mercredi 30 novembre 2011

LUMIERE SUR... BRIAN HURTT


Brian Hurtt.
The Sixth Gun Promo art : Drake Sinclair et The Reverend.

The Sixth Gun Promo Art : Becky Montcrief et Missy Hume.









Trois séquences en 9 planches,
extraites de The Sixth Gun #7.

Death (commissionn art).

Jenny Sparks (commission art).

Naissance aux Etats-Unis.
Dessinateur, encreur, coloriste, lettreur.
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Le blog de l'artiste : www.thehurttlocker.blogspot.com

Critique 287 : THE SIXTH GUN - BOOK 2 : CROSSROADS, de Cullen Bunn et Brian Hurtt

The Sixth Gun, Book 2 : Crossroads rassemble les épisodes 7 à 11 de la série écrite par Cullen Bunn et dessinée par Brian Hurtt, publiée par Oni Press en 2011.
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Après la bataille du fort Maw, au cours de laquelle Becky Montcrief et Drake Sinclair ont reçu l'aide de Gord Cantrell pour enfermer à nouveau le général mort-vivant Hume dans son cercueil, sans pouvoir empêcher la fuite de sa veuve Missy, les trois héros se sont installés dans un hôtel de la Nouvelle-Orléans pour faire le point.
Drake cherche un moyen de se libérer de l'emprise maléfique des quatre revolvers en sa possession (le cinquième est dans les mains de Missy Hume et le sixième ne quitte pas Becky), après avoir déposé le cercueil du général Hume dans une crypte (gardée par Billjohn O'Henry, devenu un golem).
Gord étudie des livres pour apprendre l'origine des revolvers et met Drake sur la piste d'Henri Fournier, qui vit dans le bayou. C'est ainsi que le pistolero va en apprendre un peu plus sur la mythologie de ces armes, mais aussi éveiller la convoîtise de Marinette Of The Dry Arms, une créature des marais à laquelle obéit le serviteur de Fournier, Woodmael.
Becky, elle, fait la connaissance de Kirby Hale, un redoutable tireur, qui la séduit et va la manipuler...
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Ce nouveau tome est étonnamment accessible même si pour en apprécier tous les enjeux, il est préférable d'avoir lu le précédent. Dead Cold Fingers possédait une structure auto-contenue presque parfaite, une précaution habile dans un contexte de crise où peu de séries sont assurées de survivre (The Sixth Gun se vend à environ 5 000 exemplaires, trois fois moins qu'une série annulée par Marvel). Mais Oni Press soutient son titre et Cullen Bunn, le scénariste, a pu développer ce qu'il avait commencé à bâtir. Toute son histoire en profite : les personnages sont plus affirmés, l'intrigue est plus dense, et graphiquement c'est encore plus efficace.
Le meilleur exemple est la place prise par le personnage de Gord Cantrell, colosse noir apparu à la fin du tome 1, qui devient désormais un des protagonistes de la série : il garde une part de mystère (comme le remarque Drake quand il se demande comment il peut traverser avec autant de flegme les évènements surnaturels) mais son influence sur les situations et sa position à la fin de cet arc narratif prouve qu'il a acquis de l'épaisseur et possède un avenir.
Contrairement aux premiers épisodes, en constant mouvement, l'action se centralise ici dans un décor propice aux fantasmes puisqu'on évolue dans les quartiers de la Nouvelle-Orléans et le bayou. Le folklore de la région est subtilement mais puissamment exploité, avec des références au vaudou, à la magie noire.
On se rend compte qu'en vérité The Sixth Gun est moins un western avec des éléments fantastiques qu'une série fantastique utilisant les codes du western. Les duels, par exemple, sont abondants dans ces nouveaux chapitres et réservent de vrais morceaux de bravoure (Drake affronte un alligator blanc géant - Cullen Bunn a-t-il lu Jim Cutlass où le héros avait affaire à pareille bestiole ? - puis une panthère noire, Kirby Hale abat plusieurs fier-à-bras dans une séquence jubilatoire digne de Lucky Luke, Becky et Gord se démènent contre une horde de hibous et de serpents). Quant à la bataille finale dans le cimetière, elle n'a rien à envier à l'assaut contre le fort du Maw dans le premier livre.
Bunn continue de nous régaler avec des dialogues à la fois sobres et percutants, des personnages ciselés, et un soin particulier accordé aux ambiances.

(Promo art by Brian Hurtt)
Graphiquement aussi, la série mûrit sensiblement. Brian Hurtt confirme qu'il est un storyteller remarquable, produisant des vignettes parfaitement composées, s'enchaînant avec une fluidité imparable. Il n'abuse pas de plans larges mais quand il en produit, ils sont superbement ouvragés, sans être écrasés par des détails inutiles.
Il fait aussi la différence dans le traitement des décors, qu'il sait planter en leur consacrant toute la minutie requise : il faut saluer cet effort car tous les "monthly artists" américains ne sont pas aussi scrupuleux et sacrifie parfois les arrière-plans rapidement, comptant sur le fait que les lecteurs n'y accorderont pas autant d'importance qu'aux personnages. Or, quand on opère dans un genre aussi exigeant que le western où le cadre est à la fois connu de tous et donc implique d'être parfaitement représenté, cela commande à l'artiste de ne pas tricher.

Dans le même esprit, la colorisation, désormais réalisée par Bill Crabtree, souligne la qualité visuelle atteinte par la série. Ces quelques planches dans le bayou en témoignent :




La maîtrise grandissante de Hurtt fait écho à celle de Bunn qui sait nous rendre plus familier avec ses héros et leur histoire. The Sixth Gun est clairement un comic-book addictif, d'une efficacité exemplaire, aussi bien écrit que dessiné. Son scénariste lui-même promet, à la fin de ce 2ème tome, que l'aventure ne fait que commencer (le plan du scénariste courrait sur au moins 50 épisodes !) : il a su en tout cas poser les fondements d'une production avec un étonnant potentiel, qui peut durer longtemps tout en ménageant de nombreuses surprises.
Le vrai coeur de The Sixth Gun réside dans sa capacité à créer un monde à la croisée de deux genres (le western et le fantastique) sans être trop au sérieux ni trop ironiquement distant. Le terreau de cette production est fertile : vivement la suite, donc !

