vendredi 30 avril 2021

NEW MUTANTS #17, de Vita Ayala et Rod Reis

 

New Mutants va bientôt perdre (provisoirement ?) son dessinateur, il faut donc savourer ces épisodes. D'autant que Rod Reis nous régale comme toujours en servant un script assez bluffant de maîtrise de Vita Ayala. Où il est beaucoup question de manipulateurs, de faveurs accordés et à payer dans le futur, dans l'Outremonde comme sur Krakoa.


Krakoa. Le Roi d'Ombre rend visite à Felina, esseulée dans la maison de Mirage. Il lui raconte comprendre sa douleur mais lui explique qu'il y a un moyen de la convertir utilement. Jeune et mère, elle comprend les élèves et elle pourrait être son intermédiaire auprès d'eux.


Outremonde. Pour échapper à la mort promise par Merlin, Mirage et Karma acceptent de dérober chez sa fille, Roma, une relique. Mais l'opération dégénère et la magicienne les surprend. Elle leur remet cette relique, sans importance, en échange de quoi les deux jeunes femmes lui rendront un futur service.


La relique livrée à Merlin, Mirage et Karma peuvent repartir à la recherche de Joshua. Elle le trouve dans un autre royaume de l'Outremonde où il leur explique avoir trouvé sa place. Il va cartographier tout l'Outremonde et promet de les tenir régulièrement au courant de sa situation.


De retour à Krakoa, flanqué d'un lapin par Roma, Karma explique qu'elle a la conviction que l'animal pourrait contenir l'esprit de son frère décédé, Tran. Pour le ramener, Karma a besoin de l'aide de Mirage pour participer à l'Epreuve...

Je vais sans doute me répéter mais ce qui m'épate chez Vita Ayala dans ses épisodes de New Mutants, c'est l'intelligence de ses scripts, superbement construits. Une fois lu, chaque chapitre fait sens, on en comprend l'objectif et on voit avec quelle fluidité elle parvient à ses fins, sans lourdeur.

Ce qu'elle a développé depuis sa reprise de la série devient de plus en plus évident à travers une narration parallèle particulièrement maline. Tout tend à décrire des relations de maîtres et d'élèves, ou plus exactement de manipulateurs et de débiteurs. Les rapports qui sont établis entre les héros et les adultes auxquels ils ont affaire sont viciés, pleines de sous-entendus, de chausse-trappes.

Dans cet épisode, encore une fois, l'action se divise en deux parties simultanées : l'une se déroule dans l'Outremonde, l'autre sur Krakoa. Dans l'Outremonde, on suit Mirage et Karma parties à la recherche d'un jeune mutant, Joshua, qui a croisé Monarch (Jamie Braddock, le frère de Betsy et Brian Braddock, devenu roi d'Avalon) et l'a laissé explorer les autres royaumes de cette dimension. En s'aventurant dans ces contrées inhospitalières, elles sont capturés par Merlin qui les condamnent à mort. Mais elles passent un marché avec lui contre la vie sauve et le pardon.

Sur Krakoa, le Roi d'Ombre (encore un roi, et cela n'est pas innocent) embobine Felina en la convaincant qu'à toute chose malheur est bon. Elle est en effet désespérée car les Cinq refusent de ressuciter son fils (qui n'est pas un pur mutant) et parce que Mirage a préféré partir en mission que de rester veiller sur elle. Il lui explique que son double statut de mère et de jeune mutante en fait l'interlocutrice idéale de ses élèves (sur lesquelles il pratique des expériences, mais dont il ne dit rien évidemment).

Pour que Merlin les laisse poursuivre leurs investigations, Karma et Mirage se sont engagées à récupérer une relique en possession de sa fille, Roma. La mission ne se fait pa sans heurts mais Roma consent à leur livrer l'objet, qu'elle juge sans aucune valeur, contre une faveur que lui rendront les deux jeunes femmes dans l'avenir.

Vous le voyez donc, Mirage, Karma et Felina sont toutes trois sous la coupe d'hommes (et d'une femme) puissantes dont elles sont redevables. Dans le cas de Felina, le Roi d'Ombre prend l'apparence d'un homme bon, désireux de la réconforter en même temps que de lui confier une tâche à même de la soulager de ses tourments. Mais nous savons qu'il la manipule à son insu puisqu'il pratique des expériences sur de jeunes mutants et que Felina remplira, sans le savoir, un rôle de relais. Dans le cas de Mirage et Karma, elles négocient le pardon de Merlin mais pour tomber aussitôt après sous la coupe de Roma (même si elle ne révèle pas ce qu'elle exigera d'elle plus tard).

Vita Ayala fait preuve d'une ironie cruelle car elle a montré précédemment que les Nouveaux Mutants (comme équipe, même s'ils n'agissent pas de manière très groupée, ou alors trop sporadiquement) avaient obtenu du conseil de Krakoa plus responsabilités et d'égards. Une façon de ne plus être considérés comme des "juniors", mais bien des adultes, dans un rôle de professeurs, de tuteurs, de formateurs. Pourtant, leurs aventures ont pris un tour tel qu'ils sont à nouveau dépendants d'adultes manipulateurs, sans pouvoir échapper à leur emprise. Cela suggère bien qu'ils ne sont pas prêts pour ce qu'ils ont requis ou alors que la résolution de leurs intrigues va déterminer s'ils le sont. En tout cas, cet arc met en scène un test.

Et le plus fort, peut-être, c'est que justement l'épisode se conclut sur le recours au test, à l'Epreuve (le "Crucible") quand Karma sollicite l'aide de Mirage pour faire revenir son frère, Tran. La boucle est (presque) bouclée. D'un autre côté, on observe, lors d'une scène tendue entre Gabby Kinney et Anole  que le refus de la première à aider le second engendre au contraire un différend sérieux (en relation avec les expériences du Roi d'Ombre), et là, la scénariste établit un malaise croissant entre une partie des jeunes mutants qui reprochent aux autres de ne pas comprendre à quel point vivre avec une apparence étrange rend difficile voire impossible) une parfaite intégration sociale.

Les previews de Marvel pour Juillet indiquent que Rod Reis va quitter (provisoirement ?) la série au n°19. Peut-être va-t-il être l'artiste de la nouvelle série secrète de Jonathan Hickman ? Ou alors (ce que j'espère) fait-il une pause ? En tout cas, cela invite à savourer ses prestations car s'il ne devait plus dessiner New Mutants, ce serait une grosse perte (même si Alex Lins sera peut-être très bon, mais je ne connais pas son travail).

Le fait est que Reis complète idéalement Ayala. Son style graphique très marqué donne une identité forte à la série, mais surtout traduit visuellement à la perfection le propos de l'histoire. Il n'a pas son pareil pour d'une part représenter les menaces que rencontrent les héros (en particulier celle du Roi d'Ombre, à qui il confère une aura maléfique vraiment intense), et d'autre part pour mettre en scène les différents protagonistes du titre.

Comme tout grand artiste, Reis sait, en un détail frappant, rendre indentifiable un personnage, sans pour autant avoir à détailler son physique, comme quand il illustre le périple de Karma et Mirage. La plume sur la tête de cette dernière permet de la reconnaître facilement car ce simple élément suffit à la distinguer, dans un plan d'ensemble, de Karma. C'est tout bête, mais très habile. De la même manière, il oppose la gaucherie farouche des deux jeunes mutantes à l'assurance de Roma, qui apparaît à elles dans toute sa majesté. C'est, elle, une femme, pas une adolescente, et sa tenue, aux étoffes larges et légères, dit tout de sa féminité exubérante, de sa séduction envoûtante.

Reis est aussi un maître de la composition. Pas forcément dans le sens où on l'entend d'habitude : il ne place pas impeccablement ses personnages dans l'espace, mais toute ses pages sont construites autour d'un élément central, comme un objet au coeur d'un dialogue ou d'une couleur (ou absence de couleur) pour traduire une émotion. Ainsi en va-t-il dans les scènes où Karma et Mirage trouvent le pot dans la salle des trésors de Roma puis dans le dialogue qu'elles ont avec Joshua où il leur explique la raison pour laquelle, malgré les risques, il se sent vraiment chez lui dans l'Outremonde (ici, Joshua, au moment de se justifier, est dessiné en noir et blanc, ce qui l'isole car les autres plans sont colorisés. De plus il est cadré en plan américain, alors que Mirage est cadré en gros plan, ce qui induit un rapport dominant-dominé).

