samedi 1 septembre 2018

JERSEY AFFAIR, de Michael Pearce


Sorti en Avril dernier, le premier film de Michael Pearce a reçu des critiques élogieuses et signé un coup de maître pour son auteur, après avoir été remarqué dans plusieurs festivals (dont celui de Toronto). Jersey Affair (un titre anglais pour remplacer l'original : Beast...) n'est pas une romance simple comme le suggère son affiche. Il faut plutôt en retenir la question qui lui sert d'accroche et qu'on peut interpréter ainsi : aimer un homme considéré comme un monstre fait-il de vous un monstre aussi ?

 Moll et sa mère Hilary (Jessie Buckley et Geraldine James)

Moll est au centre des attentions ce jour-là quand sa famille fête son anniversaire mais sa soeur lui vole la vedette en annonçant qu'elle est enceinte de jumeaux. Après s'être isolée dans la cuisine pour boire un peu d'alcool en cachette, elle se blesse à la main avec les bris du verre qu'elle a échappé. Puis elle quitte la maison et va dans un bar voisin. Elle y est draguée par un jeune homme avec qui elle danse et se soûle jusqu'à la fermeture. Au petit matin, ils vont sur la plage. 

Moll et Pascal (Jessie Buckley et Johnny Flynn)

Là, il cherche à embrasser de force Moll mais elle le repousse. C'est alors que Pascal, un jeune braconnier, intervient en mettant l'importun en joue avec son fusil. Puis il propose à Moll de soigner sa plaie à la main et de la ramener chez elle. Ils sont arrêtés par la police pour un contrôle d'identité mais Moll ment en racontant qu'ils rentrent du bar où ils se sont amusés toute la nuit.

Pascal et Moll

De retour chez ses parents, Moll est grondée par sa mère auprès de qui elle s'excuse. Puis elle va au travail : elle officie comme guide touristique sur l'île de Jersey à bord d'un bus. Sa journée finie, elle va chercher sa nièce à l'école et revient chez elle. Pascal l'attend et lui offre un livre pour son anniversaire. Ils conviennent à demi-mots de se revoir car Hilary vient à la rencontre du jeune homme qu'elle considère avec dédain.

Pascal et Moll

Pascal repasse le lendemain et Moll le suit pour prendre un verre au bar, laissant sa nièce seule à la maison. Ils sympathisent, elle lui plait visiblement et c'est réciproque. Mais quand elle rentre chez ses parents, Moll reçoit les reproches de son beau-frère et de sa mère pour avoir laissé sa nièce seule. Le soir, pendant le dîner, le journal télévisé évoque la mort d'une adolescente et la disparition inquiétante d'une autre. Le lendemain, Clifford, un ami policier secrètement épris de Moll, l'interroge officieusement sur Pascal en lui apprenant qu'il a un casier judiciaire - braconnage, bagarres, et même agression sexuelle sur une mineure - mais elle lui fournit un alibi pour la nuit car, ce matin, l'adolescente disparue a été retrouvée morte, assassinée. 

Moll et Pascal

Moll invite Pascal à un dîner de famille dans un club huppé de la ville. Elle porte un toast provocateur contre ses proches qui désapprouve la présence de son amant à la table et part avec lui. Dans les bois, ils font l'amour. Dès le lendemain, Moll récupère ses affaires chez ses parents et s'installe chez Pascal.

Moll

Mais leur bonheur est de courte durée : en pleine nuit, la police vient les arrêter et les sépare. Moll est interrogé par Clifford et une inspectrice anglaise qui veut confondre Pascal. Elle lui résiste et, n'étant pas inculpé, repart. Elle attend le retour de son amant et rêve qu'elle est agressée à coups de ciseaux - une réminiscence de son enfance quand elle blessa une camarade qui, croyait-elle, la harcelait. Elle se rend à la messe dite pour la dernière victime puis au magasin où travaille celle qu'elle agressa enfant - mais les deux actions provoquent des réactions outrées.

