs porteront sur elle. Et pour peu qu'on soit curieux des coulisses, on apprendra que cette saison (qui n'appelle pas de suite et n'en aura certainement pas) a subi de nombreuses et profondes réécritures (comme en témoigne l'épisode 2 avec pas moins de six auteurs crédités !).

En considérant tout cela, Echo a tout de l'objet devenu encombrant et on peut douter que le résultat soit concluant. Effectivement, ce n'est pas tout à fait abouti, mais ce n'est pas non plus désastreux et c'est, en soi, un miracle. 


On appréciera d'abord l'effort porté pour rendre le personnage accessible à ceux qui n'ont pas suivi Hawkeye (et a fortiori dans les comics où elle figurait). On sait que David Mack a veillé au grain et a il semble que cela ait limité les dégâts. L'intrigue est minimale et le premier épisode sert avant tout à contextualiser ce qui suit : on a droit à un rappel des faits en bonne et due forme, depuis l'enfance de Maya jusqu'à sa tentative de meurtre contre Wilson Fisk, telle que déjà vue dans Hawkeye. Entre temps on la voit affronter Daredevil (une scène très courte, qui frustrera donc beaucoup ceux qui espéraient voir l'homme sans peur après l'affligeant She-Hulk et avant Born Again) puis s'expliquer avec Clint Barton (là encore des stock shots de Hawkeye plutôt adroitement intégrés).

Puis ensuite l'action se déplace dans une bourgade de l'Oklahoma, Tamaha, berceau de la tribu indienne choctaw. Chaque chapitre s'ouvre de manière déroutante par un flashback mettant en scène une ancêtre de Maya, depuis Chafa une créature mythologique qui s'est incarnée dans notre dimension jusqu'à Taloa sa mère. Sans grande nuance, le message s'éclaircit à la fin : Maya est l'héritière d'une longue lignée de femmes fortes présentant chacune une qualité rare dont elle a reçue une part comme un lointain écho.

Etrangement, la série qui compte seulement cinq épisodes prend son temps et se montre avare en action. Il s'agit plutôt de ponctuations spectaculaires comme quand Maya piège une cargaison d'armes à destination des hommes du Caïd dans un train en marche la nuit. Ou alors quand elle rosse une bande de truands venus lui réclamer des comptes dans la patinoire de son cousin Henry. Ou encore une dernière fois à la fin quand elle confronte Fisk et ses sbires (un beau final, même si un peu trop vite expédié).

Le reste du temps, Echo prend surtout soin de traiter l'héritage indien de son héroïne et on notera le soin apporté au récit de cette généalogie, avec des costumes fidèles en tout point, le folklore abordé sans caricature, la sobriété concernant l'aspect fantastique. Et en fait on comprend à quoi fait penser cette série.

J'ai eu l'occasion l'an passé de dire tout le bien que je pensais de Shang Chi et la légende des dix anneaux, film que j'avais zappé à sa sortie avant de me décider à le visionner. Il me semblait que le MCU tenait là une alternative à exploiter pour se renouveler, en misant moins sur des enjeux démesurés que sur des personnages inattendus, solidement ancrés dans des recoins de l'univers Marvel inexplorés - une voie en vérité ouverte par James Gunn et sa manière d'adapter Les Gardiens de la Galaxie, d'autres outsiders.

Si Echo n'a ni les moyens de ces deux longs métrages et a visiblement posé des problèmes en production et post-prod', il suit les traces de Shang Chi avec son héroïne dure à cuire, obligée d'assumer ce qu'elle est, d'où elle vient, en s'imposant par la force contre une figure paternelle tyrannique (Xen Wenwu et Wilson Fisk sont tous les deux des hommes de pouvoir qui en abusent face à leurs enfants, naturels ou non).

Ce qui rend Maya Lopez plus difficile à cerner, c'est, non pas ses handicaps (son infirmité physique et sa surdité), mais son intransigeance et sa témérité avant qu'elle embrasse le passé de ses ancêtres. Toute la dichotomie entre son expérience de tueuse et le don de guérisseuse de sa mère lui donne une ambivalence intéressante, même si le format de la série (avec des épisodes n'excédant jamais les 40') mutile la nuance. Si le MCU ne traversait pas une sorte de crise existentielle, on aurait pu avoir une saison moins rapide, avec peut-être un épisode de plus ou des épisodes moins rapides (dont le dernier aurait grandement profité), et le personnage lui-même aurait pu avoir un futur.

