dimanche 30 septembre 2018

JUSTICE LEAGUE DARK #3, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


C'est un épisode curieux dans la forme, à la fois dénouement (déjà !) du premier arc de Justice League Dark et prologue du crossover The Witching Hour, qui démarre en Octobre entre cette série et celle de Wonder Woman. James Tynion IV a-t-il vraiment choisi ce plan ou s'est-il plié à celui de son staff éditorial ? En tout cas, le lecteur en sort un peu dérouté, même si Alvaro Martinez assure le show...


Dès l'enfance, Zatanna fut entraînée par son père, Giovanni Zatara, pour maîtriser aussi bien les tours les plus simples que les sorts les plus complexes, afin d'intégrer la notion d'équilibre dans la magie et ne pas sombrer dans les arts occultes. Aujourd'hui, elle va éprouver ce savoir contre l'Homme Inversé, incarnation du chaos dans la tour du Dr. Fate.


Cette créature démoniaque et surpuissante entend bien châtier les magiciens qui auraient, selon elle, volé leurs forces à ses semblables. La Justice League Dark est impuissante face à ses attaques cruelles et ciblées.


Même Swamp Thing, renforcé par sa proximité avec l'Arbre des Merveilles au point d'avoir pris la taille d'un géant, échoue à le maîtriser. John Constantine déploie un sort, appris récemment, supposé tuer un dieu mais risquant de le consumer. L'Homme Inversé y résiste et torture son adversaire en le vidant de son sang démoniaque.


Il se tourne ensuite contre Zatanna en reconnaissant en elle la fille de Zatara qu'il a tué. Mais Wonder Woman s'interpose. Intrigué par l'aura mystique de l'amazone, l'Homme Inversé lui arrache sa tiare et libère alors une puissance inconnue.


Wonder Woman, guidée par Zatanna, réussit à focaliser cette énergie afin de renvoyer son adversaire de là où il vient. Cet effort lui fait perdre connaissance mais ressuscite ses compagnons tombés au combat. Et ce n'est qu'une victoire provisoire, assure Zatanna...

La variant cover de Greg Capullo.

Boucler cette première histoire en trois petits épisodes laisse, il faut le dire, un goût d'inachevé, de précipité, comme s'il avait fallu à James Tynion IV absolument conclure pour enchaîner avec le crossover entre sa série et celle de Wonder Woman le mois prochain (heureusement, dans un souci de cohérence, il écrira les deux titres le temps de cette réunion).

On peut déplorer cela : imposer une histoire commune à deux titres quand l'un n'a que trois numéros à son actif n'est guère raisonnable. Ce n'est pas illégitime puisque l'amazone est la patronne de la Justice League Dark et que sa série va ensuite changer d'équipe artistique (G. Willow Wilson, la créatrice de la nouvelle Ms. Marvel, et Cary Nord). Mais tout de même, ça ne m'enchante guère, j'aurai préféré qu'en lieu et place l'histoire de Witching Hour se déroule uniquement dans les pages de la JLD.

Car le plus problématique, c'est que depuis le début Tynion IV a su faire monter la sauce pour placer ses héros mal assortis face à une menace d'envergure, justement au coeur de leur formation. Le mois dernier on apprenait que Nabu avait pris la place du Dr. Fate, avec des objectifs inquiétants (déposséder de leur magie ceux qui la pratiquaient sur Terre) et laissait nos héros face à l'Homme Inversé, présenté comme un adversaire coriace.

Sur ces derniers points, l'impression est mitigée : Fate/Nabu quitte la scène sans qu'on sache où il est parti et l'Homme Inversé est effectivement un ennemi bigrement costaud et terrifiant, dont l'apparence est très flippante. Il n'empêche qu'il est défait (au moins temporairement) en vingt pages et au moyen d'une astuce narrative très limite (un pouvoir magique caché de Wonder Woman, dont elle-même n'avait pas connaissance), une sorte de deus ex machina paresseux mais providentielle après que Chimp, Swamp Thing, Constantine se soient pris une raclée.

En passant, il va falloir que Tynion choisisse ce qu'il va faire avec John Constantine qui traîne toujours dans les pattes de l'équipe sans en faire partie, semblant savoir beaucoup de choses sans vouloir les partager, complice de Swamp Thing mais jouant à chat avec Zatanna - dont on peut s'étonner qu'elle ne lui tire pas plus franchement les vers du nez. La belle magicienne apparaît d'ailleurs comme la vraie vedette du titre tant son histoire (et celle de son père) est mêlée à celle de l'intrigue générale - un peu curieux pour une série dont le leader est censé être Wonder Woman... De manière globale, le scénariste a du mal à imposer ces personnages ensemble : Man-Bat ne sert pas à grand-chose pour l'instant, Chimp fait de la figuration, Swamp Thing est très cryptique.

Heureusement que Justice League Dark dispose d'un artiste de la classe d'Alvaro Martinez car sinon, pas sûr que ce serait aussi accrocheur. L'espagnol délivre une nouvelle fois des pages sublimes mais aussi excellemment composées. Il joue avec la disposition des cases de manière à la fois très ludique et intelligente, place une splash-page juste au bon moment (Swamp Thing géant, très impressionnant), ose des doubles pages avec un sens du mouvement épatant (la résurrection des héros).

Le rythme mensuel permet à Martinez de construire son découpage et de peaufiner ses images bien mieux que lorsqu'il était soumis aux impératifs bimensuels (de Detective Comics) ou hebdomadaires (Batman & Robin Eternal). Il n'empêche que garder ce niveau a un prix et après le crossover, il passera le relais à Daniel Sampere (avant, je l'espère, de revenir).

Honnêtement, on passe un chouette moment. Mais on finit aussi ce numéro un peu agacé (par des problèmes de cohérence interne, par la suite qui passe par ce fameux crossover).  

ACTION COMICS #1003, de Brian Michael Bendis et Yanick Paquette


L'arc narratif The Invisible Mafia d'Action Comics se poursuit. Mais contre toute attente, ce 1003ème épisode n'est pas suite directe du précédent : Brian Michael Bendis en profite pour jouer avec la chronologie des événements et s'intéresser de plus près à un personnage secondaire. Il est accompagné pour ce numéro de Yanick Paquette (Patrick Gleason ne signant plus que la couverture).