(Becky Montcrief par Brian Hurtt)

samedi 26 novembre 2011

Critique 286 : THE SIXTH GUN - BOOK 1 : COLD DEAD FINGERS, de Cullen Bunn et Brian Hurtt

The Sixth Gun, Book 1 : Dead Cold Fingers rassemble les épisodes 1 à 6 de la série écrite par Cullen Bunn et dessinée par Brian Hurtt, publiés en 2010 par Oni Press.
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Rebecca "Becky" Montcrief hérite de son père un revolver magique, le 6ème d'une collection, qui lui permet d'avoir des visions du passé et du futur.C'est ainsi qu'elle découvre progressivement que ces armes furent rassemblées par le général sudiste Oliander Bedford Hume durant la guerre de sécession et qu'elles étaient les instruments d'un vaste et mystérieux plan. 
Neutralisé par le père de Becky, Hume est aujourd'hui un zombie, libéré par quatre de ses hommes de main, tandis que sa femme, Missy, a engagé des détectives de l'agence Pinkerton pour retrouver le sixième revolver, qui appartenait au général.
Capturée, Becky est secourue par celui qui devient son allié, l'aventurier Drake Sinclair, détenteur d'un autre des revolvers magiques, qui fit partie du commando de Hume, et son acolyte, BillJohn O'Henry.
Ensemble, ce trio va s'employer à empêcher le général, son épouse et leur bande, de mettre la main sur un trésor caché dans le fort du Maw et dont les six revolvers seraient la clé du coffre.

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BillJohn O'Henry, Drake Sinclair et Becky Montcrief
(dessin de Brian Hurtt)
La découverte d'une preview de The Sixth Gun, il y a une quinzaine de jours, a été une révèlation : je n'en connaissais ni les auteurs ni le pitch, mais le bref résumé de l'épisode présenté et le style graphique m'ont immédiatement conquis. Je me suis, toutes affaires cessantes, commandé les deux premiers recueils de la série et j'ai dévoré le premier tome.
Mixer le western et le fantastique pouvait sembler curieux et aboutir à une potion indigeste, mais le résultat est irrésistible. Cullen Bunn accroche l'attention d'emblée en quelques scènes courtes et saisissantes, au rythme enlevé et à l'atmosphère soignée : les enjeux du récit sont vite posés avec la quête des revolvers magiques, des personnages au passé trouble, dans des décors bien campés.

(Promo art by Brian Hurtt)
La suite est à l'avenant avec une galerie de méchants grâtinés, dont le général ressucité, ses hommes de main - la référence aux quatre cavaliers de l'apocalypse est explicite - , sa veuve : une joyeuse bande de cinglés, illuminés, aux trognes pittoresques.
Mais, pour tenir le coup face à de tels adversaires, Bunn n'a pas négligé ses héros : Drake Sinclair a l'allure de Clark Gable et la mentalité de Han Solo et fait équipe avec un partenaire dont on sait très vite qu'un sombre destin l'attend. Quant à Becky, elle passe de la jeune fille subissant la situation à une vraie guerrière, dont l'héritage est à la fois providentiel et maudit.
L'histoire est ponctuée par des rebondissements spectaculaires, de l'attaque d'un monastère au combat avec un monstre dans un canyon jusqu'au final dans un fort assiégé par des morts-vivants. L'ensemble forme un tout suffisant, mais Bunn conclut ce premier story-arc avec des pistes ouvertes et alléchantes pour le futur.
(Promo art by Brian Hurtt)
C'est vraiment une formidable bande dessinée, très addictive et tonique, dont on a hâte de découvrir la suite.
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Un scénario excellent ne l'est vraiment que lorsqu'il bénéficie d'un artiste à la hauteur, sachant à la fois mettre en valeur ses points forts sans en faire trop. Brian Hurtt, qui a déjà collaboré avec Bunn sur un polar fantastique (The Damned), est le dessinateur idéal pour ce projet.
Son style ne ressemble pas en fin de compte à ce qu'on a l'habitude de voir dans les comics américains, on pense davantage à des dessinateurs européens, en particulier franco-belge, comme Janry. Son sens de la composition et l'énergie de son découpage sont exceptionnels et impriment un tempo exemplaire au récit, sans se départir d'un certain classicisme (pas de vignettes baroques, beaucoup de modération dans l'emploi des splash-pages).
(Promo art by Brian Hurtt)
Le design de ses personnages s'inscrit dans une veine semi-réaliste, qui évoque Mike Wieringo, avec un trait moins défini. Les protagonistes masculins ont à la fois de l'allure et des visages immédiatement reconnaissables et mémorables, tandis que les héroïnes affichent de la variété (un charme en rondeurs pour Becky, un look plus anguleux pour Missy).
La colorisation privilégie les teintes chaudes et est assurée par Hurtt lui-même (qui signe aussi le lettrage), sauf pour le 6ème chapitre où Bill Crabtree prend la relève(appelé à devenir le titulaire du poste).
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Un vrai coup de foudre : j'ai hâte de connaître la suite !

mardi 22 novembre 2011

Critique 285 : X-FACTOR, VOL. 11 - HAPPENINGS IN VEGAS, de Peter David, Sebastian Fiumara, Valentine De Landro et Emanuela Lupacchino