C'est assez injuste pour Alaqua Cox, véritable révélation quand on pense qu'il s'agit de son premier rôle : sa présence, son charisme détonnent et elle s'impose sans jamais chercher à se rendre aimable - une vraie performance. Entourée de seconds rôles solides (parmi lesquels le vétéran Graham Greene, dans un rôle de camelot très malicieux), elle tient surtout admirablement le choc face à l'imposant Vincent d'Onofrio, toujours aussi flippant en Wilson Fisk, qui, dès qu'il apparaît, vous fait frissonner d'effroi.

Echo est donc une série un peu bancale mais non dénuée de qualités. Ses maladresses lui confèrent justement un côté brut de décoffrage, à l'image de son actrice principale. Ce show met aussi en lumière ce que les séries Marvel sur Disney + ont vraiment besoin, à savoir d'un showrunner et d'un investissement (financier et créatif) à la mesure de leur propos - sans quoi, de ce côté-là aussi, la déception des fans sanctionnera durement cette partie du MCU.  

lundi 15 janvier 2024

UN MEURTRE AU BOUT DU MONDE marque le retour des créateurs de The OA

Ce qui suit ne contient pas de spoilers !


Darby Hart, une jeune hackeuse, est invitée par le milliardaire Andy Ronson à une retraite en Islande après la parution de son livre où elle revient sur l'enquête qu'elle a menée six ans auparavant pour débusquer un tueur en série en compagnie de Bill Farrah, devenu depuis un artiste contemporain sous le nom de "Fangs". Dans le jet privé qui l'emmène à l'hôtel luxueux de Ronson, Darby fait la connaissance des autres invités : un cinéaste, une astronaute, un roboticien, un ancien prisonnier politique écologiste, un homme d'affaires, une poétesse, une urbaniste futuriste...


A leur arrivée, ils découvrent les installations high-tech de l'endroit où ils vont séjourner pendant une semaine, loin de tout. Darby espère rencontrer la femme de Ronson, Lee Andersen, une ancienne hackeuse comme elle, et désormais mère de Zoomer, le fils d'Andy. Le soir venu, ils s'attablent pour un dîner et découvrent le but de cette réunion : imaginer des solutions pour l'avenir qui s'annonce sombre à cause du désastre environnemental. Surprise : Bill "Fangs" Farrah se joint aux invités !


Après le repas, Darby va frapper à la porte de son ami mais entend à l'intérieur de la chambre des bruits curieux. Elle sort de l'hôtel et assiste à l'agonie de Bill. Sian Cruise, l'astronaute, déclare peur après son décès par overdose et le lendemain une ambulance vient prendre le corps. Darby, cependant, ne croit pas à cette version des faits et suspecte un meurtre. La seule qui la soutient, discrètement, est Lee dont la jeune femme découvre qu'elle a eu une liaison avec Bill qui est le père biologique de Zoomer...
 

Et si Lee aide Darby à enquêter sans que Andy ne s'en aperçoive (mais cela lui échappe-t-il pour autant ?), c'est parce qu'elle prévoyait de quitter son mari, réclamant la garde exclusive de son fils. De quoi en faire le principal suspect du meurtre... Jusqu'à ce qu'un autre invité succombe à une crise cardiaque après que Darby l'ait surpris en train d'envoyer des messages lumineux en morse au loin et n'apprenne son amitié avec Bill...


Les investigations de Darby vont l'amener à s'allier à Sian Cruise avant qu'à son tour, celle-ci ne soit providentiellement éliminée... Comme elle l'avait fait six ans avant, Darby persévère dans son enquête jusqu'à l'obsession, au mépris du danger. La vérité sur ces meurtres confondra un assassin inattendu...
 