Robinson Goode se rend, à la nuit tombée, au "Dragon's", un bar mal-famé des bas-fonds de Metropolis. Elle y a rendez-vous avec Candy auprès de laquelle Mr. Strong a payé pour obtenir un fragment de kryptonite.


Le lendemain matin, Clark Kent arrive en salle de rédaction du "Daily Planet" et trouve Jimmy Olsen endormi à sa place après avoir pris des photos tard le soir près des S.T.A.R. Labs. C'est alors que Kent est pris d'un malaise.


Cependant, Robinson Goode aborde Perry White à la sortie de l'ascenseur et lui soumet une proposition d'article pour la "une" à propos de la mort du caïd Moxie. Mais leur attention est vite déplacée en direction de Clark. Celui-ci refuse qu'on appelle les secours mais voit à travers le sac de Goode le fragment de kryptonite à l'origine de son état.


La journaliste se retire mais, une fois dehors, elle est surprise par Batman qui lui subtilise son sac et la boîte dans laquelle elle détient la kryptonite. Elle explique être en sa possession pour une enquête mais il ne la lui rend pas. En revanche il retrouve plus tard Superman et lui assure que le danger est écarté.


La super-ouïe de Superman l'attire ensuite au "Dragon's" où Goode se dispute avec Candy avant que celle-ci ne soit tuée par Red Cloud. L'Homme d'Acier arrive trop tard mais réconforte la journaliste. Dans l'hôtel où elle est descendue, au même moment, Lois Lane reçoit la visite de Lex Luthor...

La variant cover de David Mack.

Brian Michael Bendis a toujours aimé s'amuser avec la temporalité du récit, jouant sur des faits passés pour éclairer ceux du présent ou osant des flash-forwards. C'est le cas dans cet épisode qui vaut plus pour ce tour de passe-passe narratif que son contenu (on n'apprend pas grand-chose de nouveau, l'intrigue ne progresse guère).

Pour bien comprendre ce qu'il en est, revenons à là où nous en étions à la fin du précédent épisode : Clark Kent apprenait que Lois Lane était de retour sur Terre et à Metropolis sans qu'elle l'ait prévenu. Superman la retrouvait dans les rues de Metropolis et exigeait une explication.

On pouvait s'attendre à en apprendre le contenu ce mois-ci. Sauf que le scénariste escamote cette partie. Ou plutôt la diffère (ce sera pour le #1004). Ce n'est pas gratuit car on va deviner bien vite que ce qui s'est dit entre les époux a affecté Clark qui va être autrement touché.

Le numéro fait la part belle à Robinson Goode, la nouvelle recrue du "Daily Planet", justement engagée en remplacement de Lois. On sait qu'elle est de mèche avec Mr. Strong, un chef de la pègre de Metropolis, allié à la méchante Red Cloud, et qu'elle s'emploie à discréditer Superman par voie de presse - même si Perry White, son rédacteur-en-chef, freine des quatre fers pour passer ses articles tendancieux à la "une".

Ses idées échouant jusqu'à présent, elle a décidé de passer à la vitesse supérieure en acquérant un fragment de kryptonite au marché noir avec l'argent de Strong. En le transportant dans son sac à main jusque dans la salle de rédaction du "Daily Planet", elle va, sans le savoir, l'exposer à Clark. Pris d'un malaise, celui-ci comprend qui en est la cause. Batman intervient promptement.

Juste avant cette scène, on a pu voir Kent adresser le "bonjour" de la part de Lois à Jimmy Olsen et le lecteur a pu déceler facilement que la discussion entre Clark et sa femme a laissé des traces car le journaliste est visiblement fatigué et morose. Lorsque, à la fin de l'épisode, Lex Luthor rend visite à Lois à son hôtel, la situation devient encore plus louche...

Ce qui est intéressant dans cet épisode, ce n'est donc pas ce qui s'y passe directement - en fait, on pourrait dire que c'est anecdotique, voire qu'il n'y a rien de neuf (une nouvelle manigance de Goode, la kryptonite affaiblissant Superman, la présence providentielle de Batman - même si le dialogue qui suit est amusant : Superman : "You're the best.", Batman : "World's finest."). Non, ce qui vaut le coup, c'est ce qui est suggéré, précisément non-dit. En l'occurrence, comment diriger le crime organisé dans une ville dont le héros peut tout voir, tout entendre ? Réponse : en recourant au système "D", en ne prononçant pas certains mots, en écrivant au lieu de parler, en revenant à une forme de gangstérisme primaire. Le titre de l'arc, The Invisible Mafia, prend alors tout son sens : la pègre de Metropolis est réduite à des ruses de Sioux pour échapper à Superman et le piéger. C'est une guerre d'usure.

Cela exige de la patience de la part des criminels comme des lecteurs. Mais Bendis sait s'entourer et ça rend l'ensemble très agréable, malgré une certaine inertie. Le canadien Yanick Paquette, qui a pratiquemment abandonné les mensuels pour se consacrer à des graphic novels (Wonder Woman : Earth One avec Grant Morrison) et des couvertures variants, remet la main à la pâte.

Il a apprécié sa collaboration (et il n'est donc pas exclu qu'il revienne) et cela se voit : l'artiste déploie des expressions graphiques, testées sur ses romans graphiques, pour traduire au mieux le script, comme lorsque les cadres de ses vignettes deviennent flottants quand Clark a son malaise. Il use de plusieurs doubles pages pour souligner des actions en continu comme les écrit souvent Bendis, notamment lors du dialogue entre Superman et Batman ou quand Superman surgit au "Dragon's".

La beauté des dessins de Paquette indique le soin avec lesquels il les réalise, encrage compris. Et la mise en couleurs de Nathan Fairbairn est somptueuse.

Un épisode de transition en somme avant les révélations attendues le mois prochain, et l'arrivée de Ryan Sook au dessin (pour au moins deux numéros).  