X-Factor : Happenings in Vegas rassemble les épisodes 207 à 212 de la série écrite par Peter David et dessinée par Sebastian Fiumara (#207), Emanuela Lupacchino (#208-209, 211-212) et Valentine De Landro (#210), publiés en 2010 et 2011 par Marvel Comics.
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Madrox, l'homme multiple, accepte un étrange contrat sans deviner tout de suite qui est sa commanditaire : Héla, la déesse asgardienne de la mort, qui veut retrouver Pip le Troll, en cavale après lui avoir volé un pendentif magique.
La mission accomplie, le mutant est pris de remords et embarque son équipe à Las Vegas, où séjourne Héla, pour sauver le Troll. L'affaire se corse rapidement car la déesse prend ombrage de l'entêtement du détective. Mais Thor, le dieu du tonnerre, intervient... Pour mieux tomber dans un piège bien préparée ?
Cependant, restée à New York, Monet St-Croix reçoit la visite d'une ancienne militaire, Noelle Blanc, souffrant de cauchemars. Elle l'en soulage grâce à ses pouvoirs psychiques, mais ignore qu'elle a laissé repartir une meurtrière...
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Peter David est un vétéran des comics, qui a écrit aussi bien pour DC (entre autres sur Aquaman) que Marvel (un run de 12 ans sur Hulk !). Après avoir animé une mini-série sur Madrox, l'homme multiple (vu dans X-Men), il relance le titre X-Factor en lui donnant une toute nouvelle direction, faisant de ses héros mutants des détectives privés, fonctionnant en marge des X-Men.
Avec un casting élargi et des intrigues où se mélangent polar et fantastique, David renoue avec la tradition d'un Chris Claremont, privilégiant la caractérisation, la dynamique de groupe et l'aspect "soap opera", plutôt que le récit d'action pur. C'est ainsi qu'il aligne 50 épisodes d'affilée (réunis en 8 recueils), avec une vraie armée mexicaine d'artistes (de très bons comme Ryan Sook, Pablo Raimondi, mais aussi de très mauvais comme Larry Stroman, Ariel Olivetti).
Puis la série est renumérotée et reprend au numéro 200, avant un énième crossover mutant (Second Coming).
Happenings in Vegas marque un petit tournant car les héros croisent Thor, un autre personnage emblématique mais n'appartenant à l'univers mutant. La curiosité qu'engendre cette rencontre permet à l'histoire de souligner les qualités du scénariste dans une aventure où les répliques fusent et les connections entre les membres de l'équipe sont agrèablement exploitées.
Pour apprécier X-Factor, il faut, comme pour New Avengers de Bendis, accepter d'être entraîné dans un comic-book où les conventions sont malmenées : ici, guère de grandes batailles, mais un soin particulier accordé à l'ambiance et à l'humour, les dialogues servant de ressorts pour que le récit se déploie. L'important, c'est davantage qui couche (ou voudrait coucher) avec qui et les conséquences que cela provoque sur le déroulement de la mission que la mission elle-même.
David utilise un groupe bien fourni (pas moins de 10 membres, dont 7 pour le déplacement à Las Vegas) et les fait interagir en permanence : Madrox est un chef par défaut, souvent dépassé par les évènements et regrettant vite ses initiatives ; sa fiancée Banshee a un tempérament de meneuse mais est encore plus impulsive ; Layla Miller (une création de Bendis, lors de la saga House of M) est une manipulatrice ; Longshot et Shatterstar sont deux va-t-en-guerre vaniteux... Pour corser encore l'addition, Rictor et Shatterstar sont sur le point d'entamer une relation, au moment où Rhane Sinclair, l'ex de Rictor, enceinte, resurgit. Et Monet réveille mentalement mais à son insu une tueuse ! 
On ne s'ennuie pas une seconde en compagnie de cette formation improbable, qui reçoit le soutien providentiel de Thor, dépeint comme un dieu dont l'austérité provoque un effet comique imparable par rapport aux embrouilles dans lesquelles se sont fourrés les mutants.
On pourra être déroûté par les subplots (le cas Noelle Blanc, la parentalité de Rictor et Rhane) que David installe au milieu de l'aventure et auxquels il consacre un épisode entier. Mais le procédé, s'il n'est pas traîté très subtilement, donne indéniablement envie de savoir la suite.
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Comme depuis le début de son run, David compose son script pour plusieurs dessinateurs (mais les prochains épisodes vont apparemment se stabiliser à ce niveau, avec deux artistes en alternance), qui plus est avec des styles très variés.
Heureusement, la majeure partie (4 épisodes sur 6) est assurée par l'italienne Emanuela Lupacchino, dont le trait élégant et rond, au potentiel prometteur, est influencé par Adam Hughes : ses héroïnes possèdent une séduction irrésistibles, et son découpage est à la fois classique et dynamique.
Sebastian Fiumara réalise l'épisode d'ouverture : son travail est agrèable, avec un je-ne-sais-quoi qui le rapproche de John Cassaday (sans être aussi bon quand même).
Valentine De Landro, un habitué de la série, s'occupe de l'intermède de l'épisode 210, avec une utilisation parfois abusive du copier-coller. Ce n'est pas très vivant sans être mauvais.
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Un story-arc divertissant, sans grande consistance, mais avec du charme.

lundi 21 novembre 2011

Critique 284 : PUNISHER - IN THE BLOOD, de Rick Remender, Roland Boschi et Nick Bertilorenzi

Punisher : In the blood est un récit complet en cinq épisodes, écrit par Rick Remender et dessiné par Roland Boschi (#1-2-4-5) et Mick Bertilorenzi (#3), publié par Marvel Comics en 2011.
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Ayant recouvré forme humaine (après la saga FrankenCastle), le Punisher part à la recherche de son ancien partenaire, Microchip, qui le fournissait en informations sur le milieu criminel et en matériel. Il ignore que ce dernier, après l'avoir trahi (en s'associant à the Hood), est désormais prisonnier de Puzzle et Rampage. L'affaire se corse encore davantage quand Henry Russo, le nouvel associé du Punisher, rejoint son père, Puzzle, sans savoir qu'il va être l'instrument d'un piège diabolique pour supprimer le héros. Pas de doute  : ça va saigner !
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Cette histoire en cinq parties marque la fin du run du scénariste Rick Remender sur la série Punisher. Il avait succédé à Matt Fraction et aligné une suite d'intrigues hardcore où le justicier renouait avec une ambiance violente et en marge des autres héros, tout en l'impliquant dans les évènements qui ont secoué le Marvelverse (en particulier Secret Invasion et le "Dark Reign", avec l'avènement et la chute de Norman Osborn et the Hood).
Récemment, pourtant, Remender a osé un coup de poker étonnant avec la saga FrankenCastle : le Punisher, après avoir été littéralement découpé en rondelles par Daken (le fils de Wolverine, membre des Dark Avengers d'Osborn), était ramené à la vie par la légion des monstres et transformé en cyborg puis entraîné dans de délirantes aventures. Mais cette audace ne pouvait qu'être provisoire (les fans ayant été très divisés sur ce lifting radical) et c'est donc le Frank Castle original qui revient (tout en n'effaçant pas la période FrankenCastle de la continuité) dans ce récit, justement intitulé In the blood (Sang pour sang en vf). 
De manière inattendue, c'est pourtant le jeune Henry Russo qui est le vrai protagoniste de ces épisodes : l'acolyte du Punisher est promptement viré alors qu'il a décidé d'aider sa mère, alcoolique en plein sevrage, et donc de délaisser quelque temps le justicier dans sa croisade. Il renoue alors avec son père, le criminel Puzzle, en affaires avec Rampage, alias Stuart Clarke, lui-même ancien partenaire de Castle, avant de comprendre qu'il est manipulé pour piéger ce dernier.
Le Punisher est à nouveau écrit comme une brute obsédé, ne faisant pas de quartier : Remender a totalement abandonné l'humour déjanté dont il avait fait si brillamment preuve durant l'arc FrankenCastle, et ces cinq épisodes n'échappent pas à une complaisance certaine. C'est certes bien rythmé, avec quelques rebondissements malins à la clé et un final explosif, mais on termine la lecture avec un peu de lassitude.
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La partie graphique a été confié au français Roland Boschi (qui avait déjà dessiné un épisode de l'arc FrankenCastle) : son style nerveux et son découpage très dynamique font merveille, on voit tout ce que l'artiste a hérité de sa formation dans l'animation. Néanmoins, on peut lui reprocher de ne pas soigner davantage certains aspects et sans doute gagnerait-il à être encré par un professionnel, car en le faisant lui-même il sacrifie l'esthétisme à l'efficacité.
Boschi est suppléé au 3ème épisode par Mick Bertilorenzi, qui évolue dans un registre similaire, avec la même énergie.
Les couleurs de Dan Brown permettent à l'ensemble de conserver une unité visuelle bienvenue, assez brute de décoffrage, tout à fait dans le ton donc.
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Désormais, la série du Punisher est entre les mains de Greg Rucka (un choix pertinent, l'auteur ayant signé d'excellentes productions comme Gotham Central ou Checkmate, dans une veine "série noire") et de Marco Checchetto (un dessinateur prometteur comme il l'a prouvé dans de récents épisodes de Spider-Man et Daredevil) : un casting accrocheur qui devrait permettre de donner une nouvelle énergie à cet anti-héros atypique.