En 2019, Netflix annonçait ne pas renouveler pour une troisième saison la série The OA, créée, écrite et réalisée par Brit Marling et Zal Batmanglij, qui avait prévu une histoire en cinq actes. Un vrai crève-coeur pour les fans dont je faisais partie et que je considérai comme le show le plus insensé produit depuis le début des années 2000.

Alors quand Disney a révélé produire pour la chaine FX la nouvelle série du tandem Marling-Batmanglij, évidemment, ce fut avec impatience que je me mis à attendre la mise en ligne de A Murder at the End of the World (soit "Un meurtre à la Fin du Monde", qui traduit littéralement est beaucoup plus signifiant que "au bout du monde") fin 2023.
 

Ce qui frappe d'entrée de jeu, c'est le dispositif classique de la série : il s'agit d'un whodunnit ?, un format policier remis au goût du jour par Rian Johnson via ses deux films pour Netflix, Knives Out, et sa série Poker Face sur Peacock (et en France sur MyTF1 désormais). Une succession de meurtres a lieu dans un espace-temps limité et un détective (amateur ou non) se met en quête du coupable, à ses risques et périls. On est donc loin (a priori) en termes d'écriture et d'audaces narratives, de The OA. Mais ça ne veut pas dire que Marling et Batmanglij ont choisi la facilité et ne livre pas un show renversant.

D'abord, on note que, comme dans The OA, le récit se déroule sur deux époques : au temps présent, on suit donc Darby Hart, jeune hackeuse britannique, dans cette retraite en Islande où elle se demande pourquoi Andy Ronson, un milliardaire de la tech, l'a invitée (à moins que ce ne soit son épouse, Lee, elle-même ancienne pirate informatique), au milieu de sommités dans leur domaine (une astronaute, une urbaniste, un roboticien, etc.). Dans le passé, six ans auparavant, on suit Darby, à peine sortie de l'adolescence, assistant son père médecin-légiste sur des scènes de crime horribles, et passionnée par les "cold cases", échangeant sur Internet avec Bill Farrah, lui aussi féru d'affaires  non élucidées, sur un sérial killer obsédé par les bijoux en argent.


A partir de là, on croit, naïvement, que les deux histoires vont se répondre et peut-être même converger (par exemple en intégrant le sérial killer du passé parmi les invités de Ronson). Mais ce serait trop simple et pour tout dire convenu. Non, en vérité, ce qui s'est passé il y a six ans a bien un impact sur le présent dans la mesure où les investigations menées par Darby et Bill ont eu raison de leur couple mais surtout sur Darby qui va être à nouveau plongée dans une affaire d'homicide et se laisser déborder par ses obsessions.

Ce traumatisme fondateur rappelle aussi celui de Prairie, l'héroïne de The OA, prise en otage par un savant fou qu'elle a réussi à fuir sans pour autant oublier les autres cobayes qu'il détenait. Mais Marling et Batmanglij ont inversé les cadres : la captivité de Prairie avait lieu dans le passé et dans une maison isolée tandis que son présent se déroulait dans une ville de province alors qu'ici Darby a passé sa jeunesse dans le Midwest et se retrouve six ans plus tard coupée du monde au fin fond de l'Islande, dans un hôtel pris au piège dans un tempête de neige. Mêmes motifs mais inversés.

En revanche, la dimension fantastique qui existait dans The OA a été gommée de Un Meurtre au Bout du Monde. On peut interpréter ça de bien des façons mais les auteurs ne se sont pas épanchés en explications. Peut-être ont-ils préféré revenir avec un produit plus carré, moins vertigineux, pour rassurer une major comme Disney (quand bien même la série est diffusée sur FX, une chaîne plus modeste donc plus susceptible d'héberger une série moins conventionnelle).

Néanmoins, encore une fois, ne pas croire que la relative banalité du format revient à faire une série convenue. Ici, Marling et Batmanglij ont certes délaissé le fantastique mais ont investi la technologie, le futurisme. Si, avant de suivre les sept épisodes du show, vous étiez encore optimiste sur l'Intelligence Artificielle, après ce ne sera plus le cas. Cette avancée révolutionnera sans doute favorablement certains champs, mais elle aboutit à une dérive et, dans la série, à une menace glaçante. Sans rien déflorer du coupable et de ses motivations, on peut dire que l'outil que représente l'AI est comme tous les instruments : mal ouvragé, mal réfléchi, il devient tout le contraire d'un bénéfice pour son créateur et utilisateur.