La variant cover de Francis Manapul.

vendredi 28 septembre 2018

HEROES IN CRISIS #1, de Tom King et Clay Mann


Initialement intitulé Sanctuary, la saga Heroes in Crisis qui démarre ce mois-ci (et ce, pour neuf mois) est un projet qui tient particulièrement à coeur au scénariste Tom King puisqu'il a voulu aborder le thème du S.P.T. (Stress Post-Traumatique) auquel il a été lui-même confronté après avoir servi comme soldat en Irak. Mais cette histoire est déjà accueillie avec hostilité par beaucoup de fans et critiquée par certains auteurs. Alors attaque justifiée ? Ou gros malentendu ?


Plusieurs héros et vilains témoignent, comme Harley Quinn, Hot Spot, Blue Jay, Arsenal et Booster Gold, de difficultés existentielles relatives à leurs activités super-héroïques. Ils sont admis au sein du Sanctuaire, un endroit conçu par Superman, Batman et Wonder Woman dans le but de les aider.


Superman vole à toute vitesse en direction du Sanctuaire qui, vu du ciel, a l'aspect d'un simple ferme isolée. Il détecte grâce à sa super-vue plusieurs corps de patients morts à l'extérieur puis à l'intérieur du bâtiment, parmi lesquels ceux de Arsenal, Citizen Steel, Hot Spot, et Flash II (Wally West). Batman est en route tout comme Wonder Woman.


Pendant ce temps, Harley Quinn se présente dans un dinner où se trouve Booster Gold. Après s'être restaurés, elle l'attaque, le blessant avec un couteau à plusieurs reprises. Il se défend en refusant de lui faire du mal mais elle ne se calme pas pour autant. Il l'éloigne de l'endroit et de ses clients.


Au Sanctuaire, Batman, Wonder Woman et Superman découvrent une inscription étrange sur un mur à l'intérieur laissée par le meurtrier. Le dark knight comprend que ce havre de paix, ce lieu de reconstruction, est devenu le point de départ de leur chasse à l'homme.


Harley Quinn s'est enfin calmée et accuse Booster Gold d'avoir commis les meurtres du Sanctuaire tandis qu'elle l'a seulement observé avant de fuir.

La variant cover de Ryan Sook
(l'artiste évoque des drames emblématiques dans la communauté des super-héros).

En son temps (c'était il y a presque dix ans), lorsqu'il écrivit brièvement les séries Superman et Wonder Woman, J. Michael Straczynski annonça travailler sur un projet parallèle nommé Samaritain X dont le décor principal serait un hôpital pour super-héros. Cela resta sans lendemain (JMS abandonna ses séries, se consacra à autre chose chez DC avant de prendre sa retraite des comics).

Lorsque Tom King évoqua à son tour Sanctuary, cela ressemblait à sa version de Samaritan X : l'idée lui était inspirée de sa propre expérience puisque, avant de devenir scénariste, il servit dans l'armée américaine (et le contre-espionnage) en Irak. Confronté au stress post-traumatique, il voulait explorer ce problème chez les super-héros en imaginant un endroit où ceux-ci, après avoir subi des drames psychologiques, seraient pris en charge discrètement. Mais on ignorait encore quelle forme cela prendrait (série régulière, mini-série).

Finalement, l'idée a dû séduire le staff éditorial de Dc car c'est devenu un event. D'abord programmé en sept parties, il en comptera neuf (en vérité, King voulait ajouter deux numéros spéciaux et a décidé de les intégrer à son récit principal). Entre temps, Sanctuary fut rebaptisé Heroes in Crisis. Et c'est sans doute une erreur (même si ce n'est pas un titre illogique).

En effet, l'histoire de DC est parsemée de "Crisis" fameuses (Crisis on infinite earths, Infinite crisis, Final crisis) et cela connote forcément un projet qui n'a rien à voir avec ces précédentes sagas (qui ont toutes en commun de se situer au niveau cosmique). Cela créé aussi une confusion avec Identity crisis, dont le dessinateur Rags Morales (à qui on n'avait rien demandé et qui n'a pas du avoir accès au script de King mais qui a jugé bon de dire ce qu'il avait sur le coeur) a déploré que Heroes in Crisis en soit une copie.

A cause de tout cela (et en particulier de l'accusation de Morales), les fans de DC ont accueilli avec hostilité, avant même la parution de ce premier épisode, la saga de King, pensant qu'il s'agissait d'un récit-prétexte pour éliminer des héros (ou vilains). Le rallongement de cette histoire en neuf épisodes, l'annonce de plusieurs dessinateurs impliqués (Clay Mann sera remplacé pour le #3 par Lee Weeks, pour le #7 par Mitch Gerads), tout cela a vraiment pourri la sortie de Heroes in Crisis.

Alors certes, il y a des morts dès ce premier chapitre, et certains chagrineront les fans (Wally West, Roy Harper, voire Citizen Steel). Mais faut-il s'arrêter à ça pour faire le procès et condamner cette histoire ? A mon sens, c'est très précipité, surtout que Tom King n'est quand même pas le premier scénariste venu et qu'il a abondamment prouvé qu'il ne cédait pas à la complaisance dans la représentation de la violence. On devine bien évidemment qu'il y aura une enquête pour découvrir qui est l'assassin (comme dans Identity crisis) mais aussi une vraie réflexion sur ce qu'endurent les héros dans leur activité et le trauma que va susciter cette tragédie.

Je trouve le concept intéressant et je me garderai bien de l'incendier sur la base d'un premier épisode frustrant mais aussi intrigant, dont la narration reprend des gimmicks chers à King (scènes découpées en "gaufriers", alternance d'action et de dialogues, ambiance pesante) - la preuve que cette saga porte une marque d'auteur véritable.

La prestation de Clay Mann est également épatante. On peut regretter qu'il ne réalise pas l'intégralité du projet, même si cela aurait impliqué des retards (mais comme le récit n'a pas de tie-in, peu importe). Cela n'empêche pas que ses planches sont superbes : dans les moments les plus mouvementés (le combat Harley Quinn-Booster Gold) comme plus intimistes (l'arrivée de la Trinité au Sanctuaire), il y a un mélange de majesté et de mélancolie, de puissance et d'élégance assez remarquables. 