Moll et Pascal

Clifford lui rend visite chez Pascal et lui annonce que le meurtrier, un portugais, a été arrêté, puis lui conseille de se méfier quand même de son amant. Mais Moll préfère savourer ses retrouvailles avec ce dernier et sortir boire un verre au bar. Ivre, elle exprime son désir de quitter l'île mais il s'emporte contre elle en interprétant cela comme une fuite face aux ragots. Moll part frapper à la porte de Clifford à qui elle demande si la police est certain d'avoir appréhendé le vrai assassin, ce qu'il confirme. Elle erre ensuite, dans la nuit, jusqu'à l'endroit où a été découvert la dernière victime et s'endort là.

Moll et Pascal

A l'aube, Moll rentre chez Pascal. Ils s'excusent tous les deux et lui est désormais prêt à partir où elle désirera. Ils vont manger dans un restaurant face à la mer où elle lui demande s'il a tué ces adolescentes. dans un soupir, il avoue. Sur la route, en voiture, Moll provoque un accident. Elle s'en sort miraculeusement mais Pascal est gravement blessé. Elle l'achève en l'étouffant. Puis s'éloigne en titubant.

J'ai d'abord été troublé en découvrant Jersey Affair par les points communs que son histoire partageait avec la série Sharp Objects : des meurtres d'adolescentes, un décor sauvage, hostile, isolé, une communauté oppressante, une héroïne tourmentée, un suspect tout désigné... Mais on ne peut soupçonner Michael Pearce d'avoir copié Gillian Flynn et son roman originel (dont l'intrigue diffère sensiblement dans son adaptation télé). Appelons ça le zeitgeist.

Pour un premier long métrage, c'est surtout un coup de maître. Une oeuvre puissante, qui fait le pari de ne jamais s'inscrire dans un genre précis. C'est à la fois le portrait d'une jeune femme, une romance compliquée, un thriller, la fin tend même vers l'horreur. C'est aussi une réflexion sur le Mal et surtout sur celui qu'on pense en être l'auteur. Avec cette question attachée : aimer un homme que tout désigne comme étant un monstre fait-il de vous sa complice ? Et on peut même ajouter : croire qu'on aime un monstre peut-il vous conduire à en devenir un ?

Michael Pearce, qui a également écrit le scénario, se garde bien de donner des réponses précises, ce qui permet au spectateur d'en déduire ce qu'il veut. Le déjeuner final entre Moll et Pascal, où celui-ci avoue être l'assassin, peut être interprété de bien des manières. Peut-être dit-il cela pour soulager son amante, qui semble souhaiter qu'il soit un tueur ayant échappé à la police. Peut-être est-il effectivement le tueur et l'admet maintenant qu'un autre a été arrêté. Selon ce qu'on préférera, l'accident que provoquera ensuite Moll sera perçu comme sa volonté de punir Pascal, et elle avec. Ou comme un geste délirant, suicidaire.

Tout le récit est ainsi, tel un jeu du chat et de la souris, tendu et menaçant. Qu'il ait pour cadre l'île de Jersey, avec ses paysages bruts, ses vents violents, a une valeur métaphorique, comme en écho aux tourments qui agitent les deux personnages principaux. Elle, fille d'une famille bourgeoise étouffante, sous la coupe d'une mère autoritaire, jamais pardonnée d'une agression commise quand elle était une enfant harcelée à l'école (et qui augurait de ses pulsions actuelles). Lui, natif de ce coin de terre, farouche et séduisant, dont les erreurs de jeunesse le vouent à être le coupable idéal, même s'il manifeste des regrets sincères, un écorché vif plus attachant et impulsif que vraiment dangereux.

Sur le fil, entre mélodrame et angoisse, passion et incertitude, presque impressionniste, Michael Pearce peut compter sur deux jeunes acteurs formidables pour incarner ses créatures : d'un côté, Jessie Buckley prête son air à la fois sensible et revêche à Moll, toujours au bord de l'implosion ; de l'autre, Johnny Flynn, comme sa partenaire révélé à la télé, incarne Pascal avec une sensualité fébrile et une déroutante douceur, ange blond au visage mystérieusement griffé. Leur charisme est étonnant et emporte le film vers les sommets.

En cent-cinq minutes, vous éprouverez votre lot de sensations fortes avec cette Jersey Affair vraiment romantique et mémorable. 

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