dimanche 20 novembre 2011

Critique 283 : MARVEL LES GRANDES SAGAS 10 - FANTASTIC FOUR, de Mark Waid, Mike Wieringo et Paul Smith

Ce 10ème et dernier album de la collection "Marvel les grandes sagas" est consacré aux Fantastic Four. Paninicomics a bien fait les choses (sauf en ce qui concerne la couverture affreuse, signée Neil Edwards) puisque c'est l'histoire Impensable (Unthinkable en vo, Fantastic Four #67-70 + 500, publiés en 2003) écrite par Mark Waid et dessinée par Mike Wieringo qui a été choisie (plus deux petits bonus dessinés par Paul Smith).
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Le Dr Fatalis se trouve, incognito, à Cassamonte, Georgie, où il consulte plusieurs diseuses de bonnes aventures. C'est ainsi qu'il se souvient de son premier amour, Valeria, qu'il avait choisi de quitter, après une jeunesse où sa famille gitane avait été persécutée, pour partir étudier les sciences en Amérique. La suite est connue : il rencontre Reed Richards et il est défiguré lors d'une expérience. Cet accident alimentera l'éternel ressentiement entre le monarque de Latvérie et le leader des Quatre Fantastiques.
De sa défunte mère, Fatalis a hérité l'intérêt pour la magie et aujourd'hui, il sacrifie Valeria, lors de leurs retrouvailles, pour se venger des FF. L'ignoble Docteur ne va pas ménager les héros, se servant de la petite Valeria (il a accouché Sue Richards un an auparavant), expédiant Franklin en enfer, torturant l'équipe, et, pour finir, marquant Reed dans sa chair...
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Cet arc narratif est un classique de la série et, peut-être, le sommet du run de Mark Waid et Mike Wieringo. La vraie vedette du récit est Fatalis, qui a rarement été aussi odieux et terrifiant : le premier épisode, prologue de la saga, ne montre d'ailleurs que ses ennemis dans une image, en flashback, et se clôt sur une scène abominablement glaçante. Ce grand vilain qu'est le Dr Doom (en vo) et qui a été depuis si malmené, par des scénaristes incapables de l'exploiter correctement, retrouve dans les mains de Waid toute sa puissance maléfique.
Le reste est à l'avenant et on souffre vraiment avec (et pour) les Fantastiques. La trame aboutit en vérité à l'affrontement personnel de Fatalis et Reed Richards, deux génies que leur orgueil perd : comme Waid l'avait rappelé dans le premier épisode de son run, Mr Fantastic est hanté par l'échec de la mission spatiale au cours de laquelle il a été, avec ses amis et sa femme, transformé ; de la même manière, la haine de Fatalis vise autant les autorités qui persécutèrent sa famille (et par extension le peuple gitan) que Richards qu'il estime responsable de sa défiguration. En fin de compte, ce qui sépare Fatalis et Richards les unit aussi et en fait deux belligérants aussi liés que Daredevil et le Caïd.
Waid ne néglige pas les autres membres de l'équipe, et se sert de leurs relations de manière très habile : ainsi ouvre-t-il le deuxième épisode par une énième dispute entre la Chose et la Torche, moment humoristique et léger, qui renforce l'intensité dramatique des séquences suivantes. Quant à Sue Richards, sa maternité est remise en avant pour souligner qu'elle est sans doute la plus mûre du groupe (Ben et Johnny se comportant comme des garnements et Reed perdant son calme dès qu'il comprend que la magie déployée par Fatalis le dépasse). Encore une fois, le soin apporté à la caractérisation par le scénariste est épatante.
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Aux dessins, Mike Wieringo livre une prestation à la hauteur de cette histoire très sombre : on pourrait précipitamment penser que son style peu réaliste et plutôt naïf, voire cartoony, ne se prête pas à ce registre. Or, au contraire, cela produit un constrate remarquable et renforce l'aspect angoissant.
Des scènes a priori innocentes comme celle où la petite Valeria joue avec des cubes et où Fatalis entre mentalement en contact avec elle ou lorsqu'elle prononce son premier mot, produisent un effet percutant aussi bien pour les personnages que pour le lecteur.
Le découpage est simple mais très dynamique et dans le dernier chapitre, "Ringo" se permet même des doubles pages explosives pour traduire la rage avec laquelle les héros prennent leur revanche.
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Pour boucler ce recueil, Paninicomics a eu la bonne idée d'ajouter deux back-ups (de quatre et six pages), toujours écrites par Waid, et dessinées cette fois par Paul Smith : la première montre comment Sue Richards suscite progressivement et malicieusement la jalousie de Reed, accaparé par ses recherches, et la seconde met en scène un bref voyage dans le temps entre l'Invisible et Alyssa Moy (personnage que réutilisera Mark Millar dans son run), le premier amour de Reed.
Le résultat est plein d'humour et surtout magnifiquement illustré par un artiste que j'aurai adoré voir animer ces personnages plus longuement. Paul Smith est un magicien trop méconnu, dont la carrière n'aura jamais eu le retentissement qu'elle mérite.