Mann n'est de toute manière pas un monthly artist (même si, avec le soutien de son frère Seth à l'encrage, il aurait sûrement pu plus facilement enchaîner), mais avoir Weeks et Gerads comme suppléants garantit au projet une belle allure et nul doute que King (qui a collaboré avec chacun) saura tirer avantage des forces des uns et des autres.

Elliptique, énigmatique et accrocheur, ce début augure de bonnes choses (au-delà de savoir quelles victimes, célèbres ou non, on va avoir droit) : Heroes in Crisis pourrait même profiter de sa mauvaise réputation pour créer une grosse surprise si Tom King sait, comme dans Mister Miracle, déjouer les attentes et établir un équilibre entre le polar et le trauma. A défaut d'indulgence, restons au moins ouvert à la proposition que cette saga nous adresse.

jeudi 27 septembre 2018

OLD MAN HAWKEYE #9, d'Ethan Sacks et Marco Checchetto


Le précédent numéro se concluait sur un double cliffhanger avec les retrouvailles de Clint Barton et de Melissa Gold et la présence toute proche de Bullseye. Ainsi Ethan Sacks et Marco Checchetto promettaient-ils un épisode poignant et décisif dans leur saga. On n'est pas déçu par le résultat, même s'il ne résout pas tout et se montre un peu convenu sur un point...


Il y a quarante-cinq ans, Clint Barton battait le rappel des Thunderbolts pour contrer le début d'une attaque d'ampleur contre les super-héros. Songbird avait alors tenté de le prévenir que ses partenaires allaient lui tendre un piège mais Hawkeye ne prit pas le temps de l'écouter... 


Aujourd'hui, il est sur le point de la tuer pour se venger mais Melissa Gold a quelque chose à lui dire avant. Ayant fait voeu de silence, elle écrit savoir qu'il a déjà éliminé Atlas et Beetle et ne demande pas à être épargnée. Elle veut lui transmettre quelque chose. Mais Bullseye les interrompt.


Barton ne reconnaît pas tout de suite l'ex-marshall de Crâne Rouge mais engage la bataille. Il perd vite l'avantage tandis que Melissa s'éclipse dans sa chambre. Bullseye découvre que Hawkeye perd la vue, ce qui lui gâche son plaisir car il souhaitait vaincre un héros en pleine possession de ses moyens.


C'est alors que Songbird surgit, dans son costume, et active ses pouvoirs pour éloigner Bullseye et sauver Barton. Le combat ne passe pas inaperçu puisqu'à Rock Springs, le Maître de Corvée apprend qu'on a repéré la signature énergétique de l'ex-Thunderbolt. Il en avertit le quartier général de l'Arme X au Canada, mais Avalanche le néglige car l'appel ne provient pas de Crâne Rouge en personne.


Songbird et Hawkeye quittent le Sanctuaire de la Sororité du Silence. Bullseye tue alors Melissa Gold après qu'elle ait transmis à Barton un parchemin qui le guidera jusqu'à Moonstone, la dernière membre des Thunderbolts, au Canada. Kate Bishop convainc Clint de fuir et sème Bullseye qui les prend en chasse...

Nous sommes dans le dernier quart de cette saga et Ethan Sacks, s'il continue de développer son récit en l'alignant sur la vengeance de Hawkeye contre les Thunderbolts qui l'ont trahi jadis, évoque aussi, de manière allusive, une intrigue secondaire impliquant une arme secrète de Crâne Rouge que la vendetta de Barton risque de compromettre.

On en trouve une trace réelle, après en avoir seulement entendu parler jusqu'alors, dans deux scènes consécutives où le Maître de Corvée (Taskmaster en v.o.) remarque l'activation des pouvoirs de Songbird lorsqu'elle vient en aide à Hawkeye contre Bullseye et en avertit le Q.G. de l'Arme X au Canada. On assiste à un moment bien dérangeant où Avalanche, un ancien membre de la Confrérie des Mauvais Mutants, tue un de ses congénères qui a subi d'affreuses tortures et dédaigne répondre à l'appel de son collègue.

Le projet secret de Crâne Rouge a donc un rapport avec les mutants et l'Arme X renvoie directement à Wolverine, le héros de Old Man Logan de Mark Millar, dont l'action se situe cinq ans après les événements de Old Man Hawkeye

On en saura certainement plus les prochains mois (la saga se termine en Décembre, donc notre patience ne sera pas trop éprouvée). En attendant, la majeure partie de cet épisode est un tournant. D'abord par que Barton renonce pour la première fois à exécuter un des anciens Thunderbolts et Sacks l'explique bien et vite en montrant que Melissa Gold avait tenté de le prévenir, 45 ans plus tôt, que l'équipe allait le trahir.

L'irruption de Bullseye dans ces retrouvailles promettait un combat attendu depuis longtemps et il tient ses promesses. Grâce à Marco Checchetto, une nouvelle fois impérial, la confrontation ne manque ni d'énergie ni de dimension tragique. Hawkeye est en difficulté, son handicap est désormais connu de son adversaire, et il ne devra son salut qu'à celle qu'il était venu abattre.

Avoir fait de Songbird, qui a des pouvoirs soniques, une nonne ayant fait voeu de silence dans un sanctuaire retiré est une belle idée. Quand elle reprend du service, en costume, Checchetto lui offre une entrée en scène spectaculaire (voir ci-dessus). Ce qui rend son sort plus poignant ensuite.

Mais c'est aussi là que Sacks se rate un peu car, on le soupçonnait, dans cette lutte à trois, l'un tomberait. Et on regrette que le scénariste ait cédé à la facilité de sacrifier Songbird en l'ajoutant non pas au tableau de chasse de Hawkeye mais de Bullseye. C'est trop convenu (même si, évidemment, Bullseye n'est pas du genre à laisser de témoin).

Ce regret mis à part, la série reste d'un niveau exceptionnel et réserve donc encore de nombreuses surprises. Le mois prochain, direction : le Canada, avec certainement Moonstone au programme, et certainement quelques détails supplémentaires sur ce qui se mijote à l'Arme X... 

CAPTAIN AMERICA ANNUAL #1, de Tini Howard et Chris Sprouse avec Ron Lim


Je ne suis plus la série Captain America depuis la fin du run de Mark Waid, mais la parution de cet Annual #1 m'a convaincu de l'acquérir pour les dessins du trop rare Chris Sprouse. C'est l'occasion d'apprécier un récit détaché de l'intrigue en cours actuellement avec cette aventure qui replonge le lecteur dans la seconde guerre mondiale. Une époque chère à la scénariste Tini Howard.