Le densité de chaque page, de chaque scène, leur enchaînement fluide, le parallélisme malicieux, tout cela concourt à la réussite de l'épisode et de la série. 

mardi 27 avril 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #2, de Laura Samnee et Chris Samnee


C'est une bien étonnante série que Jonna and the Unpossible Monsters. A l'évidence, Laura et Chris Samnee l'ont conçue pour les enfants, mais sa narration (écrite et graphique) surprend par sa radicalité. Il est certain que les lecteurs seront divisés. Mais il faut reconnaître l'audace de l'entreprise, qui ne manque pas de charme.


Rainbow a quitté le village où elle s'était arrêtée pour reprendre ses recherches. Elle s'arrête devant un cour d'eau pour se désaltérer et remplir sa gourde car il fait chaud. Elle sort de sa poche une portrait dessiné de sa jeune soeur, Jonna, et les souvenirs remontent à la surface.


Jonna est en vérité sa demi-soeur. Le père de Rainbow l'avait recueillie et élevée. C'était une fillette déjà très alerte, au caractère bien trempé, contrastant avec celui plus calme de Rainbow. Celle-ci sort de sa rêverie quand deux monstres se battent tout près de là où elle se trouve.


Les deux créatures de disputent une même proie mais leur bagarre est interrompue. Rainbow se cache et entend des bruits de lutte. Quand elle rouvre les yeux, elle aperçoit une forme dans les arbres, tandis que les deux monstres gisent au sol.


Surprise : c'est Jonna qui a assommé les deux monstres. Mais elle ne reconnaît pas Rainbow. Celle-ci tente de l'amadouer mais ne réussit qu'à la faire fuir. Elle lui court après jusqu'à la rejoindre à l'entrée d'une plaine aride...

En lisant ça et là des réactions suite à la sortie du précédent numéro de Jonna and the Unpossible Monsters, j'ai pu constater que le projet de Laura et Chris Samnee avait profondément divisé. Certains leur reprochaient une histoire vide, sans rythme, au dessin simpliste. D'autres, au contraire, étaient positivement étonnés par la sobriété de la série et intrigués par ce qu'elle pouvait encore proposer.

Il esst acquis que ce nouvel épisode achèvera de trancher les opinions de chaque camp. En effet, on a là un numéro quasiment muet et dont le propos laissera soit sur sa faim, soit convaincra de poursuivre l'aventure. Pour ma part, j'ai été séduit, même si j'admets que c'est, disons, spécial.

Je crois, en fait, qu'il faut accepter Jonna and the Unpossible Monsters sans se poser trop de questions, lire la série avec un esprit très ouvert. Si on attend un récit dense, riche en informations, en péripéties, avec une caractérisation forte, alors, effectivement, c'est très frustrant et même décourageant. En revanche, si on consent à laisser sa chance au produit, à accepter sa singularité, alors l'ensemble possède une identité réelle.

Ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que les Samnee ont vraiment construit cette histoire pour qu'elle soit lue par des enfants, donc tout ce qui est trop complexe et choquant pour de très jeunes lecteurs en est bannie. La violence reste hors champ (comme lors de la scène de combat entre les deux monstres que surprend Rainbow), et d'ailleurs les monstres ont des aspects grotesques faits exprès pour ne pas effrayer outre mesure.

Le rythme est posé, pour ne pas dire contemplatif, lent. Rainbow est montrée à travers des actions élémentaires : elle s'arrête devant un cour d'eau, boit, remplit sa gourde, regarde un portrait de sa soeur, se rappelle leur enfance, etc. Tout est très fluide, de telle manière qu'un enfant, justement, ne soit jamais perdu. Le flashback sur la jeunesse des deux soeurs (demi-soeurs en fait, comme on le découvre alors) est compréhensible sans souci et découpé en saynètes aux couleurs douces, rassurantes, montrant des moments heureux, cocasses, mais suscitant une mélancolie touchante.

Effrayée par le combat des monstres, Rainbow réagit de manière très expressive et comique, on partage sans effort sa peur tout en pouvant en sourire, grâce à l'usage d'onomatopées et de motifs très cartoon. Lorsqu'elle rouvre les yeux, les deux monstres ont été neutralisés et Rainbow découvre qui les a assommés. Surprise : il s'agit de Jonna.

La bonne idée, accrocheuse même pour un lecteur plus adulte, c'est que Jonna est devenue une enfant sauvage, farouche. Son abondante tignasse cache son visage mais on peut lire dans son regard qu'elle ne reconnaît pas Rainbow et même qu'elle s'en méfie. Rainbow, elle, est trop heureuse de retrouver Jonna pour ne pas tenter de l'amadouer. La narration se fait très subtile et en peu de mots, en peu de gestes, les Samnee suggèrent habilement le lien entre les deux soeurs, quand Rainbow évoque leur père - une évocation qui résonne chez Jonna.

S'ensuit une course-poursuite entre les deux soeurs car Jonna s'enfuit avant de s'arrêter à l'orée d'une plaine aride. L'épisode se termine sur une pleine page qui ne résout rien mais invite à revenir le mois prochain. Toute la proposition de la série est contenue dans cet instant : honnêtement, on ne nous a pas racontés grand-chose, mais les auteurs parient quand même, audacieusement, sur le fait que cela nous donne envie de les suivre comme Rainbow suit Jonna.

Il y a une forme de radicalité inattendue dans cette façon de faire, de dire, de montrer car alors que la majorité des séries accrochent leurs lecteurs sur une abondance d'informations narratives et gtraphiques, Jonna and the Umpossible Monsters mise sur l'inverse : moins on en a, et plus on doit avoir envie de continuer. C'est très culotté.

Le dessin est au diapason car Chris Samnee a vraiment beaucoup simplifié son trait. Là encore, il est évident que cette stylisation très poussée est pensée pour capter l'attention de jeunes lecteurs, qui n'ont pas envie de déchiffrer des images trop détaillées, préférant se concentrer sur des enchaînements de plans et une efficacité immédiate. Tout est là pour faire tourner les pages.

Même les contours de vignettes sont tracès à la main, un peu tremblants. Les décors sont précis mais pas foisonnants, on évolue dans un cadre naturel mais aussi fantaisiste avec la présence des monstres, une forêt à la fois colorée et une plaine asséchée ensuite. Les vêtements sont aussi chamarrés, la couleur des cheveux étrange (Rainbow et son père ont une chevelure mauve-violette, Jonna orange). Matt Wilson fait encore une fois des merveilles, prouvant la diversité de sa palette (il suffit de comparer ce qu'il produit là avec ce qu'il créé sur Eternals).

Samnee épate toujours par la manière dont il croque les personnages, sans cacher la tendresse évidente qu'il leur porte. Rainbow est jolie, Jonna hirsute, et cette opposition entre douceur et sauvagerie est admirablement traduite avec une économie de traits bluffante. Le découpage, lui, rend fabuleusement compte du mouvement, avec des scènes rapides, soulignant la réactivité des personnages dans leur environnement.

Par rapport à Fire Power, Jonna and the Unpossible Monsters a l'avantage d'avoir des héroïnes attachantes et une intrigue vraiment imprévisible, auxquels on ne trouve pas d'équivalent. J'ai aimé, mais il est indéniable que c'est un projet qui n'est pas voué à faire l'unanimité.

lundi 26 avril 2021

FALCON ET LE SOLDAT DE L'HIVER (Disney +)


La diffusion de Falcon et le Soldat de l'Hiver (déjà, ce titre est invraisemblablement mauvais) après l'épatant WandaVision incitait à la prudence, sinon à la méfiance, car ce nouveau show produit par Marvel Studios pour la plateforme Disney + risquait d'être plus convenu dans la forme comme dans le fond. C'est le cas. Mais c'est surtout un échec, un ratage spectaculaire, une vraie sortie de route. Avant de revenir sur ce qui n'a pas marché, un résumé de l'histoire...


Cinq ans après le claquement de doigts de Thanos, Sam Wilson (le Faucon) et Bucky Barnes (le Soldat de l'Hiver) reprennent leur vie chacun de leur côté. Wilson, qui a hérité du bouclier de Captain America, ne peut l'assumer et préfère le confier à un musée pour qu'il soit exposé. Barnes, lui, tente de réparer les terribles erreurs qu'il a commises quand il était un tueur programmé par l'Union soviétique. Mais une nouvelle menace surgit avec les Flag Smashers qui s'opposent au retour forcé des réfugiés dans leur pays d'origine. Et la situation s'envenime quand les autorités présentent leur nouveau Captain America...
 

