Trente-cinq après la sortie du film de Ridley Scott, Blade Runner 2049 a été l'événement de l'Automne 2017. Mais pourquoi donc donner une suite à ce qui était certes un chef d'oeuvre culte mais aussi un bide commercial retentissant ? Sans doute parce que, dans ce laps de temps, le long métrage original a été réhabilité, grâce à des remontages fidèles à la version de Scott. Et parce que Denis Villeneuve, en acceptant de relever ce défi insensé, a su faire sien ce projet... Même s'il n'a pas davantage rencontré le public !
L'agent K (Ryan Gosling)
2049. Los Angeles. L'agent K du L.A.P.D. traque des anciens modèles de "réplicants", des androïdes conçus à l'origine pour travailler sur des planètes colonisées par la Terre. Ce blade runner, lui-même un androïde de dernière génération, docile, consciencieux et efficace, se rend dans une ferme pour éliminer un de ces prédécesseurs. Il trouve en scannant le terrain une boîte enterrée près d'un arbre et la ramène avec lui. L'analyse médico-légale révèle qu'elle contenait des restes osseux d'une "réplicante" ayant subi une césarienne.
Le lieutenant Joshi et l'agent K (Robin Wright et Ryan Gosling)
La supérieure de K, le lieutenant Joshi, lui commande alors de détruire toutes les traces liées à cette découverte, y compris l'enfant né à la suite de cette procédure. Elle pense que si cette information fuitait, cela déclencherait une guerre entre humains et "réplicants". Il faut agir vite mais discrètement.
L'agent K et Luv (Ryan Gosling et Sylvia Hoeks)
K se rend au siège de la compagnie Tyrell qui conçoit les "réplicants" et il est reçu par Niander Wallace, le patron, et son assistante, Luv. Il identifie la morte comme étant Rachel, un prototype datant d'une trentaine d'années, qui a eu une liaison avec le blade runner Rick Deckard avant de fuir avec lui. K devine que Wallace veut aussi retrouver l'enfant car si les "réplicants" peuvent se reproduire, ils fourniraient une main d'oeuvre plus grande et moins chère à fabriquer. Une fois l'agent parti, il missionne Luv pour aller récupérer les restes de Rachel à la morgue du LAPD puis de suivre K.
Joi et K (Ana de Armas et Ryan Gosling)
Troublé par son enquête et ses ramifications, K se confie à Joi, un hologramme sophistiqué qui représente la compagne idéale et qu'il peut désormais transporter partout grâce à un générateur miniature. Ensemble, ils retournent à la ferme où K, en fouillant, trouve une figure d'un cheval en bois sur laquelle est gravée une date. Celle-ci lui rappelle une scène de son enfance bien qu'il sache que ses souvenirs sont faux puisqu'il s'agit d'implants. K pousse son investigation jusqu'à un dépotoir où on exploite des orphelins dans le recyclage, un lieu où il est persuadé avoir grandi. Le responsable de l'endroit lui donne accès à un registre et l'agent y découvre la naissance de jumeaux hétérozygotes en 2019 - mais seul le garçon a survécu.
Le Dr. Ana Stelline (Carla Juvi)/L'agent K (Ryan Gosling)
K a besoin de savoir si tout cela - les souvenirs, le garçon survivant - n'est qu'une coïncidence ou si cela le concerne vraiment. Il visite le Dr. Ana Stelline, spécialisée dans les implants mémoriels, qui examine la figurine et lui confirme que cela correspond à une mémoire réelle. Le lieutenant Joshi a deviné que K pense être le fils de Deckard et Rachel et le suspend : elle lui donne quarante-huit heures pour disparaître avant qu'il soit signalé comme "déviant" (et donc traqué par un blade runner pour être exécuté). K fait analyser par un technicien clandestin dans la rue le cheval de bois qui présente un fort taux de radiations, comme on en trouve à Las Vegas.