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La collection des "grandes sagas" est à présent terminée. Même si elle a souvent proposé des récits qui n'étaient pas parfaits pour apprendre à découvrir les héros Marvel, elle aura au moins proposé deux véritables incontournables avec l'album de Daredevil (l'arc Renaissance, de Miller et Mazzucchelli) et celui des FF.

vendredi 18 novembre 2011

Critique 282 : FEAR ITSELF, de Matt Fraction et Stuart Immonen

Premier poster promotionnel de la saga Marvel 2011
(dessin de Stuart Immonen)







Fear Itself est une mini-série en 7 épisodes écrite par Matt Fraction et dessinée par Stuart Immonen, publiée en 2011 par Marvel Comics.
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La série débute par un Prologue (dont la lecture est cependant dispensable puisqu'en ignorer le contenu ne gêne pas la compréhension de ce qui suit). Dans Fear Itself : Book of the Skull, Crâne Rouge procède à un rituel, sur l'ordre d'Adolf Hitler, durant la seconde guerre mondiale, au terme duquel le marteau de Skadi tombe sur Terre, en Antarctique. Le vilain se rend sur place mais est incapable de brandir l'objet. Il en confie donc la garde à la Société de Thule.
Plusieurs années après, Sin, la fille de Crâne Rouge, et le Baron Zémo, fils du premier du nom, récupère le Livre du Crâne qui va permettre à la jeune femme de localiser le marteau. Mais elle sème Zémo pour se lancer à sa recherche.

Ecrit par Ed Brubaker, ce Prologue n'est guère inspiré. Tout juste permet-il au scénariste de Captain America d'écrire un épisode avec quelques Invaders (Cap, Bucky, Namor) et de situer la saga à venir dans un lointain passé. Scot Eaton illustre ce chapitre introductif, encré par Mark Moralès, sans briller davantage.


Fear Itself 1-7 :

Inquiets du climat de colère et d'angoisse qui règne en Amérique, après qu'une manifestation ait éclaté à New York sur le site de Ground Zero, les Vengeurs se réunissent pour faire le point, mais il s'avère qu'aucun super-vilain ne se cache derrière cet évènement. Tony Stark en profite alors pour convaincre les héros de participer avec lui à une conférence de presse à Broxton, Oklahoma, où il va lancer un chantier pour rebâtir Asgard (détruite par Sentry durant la saga Siege).
Cependant, Sin, la fille de Crâne Rouge (devenue son sosie après avoir été défigurée lors de la saga Captain America : Reborn), retrouve en Antarctique, dans une forteresse protégée par les derniers gardiens de la Société de Thule, le marteau de Skadi, que son père avait fait venir sur Terre. A son contact, elle se transforme en Skadi et brandit cette arme d'origine Asgardienne grâce à laquelle elle part à la recherche du Serpent.
Ce dieu nordique est prisonnier dans les profondeurs d'une fosse marine et prétend être le véritable "All-Father" (le Père de Tout) à la place d'Odin. Ce dernier ressent la libération de son rival et ordonne à ses sujets de quitter la Terre pour regagner les ruines d'Asgard dans l'espace. Pour se faire obéir, il n'hésite pas à désarmer et emmener de force Thor, qui s'est opposé à sa décision devant les Vengeurs médusés et désormais livrés à eux-mêmes face à une menace dont ils ignorent tout.
Le Serpent, qui pour récupérer sa puissance, doit susciter la peur dans le coeur des hommes, provoque alors la chute de quatre nouveaux marteaux sur Terre pour posséder des surhumains capables d'effrayer et de dévaster le monde : c'est ainsi que le Fléau devient Kuurth, le destructeur de pierre ; Hulk, Nul, le destructeur de mondes ; Titania, destructrice des hommes ; et Attuma, destructeur des océans. Trois autres marteaux attendent encore leurs récipiendaires...
Les "Dignes" : les hérauts du du Serpent
(dessin de Stuart Immonen).


A la tête d'une armée de robots géants, flanqués de croix gammées, Skadi lance l'assaut contre Washington et New York.
En Asgard, Thor est mis aux fers et croupit dans une cellule pendant qu'Odin transforme son royaume en cité de guerre, avec pour objectif de détruire la Terre et le Serpent. Loki libère son demi-frère qui défie à nouveau leur père pour la protection de Midgard (la Terre). Odin renvoie donc Thor chez les humains...

A Washington, Bucky Barnes/Captain America s'emploie, avec le Faucon, la Veuve Noire et quelques autres héros, à stopper l'attaque de Skadi.
A New York, dans Yancy Street (le quartier natal de Ben Grimm), la Future Foundation examine un des marteaux du Serpent. La Chose s'en empare et se transforme à son tour en un des "Dignes", Angrir, le destructeur des âmes.
A Paris, la Gargouille Grise est devenue Mokk, le destructeur de la foi, et en Afrique, l'Homme-Absrobant s'est transformé en Greithoth, le destructeur de la volonté.
Skadi, défiée par Bucky, se déchaîne contre lui en combat singulier et finit par le tuer sauvagement...

Accablé par la mort de son héritier spirituel, Steve Rogers redevient Captain America et, avec le retour de Thor sur Terre et un plan imaginé par Iron Man, engage des représailles.
Captain America atterrit à New York. Iron Man se rend à Broxton dans les ruines d'Asgard pour y solliciter, par un sacrifice, une audience avec Odin. Thor part à la rencontre du Serpent en Antarctique et apprend qu'il est son neveu et qu'une malédiction d'Odin les condamne à périr tous les deux s'ils s'affrontent.
Renvoyé par la magie du Serpent à New York, Thor doit y faire face à ses deux plus puissants lieutenants : Hulk/Nul et la Chose/Angrir...

Le combat entre le dieu du tonnerre et ses deux adversaires est terrible, et Ben Grimm est mortellement blessé.
Le Serpent, ayant recouvré toute sa puissance, rejoint Skadi à New York où il défait les Vengeurs sans problème; brisant même le bouclier de Captain America.
Franklin Richards sauve la Chose, qui récupère son aspect et son caractère normaux.
Spider-Man obtient de Steve Rogers de quitter le lieu des combats après le départ du Serpent et de Skadi. Interrogé par Oeil-de-faucon sur le départ du Tisseur, Captain America explique qu'il le laisse partir car il pense qu'ils vont perdre cette bataille...

Blessé après son duel contre Hulk/Nul, Thor est ramené en Asgard par Captain America et quelques Vengeurs. D'autres héros sont chargés d'évacuer New York. Odin recueille son fils et le prépare à affronter le Serpent, au péril de sa vie, comme le dit la prophétie. Iron Man construit, dans les forges de Svartalfheim, des armes bénis par Odin pour équiper plusieurs Vengeurs et contre-attaquer les "Dignes".
Cependant, Spider-Man retrouve sa tante May, qui quitte New York comme tous les civils. Elle le convainc de retourner aider les héros.
A Broxton, Captain America se dresse, seul, sur la route des ruines d'Asgard et de l'Arbre-Monde au Serpent et à ses troupes...
Iron Man revient sur Terre et arme ses champions : Spider-Man, la Veuve Noire, Iron Fist, Ms Marvel, Oeil-de-faucon, Red She-Hulk et Dr Strange. Puis ils rejoignent Captain America sur le champ de bataille de Broxton.