Les retrouvailles entre Wilson et Barnes sont glaciales quand ils partent en mission pour pister les Flag Smasher car Bucky reproche à Sam d'avoir abandonné le bouclier à Jack Walker, le militaire choisi pour incarner Captain America. Ce dernier et son partenaire, Battlestar, les rejoignent et affrontent les Flag Smashers mais se rendent compte qu'ils disposent des facultés de Steve Rogers, donc qu'on leur a fourni le sérum du super-soldat. Humiliés, Barnes et Wilson préfèrent pourtant mener leur enquête séparèment de Walker. Pour cela, Bucky compte sur Helmut Zemo...


Barnes aide Zemo à s'évader de la prison où il est détenu, à Munich. Le malfrat entraîne Bucky et Sam sur l'île de Madripoor, en Indonésie, où se trouve le mystérieux Power Broker, le seul trafiquant en mesure d'avoir pu reproduire et vendre le sérum du super-soldat aux Flag Smashers. Mais Wilson est identifié et le trio est obligé de fuir. Ils sont aidés par Sharon Carter, qui a refait sa vie sur place après avoir la chute du S.H.I.E.L.D.. Elle trouve pour ses amis le Pr. Nagel, qui a réussi à reproduire le sérum et qui leur livre le nom du leader des Flag Smashers, Karli Morgenthau. Ils remontent sa piste jusqu'en Lettonie grâce aux infos de Sharon...
 

Zemo loge Sam et Bucky dans un hôtel particulier qu'il possède en Lettonie et active ses contacts pour localiser les Flag Smashers. Barnes est retrouvé par Ayo, une Dora Milaje du Wakanda qui exige qu'on lui remette Zemo, responsable de l'assassinat du roi T'Chaka. Karli Morgenthau repérée, Sam tente de négocier avec elle, mais l'arrivée de Walker et son partenaire ruinent ses efforts. Une bagarre éclate entre les Flag Smashers et les héros au cours de laquelle Battlestar est tué. Karli prend la fuite, Zemo la blesse et brise les fioles de sérum qu'elle transporte avant que Walker ne l'assomme et en vole la dernière. Puis il venge brutalement son partenaire en tuant un Flag Smashers. la scène est filmée par les passants horrifiés...


Bucky et Sam retrouvent Walker et lui arrachent, au prix d'un affrontement disputé, le bouclier. De retour aux Etats-Unis, Walker est privé de son titre et renvoyé à la vie civile, n'échappant à la cour martiale et à la prison que grâce à ses états de service militaires. Mais il est ensuite abordé par la Comtesse Valentina Allegra de Fontaine qui veut le recruter. Cependant, Bucky emmène Sam rencontrer Isaiah Bradley : cet afro-américain a remplacé Steve Rogers dans les années 50 avant d'être incarcéré pour désobéissance car il a voulu sauver des soldats en Corée contre l'avis de sa hiérarchie. C'est en prélevant des échantillons de son sang que Nagel a récupérés qu'un nouveau sérum a été produit. Sam est écoeuré par le traitement infligé à cet homme qui lui certifie que jamais les Etats-Unis ne laisseront un noir être Captain America. Bucky livre, comme convenu, Zemo à Ayo ensuite. Mais les Flag Smashers refont parler d'eux en prenant en otage les membres du GRC à New York...
 

Le GRC est l'organisme international qui se charge deu rapatriement des réfugiés dans leur pays d'origine. Sam, équipé d'un nouveau costume par les wakandais, intervient en qualité de Captain America, soutenu par Bucky et Sharon. Les Flag Smashers déplacent les membres du GRC à bord de fourgonnnettes et se voyant menacés, piègent les véhicules. Bucky sauvent les otages tout en affrotnant les Flag Smashers, aidés par Walker, tandis que Sam poursuit Karli. Celle-ci trouve sur sa route Sharon Carter qu'elle désigne comme le Power Broker. Sam les rejoint mais refuse de se battre et essuie la colère de Karli, que finit par abattre Sharon. Portant le corps de Karli à des ambulanciers, Sam interpèle devant les caméras les responsables du GRC pour qu'ils renoncent à rapatrier de force les réfugiés, au risque de créer de nouveaux Flag Smashers. La Comtesse récupère Walker et en fait son U.S.Agent tandis que Sharon Carter est réhabilitée, sans que les autorités ne se doutent qu'elle n'a pas renoncé à son activité de trafiquante.

Lorsque Disney + a commencé à diffuser Falcon et le Soldat de l'Hiver, Ed Brubaker, le créateur du Winter Soldier et auteur d'un run mémorable sur la série Captain America, a été interrogé sur ce qu'il pensait de la série. Il a répondu avoir une "impression mitigée" sur sa qualité, sans développer sa critique. Mais cela aurait dû mettre la puce à l'oreille des fans....

Car Brubaker n'est pas du genre à s'exprimer à la légère (ni à s'exprimer beaucoup), et comme il ne travaille plus pour Marvel depuis 2012, il le fait sans avoir besoin de ménager les susceptibilités (mais sans acrimonie non plus). C'est un auteur qui connait bien ces personnages et a profondément marqué de son empreinte leurs destinées, à tel point que, pour ma part, je n'ai jamais lu un meilleur run depuis le sien.

En vérité, rien ne va dans ces six épisodes. Déjà, c'est un format court : six épisodes, c'est peu pour raconter une histoire, mais bon, entre de bonnes mains, ça pouvait aussi donner un récit ramassé, intense. Ce n'est pas le cas : Malcolm Spellman, le principal scénariste de la série, a multiplié les intrigues, les protagonistes, et s'est complètement planté. C'est à la fois trop et pas assez : l'histoire est trop touffue, la caractérisation pas assez fouillée, jamais la sauce ne prend. Le rythme est défaillant, l'interprétation est inégale, les enjeux sont confus.

Pourtant le postulat était prometteur : il s'agissait d'analyser le retour à la vie de deux héros secondaires après les batailles livrées contre Thanos, qui avait effacé la moitié de la population de la Terre (et de l'Univers) grâce au Gant de l'Infini, avant que cela soit corrigé par les Avengers survivants. Ce chaos a eu pour autre conséquence de ramener parmi les vivants, après cinq ans d'absence, des milliards de civils : résultat, beaucoup d'individus ont resurgi n'importe où et les gouvernements sont obligés de créer le GRC, un organisme qui s'occupe de leur rapatriement dans leur pays d'origine, au besoin par la force. Cela engendre les Flag Smashers, qui refusent ces déplacements non consentis et ne tardent pas à user de violence contre les institutions pour les empêcher.

Dans le même temps, Sam Wilson/le Faucon a préféré confier le bouclier que lui avait légué Captain America (à la fin de Avengers : Endgame) à un musée, estimant qu'il ne pourrait honorer cet héritage, remplacer dignement Steve Rogers. Bucky Barnes/le Soldat de l'Hiver, lui, se met en tête de rencontrer les proches des victimes qu'il a tuées quand il était un espion programmé par les russes et suit, à contrecoeur, une psychothérapie pour prouver sa bonne volonté. Les deux hommes se retrouvent pour raisonner les Flag Smashers mais au pire moment car le gouvernement a décidé de désigner un nouveau Captain America et de lui donner le bouclier.

Tout était donc en place pour une intrigue efficace, sur fond de géo-politique et d'action dans la lignée de Captain America : le Soldat de l'Hiver (2014). Las ! on en est très loin et Kari Skogland n'est pas les frères Russo à la réalisation.

Quand j'écris que rien ne fonctionne, c'est absolument rien. A force de courir plusieurs lièvres à la fois, la série ne satisfait à aucun de ses engagements. Refusant de choisir entre règler l'affaire d'un nouveau Captain America, illégitime car violent (il porte un flingue à la ceinture et a un tempérament sanguin, sans doute lié à un stress post-traumatique consécutif à son temps passé sur des zones de combat) et indigne aux yeux de Wilson comme de Barnes, et règler le problème de ces Flag Smashers, aux revendications nobles mais aux méthodes intolérables (car ils sombrent vite dans le terrorisme), on est constamment frustré. Qui plus est, le traitement réservé aux deux héros est nul.

Soucieux de faire de Sam Wilson un exemple (pour que le public l'accepte comme le nouveau Captain America mais aussi pour refléter la condition des afro-américains aux Etats-Unis où les bavures policières contre leur communauté se multiplient), le scénario n'en fait qu'un personnage naïf, écrit de manière outrageusement victimaire, en dépit du bon sens. Par exemple, Sam accompagne sa soeur à la banque pour obtenir un prêt voué un commerce, mais le préposé le refuse car il argue que Wilson n'est sans doute pas solvable. Pourtant, Wilson est un militaire de carrière, membre des Avengers, héros de la nation (du monde) ! Mais Wilson est apparemment aussi, dans cette série, un type qui préfére accuser le coup que faire valoir ses droits et il quitte la banque avec sa frangine en lui disant qu'ils trouveront une autre banque. Affligeant.