Juillet 1944. Stutthof, Allemagne. Captain America et Bucky sont derrière les lignes ennemies et traversent de nuit une forêt. Des soldats les attaquent avec une grenade que Cap contre. Juste après son explosion, ils distinguent une femme décharnée, une mitraillette à la main. Mais elle s'enfuit quand elle voit qu'elle est repérée.


Captain America et Bucky la rattrapent et l'escortent jusqu'à une ferme en essuyant des tirs. A l'intérieur, ils sont présentés à celle qu'ils viennent de rencontrer, Marta Prybyzla, et ses deux compagnons d'infortune, Volya Sokolov et Iskra Czerniak. Volya a été persécuté pour son homosexualité et Marta a fait l'objet d'expérimentations dans le camp de concentration dont elle s'est échappée.


Captain America réfléchit à un moyen de les exfiltrer de cette zone dangereuse après qu'un sniper ait blessé Volya à la jambe. Il est décidé qu'ils partiront avant l'aube pour éviter les avions de la Luftwaffe. Iskra indique une tour d'où ils pourraient communiquer par radio avec les alliés pour des renforts.


Comme prévu, ils se mettent en route alors qu'il est encore nuit. Mais, dans la forêt, ils croisent une troupe de soldats allemands. Tandis que leurs trois compagnons vont se cacher, Bucky et Cap s'en débarrassent facilement. Puis ils gagnent la tour au sommet de laquelle ils grimpent et où Bucky active sa radio. Mais trois blindés les encerclent et le sturmhannführer Ernst Arbin pointent ses canons sur eux.
  

Heureusement, les renforts arrivent et anéantissent les tanks. D'un sous-marin sort "Dum-Dum" Duggan, membre des "Howling Commandos", qui prend en charge Volya, Iskra et Marta. Captain America et Bucky repartent eux en mission.

A la fin de cet épisode plus long qu'un numéro traditionnel (une trentaine de pages), la scénariste Tini Howard remercie Marvel de lui en avoir confié l'écriture (ne la connaissant pas, j'ignore son expérience dans ce domaine) et elle ajoute pourquoi cette histoire lui tenait à coeur.

Petite fille de déportés, elle tenait à rendre hommage à ceux qui périrent dans les camps en exaltant l'héroïsme des persécutés, juifs, homosexuels, etc. Dans ce cadre-là, Captain America était le véhicule idéale pour conjuguer le devoir de mémoire au divertissement.

Il est délicat alors de juger la valeur d'une telle production puisque critiquer la qualité du script pourrait sembler déplacé comparé au sujet. Pourtant, cela reste un travail de fiction, et il faut aller au-delà de ces pudeurs. Dès lors, sans manquer de respect à l'Histoire, on peut parler de l'histoire.

La rédaction d'un Annual autorise à se détacher de ce que la série consacrée au héros raconte au même moment. C'est une sorte d'exercice de style, même si parfois le scénariste peut l'associer à l'intrigue qu'il traite et en faire donc le prolongement exceptionnel. Ici, Howard a cependant choisi de se libérer et même de replonger dans le passé de Captain America, à son origine, avec un chapitre situé en 1944 en Allemagne.

Et il faut bien admettre que le résultat déçoit par son manque d'inventivité et d'émotion. Howard échoue à imaginer une histoire sortant des sentiers battus - Captain America et Bucky à la rescousse de trois échappés des camps de la mort - et suscitant notre empathie - les trois fugitifs sont des archétypes plus que des personnages (un homosexuel, une déportée ayant servi de cobaye). Ce qui suit leur rencontre n'est rien de plus qu'un périple nocturne, très bref, pour rallier une tour d'où ils pourront appeler des renforts, avec en route une brève bagarre contre des soldats et à la fin un sauvetage providentiel contre des tanks.

Tout cela manque de tension pour nous faire vibrer et tout parait trop artificiel pour réellement fonctionner. Il n'y a ni souffle ni personnalité dans ce récit, alors qu'il a quand même été voulu comme un témoignage. Ce n'est pas ennuyeux à lire, mais très quelconque. A vrai dire, les deux héros auraient pu se trouver à exfiltrer n'importe quel quidam dans cette région que ça n'aurait rien enlevé à la portée du message.

Quid du dessin ? Depuis son arrivée chez Marvel, Chris Sprouse a échoué à trouver vraiment sa place (ou l'éditeur à bien l'employer). Il a suppléé Brian Stelfreeze sur Black Panther, collaboré avec Jason Aaron sur une mini Thors durant Secret Wars (en étant à son tour aidé par Goran Sudzuka). Le co-créateur génial de Tom Strong (que DC n'a pas jugé utile de prévenir de son nouvel usage) n'a jamais eu droit à un titre régulier, il est un remplaçant de luxe.

La perspective de le voir dessiner Captain America était séduisante et il produit de belles planches, appuyé par son encreur attitré, Karl Story (et Scott Hanna). Mais Sprouse n'est visiblement pas inspiré par ce qu'on lui donne à illustrer. C'est un travail propre, sans bavures, soigné, mais qui ne lui permet pas de jouer avec le découpage, les enchaînements, les compositions (même s'il utilise les plongées/contre-plongées avec à propos). Dur de se passer d'un compère comme Alan Moore (ou même Peter Hogan) qui savait si bien exploiter les qualités de l'artiste.

Le temps de quelques pages (pour la scène où Cap et Bucky croisent une troupe de soldats dans la forêt en convoyant les trois fugitifs), Sprouse passe même la même à Ron Lim, dessinateur très moyen. Et la couverture, passable, semble témoigner du manque de motivation pour ce projet.