Thor et le Serpent, transformé en dragon géant, s'affrontent et s'entretuent. Les "Dignes" perdent, avec leur maître, leurs marteaux et leurs pouvoirs, récupérés par Odin.
Tandis que les funérailles de Thor et Bucky Barnes ont lieu sur Terre, Odin ramène le corps de Cul, son frère, le Serpent en Asgard, et envoie sur Midgard plusieurs de ses sujets menés par Hermod.
Tony Stark offre à Captain America son bouclier réparé par les forgerons de Svartfalfheim. Les héros doivent maintenant (se) reconstruire après ces combats...
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La lecture de la grande saga évènementielle Marvel de 2011 était pour moi un test intéressant dans la mesure où elle était écrite par un scénariste que je n'apprécie pas mais dessinée par un artiste que j'admire. Par ailleurs, l'exercice permet souvent d'étalonner ceux qui le réalisent car, grâce à l'exposition qu'il offre, on peut vérifier s'ils sont à la hauteur (en réussissant à rédiger une histoire d'envergure avec efficacité, sinon avec originalité, et à l'illustrer avec le souffle nécessaire, tout en respectant les délais).
En 2010, invoquant une lassitude (de la part des auteurs et des lecteurs) des events, Marvel avait opté pour une formule plus "diétitique" avec les quatre épisodes de Siege, par Brian Bendis et Olivier Coipel. Le résultat avait été mitigé : on sentait qu'il s'agissait davantage de clore une époque (le "Dark Reign", extension de la période consécutive à Civil War, l' "Initiative") et de revenir à des fondamentaux (avec l' "Heroic Age"). Mauvais calcul puisque DC a décroché la timballe avec les huit volets de Blackest Night (sans que ça ne soit forcèment meilleur, narrativement parlant).
2011 marque donc le retour à une vraie saga, s'étalant sur plusieurs mois, et devant bouleverser profondément le (pourtant) tout récent statu quo. Signe des temps : le projet a été conçu pour correspondre avec la sortie en salles de films adaptés de comics (Thor et Captain America : the first avenger, avant Avengers en 2012). C'est donc la première fois qu'une histoire de ce type a été à ce point coordonnée avec un autre média en point de mire.
Pourtant, ce qui frappe le plus avec Fear Itself, c'est à quel point, malgré la volonté éditoriale de Marvel d'en faire un event global, l'origine du sujet a résisté à son excroissance : en effet, au tout début, l'idée de Matt Fraction et d'Ed Brubaker était d'écrire une aventure impliquant leurs deux héros, Thor et Captain America, en leur trouvant une base commune. Et de fait, même avec son casting enrichi, ses péripéties plus nombreuses, ses conséquences plus éparses, Fear Itself est resté un récit avec Cap et Thor en vedettes, plus qu'une saga avec les Vengeurs et quelques guest-stars (comme les FF ou les X-Men, réduits à de la figuration).
On peut comprendre que cela en ait frustré ou déçus certains, attendant une toile de fond où, comme le promettait le premier poster promotionnel, beaucoup de personnages-clés devait être impliqué : pour cela, il faut lire les tie-in (fort nombreux). Mais Fear Itself, répétons-le, est d'abord centré sur Thor et Captain America, leurs mythologies et leurs futurs.
Ecrit par un scénariste chez qui le sens du rythme n'est pas la qualité première (voir ses arcs interminables sur Iron Man), on pouvait redouter que les sept épisodes (dont deux ayant une pagination double par rapport à la normale) ne soient pas trépidants. Or, s'il est vrai que la saga aurait pu se contenter d'un, voire deux, chapitres de moins, et qu'elle aurait gagné à posséder des dialogues plus percutants, la vraie bonne surprise de Fear Itself est que cela se lit sans ennui : il y a de nombreux rebondissements (certes conventionnels, certains téléphonés), de l'action, du spectacle. Souhaitons que Fraction conserve cette énergie dans l'avenir.
Les morceaux de bravoure attendus comme la mort de Bucky, de Thor, les ravages des "Dignes", le sacrifice de Stark, la revanche des "Puissants" (les super-Vengeurs armés par Asgard), Cap voyant son bouclier brisé puis soulevant Mjolnir, tiennent leurs promesses et donnent au récit un côté vraiment épique. Cela compense un peu le fait que les "Dignes" ne soient pas bien exploités (en dehors de Hulk/Nul et de la Chose/Angrir, avec un combat mémorable contre Thor) et que le casting des "Puissants" ne soit pas plus étonnant (pour défendre la Terre contre des adversaires aussi terribles, Spider-Man n'est pas évident et la présence de Wolverine apparaît comme un quota mutant forcé). 
Pourtant, l'autre malentendu/méprise de Fear Itself est qu'il s'agit moins d'une histoire sur la peur (bien que le Serpent s'en nourrisse et que la progression du personnage est intelligemment menée) que sur la filiation et le sacrifice. Sin/Skadi trouve avec le Serpent un père qui l'accepte et la chérit plus que Crâne Rouge. Steve Rogers perd avec Bucky Barnes son fils spirituel, son héritier. Et Odin accepte le sacrifice de son fils Thor. De la même manière, d'autres personnages, plus en retrait, ont des scènes où ils consentent à payer de leur personne pour mieux repartir au combat : Tony Stark abandonne sa sobrièté pour obtenir une audience avec Odin (joli clin d'oeil à la saga Le démon dans la bouteille), May Parker autorise Spider-Man à repartir au combat après lui avoir rappelé que de "grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités", Loki aide Thor pour empêcher Odin de détruire la Terre, Franklin Richards ose user de ses pouvoirs pour guérir la Chose. Et comme un fil rouge, il y a ce personnage d'homme ordinaire, Rick, habitant Broxton, d'abord témoin puis acteur de la rebellion des héros.
Fear Itself, sans avoir l'audace métaphorique et la profondeur politique de Civil War (le meilleur crossover Marvel de la dernière décennie), bouscule indéniablement le statu quo (quand bien même certains morts ne le seront sans doute pas longtemps, et que déjà Marvel tease sur une prochaine saga...).
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Dessiner une saga ressemble à une épreuve du feu pour l'artiste à qui échoît ce cadeau empoisonné : il faut en effet maîtriser une foule de personnages, être aussi à l'aise dans des scénes spectaculaires que plus calmes, tout en respectant les délais. Et, une fois l'ouvrage terminé, le rebond est parfois compliqué : illustrer l'event de l'année, c'est accèder à une espèce de promotion. Que faire après ?
Stuart Immonen n'a plus rien à prouver et, à son niveau, il était sans doute plus solide pour supporter une telle tâche que ses prédécesseurs (Coipel, Steve McNiven, Leinil Yu - seul John Romita Jr avec World War Hulk était aussi bien armé). Il avait déjà signé les dessins d'un (mini) event chez DC (The Final Night, en vf JLA : Extinction), et depuis qu'il est chez Marvel, il a gravi patiemment mais irrésistiblement les échelons, depuis Nextwave jusqu'à New Avengers en passant par Ultimate Spider-Man. C'est un artiste complet, au style protéiforme, qui a réalisé par ailleurs des creator-owned.
Sa prestation sur Fear Itself est exemplaire. Il a non seulement livré ses planches en temps et en heure, en s'acquittant de 7 épisodes, dont deux doubles, et abattu un travail impressionnant, qui a dopé le script de Fraction dans des séquences où le récit menaçait de piquer du nez.
Comme toujours avec Immonen, l'expressivité des personnages, la variété des cadrages, l'énergie du découpage, vous emporte littéralement. Les morceaux de bravoure sont impeccablement traduits sans pour autant abuser de splash ou de doubles pages (mais quand il nous en gratifie, on en prend plein la vue et le chapitre final propose des images mémorables). 
Décidemment, le canadien confirme son exceptionnel talent : vivement que Marvel annonce son prochain projet.