Bucky était aussi un personnage passionnant à creuser mais n''en espérez rien. Le scénario se noie dans le pathos le plus épais en le mettant en scène dans des situations grotesques, où il cherche le pardon des proches des gens qu'il a tués quand il était le Soldat de l'Hiver. Une mission impossible, mais qui ne semble pas beaucoup préoccuper sa psychothérapeute puisqu'elle lui assure que cela au final lui permettra de faire la paix avec lui-même et surtout de se refaire une vie sociale. Tu parles, Charles ! Quant à son sentiment sur le fait que Sam n'honore pas la promesse qu'il a faite à Steve Rogers (en rendant le bouclier, en refusant de le remplacer), cela se résume à un tirage de gueule digne d'un enfant qui boude, quelques reproches, mais jamais à une franche explication (tout juste souligne-t-il que si Wilson a trahi la confiance de Rogers, peut-être que Rogers s'est trompé). En outre, alors que la série acte que Bucky est aussi une sorte de super-soldat, jamais, en six épisodes, on ne le voit en mesure de prendre le dessus sur les Flag Smashers ou John Walker, malgré son expérience du combat et ses capacités surhumaines.

Je crois que pour bien faire, la série aurait tout simplement gagné à être découpée différemment, avec un premier acte consacré aux Flag Smashers, neutralisés à l'exception de Karli Morgenthau en cavale et donc motivée pour frapper un grand coup à la fin, puis un second acte sur John Walker, qui n'aurait pas commis l'irréparable à mi-parcours mais se serait avéré de plus en plus ingérable. Le final aurait démontré la dangerosité de Walker tuant Karli et se déshonorant du même coup en permettant par ricochet à Sam de s'imposer comme le seul Captain America digne de ce nom et à Bucky de profiter de la violence de Walker pour prouver qu'il valait mieux que lui.

Mais, une fois encore, la série ne cesse de bifurquer sans convaincre. Helmut Zemo est rappelé, dans une sorte de rôle à la Hannibal Lecter (négociant sa liberté en échange d'infos). Sharon Carter revietn aussi : c'est un peu plus satisfaisant, car elle a changé, gagnant en consistance avec une position très ambiguë, mais sous-exploitée, et en fait trop lisible (on devine trop facilement qu'elle est le Power Broker) et surtout incohérente (elle menace Karli qui lui a volé le sérum mais ne semble pas déployer beaucoup de ses immenses ressources actuelles pour la traquer et la punir, ne la tuant que pour préserver son secret).

La série souffre aussi du manque de charisme global de ses acteurs, et parfois d'un engagement qui paraît limité de leur part. Comme relevé plus haut, les scènes d'action sont notamment très décevantes, jamais on ne croit que Wilson et Barnes soient en mesure de dominer leurs adversaires, alors que dans le même temps, sans autant s'agiter, Zemo et Carter sont beaucoup plus efficaces. C'est une grosse déception, la chorégraphie de ces moments-là ne rivalisent absolument jamais avec celles vues dans la trilogie Captain America, qui sont le maître-étalon du MCU.

Surtout, donc, le jeu des acteurs est en deçà de ce qu'on pouvait attendre, surtout après ce qu'ont produit Elizabeth Olsen et Paul Bettany dans WandaVision. Anthony Mackie m'a particulièrement désolé, il n'apporte aucune épaisseur à son personnage (il suffit, pour s'en convaincre, de voir ses face-à-face avec Carl Lumbly, qui joue Isaiah Bradley,a vec une force poignante) et n'impressionne jamais dans les scènes spectaculaires (même si le premier épisode s'ouvre avec une séquence très prometteuse). Sebastian Stan ne m'a jamais vraiment convaincu en Bucky Barnes, mais on constate que livré à lui-même, il s'avère très limité, avec peu d'expressivité.

Les seconds rôles sont encore pires (si, c'est possible !) : Wyatt Russell est abominable en John Walker (et franchement ridicule en costume de super-héros). Erin Kellyman, qui joue Karli, est insupportable, jamais à la hauteur de ce personnage qu'on aimerait à la fois aimer puis détester. Daniel Brühl fait peine à voir, obligé de composer un Zemo pris en tenaille entre deux imbéciles alors que son personnage est certainement le plus brillant du lot. Quant à Emily VanCamp, elle est ravissante mais il est impossible de croire à son incarnation d'une ancienne du SHIELD en quête de revanche et manipulatrice. Le pompon est décroché in fine par Julia Louis-Dreyfus, casté en dépit du bon sens pour camper la Comtesse (ceux qui ont lu Nick Fury agent of SHIELD de Jim Steranko ricaneront en la comparant à son modèle, archétype de la femme fatale des années 60 et maîtresse de Fury).

Je ne vois rien à sauver de ce naufrage. Marvel a déjà acté le retour de Captain America, avec Sam Wilson, dans un quatrième long métrage (certainement pas avant 2023 toutefois). Il faut souhaiter que ce long métrage soit mieux conçu au risque de ruiner complètement ce héros emblématique. 

dimanche 25 avril 2021

ETERNALS #4, de Kieron Gillen et Esad Ribic


Marvel a bien fait les choses, même si l'éditeur pensait coordonner la sortie de la série Eternals et du film. Finalement détachées dans le calendrier, cela fait l'affaire du comic-book qu'on peut apprécier sans avoir à le comparer au long métrage. Kieron Gillen progresse à pas comptés mais son intrigue est prenante. Et Esad Ribic livre des planches somptueuses. De quoi imposer cette production à part entière.


Phastos tente d'extraire de la Machine des informations pour localiser Thanos et Sersi a rendez-vous avec Iron Man à qui elle compte bien cacher que le titan est de retour. Cependant, Kingo et Thena arrivent à Polaria où ils sont reçus par Druig, qui vient d'hériter du trône de son père, assassiné.


Suspect, Druig se défend et ses arguments convainquent Kingo et Thena, qui ont menacé d'appeler Ikaris s'il les trompait. Ikaris, lui, est toujours dans les environs de New York pour veiller sur le jeune Toby Robson, mais pour ne pas attirer trop l'attention, il a confié à Sprite le soin de rester avec l'ado.


Kingo, Thena et Druig s'interrogent toujours sur Thanos et comment il peut utiliser la Machine pour aller et venir dans les différentes cités éternelles. Mais sur ces entrefaîtes, le titan surgit et s'en prend à Druig. Kingo et Thena passent à l'attaque.


Blessé, Thanos bat en retraite. Druig est persuadé que le titan a pour complice un Eternal puissant, tel que Gilgamesh. Mais pour l'affronter, Thena sait qu'Ikaris doit être présent. Elle ignore qu'après son départ, Thanos revient auprès de Druig et que ces deux-là sont alliés...

Dans ce quatrième épisode, Kieron Gillen avance encore lentement mais il abat quelques cartes maîtresses. L'intrigue progresse et montre bien qu'il y a quelque chose de pourri au royaume des Eternels, pour paraphraser Hamlet de Shakespeare. D'ailleurs, ce n'est pas la seule fois que le scénariste emprunte au théâtre classique pour cette série...

Car, à bien y regarder, Eternals version 2021 ressemble beaucoup dans sa mise en scène à une pièce où les acteurs, même s'ils ne portent pas de masque de super-héros, se cachent derrière des expressions de façade. 

Cela démarre dès les premières pages avec le dialogue entre Phastos et Sersi. Cette dernière a rendez-vous avec Iron Man avec lequel elle communique régulièrement sur leurs intérêts communs, mais c'est un jeu de dupes dans lequel elle mène la danse. Comme elle l'assure à Phastos, inquiet que des humains en sachent trop sur leurs intrigues de palais, elle ne dit que ce qu'elle a envie de dire et elle ne communique pas avec tout le monde. Ainsi les Eternels ne parlent pas avec les mutants ("surtout pas"), ce qui suggère une méfiance certainement en rapport avec leur nouvelle situation et la puissance qu'ils ont acquise. Cela indique aussi que, pour les Avengers, savoir que Thanos est en train de tuer des Eternels et se balade aux quatre coins de la planète grâce aux portails de la Machine est une information qu'il ne faut pas partager. Les Eternels sont résolus à règler cela entre eux, sans interférence extérieure.