La clé du mystère se loge dans une page du livre qu'a tiré Darby de l'aventure partagée dans le passé avec Bill Farrah qui pensait la figure du tueur en série comme un programme défaillant. Cette indication d'abord cryptique oriente le dénouement de manière dramatique et très originale et le coupable se révélera dans un twist tragique. C'est certes moins vertigineux que The OA (mais comment pourrait-il en être autrement ?), pas moins bouleversant.

La galerie des personnages permet une fois encore d'apprécier l'écriture ciselée de Marling et Batmanglij, qui réussissent à camper des individus variés, originaux, ayant tous une personnalité unique, marquée. Vous aurez rarement l'occasion de savourer une distribution d'ensemble aussi riche, en identifiant rapidement qui est qui alors que les épisodes continuent d'entretenir un suspense tendu. 

La réalisation, partagée en les deux créateurs (qui se relaient d'un épisode à l'autre), fait preuve d'une cohérence esthétique époustouflante, exploitant les décors magistralement. Qu'on soit sur la route avec Darby et Bill dans le passé ou dans cet hôtel, version moderne de l'Overlook Hotel de The Shining, avec sa forme sphérique, comme une boucle spatio-temporelle, véritable bocal dans lequel s'agitent impuissants les protagonistes, l'expérience est immersive. Et lorsque les personnages sortent pour s'aventurer, à l'occasion d'une randonnée, d'une filature, d'une investigation clandestine, dans la blancheur immaculée et inhospitalière de l'Islande, la fascination et l'effroi se disputent notre attention.

Brit Marling s'est réservée un rôle mais secondaire en incarnant Lee Andersen à laquelle elle prête son côté éthérée, forte et fragile à la fois. Clive Owen joue Andy Ronson avec un mélange de froideur et de rage éruptive tout à fait spectaculaire. Alice Braga se distingue aussi dans la peau de l'astronaute Sian Cruise tandis que Harris Dickinson interprète parfaitement Bill comme s'il avait traversé les années intact.

Pour être Darby, leur héroïne, les auteurs ont misé sur l'excellente Emma Corrin. Depuis qu'on l'a découverte en Diana Spencer dans The Crown (saison 4), la comédienne anglaise choisit méticuleusement ses projets en veillant à ne pas s'enfermer dans une partition mais en privilégiant les rôles forts. Ainsi, était-elle remarquable dans L'Amant de Lady Chatterley en 2022, et elle l'est encore ici dans la peau de cette hackeuse qui mène l'enquête dans un contexte particulièrement périlleux - au point qu'on se demande si, au début, elle ne se raconte pas une histoire, peut-être par pulsion morbide...

Emma Corrin s'est ouverte récemment sur la possibilité d'une saison 2 d'Un Meutre au bout du monde, même si, de leur côté, Brit Marling et Zal Batmanglij n'ont pas renoncé à finir The OA en convainquant un nouveau producteur-diffuseur. Quoiqu'il en soit, on sera heureux de retrouver les uns et les autres (même si j'avoue que la complétion de The OA serait un cadeau idéal). Ce qui est certain, c'est que je continuerai à suivre de près Emma Corrin et le prochain effort du duo Marling-Batmanglij.

samedi 13 janvier 2024

ULTIMATE SPIDER-MAN #1 (Jonathan Hickman / Marco Checchetto)


Que manque-t-il à Peter Parker ? Tandis que son oncle Ben décide de démarrer, avec volontarisme, une nouvelle aventure professionnelle et que New York se souvient du terrible attentat qui l'a meurtri il y a dix ans, Peter doit faire un choix...
 

On ne peut guère être plus clair que Jonathan Hickman : il n'a jamais été fan de Spider-Man et donc, en tant qu'auteur, il n'a jamais trouvé le bon angle pour l'écrire. Certes il l'avait intégré à ses Avengers, mais sans s'en servir (sans doute une concession faite à l'équipe éditoriale). Alors pourquoi, et comment, aujourd'hui, dans ce nouvel univers Ultimate l'auteur de runs sur X-Men et Fantastic Four se retrouve-t-il à rédiger les aventures du Tisseur ?

