Que manque-t-il à Peter Parker ? Tandis que son oncle Ben décide de démarrer, avec volontarisme, une nouvelle aventure professionnelle et que New York se souvient du terrible attentat qui l'a meurtri il y a dix ans, Peter doit faire un choix...
On ne peut guère être plus clair que Jonathan Hickman : il n'a jamais été fan de Spider-Man et donc, en tant qu'auteur, il n'a jamais trouvé le bon angle pour l'écrire. Certes il l'avait intégré à ses Avengers, mais sans s'en servir (sans doute une concession faite à l'équipe éditoriale). Alors pourquoi, et comment, aujourd'hui, dans ce nouvel univers Ultimate l'auteur de runs sur X-Men et Fantastic Four se retrouve-t-il à rédiger les aventures du Tisseur ?
Tout d'abord, autant prévenir le lecteur qui débarquera, mieux vaut pour lui qu'il se procure la mini série Ultimate Invasion et le one-shot Ultimate Universe également écrits par Hickman : il y trouvera des éléments pratiques pour contextualiser ce qui se joue là et plus particulièrement pourquoi il n'y a pas de Spider-Man sur la Terre 6160. Sinon, je vous résume ça vite fait : le Créateur (la version Ultimate et sociopathe de Reed Richards) a investi ce monde parallèle en empêchant la naissance de plusieurs super-héros emblématiques mais en s'alliant à d'autres surhumains avec lequel il contrôlait la population mondiale avant que Howard Stark puis son fils Tony ne réussisse à les freiner provisoirement.
Hickman a fait le tour de deux grandes séries classiques avec Fantastic Four et Avengers, puis il a relancé la franchise X-Men mais sans réussir à aller au bout de ses idées à cause de l'impact sur l'édition de comics par la pandémie de Covid. Désormais, il préfère consacrer son énergie chez Marvel à des univers de poche où il est libre de ses mouvements, sans avoir à composer avec des events, des crossovers. C'est la continuation de ce dont il rêvait pour X-Men : être à la fois un scénariste et une sorte d'editor.
Pourtant la relance de l'univers Ultimate n'était pas son projet initialement (mais celui de Donny Cates, empêché pour d'autres raisons, extra-professionnelles). Mais Hickma a de la ressource et surtout c'était l'occasion pour lui, une nouvelle fois, de bâtir son propre monde au sein de Marvel. Et tout cela repose sur une idée somme toute étonnamment simple : c'est un what if...? où on jouerait à savoir ce qui se serait passé si des héros emblématiques n'avaient pas existé avant d'organiser leur naissance.
Les editors ont parfois de drôles de manies : chez DC, du temps de Dan Didio, ce dernier ne pouvait pas supporter que Dick Grayson/Nightwing survive aux Crisis et a manigancé plusieurs fois pour le sortir de la photo. Chez Marvel, Joe Quesada refusait que Peter Parker/Spider-Man soit marié, craignant que les lecteurs ne s'identifient plus à un héros installé en couple tout comme il ne voulait pas que le tisseur connaisse le succès professionnel pour les mêmes raisons.
Quesada parti, Hickman s'ingénie donc à écrire son Spider-Man en s'autorisant tout ce qu'on interdit aux auteurs du tisseur dans l'univers classique : ici, il s'agira d'un trentenaire marié et père de deux enfants, et même s'il n'est pas riche, il ne vit plus comme un éternel étudiant fauché obligé de livrer des photos au Daily Bugle pour subvenir à ses besoins et ceux de sa tante May. D'ailleurs il n'y a plus de tante May chez Hickman : elle est morte dans l'attentat vu à la fin de Ultimate Universe qui s'est déroulé il y a dix ans au moment où cet épisode débute.
Je ne vais pas vous dresser la liste exhaustive des changements apportés par Hickman pour distinguer sa version de Spider-Man, mais avec un premier chapitre de 45 pages, il prend le temps de poser le décor et les personnages. Il y a surtout une ambiance très bluesy, mélancolique, particulièrement intense et poignante. Car le thème central, c'est la dépossession : peut-on manquer d'une vie qu'on n'a pas eue, dont on n'a même pas conscience qu'on aurait pu la vivre ? Autrement dit : Peter Parker peut-il souffrir de n'avoir jamais été Spider-Man alors qu'il n'a jamais su qu'il aurait pu le devenir ?
Porté par des planches sublimes de Marco Checchetto, qui campe des personnages écrasés par le chagrin, le deuil, le manque, dans un New York en plein hiver, le récit ne ressemble à rien de ce qu'on pouvait attendre pour une production Spider-Man. Et finalement, n'est-ce pas le but pour une version Ultimate Spider-Man ? Ici, c'est le contrepied total du run de Brian Michael Bendis, qui revenait et revisitait le personnage à sa source : Hickman et Checchetto ne livrent pas non plus une sorte de The Dark Knights Returns pour Spider-Man mais plutôt une relecture adulte et néanmoins totalement originale, profondément attachante.
Parce qu'ils ont su investir le personnage et le projet avec un regard détaché, sans affect, les deux auteurs le revitalisent, le revisitent avec beaucoup d'humanité. Cela souligne les changements dans l'écriture de Hickman (qui abandonne ici, comme dans G.O.D.S., les data pages) et se veut plus proche des personnages. Checchetto apporte avec son trait élégant et nerveux ce surplus d'humanité indispensable. Et l'un dans l'autre, on finit ce premier numéro ému mais aussi plein d'excitation.
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