Gillen insiste à dessein sur ce culte du secret chez les Eternels pour souligner une suffisance certaine de leur part. Elle n'est pas injustifiée quand on sait que les Avengers ne brillent pas toujours (loin s'en faut) pour faire règner l'ordre, se prenant pour des pacificateurs ne rendant de compte à personne, même quand ils mettent la planète en grand danger. Les Eternels sont présentés comme des êtres d'expérience pour qui traquer Thanos fait pratiquement partie des choses courantes, sans que personne ne s'en rende compte.

Outre une courte scène avec Ikaris et surtout Sprite, qui est chargé de veiller sur le jeune Toby Robson, car sa présence est moins dérangeante, et bien qu'on ignore toujours pourquoi cet adolescent américain ordinaire est si précieux, le reste de l'épisode se concentre sur le trio Thena-Kingo-Druig et se montre à la fois savoureux et inquiétant.

Gillen se défait jamais d'une certaine distanciation, ce qui rend son écriture assez froide. Sans doute ce parti-pris veut-il traduire le fait que les Eternels ne sont pas des héros comme les autres, ils évoluent dans un univers à part, sont là depuis très longtemps, et entretiennent des rapports entre eux très spéciaux, où l'amitié, l'amour, la confiance ne sont guère de mise. Néanmoins, le scénariste essaie, avec succès, de les humaniser, de manière à ce qu'on s'y attache.

Mais il le fait avec une ironie déroutante, on ne sait jamais trop sur quel pied danser avec ces individus extraordinaires. Druig, par exemple, est renvoyé constamment à son attitude de serpent, calculateur, dissimulateur, et arrogante. Cela nous le rend immédiatement antipathique, mais introduit une dynamique dans la relation de Kingo et Thena, que le lecteur interprète comme celle qu'on voit dans les films policiers, avec un gentil flic (Thena) et un méchant flic (Kingo). C'est un jeu, une comédie, très théâtrale, et les trois Eternels jouent leur rôle en sachant très bien qu'ils le font. Comme Druig vient d'hériter de la place de son père, qui vient d'être assassiné par Thanos, et qui en fait donc un Eternel prime, c'est un suspect évident, mais il a des arguments pour se défendre très habiles et convaincants, que ne nient pas Thena et Kingo.

Kingo attire l'attention parce qu'il n'a pas été très développé pour l'instant et Gillen va se charger de le définir, comme il l'a fait auparavant avec Thena par rapport à Sersi, dans un flashback. Cette astuce narrative permet aussi à l'auteur de placer les Eternels dans l'Histoire de l'humanité dont ils ont été à la fois les spectateurs et les acteurs. Cette fois-ci, nous sommes transportés au XIIIème siècle en Mongolie, au moment de la succession d'Ogodaï Khan, fils de Gengis Khan. On admire l'érudition du scénariste et aussi le dépaysement d'une telle séquence, mais surtout on note toujours sa théâtralité assumée, avec une incitation au meurtre capable de modifier l'échiquier politique de la région. Kingo est le dindon d'une farce orchestrée par Druig, ce qui justifie que des siècles plus tard encore, les deux se détestent franchement et interprètent fidèlement leurs partitions (le guerrier facile à manoeuvrer qu'est Kingo, le stratège fourbe qu'est Druig). Fascinant.

Ce passage est magnifiquement illustré par Esad Ribic, avec les couleurs tout aussi superbes de Matt Wilson. Le dessinateur met tout son talent au service de cette évocation des temps anciens et réussit à représenter magistralement le paysage, l'ambiance de la Mongolie. Les Eternels sous son crayon se distinguent aussi par leur diversité ethnique, c'est certainement la série mainstream la plus variée dans son casting, avec des personnages asiatiques, africains, caucasiens. Cet effort permet de valider le fait que les Eternels sont partout, depuis toujours, et donc ont des physiques, des couleurs de peau, aussi différentes. En faire tous des blancs caucasiens n'aurait aucun sens (c'était d'ailleurs la limite des précédentes séries qui leur étaient consacrés, y compris celle initiale de Kirby).

Mais Ribic, comme Bryan Hitch, quoique avec une sensibilité différente, est surtout un artiste qui voit grand, qui excellent dans le bigger than life, et c'est pourquoi il est sin parfait pour cette série. Quand il dessine Phastos frappant la Machine, il le fait avec de grandes cases verticales signifiant l'énormité de l'appareil. Quand Ikaris veille sur Toby Robson, il le montre planant au-dessus de la ville tel un ange gardien et il souligne les perspectives vertigineuses avec une plongée époustouflante.

Matt Wilson a choisi de coloriser la série simplement, sans ajouter de textures au trait de Ribic ni abuser de nuances. Pour chaque endroit, il sélectionne une couleur principale, sobrement lié à sa position géographique. Dans le cas de Polaria, qui, comme son nom l'indique, se trouve dans une région glacée, c'est le bleu qui domine, pour communiquer au lecteur le froid polaire, mais aussi l'inhospitalité de Druig, les lumières pâles de sa cité. L'architecture est elle-même très dépouillée, prenant le contrepied de ce qu'on attendrait d'une série pareille et notamment de la tradition Kirby-esque, avec des formes complexes, tourmentées, folles. Au contraire, Ribic plante le décor en faisant en sorte que celui-ci ne paraisse ni ancien, ni futuriste, mais intemporel. C'est une résidence vaste, mais sans âme, sans chaleur, à l'image de son chef.

Lorsque Thanos y fait irruption, le chaos vient bouleverser ce hâvre de paix et en même temps rend le cliffhanger diabolique, car on se rend compte que Druig n'a que faire des fastes, il veut le pouvoir, il est dans une action méticuleuse, minutieuse. L'épure de son cadre de vie lui permet de cacher son double jeu (s'il vivait dans un palais richement orné, cela nous mettrait la puce à l'oreille sur son goût pour l'opulence, son ambition). Thanos est également communément dessiné dans des décors austères car le titan n'a que faire du luxe, il est tendu vers son objectif et n'a pas le temps pour s'occuper de ses intérieurs. C'est très bien étudié.

Le(s) prochain(s) épisode(s) s'annoncent prometteurs, avec l'introduction de nouveaux Eternels et désormais la prise en compte des manigances de Druig (bien qu'ingorées par Thena et Kingo mais aussi par Ikaris). Cela devrait nous mener jusqu'en Juillet avec le n°7, si on en croit les previews récentes de Marvel, ce qui constiuerait un premier arc déjà consistant.

samedi 24 avril 2021

CATWOMAN #30, de Ram V et Fernando Blanco


C'est une routine, certes, mais de celles dont on n'est pas prêt de se lasser. Car une fois de plus, une fois encore, Ram V et Fernando Blanco nous régalent avec ce nouveau chapitre de Catwoman. Le duo peut même se permettre une auto-citation sans avoir l'air de bégayer. L'histoire est captivante, elle est magnifiquement mise en images. Que demander de plus ?


Le Sphinx reçoit des soins après sa blessure par balles par le Père Vallée. En échange, Catwoman exige qu'il lui dise tout ce qu'il sait sur son agresseur. Edward Nygma lui révèle avoir consommé une nouvelle drogue, composée à partir de l'ADN de Poison Ivy, dont il a retrouvée la trace.


Il est évident pour Catwoman que les laboratins qui ont utilisé Poison Ivy vont s'en débarrasser maintenant. Elle doit donc la sauver et empêcher que cette drogue ne circule dans Alleytown. Pour cela, aidée de sa troupe de gamins, elle prend en filature des camions en route pour un incinérateur.


Mais quand elle y arrive, ses espions n'ont rien vu de suspect. C'est alors qu'un inconnu aborde Catwoman en lui donnant l'identité d'un homme qui a récupéré Poison Ivy : il s'agit d'un riche et excentrique collectionneur qui donne une soirée pour présenter ses dernières acquisitions.


Selina, sous le pseudonyme de Mme Lefélin, se fait inviter à cette réception donnée par Siddhart Roy, à laquelle est convié la gratin de Gotham... Cependant, le Pingouin réclame des comptes au Père Vallée qui entend mener sa mission comme bon lui semble...

Il est difficile de commenter une série quand elle aligne avec une telle régularité les épisodes de cette qualité. Comment ne pas se répéter et ne pas sombrer dans une litanie de compliments, mérités mais redondants ?

Mais on ne va pas non plus se plaindre d'écrire sur une série excellente. Catwoman occupe une place un peu à part dans les Bat-titles, dans la mesure où James Tynion IV a détaché Selina Kyle de Batman car il ne désirait pas l'intégrer dans ses intrigues (alors que tout le run de Tom King consistait à établir le couple). Ram V en profite pleinement, non pas en niant ce que King a écrit, mais en s'efforçant de faire de Catwoman comme un personnage à part entière, dont l'existence ne dépend pas de Batman.