Tout d'abord, autant prévenir le lecteur qui débarquera, mieux vaut pour lui qu'il se procure la mini série Ultimate Invasion et le one-shot Ultimate Universe également écrits par Hickman : il y trouvera des éléments pratiques pour contextualiser ce qui se joue là et plus particulièrement pourquoi il n'y a pas de Spider-Man sur la Terre 6160. Sinon, je vous résume ça vite fait : le Créateur (la version Ultimate et sociopathe de Reed Richards) a investi ce monde parallèle en empêchant la naissance de plusieurs super-héros emblématiques mais en s'alliant à d'autres surhumains avec lequel il contrôlait la population mondiale avant que Howard Stark puis son fils Tony ne réussisse à les freiner provisoirement.
 

Hickman a fait le tour de deux grandes séries classiques avec Fantastic Four et Avengers, puis il a relancé la franchise X-Men mais sans réussir à aller au bout de ses idées à cause de l'impact sur l'édition de comics par la pandémie de Covid. Désormais, il préfère consacrer son énergie chez Marvel à des univers de poche où il est libre de ses mouvements, sans avoir à composer avec des events, des crossovers. C'est la continuation de ce dont il rêvait pour X-Men : être à la fois un scénariste et une sorte d'editor.

Pourtant la relance de l'univers Ultimate n'était pas son projet initialement (mais celui de Donny Cates, empêché pour d'autres raisons, extra-professionnelles). Mais Hickma a de la ressource et surtout c'était l'occasion pour lui, une nouvelle fois, de bâtir son propre monde au sein de Marvel. Et tout cela repose sur une idée somme toute étonnamment simple : c'est un what if...? où on jouerait à savoir ce qui se serait passé si des héros emblématiques n'avaient pas existé avant d'organiser leur naissance.


Les editors ont parfois de drôles de manies : chez DC, du temps de Dan Didio, ce dernier ne pouvait pas supporter que Dick Grayson/Nightwing survive aux Crisis et a manigancé plusieurs fois pour le sortir de la photo. Chez Marvel, Joe Quesada refusait que Peter Parker/Spider-Man soit marié, craignant que les lecteurs ne s'identifient plus à un héros installé en couple tout comme il ne voulait pas que le tisseur connaisse le succès professionnel pour les mêmes raisons.

Quesada parti, Hickman s'ingénie donc à écrire son Spider-Man en s'autorisant tout ce qu'on interdit aux auteurs du tisseur dans l'univers classique : ici, il s'agira d'un trentenaire marié et père de deux enfants, et même s'il n'est pas riche, il ne vit plus comme un éternel étudiant fauché obligé de livrer des photos au Daily Bugle pour subvenir à ses besoins et ceux de sa tante May. D'ailleurs il n'y a plus de tante May chez Hickman : elle est morte dans l'attentat vu à la fin de Ultimate Universe qui s'est déroulé il y a dix ans au moment où cet épisode débute.
  

Je ne vais pas vous dresser la liste exhaustive des changements apportés par Hickman pour distinguer sa version de Spider-Man, mais avec un premier chapitre de 45 pages, il prend le temps de poser le décor et les personnages. Il y a surtout une ambiance très bluesy, mélancolique, particulièrement intense et poignante. Car le thème central, c'est la dépossession : peut-on manquer d'une vie qu'on n'a pas eue, dont on n'a même pas conscience qu'on aurait pu la vivre ? Autrement dit : Peter Parker peut-il souffrir de n'avoir jamais été Spider-Man alors qu'il n'a jamais su qu'il aurait pu le devenir ?

Porté par des planches sublimes de Marco Checchetto, qui campe des personnages écrasés par le chagrin, le deuil, le manque, dans un New York en plein hiver, le récit ne ressemble à rien de ce qu'on pouvait attendre pour une production Spider-Man. Et finalement, n'est-ce pas le but pour une version Ultimate Spider-Man ? Ici, c'est le contrepied total du run de Brian Michael Bendis, qui revenait et revisitait le personnage à sa source : Hickman et Checchetto ne livrent pas non plus une sorte de The Dark Knights Returns pour Spider-Man mais plutôt une relecture adulte et néanmoins totalement originale, profondément attachante.