Les bonnes intentions ne suffisent pas à bien écrire, et un piètre script n'inspire jamais, même un excellent dessinateur. Cet Annual est une déception, une occasion manquée. Un gâchis. 

mercredi 26 septembre 2018

SKYWARD #6, de Joe Henderson et Lee Garbett


Avec ce sixième numéro débute le deuxième arc narratif de Skyward. Pour le scénariste Joe Henderson, comme il l'explique dans la postface du fascicule, il s'agit d'un nouveau défi puisque le récit se déplace hors de sa zone de confort et prend une nouvelle ampleur, pose de nouveaux enjeux. Mais pas d'inquiétude, avec toujours Lee Garbett au dessin, l'aventure est sur les bons rails...


Quelques années après le "G-Day", alors qu'elle était encore enfant, Willa Fowler avait pris le train pour la première fois pour rendre visite, avec son père, à sa grand-mère. Aujourd'hui, elle est en cavale et se déplace avec le même moyen de locomotion, cachée dans le wagon de queue des marchandises, pour éviter les contrôles d'identité.


Edison Davies l'accompagne et lui apporte discrètement des provisions. Elle lui explique qu'ils vont à Kansas City, selon les instructions laissées par son père dans son journal. Elle ignore ce qu'elle doit y faire exactement mais une fois là-bas, ils devront être discrets et rapides car Roger Barrow veut les retrouver à tout prix.


Les allées et venues de Edison éveillent la curiosité d'un journaliste assis à côté de lui dans leur compartiment et il surprend le couple dans sa planque. Il reconnaît immédiatement Willa et lui propose un marché pour ne pas la signaler aux contrôleurs : si elle lui accorde une interview, il rédigera un article en sa faveur.


Mais, soudain, le train ralentit et la gravité est annulée dans le wagon. Willa regarde au dehors par une fenêtre et remarque qu'ils sont arrêtés dans une forêt. Elle suggère à Edison d'en profiter pour fuir mais il le lui déconseille. Intrigué, le journaliste ouvre le wagon et se fait capturer par une libellule géante.


Edison referme le wagon et explique à Willa qu'en l'absence de gravité les insectes se sont adaptés, se dévorant entre eux puis s'en prenant aux humains qui ont déserté les campagnes pour les villes. Aujourd'hui, les bestioles ont atteint des tailles effrayantes. Entre elles et Barrow (qui est responsable de l'arrêt du train), pourtant, Willa décide de tenter sa chance dans la forêt...

Ce sixième numéro est augmenté de quelques bonus sympathiques (comme des dessins, une version non colorisée de la couverture, une planche en noir et blanc du #5), parmi lesquels donc une page rédigée par Joe Henderson. Le scénariste y remercie les lecteurs qui soutiennent le titre et revient sur le dénouement du premier arc, avec la mort héroïque de Nathan Fowler. Un rebondissement imprévu mais acté quand Henderson a compris que, pour a suite, il manquait quelque chose pour rendre l'aventure de Willa plus dramatique et personnelle.

En effet, dans le premier acte, le père était un homme effrayé par le monde extérieur depuis la mort de sa femme, mais qui avait consacré ses années, reclus chez lui, à trouver un moyen de restaurer la gravité terrestre. Sa fille, elle, au contraire, ne rêvait que d'ailleurs, insouciante et naïve, au point de précipiter l'issue fatale de Nathan Fowler et la vengeance de Roger Barrow, qui avait bâti sa fortune sur les conséquences du "G-Day".

Désormais seule, livrée à elle-même, désignée comme une terroriste, mais aussi investie d'une mission (en ayant hérité du journal des recherches de son père pour "réparer le monde"), Willa a franchi, brutalement, une étape. Son insouciance a disparu et ses nouvelles responsabilités lui ont donnée une raison de vivre. Mais le périple qui l'attend est dangereux et déjà semé d'embûches.

Comme à son habitude, Henderson exploite formidablement le concept de sa série avec cette situation physique au potentiel très riche. Il y a le train d'abord, dont on découvre l'utilité pour se déplacer dans un monde privé de gravité, avec un système d'attache bien particulier. Puis, il y a l'environnement hors de la ville. Les forêts offrent un décor dépaysant mais vite inquiétant, avec notamment des insectes qui ont muté pour s'adapter, mais de manière effroyable. Derrière ce côté épouvante, il y a un fondement scientifique très bien employé, et qui se conjugue parfaitement à l'aspect divertissement de la BD. La tension générée, la caractérisation efficace (avec le traumatisme psychologique de Willa), les moyens déployés par Barrow, tout cela est vraiment intense.

Lee Garbett s'est multiplié pour boucler cet épisode qu'il a réalisé en parallèle d'un chapitre de la série Immortal Hulk pour Marvel (en remplacement de Joe Bennett). Mais il n'a pas bâclé sa copie (ni d'un côté ni de l'autre) et on ne peut que louer sa ponctualité.

Bien qu'il assume dessin et encrage, Garbett a trouvé, indéniablement, son rythme et un style qui lui permettent donc de réaliser ce genre de prouesse. Il s'investit en tout cas dans Skyward, comme en témoignent les décors intérieurs du train avec le compartiment voyageurs aux sièges inclinés, le wagon de marchandises, la gare, ou la forêt (même si, là, il a clairement eu recours à un fichier numérique ou, du moins, il a laissé à son coloriste Antonio Fabela se charger de remplir la cadre). 

Ce qui reste en tout cas épatant avec Garbett, c'est sa capacité à faire beaucoup avec peu. Les scène se déroulent en intérieur pour cet épisode, et tout est plutôt dépouillé. Pourtant, il tire parti de cette économie et soigne ses compositions, chaque image a une énergie propre sans qu'on ait vraiment à se plaindre du peu d'éléments entourant les personnages.

Tout est en tout cas bien en place pour... Ne pas tenir en place. Dans ce nouvel environnement, aux menaces nombreuses, la suite de Skyward ne risque pas d'ennuyer le lecteur.

mardi 25 septembre 2018

DOCTOR STRANGE #5, de Mark Waid et Jesus Saiz


On me dira ce qu'on veut à propos de Mark Waid - qu'il n'est plus tout jeune, qu'il n'a plus la hype, qu'il n'écrit plus de grandes/grosses séries, etc. - mais c'est quand même un fameux conteur et cet épisode de Doctor Strange vient à point le rappeler avec son extraordinaire coup de théâtre. Donnez-lui un artiste investi comme Jesus Saiz et vous obtenez facilement une des séries les plus solides, à défaut d'être la plus côtée, de Marvel actuellement.