Mentionnons aussi la qualité de l'encrage de Wade Von Grawbadger (le partenaire de longue date d'Immonen), toujours irréprochable (à peine assisté sur le final par Dexter Vines, sans que cela soit perceptible), et la magnifique colorisation de la reine de la discipline, Laura Martin (avec le concours ponctuel de Matt Milla et Justin Ponsor).
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Certes, narrativement, Fear Itself ne révolutionne rien (mais est-ce vraiment possible et objectif pour des sagas aussi calibrées), mais cet event a plus de souffle que Siege, de rythme que Secret Invasion et d'ambition que World War Hulk. Sans atteindre les cîmes de Civil War, c'est le crossover le plus abouti, celui qui procure le plus d'adrénaline, depuis House of M. Et visuellement, c'est un grand huit, riche en images fortes. C'est aussi, certainement, le dernier exemple d'une histoire de ce type puisque, pour le prochain, Marvel mise sur une équipe créative élargie (cinq scénaristes, les fameux "architectes", et trois dessinateurs).
Une épopée inégale mais quand même efficace.

mercredi 16 novembre 2011

Critique 281 : BATMAN - THE RETURN OF BRUCE WAYNE, de Grant Morrison, Chris Sprouse, Frazer Irving, Yanick Paquette, Georges Jeanty, Ryan Sook, Lee Garbett et Pere Pérez


Batman : the return of Bruce Wayne #1
(couverture et dessins de Chris Sprouse)

Batman : the return of Bruce Wayne #2
(couverture et dessins de Frazer Irving)

Batman : the return of Bruce Wayne #3
(couverture et dessins de Yanick Paquette)

Batman : the return of Bruce Wayne #4
(couverture de Cameron Stewart, dessins de Georges Jeanty)

Batman : the return of Bruce Wayne #5
(couverture de Ryan Sook, dessins de Ryan Sook et Pere  Pérez)

Batman : the return of Bruce Wayne #6
(couverture de Bill Sienkewicz, dessins de Lee Garbett et Pere Pérez)

Batman : The Return of Bruce Wayne est une mini-série en 6 épisodes écrite par Grant Morrison, publiée en 2010 par DC Comics. Chaque épisode est dessiné par un (voire deux) artiste(s) différent(s) (successivement Chris Sprouse, Frazer Irving, Yanick Paquette, Georges Jeanty, Ryan Sook, Pere Pérez, et Lee Garbett).
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Durant la saga Final Crisis (déjà écrite par Grant Morrison), Darkseid, blessé par Batman, le frappe à son tour avec ses rayons Omega. Pour tous les héros du Dark Knight, le justicier est mort, mais en vérité, il a été projeté dans le passé, à l'époque Néanderthalienne.
Le corps de Wayne est chargé de particules Omega, le transformant, à son insu, en une bombe vivante à retardement. Lors d'éclipses solaires, il est expédié au XVème siècle, puis au XIXème, au XXème siècle et de nos jours.
Bruce Wayne recouvre progressivement la mémoire tout en devant surmonter des épreuves propres à chaque époque où il atterrit : ainsi, il se bat contre une tribu menée par Vandal Savage durant son séjour dans la préhistoire ; contre un monstre au temps de pélerins en pleine chasse aux sorcières ; doit affronter Barbe-Noire le pirate ; à nouveau contre Savage et aussi Jonah Hex en plein western ; le Dr Hurt dans les années 40, et la JLA de nos jours.
En même temps, qu'à travers les âges on découvre la mythologie totémique de l'homme chauve-souris, se pose la question pour les acolytes du héros, qui comprennent qu'il a survécu mais représente un danger pour lui-même et eux, de savoir comment négocier le retour de Bruce Wayne : pourront-ils le sauver ou non ?
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Grant Morrison a, quoi qu'on pense de son style (et de l'évolution de celui-ci), marqué de son empreinte le personnage de Batman en réinjectant dans ses aventures des éléments de son passé, issus des origines les plus obscures du titre. Il y a ajouté des ingrédients de son invention et a donc considérablement enrichi la mythologie de cette production.
Un tournant a eu lieu avec un projet qui pourtant n'avait aucun lien avec Batman : la maxi-série Seven Soldiers of Victory, où Morrison a abondamment puisé dans le terreau de Jack Kirby (lorsque le "King" officia chez DC dans les années 70). Des idées déjà explorés quand il écrivait la JLA ont servi alors à bâtir une oeuvre atypique, complexe mais passionnante.
Logiquement, l'étape suivante a été la rédaction d'une saga évènementielle où Morrison pourrait utiliser des personnages-phares de DC dans une trame qui bouleverserait profondèment sa chronologie : ce fut Final Crisis, un des crossovers les plus fumeux qu'ait produit l'éditeur, à l'histoire hermétique, truffée de références que même des initiés eurent du mal à décrypter. Résultat : un échec commercial, fraîchement accueilli par la critique, et finalement peu considéré par la suite (Geoff Johns devenant, via la série Green Lantern, le nouvel architecte en chef de DC).
Néanmoins, Final Crisis, malgré son côté indigeste, réserva deux moments forts, qui impactèrent à la fois le travail de Morrison - la disparition de Bruce Wayne - et celui de Johns - le retour de Flash version Barry Allen. 
Comme à chaque fois qu'un personnage aussi emblématique que Batman meurt, il est convenu qu'il reviendra tôt ou tard : Dick Grayson, ancien Robin et Nightwing, allait hériter du pseudonyme et du costume. Mais quid de Bruce Wayne ? Comme Steve Rogers chez Marvel, il n'était pas vraiment mort, mais ailleurs, et cette mini-série, comme Captain America : Reborn, allait expliquer comment il revenait parmi les siens.   