Rick Deckard et l'agent K (Harrison Ford et Ryan Gosling)
Luv s'adresse au lieutenant Joshi pour savoir où se trouve K mais elle refuse de lui répondre et se fait tuer par la "réplicante" qui, ensuite, consulte son ordinateur et a accès à la balise de la voiture de l'agent. Ce dernier atteint Las Vegas, devenue une ville fantôme. Dans un casino abandonné, il rencontre enfin Rick Deckard qui finit par lui révéler n'avoir pas assisté à la naissance de ses jumeaux car il avait confié Rachel à des "réplicants" bien cachés pour la protéger des blade runners. Luv et les sbires de Wallace surgissent alors et capturent Deckard. K est récupéré par les "réplicants" autrefois protecteurs de Rachel et qui lui avoue l'identité de sa fille - le garçon est mort mais le contraire a été enregistré pour tromper les autorités.
Un linceul de neige pour l'agent K
K part sauver Deckard des griffes de Wallace. Celui-ci tente de lui arracher des aveux sur son enfant, en vain, avant de le confier à Luv. En route pour une station spatiale où elle le torturera, la "réplicante" voit son véhicule abattu par celui de K. L'agent l'affronte dans un combat à mort au pied d'un barrage hydraulique. Puis il conduit Deckard jusqu'au laboratoire d'Ana Stelline, sa fille. Tandis qu'ils se retrouvent, K agonise dehors, en regardant tomber la neige.
Blade Runner a marqué toute une génération de cinéphiles et de cinéastes - quand bien même il ne faut pas oublier de rendre à César ce qui appartient car on a souvent oublié que le film de Ridley Scott était une adaptation d'un roman de Philip K. Dick et que le réalisateur britannique s'était beaucoup inspiré visuellement de la bande dessinée The Long Tomorrow de Dan O'Bannon et Moebius (1976) et de la série Valérian de Pierre Christin et Jean-Claude Mézières. (Rappel utile car Scott se plaint souvent d'avoir été plagié par ses confrères mais il a lui-même allègrement puisé chez les autres...)
Esthétiquement, grâce à la photo de Jordan Cronenweth, et narrativement, avec son mélange de polar et de romance sur fond de SF, le film a imposé de nouveaux standards sans pour autant être un succès commercial. Les producteurs remontèrent tout, ajoutèrent une voix-off et une happy-end : rien n'y fit. Mais le phénomène était en route et, progressivement, des versions remontées, plus fidèles à la vision de Scott, s'imposèrent et réhabilitèrent l'oeuvre.
Ce n'était plus qu'une question de temps avant que ne soit mise en chantier une suite. Mais peu de metteurs en scène avaient le courage de se frotter à pareil mythe, Ridley Scott lui-même se consacrant à d'autres projets n'avait pas le temps pour ça même s'il veillait au développement de l'affaire. C'est le scénariste du premier opus, Hampton Fancher, qui allait précipiter les événements en parlant à Scott d'une nouvelle qu'il avait écrite, à partir de laquelle on lui commanda un premier traitement puis un script. Le studio, séduit, en voulut plus et confia à Michael Green le soin de terminer le scénario (Fancher étant alors, ironiquement, de facto, écarté de sa propre idée !).
Cela ne réglait pas la question du réalisateur qui devrait filmer le résultat de ces efforts. Jusqu'à ce Scott contacte Denis Villeneuve alors en pleine pré-production de son superbe Arrival : le canadien accepta le challenge à condition de tourner son projet avant et d'avoir les mains libres (donc le director's cut) pour ce Blade Runner 2049.
"Pour le meilleur et le pire", comme il le présenta ensuite, c'est bien un film de Denis Villeneuve qui en est sorti. Surtout pour le meilleur quand même, même si ce fut un échec commercial - et que Ridley Scott, toujours aussi aimable, ne put s'empêcher d'en déduire que c'était la faute à sa durée "excessive" (deux heures quarante).