Du coup, on a droit à quelques allusions discrètes sur la situation du couple, comme quand Léo, le fidèle lieutenant de Selina, suggère qu'elle fasse appelle à Batman pour l'aider dans l'affaire qui lie le Sphinx à Poison Ivy. Mais Selina refuse en rappelant que Batman et elle font une pause, mais surtout qu'elle n'a pas besoin de lui, tout simplement.

L'autre caractéristique de Catwoman, c'est son ambiguïté morale. S'il ne fait pas de doutes qu'elle agit pour le bien de son quartier, Alleytown, elle le fait à sa manière, bien personnelle, selon des méthodes qui ne seraient certainement pas toutes approuvées par Batman. Et Ram V, là aussi, respecte cette composante essentielle de l'héroïne, en sachant en faire une justicière mais avec des manières conservées de son passé de voleuse.

Le scénariste et son dessinateur s'autorisent même une auto-citation dans cet épisode puisqu'on assiste à une scène de filature qui renvoie à celle du n° 27 de Novembre dernier. Toutefois, il ne s'agit pas de répéter pour le plaisir ou par paresse, puisque la séquence n'a pas la même justification ni le même terme. En revanche, elle met en valeur le talent d'acrobate et de combattante de Catwoman pour notre plus grand plaisir.

Cette fois, le Père Vallée ne fait qu'une brève apparition, mais elle est spectaculaire. Entre l'assassin mystique et le Pingouin, il semblerait même que le contrat soit rompu. C'est en tout cas un fascinant vilain, imprévisible et déterminé, et quand il va enfin affronter directement Catwoman, ce sera assurément un grand moment (prévu pour le #33 en Juillet prochain).

Ram V dirige l'intrigue dans une direction captivante, avec ce collectionneur excentrique, qui récupère Poison Ivy. On appréciera aussi l'alias sous lequel Selina se fait inviter chez ce dernier (madame Lefélin).

Visuellement, Fernando Blanco fait très fort. Outre la scène centrale de filature, où il impressionne par la fluidité et l'intensité de son découpage, il expérimente avec une double page durant laquelle le Sphinx résume comment il a consommé la drogue extrait de Poison Ivy et la façon dont il est remonté jusqu'au site où elle était fabriqué. Les cases forment un point d'interrogation, le symbole d'Edward Nygma, mais aussi la marque du mystère qui entoure cette affaire pour Catwoman. 

Avec son encrage un peu charbonneux, Blanco s'approprie merveilleusement l'atmosphère nocturne et urbaine de la série, que vient magnifier Jordie Bellaire et ses couleurs. C'est un régal pour les yeux, vraiment du bon et beau travail. Assurément une des plus belles séries mainstream régulières actuelles.

Oui, que demander de plus ? Que ça continue, pardi !

vendredi 23 avril 2021

NIGHTWING #79, de Tom Taylor et Bruno Redondo


Le mois dernier, la reprise de Nightwing par Tom Taylor et Bruno Redondo avait été un de mes coups de coeur. Après des années où le héros avait été écrit (et parfois dessiné) n'importe comment, on avait le sentiment que, enfin, une équipe artistique digne de ce nom voulait lui rendre justice. Cette impression se confirme avec ce 79ème épisode, dont chaque page est un régal et qui lance un nouveau subplot accrocheur.


Depuis qu'il sait qu'il a hérité de la fortune d'Alfred Pennyworth, Dick Grayson s'interroge sur le meilleur usage à en faire. De sortie avec Barbara Gordon, il paie des pizzas à tous les passants du quartier. Et, au passage, se fait chiper son portefeuille par trois gamins.


Heureusement, Dick a placé un traceur dans son portefeuille et peut pister les pickpockets, tandis que Barbara a installé une mini-caméra à son masque, lui permettant de le suivre. Nightwing observe alors une réunion à une terrasse de bar entre Salvatore Maroni et Melinda Zucco.


Les trois jeunes pickpockets s'approchent de leur table et volent le portefeuille de Maroni. Un de ses gardes cu corps les surprend et dégaine son flingue. Nightwing intervient pour les désarmer. Les voleurs prennent la fuite, coursés par le justicier.


Nightwing découvre que les enfants vivent tous dans un campement sauvage sous un pont et décide de les laisser tranquille. Mais en revenant auprès de Barbara, il sait désormais à quoi il va employer son argent... Tout en ignorant qu'un tueur rôde dans les ruelles de Blüdhaven.

Les trois premières pages qui ouvrent l'épisode, superbement découpées par Bruno Redondo, ont valeur de métaphore pour la suite. On revoit divers moments du passé de Nightwing, depuis ses débuts d'acrobate auprès de ses parents dans le cirque jusqu'à la fondation des New Teen Titans en passant par son rôle de sidekick de Batman sous l'alias de Robin et son amitié avec Alfred Pennyworth. Autant de saynètes qui lui ont appris qu'il fallait toujours avoir quelqu'un prêt à vous rattraper en cas de chute pour être en mesure de faire la même chose pour autrui ensuite.

Ce que Tom Taylor suggère ainsi, il va l'exprimer clairement suite. Car, tout cet épisode illustre cette leçon : Dick Grayson n'est plus seulement de retour à Blüdhaven comme justicier, il est devenu riche grâce à la fortune que lui a légué Alfred Pennyworth, et il s'interroge sur quoi faire de cet argent en méditant sur la façon dont Batman a utilisé son propre magot. Dick veut cependant faire mieux, plus utile, car il a la conviction que l'argent ne doit pas servir seulement à sa carrière de justicier, encore moins à son confort personnel.

Il l'ignore encore, mais il va l'apprendre vite, dans les pages de ce chapitre : ce butin, c'est le moyen pour lui de rattraper les autres dans leur chute. Tom Taylor est malin mais pas roublard : sa démonstration, il la fait sans effets de manche, mais plus simplement, plus pragmatiquement, en entraînant Nightwing et le lecteur dans une aventure édifiante et instructive. Une démonstration par l'exemple, qui illustre à merveille un adage cher aux narrateurs intelligents : "Show. Don't tell." (c'est-à-dire : "Montre. N'explique pas.").

Et cet adage, quel meilleur média que la bande dessinée pour le servir ? En effet, la narration de la bande dessinée est autant écrite que graphique. Plus la lecture est évidente, plus elle est efficace, plus elle montre et moins elle explique. Une histoire bien racontée, c'est celle qui, à la fin, nous est compréhensible par la simple évocation. Si on doit expliquer le pourquoi du comment, alors c'est que le scénario et les dessins n'ont pas été suffisamment clairs.

Et c'est ce qui explique que Taylor et Redondo forment un si bon duo : chacun est un adepte d'une forme de ligne claire dans sa narration. Taylor ne nous embobine pas, et Redondo dessine d'un trait limpide. Ils sont sur la même longueur d'ondes, ce qui facilite déjà beaucoup la compréhension de ce qu'ils racontent, mais qui, surtout, permet d'apprécier le message qu'ils veulent faire passer.

Le récit ici se déroule en temps réel, passée la scène d'ouverture et les trois premières planches. Dick et Babs sortent manger, ils évoquent l'héritage d'Alfred, le meilleur moyen de l'utiliser, partagent des pizzas avec des habitants du quartier (dont certains qu'on devine précaires). Puis des pickpockets chipent le portefeuille de Dick et provoquent une réaction en chaîne. Nightwing les poursuit, tombent sur une scène intrigante, qui va déclencher une série de péripéties et une découverte cruciale, renvoyant aux questions posées au début de l'épisode (comment dépenser intelligemment l'argent légué par Alfred).

Tout ça est si bien ficelé qu'on ne se rend même pas compte en lisant à quel point Taylor et Redondo illustrent littéralement la métaphore avec laquelle ils ont ouvert leur épisode. On tourne les pages et on savoure la fluidité du scénario, formidablement dessiné. Redondo use à bon escient d'effets stroboscopiques pour valoriser l'action, en décomposant par exemple les mouvements d'une acrobatie et des coups portés par Nightwing. 

Tout l'épisode s'évertue à mettre en avant l'agilité de Nightwing comme pour souligner en même temps à quel point Taylor nous emmène là où il le veut. Tout est merveilleusement à sa place, presque trop  (car tout de même il y a un enchaînement miraculeux pour que les pickpockets échouent pile à l'endroit où Melinda Zucco et Salvatore Maroni ont rendez-vous et osent tirer le portefeuille du gangster, tout ça sous les yeux de Nightwing). Mais on pardonne ces croisements providentiels pour apprécier le dénouement, quand Dick découvre le campement sauvage, véritable révélation-choc pour lui ("Blüdhaven ne manque jamais de me décevoir.").