Parce qu'ils ont su investir le personnage et le projet avec un regard détaché, sans affect, les deux auteurs le revitalisent, le revisitent avec beaucoup d'humanité. Cela souligne les changements dans l'écriture de Hickman (qui abandonne ici, comme dans G.O.D.S., les data pages) et se veut plus proche des personnages. Checchetto apporte avec son trait élégant et nerveux ce surplus d'humanité indispensable. Et l'un dans l'autre, on finit ce premier numéro ému mais aussi plein d'excitation.

MASTERPIECE #2 (Brian Michael Bendis / Alex Maleev)


A qui veut Zero Preston veut s'en prendre ? Pourquoi a-t-il besoin de Emma ? Qui est le Parangon ? Comment Emma va-t-elle se sortir de cette affaire ?


Le mois dernier, nous faisions connaissance avec la nouvelle création de Brian Michael Bendis et Alex Maleev, une adolescente prénommée Emma qui apprenait que ses parents avaient été les plus grands voleurs du circuit. Une de leurs victimes, le richissime Zero Preston, en fit les frais et voulait à présent que la jeune fille l'aide à s'en prendre à quelqu'un, convaincu qu'elle avait hérité des talents de son père et de sa mère...

En même temps qu'on plongeait dans cette histoire, on retrouvait la verve, qu'on croyait perdue, éteinte, de Bendis depuis son départ de chez DC Comics, en même temps qu'il renouait avec l'artiste qui, certainement, le sert le mieux, Alex Maleev. Autant dire une sorte de résurrection pour ce tandem qui, normalement, devrait être à la tête d'une oeuvre aussi conséquente que celle de Ed Brubaker et Sean Phillips.
 

Tout le bien qu'on pouvait penser de ce premier épisode de Masterpiece se confirme ce mois-ci et, déjà, on se prend à espérer que Bendis et Maleev n'en resteront pas aux six épisodes prévus. Car cette série a le potentiel pour durer : on s'attache aux héros, l'intrigue est captivante, les dialogues claquent, les dessins sont superbes. Et Bendis et Maleev ne sont jamais aussi bons qu'ensemble tout bêtement.

Dans ce numéro, on fait la connaissance de ce mystérieux individu qui a neutralisé les espions de Zero Preston attachés à la surveillance de Emma et la présentation qu'en font Bendis et Maleev est simplement jubilatoire. D'ailleurs, tout l'épisode est au diapason et il y a un mot-valise mais justifié ici pour définir cette impression : Masterpiece est un comic-book cool. C'est même un sommet du genre.


Ni Bendis ni Maleev ne forcent à vrai dire leurs talents, mais ils n'en ont pas besoin car c'est d'une fluidité imparable. Les deux créateurs s'entendent parfaitement, ils tirent dans la même direction et ils n'ont rien à prouver. Ce registre leur convient idéalement, mieux encore que sur Scarlet, leur précédent creator-owned. Ils font ce qu'ils savent faire le mieux, c'est-à-dire une histoire conduite par les personnages (characters'driven), avec des compositions virtuoses (le flashback sur Parangon, l'intro de l'épisode en forme de faux film, puis trois pages sur la composition d'une équipe rêvée puis réaliste puis réel).

Il paraît que Bendis veut écrire des suites à Cover (avec David Mack) et Pearl (avec Michael Gaydos), sans lâcher l'univers étendu de United States of Murder (avec Michael Avon Oeming) : encore des BD avec ses complices les plus fidèles. Il a raison, comme le prouve la réussite qu'est Masterpiece et ses retrouvailles avec Maleev : on n'es riche que de ses amis. Et finalement, en ayant abandonné les Big Two et leurs séries les plus populaires, en préférant une forme de discrétion (au risque de l'oubli), Bendis s'offre une retraite paisible mais pas moins passionnante, en tout cas choisie et inspirée. Voilà qui me donne envie de replonger à ses côtés.