L'histoire est étonnamment abordable même pour qui n'aurait pas vu le premier long métrage ou n'en aurait conservé qu'un vague souvenir. Le scénario tire admirablement parti de la mythologie de l'original et le cinéaste a raison en expliquant qu'il l'a abordé comme s'il racontait cela à la manière d'un explorateur ayant découvert une relique oubliée dont la première partie aurait été perdue mais qui possède son propre intérêt.
Dans Blade Runner, Rick Deckard était un flic chargé de traquer et éliminer des "réplicants" rebelles, ayant développé des capacités cognitives et émotionnelles, mais sa mission était contrariée par l'attirance qu'il éprouvait pour Rachel, une androïde séduisante travaillant pour le concepteur de ces créatures, et par la résistance farouche que lui opposaient ses cibles. A la fin, dépassé, on se demandait si Deckard n'était pas lui-même un "réplicant" qui s'ignorait - ou le découvrait sans se l'avouer.
Cette fois, la problématique est différente puisque le thème central est la filiation : l'agent K sait qu'il est un androïde mais une mission a priori banale va le conduire à penser qu'il est le fruit de l'union entre un humain et une "réplicante". Cette découverte le dérange autant qu'elle suscite la convoitise d'un riche concepteur de "réplicants" qui voit dans la possibilité que ces créatures se reproduisent une manne considérable. L'intrigue achève de prendre de l'ampleur quand K apprend que ses possibles parents seraient l'agent Rick Deckard et Rachel.
Le film est effectivement long mais il n'est jamais ennuyeux. Il avance à la manière d'une rêverie sombre et violente, à la mélancolie poignante. K progresse dans des méandres mais son investigation aboutit à des résultats visibles pour lui comme le spectateur. Le trouble nous gagne comme lui mais, évidemment, le script ménage des surprises, rien n'est aussi simple, évident, que ça en a l'air. Quoi de plus normal quand l'action a pour cadre une Los Angeles encore plus labyrinthique que dans le film de 1982 et s'aventure dans un Las Vegas fantôme - paysage saisissant capturé splendidement par la photo sans trucage de Roger Deakins (un Oscar mérité à la clé pour le chef op' des frères Coen) comme si l'endroit était pris dans une tempête de sable orange (l'inspiration du technicien, puisée dans un souvenir personnel) - jusqu'au duel final dans un déluge titanesque et l'épilogue neigeux (merveilleusement triste).
Ryan Gosling était déjà impliqué dans le projet avant le recrutement de Villeneuve et partageait avec ce dernier la volonté de se confronter au monument même si c'était perdu d'avance, mais aussi, surtout, parce que le film de 1982 avait formé sa vision du cinéma de SF. Le jeu impassible et intense du comédien en fait un guide parfait dans cette enquête identitaire envoûtante. Il est la plupart du temps seul, ou presque : la sublime Ana de Armas joue un hologramme désirable mais par définition irréel. Robin Wright n'a que quelques scènes, brèves, où elle lui donne sèchement la réplique. Jared Leto ne fait que passer et Sylvia Hoeks est terrifiante en assistante prête à tout.
Puis le mythe rattrape la fiction quand, après plus d'une heure de film, Harrison Ford apparaît. On constate alors avec quelle intelligence Villeneuve a su préparer son entrée en scène (bien plus mémorable que dans Star Wars VI : Le réveil de la force). Désormais septuagénaire, l'acteur par sa seule présence inscrit Blade Runner 2049 dans une perspective vertigineuse qui permet au spectateur d'apprécier le temps passé effectivement entre les deux histoires.
Comme dans tous ses films, la figure du tunnel hante le Blade Runner de Villeneuve, à ceci près qu'il n'est plus simplement géographique (de Los Angeles sous la pluie et dans la nuit à Las Vegas dans un brouillard orange) mais temporel. La ballade est fascinante mais terrible et quand l'agent K rencontre son destin (qui est aussi son heure), sous la neige, ce voyage s'achève comme un songe, avec une infinie douceur et une déchirante émotion.
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