Pour ne rien gâcher, Taylor glisse un subplot glaçant dans son récit, avec un tueur mystérieux qui arrache littéralement le coeur de ses victimes et qui semble sans lien avec les autres menaces que représentent Melinda Zucco, Salvatore Maroni et Blockbuster. On voit que le scénariste prépare plusieurs coups à l'avance, sème des intrigues futures, et c'est rassurant car cela signifie qu'il a bien l'intention de rester sur la série un moment (intention dont on s'est mis à douter il y a quelques jours quand DC a officialisé que Taylor allait écrire la nouvelle série Superman - en remplacement de Philip Kennedy Johnson et Scott Godlewski - avec Jon Kent dans le rôle).

Lire Nightwing en ce moment est vraiment en passe de devenir un incontournable et ça fait plaisir, pour le personnage, et pour DC dont on voit que Infinite Frontier redistribue les cartes de fort agréable manière (même si tout n'est pas aussi attirant).

jeudi 22 avril 2021

S.W.O.R.D. #5, de Al Ewing et Valerio Schiti


La publication de S.W.O.R.D. reprend son cours normal après avoir été impactée par l'event King in Black. Al Ewing consacre ce numéro au cas de Fabian Cortez, tué lors de cette saga, et qui va confronter le conseil de Krakoa à une question concernant une de ses lois fondamentales. L'épisode est une fois encore excellent, et pour une des dernières fois, superbement dessiné par Valerio Schiti.


Fraîchement ressucité, Fabian Cortez est reçu par le conseil de Krakoa comme le lui avait promis Magneto. Celui-ci a convié Abigail Brand et Peeper du SWORD. A l'ordre du jour, suggéré par le revenant : le droit de tuer des humains, pourtant interdit par une des trois lois principales de la Nation X.


Cortez fait valoir ses arguments en soulignant que les homo sapiens n'ayant pas comme les mutants trouvé le moyen de ressuciter sont par nature des êtres mortels, donc inférieurs. S'ils ont maltraité ou tué des mutants, les mutants devraient pouvoir tuer les humains.
 

Mais Magneto démonte le raisonnement de Cortez en relevant qu'il cherche plus à se venger des humains qui s'en sont pris à sa famille, de souche noble, et en comparant les affres qu'elle a subis à ce que, lui, rescapé des camps de la mort nazis a enduré et surmonté.


Cortez s'énerve et menace le conseil en faisant valoir son importance cruciale pour le programme spatial mutant. Mais, Brand lui a trouvé une remplaçante. La séance est levée. Magneto raccompagne Brand au Pic tandis qu'elle lui explique avoir résolu une guerre de succession galactique...

S.W.O.R.D. est une série un peu à part, à la marge dans la franchise X. Ses héros ne vivent pas sur Krakoa et leur chef, Abigail Brand est mi-mutante, mi-alien, sans compter qu'elle n'est pas aux ordres du conseil de l'île mais seulement une collaboratrice. Son équipe est par ailleurs constitué majoritairement d'anciens mauvais mutants, et c'est justement l'un d'eux qui occupe le devant de la scène dans ce cinquième épisode.

Tué par "Kid" Cable sous l'emprise de Knull, dieu des symbiotes, dans le précédent numéro, Fabian Cortez avait précédemment sollicité auprès de Magneto, qui lui avait montré peu de considération jusque-là, une audience devant le conseil de Krakoa. Ressucité, il obtient ce qu'il avait demandé et interroge le gouvernement de l'île sur une de ses lois fondamentales : l'interdiction de tuer des humains.

Il y a d'abord toute une affaire de mise en scène dans cet épisode et Valerio Schiti a soigné sa copie car Cortez, tout juste revenu à la vie, est donc nu comme un ver. Comme Jean Grey lui fait remarquer que le conseil lui accorde une faveur exceptionnelle en le recevant, pas le temps de se doucher ni de s'habiller, et donc il se présente devant les membres du conseil toujours nu. On va vite comprendre que c'est une manière sinon de l'humilier en tout cas de le remettre à sa place, de ne pas lui accorder plus d'importance qu'il n'en a vraiment. 

Cortez est effectivement un type arrogant, qui s'offusque d'abord de la situation, d'autant plus que Abigail Brand mais aussi Peeper, sa chef et un des collègues, sont conviés au débat, puis il affronte le regard de cette assemblée, crânement, en comptant les embarrasser autant qu'il l'a été. Schiti fait véritablement des merveilles pour traduire de manière très expressive les réactions de Cortez et des membres du conseil. On peut parfaitement lire sur le visage de chacun ce que leur inspire ce moment, et c'est jubilatoire.

Mais ce n'est pas le seul tour de force de Schiti car, comme SWORD est une série tout public, elle se dit ne pas montrer les organes génitaux sous peine d'être classée comme une BD pour adultes, devant alors être vendue sous blister, hors de portée d'un public mineur dans les comics shops. Le dessinateur doit alors ruser pour cacher ce sexe qui ne saurait être vu, même si, hypocritement, tout le monde sait que Cortez est nu, la bite et les fesses à l'air devant tout le monde. Schiti a bien rigolé sur Twitter en prétendant qu'il avait sur son ordinateur des fichiers de ses planches sans les ombres qui préservent les yeux des plus chastes lecteurs. On aurait presque envie de créer un hashtag #releasetheschitcut pour lire cette version...

Le découpage permet aussi d'apprécier le talent de Schiti pour tourner autour des protagonistes et de jouer sur la valeur des plans mais aussi sur l'aspect arêne de la salle du conseil, avec en son centre Cortez. Le dessinateur use notamment de "gaufriers" mais parfois en découpant un plan en deux, suggérant une continuité graphique, très fluide. Quand, à l'inverse, il procède à un montage plus cut pour se concentrer sur les visages, Schiti veille à varier les angles, avec des plongées, des contre-plongées, des profils, des faces, des 3/4 faces, et souligant de manière volontiers comique les mimiques de certains (Mr. Sinistre est comme toujours une véritable attraction, visiblement très amusé par tout ça et en même temps avec cet air constamment béat, voir abruti, en constrate avec la gravité de Magneto).

Formidable dessiné, l'épisode est aussi fabuleusement écrit, dialogué : Al Ewing transforme cette joute verbale en un exercice réthorique fascinant où les arguments de Cortez se disqualifient eux-mêmes, puisqu'il n'est pas tant question de débattre du droit de tuer des humaisn que d'entendre un mutant réclamer justice contre des humains qui ont causé le déclin de sa famille. L'opinion qu'a Cortez des homo sapiens confirme tout ce qu'on pouvait devniner chez cette crapule maniérée, cachant derrière des ronds de jambe une haine profonde : les homo superior ont vaincu la mort, gagnant ainsi sur les sapiens qui sont donc, pour lui, des morts en sursis. Les tuer reviendrait presque à un geste de bonté pour abréger leur existence minable ou les punir pour leurs crimes.

Puis Ewing fait basculer la discussion de manière subtile via Peeper. Celui-ci demande à Cortez son nom de mutant, en relevant que tous autour de la table (sauf Brand, qui est métisse) en a un, signe de son intégration à la communauté et signe identitaire. Cortez est désarmé, il n'a pas à prendre un pseudo bidon pour prouver sa mutanité, il est Cortez et c'est suffisant. Mais cela scelle son sort car cette suffisance explique à elle seule son sentiment de supériorité sur les humains. Magneto enfonce le clou alors.

Le maître du magnétisme a tué, souvent, et sans scrupules. Il l'a fait parfois pour se venger lui aussi, ayant subi des atrocités. Et des atrocités bien pires que celles endurées apr Cortez puuisqu'il a survécu aux camps de la mort nazis. Pourtant il a renoncé au meurtre désormais pour épouser une cause plus grande que lui (la fondation de Krakoa, sa reconnaissance comme nation). S'il devait tuer à nouveau, ce serait pour défendre son peuple, sinon, il le sait, il risquerait d'être puni comme Dents-de sabre (voir House of X #6) ou le bannissment de Krakoa. Cortez croit-il mériter plus de liberté que Magnéto en réclament le droit de tuer des humains pour se venger (et non pour défendre Krakoa, son peuple) ? Bien entendu que non.

La fin du débat est pathétique : Cortez menace le conseil, prétendant que ses pouvoirs sont essentiels pour son programme spatial. Mais en coulisses, Brand et Magneto ont déjà agi et lui ont trouvé une remplaçante (une Arakki qui plus est). C'est fini. La séance est levée.