Conduit aux forges de Nivadellir par le nain Eoffren qu'il a tiré des griffes de Roxnor de Majesdane, Stephen Strange y est formé à la fabrication d'armes pour compléter sa science des arts occultes. Sa mission : sauver Kanna, l'arcanalogiste prisonnière de Roxnor. Il conçoit un gant et une épée - ou plutôt, comme il le dit lui-même, un scalpel.


Kanna réussit à entrer en contact avec le sorcier pour le prévenir que Roxnor a mis le cap avec sa flotte sur la Terre pour l'anéantir. Ils sont en train de dépasser le soleil de notre système donc son attaque est imminente. Il est temps pour le docteur d'opérer.


Le voilà donc qui se téléporte à l'intérieur du poste de pilotage du vaisseau-amiral de Roxnor, dans un nouveau costume et avec son arsenal neuf. Il écarte facilement et sans ménagement les soldats puis raisonne le régent de Majesdane.


Mais Roxnor vient de commander le lancement d'un missile d'énergie pure contre la Terre. Kanna et Strange embarquent dans une nef et essuie les tirs des avions de la flotte de Majesdane. Pendant que l'arcanologiste les occupe, Strange prépare une puissant sort pour empêcher la destruction de la Terre.


La manoeuvre réussit in extremis. Sur notre planète, cela n'a pas échappé au mystérieux nouvel hôte du sanctuaire sacré du sorcier suprême conversant avec Bats le chien fantôme : il sort de l'ombre et il s'agit de...

... De qui ? Je n'ai pu me résoudre à vous spoiler car la révélation qu'a mijotée Mark Waid est inattendue qu'elle mérite vraiment d'être protégée. Mais, à elle seule, elle justifie l'achat de ce numéro et légitime d'avoir suivi son run sur la série.

Le scénariste me fait penser au Spielberg de Pentagon Papers dans un monde où le modèle serait celui de Ready Player One. Waid est un classique dans une époque qui ne jure que par le moderne. Le vétéran n'a pas l'attrait des Duggan, Ewing, Aaron et j'en passe, les forums font peu de cas de lui dans les conversations, et son Doctor Strange n'alimente pas les débats après les épisodes de Aaron et Donny Cates récemment.

Mais c'est bien dommage. Car, alors qu'il s'en trouve pour minimiser les mérites de son Daredevil (pourtant le plus tonique depuis des lustres), c'est comme si Waid faisait partie des meubles : il est là depuis si longtemps à présent qu'on le remarque à peine.

Pourtant, depuis qu'il a pris ce titre en main, il a su tout de suite lui donner un ton particulier, avec une voix-off à la troisième personne du singulier, des airs de conte, de récit initiatique, à partir d'une idée éculée (le sorcier suprême perd ses pouvoirs). Il a envoyé son héros dans l'espace, une sorte de direction un peu gadget à première vue, qui laissait penser à une rencontre avec les Gardiens de la galaxie ou d'autres personnages cosmiques. 

En vérité, on l'a vu/lu, Waid a évité ces écueils. A peine un combat contre le Super-Skrull, lui-même inscrit dans la saga Infinity Wars, que le scénariste a expédié pour suivre le parcours qu'il avait établi. On pouvait presque se demander si la série se déroulait bien dans la continuité ou dans une chronologie différée, puisque Strange figurait dans les rangs des Avengers durant leur première aventure.

Et ce mois-ci, on le retrouve avec un nouveau costume, des armes, toujours dans l'espace, mais sur le chemin du retour sur Terre... Jusqu'à donc ce retournement de situation sensationnel de la dernière page du numéro. Personne n'a pu voir venir ce rebondissement, aussi spectaculaire que troublant, et qui promet beaucoup pour la suite. De l'art d'écrire à côté pour mieux tout relier en fin de compte. L'air de rien, ça ressemble à une leçon d'écriture.

Et on devine le plaisir que cela doit être pour Jesus Saiz de se reposer sur un script si bien produit. Car l'artiste a à la fois entre les mains un matériau solide, cadré, et en même temps de l'espace pour s'exprimer. Il donne chair à ce récit avec classe.

La technique employée par Saiz depuis le début a abouti à des planches superbes, capables de dépasser le rendu numérique généré par les outils choisis pour donner une esthétique puissante, superbe et efficace, loin en tout cas de l'illustration. L'investissement du dessinateur, sa régularité (qui n'était pas acquise puisqu'il assume dessin, encrage et colorisation - il n'a abandonné que les couvertures), participent au plaisir de la lecture et assurent de la complicité avec l'auteur.

Contrairement à d'autres comics Marvel qui collent vraiment au "Fresh Start" par un mélange d'aventures et d'humour (comme West Coast Avengers, Tony Stark : Iron Man, Fantastic Four, ou Cosmic Ghost Rider), Doctor Strange est plus sérieux, adulte, mais pas moins captivant et visuellement abouti.  

THE LIFE OF CAPTAIN MARVEL #3, de Margaret Stohl, Carlos Pacheco et Marguerite Sauvage


J'aimerai tant dire du bien de cette mini-série, mais plus j'avance dans cette histoire, plus je suis exaspéré par sa médiocrité. J'irai jusqu'au bout puisqu'il ne reste plus que deux épisodes, mais si la même scénariste, Margaret Stohl, reste aux commandes de la série régulière qui devrait être produite à la suite de The Life of Captain Marvel, c'est la cata. Heureusement, c'est bien dessiné... Mais c'est un maigre lot de consolation.
  

Alors qu'elle a accepté de faire un jogging avec son ami d'enfance, Louis, Carol se remémore une sortie en bateau avec ses parents et lui au cours duquel, prophétiquement, elle avait gagné le surnom de "Captain Shooting Star".


Profitant quelque peu de la confusion de sa partenaire de course, Louis attire Carol à lui pour l'embrasser en lui avouant en avoir toujours amoureux. Mais une sonnerie persistante distrait la jeune femme qui, inquiète, prend congé, tout en promettant à son ami que ce n'est que partie remise.