Cette histoire nous informe très vite sur le Grant Morrison qui l'écrit, et hélas ! c'est celui de Final Crisis. En clair, cela signifie qu'il faut s'accrocher pour y comprendre quelque chose, même si ça démarre mieux que ça ne se termine.
Effectivement, au début, la série, même si elle souffre déjà de dialogues alambiqués, derrière lesquels on devine moults charades, est assez sympathique et dépaysante. On est transporté à l'époque néanderthalienne, en pleine guerre tribale, et l'ennemi est familier puisqu'il s'agit de l'immortel Vandal Savage (souvent vu dans la série JSA et son relaunch). Morrison semble s'amuser à faire le plus kitsch possible avec ces homo sapiens en peau de bête peu frileux et primaires.
Ensuite, on passe brutalement à la période de la chasse aux sorcières dans les environs de Gotham. Le récit devient déjà plus coriace, mais c'est assez rythmé pour qu'on ne s'ennuie pas et l'atmosphère fanatique des pélerins intégristes est prenante.
Le meilleur de la série arrive avec l'épisode mettant en scène la quête d'un trésor avec des pirates. Miraculeusement, Morrison fait simple et livre un chapitre palpitant, sobre. Miraculeusement, car après, c'est le drame...
On pouvait espérer beaucoup du segment se déroulant en plein farwest puisque n'importe quel lecteur de Batman sait que le justicier s'est d'abord inspiré de cette époque et du film Zorro avec Douglas Fairbanks quand il a décidé de faire le bien. Malheureusement, alors qu'un duel avec Jonah Hex était annoncé (avec le retour dans le jeu de Vandal Savage), et bien que la narration misait sur un Bruce Wayne muet, c'est un ratage total. Le décor, les personnages, la situation, rien n'est correctement exploité.
Prochain et avant dernier arrêt dans les années 40 : Morrison redresse un peu la barre, invoquant le Spirit de Will Eisner mais surtout revenant sur des points qu'il a creusés dans la série Batman, avec des personnages comme la référence à la société secrète du "Black Glove" et de son leader, le Dr Simon Hurt (au centre de l'arc Batman : R.I.P.). On se dit alors que le scénariste prépare un final prometteur où,en ramenant le héros de nos jours, il bouclera en fait tout son run, résolvant bien des énigmes, réglant son compte à bien des ennemis tout en sauvant et en resituant Batman... Mais non.
Au lieu d'un épilogue magistral, on a droit à une conclusion grotesquement bricolée, totalement incompréhensible, où ni le retour tant attendu ni les rôles de Red Robin, la JLA, Rip Hunter n'ont droit à un traitement à la hauteur. Bruce Wayne est effectivement ramené, reprend son alias et sa cape... Mais en gardant pour lui le sens des sauts dans le temps, des éclipses solaires, de sa guérison aux rayons Omega. Rarement aura-t-on assisté à un climax aussi piteux (certes Ed Brubaker avec Captain America : Reborn n'avait pas été très inspiré, mais au moins son dénouement était moins prétentieux).
Le véritable intérêt de cette saga est souterrain, au propre comme au figuré : on saisit bien l'importance des grottes du manoir Wayne, le culte de la chauve-souris dont Bruce est le dernier pratiquant, l'aspect totémique, l'intelligence supérieure du héros et sa détermination. C'est donc d'autant plus frustrant que ce ne soit pas sur ces points que Morrison ait choisi d'articuler son récit, se contentant d'allusions comme s'il ne s'adressait qu'à des habitués d'un club, et échouant lamentablement à donner un souffle vraiment épique à cette "résurrection".
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Le scénario ne tenant pas ses engagements, au moins pouvait-on espérer que la partie graphique, sans sauver l'entreprise, lui confère un vrai cachet. Mais, là aussi, le bilan est mitigé.
La première moitié de l'aventure (préhistoire, chasse aux sorcières, pirates) est brillamment servie par trois artistes en grande forme : d'abord, Chris Sprouse et son style élégant, vif, même si on sent bien qu'il n'y a pas mis autant de coeur que pour ses Tom Strong ; ensuite les planches en couleur directe de Frazer Irving comme des tableaux baroques, hallucinés, et enfin Yanick Paquette très "Bryan Hitch-iesque", traduisant à merveille le périple dans les grottes et les trognes des pirates.
Après ça, la prestation de Georges Jeanty est vraiment affligeante et l'on rêve de ce qu'aurait pu faire Cameron Stewart, initialement prévu pour ce chapitre westernien. Ryan Sook relève le niveau sans problème avec des images souvent sublimes, mais il n'assure que la moitié de sa tâche, supplée par Pere Pérez qui imite son style avec habileté mais sans personnalité. On retrouve d'ailleurs Pérez dans ce rôle à l'ultime étape où, là encore, Lee Garbett, un clone d'Olivier Coipel (sans la puissance du français), n'est pas capable de réaliser ses trente pages.
Il est lamentable de constater encore une fois l'incapacité de DC de composer une équipe d'artistes respectant les délais (Blackest Night ayant été la récente exception) et cela mine cette série qui souffrait déjà d'une histoire difficile à appréhender telle qu'elle a été traitée. Marvel maintient ses dessinateurs sur chaque event, quitte à prendre du retard, et cela donne une bien meilleure facture à chaque projet. Relisez les différentes "Crisis" de DC, ce sont toujours des fresques boursouflées, parfois jubilatoires dans leurs excés, mais vieillissant plus mal visuellement que chez la distinguée concurrence.
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Avant et pendant (avec la série Batman & Robin) et après (Batman Incorporated) cette série, Grant Morrison a continué à alimenter le Dark Knight, réussissant à corriger le tir. Mais, en l'état, The return of Bruce Wayne est quand même un gros ratage, une histoire absconse, et inégalement illustrée. C'est regrettable, mais cela signifie peut-être que le scénariste, qui s'est souvent mesuré, voire attaqué, à Alan Moore, n'a pas le génie de l'auteur d'un vrai grand classique de Batman, le mythique Killing Joke.