Dans la grange de leur maison, Carol trouve sa mère manipulant l'appareil qu'elle a trouvé dans les affaires de son père - et qui a attiré sur Terre une guerrière Kree, sans qu'elle le sache encore. Elle s'en débarrasse en le jetant dans la rivière. Puis, seule avec son frère, Carol se rappelle d'un épisode où ils avaient surpris leur père embrassant une autre femme.


En ville, un drone Kree provoque des dégâts et se sépare en plusieurs modules. Carol intervient pour sauver Louis de leurs tirs puis en déduit que sa famille est la prochaine cible. Elle s'envole en direction de sa maison et neutralise les modules.
  

Mais la guerrière Kree sort alors de l'eau et se présente, menaçante, devant chez les Danvers. Carol s'interpose devant sa mère qui, pourtant, assure qu'elle maîtrise la situation. En effet, la voilà revêtue d'une étonnante armure Kree qui déclare que la visiteuse est venue pour elle !

Avant de me fâcher sur le script, défendons ce qui peut l'être dans ce naufrage.

Bien que Marguerite Sauvage signe là ses dernières planches pour la mini-série (elle sera remplacée par Ursula d'Urso, mais Marvel n'a pas expliqué la raison de ce changement), elle se distingue encore par des flash-backs très élégants, qui réussissent à animer le passé de l'héroïne et ses proches dans un style délicat et expressif. J'espère vraiment que cette artiste rebondira sur un projet intéressant avec plus d'espace pour s'exprimer.

Carlos Pacheco continue de produire des pages de très bon niveau. Le dessinateur ibérique a longtemps perdu pied depuis sa rupture avec son encreur Jesus Merino (devenu dessinateur lui aussi, chez DC), et on lui a fourni des partenaires multiples et variés qui jamais ne convenait à son trait souple. C'est désormais réparé avec Rafael Fonteriz dont les finitions n'ont rien d'extraordinaire (au point d'être parfois "grignotées" par la couleur) mais qui respectent Pacheco, le servent avec humilité, l'embellissent, lui rendent sa fluidité.

Grâce à cet apport, Pacheco rend sa meilleure copie depuis des lustres. Et il apporte au récit la bonne distance, le plus souvent intimiste jusqu'à présent, ou avec plus de souffle quand, enfin, l'action devient plus présente. Par ailleurs, sa capacité à représenter une héroïne avec féminité sans l'hyper-sexualiser est très appréciable.

Voilà pour les bons points.

J'entends bien l'intention du projet de The Life of Captain Marvel, qui veut donner à Carol une origin story définitive. Mais le souci, c'est que nous sommes dans une mini-série en cinq épisodes, et qu'au terme de ce troisième, on en a davantage appris sur les parents Danvers que sur leur fille. 

La narration choisie par Margaret Stohl est un autre point délicat. Je serai mal inspiré de dénigrer sa décompression, étant donné que j'apprécie des scénaristes qui la pratiquent volontiers (Bendis, Straczynski...). Mais lorsqu'on sent des longueurs persistantes dans un format de cinq chapitres, c'est quand même embêtant. Une mini-série présente le même défi que la nouvelle littéraire : elle doit être dense et rythmée, apporter un nombre conséquent d'informations et aboutir à des réponses claires et percutantes. En tout cas, à moins de donner dans le contemplatif, pas question de gagner du temps.

Or, c'est justement ce qui m'exaspère chez Stohl, cette impression qu'elle n'a pas assez de matière pour son propos ou qu'elle réserve la meilleure part pour la toute fin. Mais enfin, quel pourrait être ce rebondissement qui rendrait soudain l'affaire palpitante ? Le cliffhanger de cet épisode est certes surprenant, inattendu, mais aussi un peu grotesque (un peu comme si Tante May se présentait à Peter Parker avec un costume d'araignée, révélant ainsi que Spider-Man descend d'une lignée).

Surtout, tout cela intervient au terme d'un épisode encore une fois très insistant sur le psychodrame de Carol. On pouvait reprocher à Bendis de ne pas avoir rendu très sympathique Captain Marvel avec Civil War II en la décrivant comme une héroïne autoritaire (autoritariste même) et entêtée jusqu'au dérapage. Mais Stohl en fait une espèce de bécasse quasi-amnésique (ou en tout cas ayant refoulé beaucoup d'épisodes de son enfance) et qui redécouvre sa vie avec stupéfaction, entre un frère revêche (dont le rétablissement miracle vaut à lui seul son pesant de cacahuètes : le voilà désormais bien conscient, en chaise roulante, un bandeau autour du crâne) et une mère ne cessant d'avouer qu'elle s'est comportée comme ci ou comme ça pour préserver les apparences, garder sa famille unie. Carol gobe tout ça avec une naïveté déconcertante et une indulgence incroyable, ne s'énervant jamais (alors qu'elle a souvent été écrite comme une femme de caractère).

Enfin, The Life of Captain Marvel devait aussi prouver au passage que Carol était bien l'héroïne la plus puissante de la Terre. La première bande-annonce du film Captain Marvel, qui sortira au Printemps 2019, diffusée depuis une semaine, insiste d'ailleurs beaucoup là-dessus (avec aussi en ligne de mire le duel attendu contre Thanos dans Avengers 4). Mais la mini-série n'offre aucune scène d'action - tout juste ce mois-ci quelque drones Kree et l'apparition à Harpswell, Maine, de la guerrière bleue comme avant-goût ! C'est frustrant pour se faire une idée...

Quand on se rappelle les confidences de Kelly Sue DeConnick, auteur du meilleur run de Captain Marvel, ces dernières années, qui avait révélé l'indifférence totale de Marvel pour promouvoir le titre quand elle l'écrivait (l'obligeant à en faire la pub sur les réseaux sociaux par elle-même), ça laisse rêveur. A l'époque, la série bénéficiait d'une scénariste attachée au personnage (et qui avait mis le pied à l'étrier de sa jeune consoeur Kelly Thompson sur la fin) et d'un excellent dessinateur (David Lopez, depuis investi dans un creator-owned en ligne sur PanelSyndicate, le site de Brian K. Vaughan et Marcos Martin), pour des épisodes plein d'humour, d'action... Tout le contraire de cette mini ampoulée, lente, sans queue ni tête.