En tant que tel, donc, l'épisode est déjà impeccable, brillant, formellement superbe. Mais il va plus loin car Ewing et Schiti ont ponctué le récit de scènes brèves dans l'espace. On ne comprend qu'à la toute fin leur sens et c'est assez vertigineux. Ne serait-ce que parce que, par ce biais, Ewing prouve une fois de plus que SWORD assume sa place à part dans la franchise X, en s'occupant d'autre chose que du programme spatial mutant. Et le scénariste vient de confirmer que cette direction se confirmerait cet été à l'occassion d'un crossover entre deux séries qu'il écrit (l'autre étant Guardians of the Galaxy).

Reste qu'alors SWORD aura perdu Valerio Schiti (qui va dessiner un nouveau titre, écrit par Leah Williams). Il ne sera pas simple de le remplacer, et cela, je dois être franc et transparent, conditionnera si je continuerai à lire SWORD ou si j'arrêterai avec le départ de son artiste. J'aime bien cette série, mais si elle tombe aux mains d'un artiste vraiment moins bon et avec la perspective du crossover, étant donné que j'ai arrêté de suivre Guardians of the Galaxy, ça me suffirait pour stopper les frais.

mercredi 21 avril 2021

JUSTICE LEAGUE #60, de Brian Michael Bendis et David Marquez / JUSTICE LEAGUE DARK, de Ram V et Xermanico


Je me suis montré prudent, pour ne pas dire méfiant, avec le précédent n° de Justice League car je ne savais pas bien à quoi m'attendre. Mais ce 60ème épisode a dissipé mes doutes avec un Brian Michael Bendis en verve et un David Marquez chaud patate. De son côté, Justice League Dark de Ram V et Xermanico confirme, elle, tout le bien qu'on pouvait déjà en penser.


Superman invite Black Adam et Naomi au Hall de Justice pour discuter de la menace rencontrée avec Brutus, originaire de la planète natale de la jeune fille et qui a attaqué le Kahndaq. Naomi n'identifie pas Brutus mais Superman insiste qu'elle participe à l'enquête de la Justice League avec Black Adam.


Cela suscite des remous dans l'équipe - surtout à cause de Black Adam. Mais déjà Batman signale une nouvelle apparition de Brutus à Central City. L'alien affronte Hippolyta, la mère de Wonder Woman, après avoir foulé le sol de Temyscera. Mais il bat en retraite en voyant les renforts arriver.


La présence de Black Adam déplaît fortement à Hippolyta, qui refuse de se joindre à la Justice League, et s'envole pour rentrer à Temyscera. Les héros retournent, eux, au Hall de Justice après que Batman ait prélevé à Central City des résidus provenant du monde de Brutus.


Flash a profité de ce temps pour améliorer son tapis de course afin que la Justice League puisse se rendre sur le monde de Brutus et Naomi. Le déplacement aboutit toutefois à une mauvaise surprise pour cette dernière, séparée dans l'opération des héros...

Lorsque j'ai appris que Brian Bendis allait écrire Justice League et que j'ai lu son premier numéro sur le titre le mois dernier, j'étais méfiant. Pourquoi ? Sans doute parce que j'avais le sentiment que Bendis choisissait une certaine facilité, renouant avec un team-book emblématique de l'éditeur, comme il l'avait fait avec New Avengers (et Avengers) chez Marvel. Allait-il être seulement capable et de me séduire à nouveau sur ce format-là (sachant que j'avais été un grand fan de ses New Avengers) et en animant les héros les plus populaires de DC ?

Il faut aussi dire que j'avais été un peu échaudé par son run sur Superman, qui n'a rien d'honteux, mais qui m'avait laissé sur ma faim (et que j'avais lâché avant le dernier arc). Bendis, depuis ses ennuis de santé ayant concordé avec son départ de chez Marvel, me semblait très versé dans une sorte de sentimentalisme et sa volonté d'écrire Superman traduisait cela fortement, en voulant en faire le véhicule quasi-politique d'une Amérique alors en pleine fin de règne Trump (Superman érigé en rempart contre l'administration Trump).

Ces préoccupations se reflétaient dans ses autres séries DC, toutes empreintes d'une forme de positivisme un brin forcé (Young Justice, Legion of Super Heroes, ou deux titres sur de jeunes héros incarnant l'espoir, la relève). Ce n'est pas que chez Marvel Bendis était un cynique ou un pessimiste, mais quand on s'en souvient, ses meilleurs runs se déroulaient dans des temps de crise avec des héros poussés à la clandestinité.

Mais ce n°60, deuxième épisode consécutif de Justice League période Bendis, m'a rassuré. Ce qui apparaît comme acquis désormais, c'est que le scénariste a adopté une écriture beaucoup plus directe et nerveuse que ce qu'il a produit ces dernières années. Pour ponctuer la progression de l'intrigue (au demeurant simple), il met en scène des moments d'action pure, qui servent à valoriser la puissance d'une formation comme la Justice League (et qui montre que Bendis assume pleinement d'écrire cette équipe comme un régiment de surhommes, de demi-dieux, nuancé par la présence de héros plus humains - comme Batman, Green Arrow).

Surtout, ce qui m'a beaucoup plu dans cet épisode, c'est que j'ai retrouvé le Bendis qui caractérise par le dialogue ses personnages et créé des interactions, une dynamique finalement assez familiale de l'équipe. Comme ses New Avengers, il n'y a pas de leader désigné, même si Superman fait figure de guide, d'autorité morale : il s'impose comme un référent à qui ses co-équipiers font confiance, même quand il s'agit de donner sa chance à Black Adam (ce qui est un choix spectaculaire) mais aussi à Naomi (moins problématique car moins polémique). Green Arrow se pose en contradicteur intelligent, qui pose les bonnes questions mais admet les arguments de Superman. Pour l'instant, les autres membres ont moins de consistance, même si Bendis leur octroie des répliques bien senties (Black Canary qui titille Green Arrow, Hawkgirl qui fait parler son expérience de guerrière, Batman dans un rôle d'éminence grise. En revanche, Aquaman devra attendre pour bénéficier des mêmes égards). La présence de Hippolyta apporte un point de vue intéressant, bien qu'elle quitte la scène vite (et que je me demande comment elle va prendre part à la suite).

Comme écrit plus haut, le récit est ponctué de scènes d'action très énergiques et c'est alors le moyen pour David Marquez de faire parler sa puissance de feu. Il a toujours été très à l'aise dans cet exercice et une fois encore, il emballe un combat entre Brutus et Hippolyta avec une vigueur qui régalera tous les amateurs. Surtout il impose la reine des amazones comme une sacrée guerrière, qui remplace sans problème sa fille (occupée au Valhalla). Marquez joue habilement sur la gestuelle et l'expressivité de cette femme quand elle se trouve face à Black Adam : sa réaction outragée renvoie au passé du protecteur du Kahndaq et insiste à bon escient sur l'opportunité, le bon sens de l'associer à cette histoire - et donc par ricochet interroge sur la bienveillance de Superman.

Marquez brille également quand il s'agit d'animer Black Adam et Naomi, qui représentent deux faces d'une même médaille : Adam bouge peu, fait la gueule, toise tout le monde d'un air suffisant, tandis que Naomi est impressionnée par la situation, les héros qui l'entourent, Adam qui, lui, n'est pas du tout ébranlé par tout ça. Le contraste est efficacement rendu par un dessin où le découpage, plus sage, dans des scènes qui s'appuient sur les dialogues, reposent surtout sur la composition des images, les angles de vue. La complicité est totale entre Bendis et Marquez alors et restaure la confiance du lecteur prudent jusqu'alors.

Le cliffhanger de l'épisode donne irrépressiblement envie de se jeter sur la suite. Justice League commence vraiment ce mois-ci et c'est prometteur, séduisant dans sa simplicité et son rythme. 

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Merlin entre dans une librairie où il peut consulter des manuscrits originaux de José-Luis Borges. Mais il explique ensuite ne pas être intéressé par leur acquisition. En vérité, il en libère les créatures pour accomplir son plan de reconquête.


Soumis à l'approbation de la Justice League, Etrigan est intégrè à la Justice League Dark, avec la caution de Batman, pour retrouver et neutraliser Merlin. Cependant, Rory Regan entre à son tour dans la librairie fréquentée par le magicien et découvre son oeuvre...

On observe de manière jubilatoire les mêmes qualités dans ce nouveau chapitre de Justice League Dark, et pourtant Ram V et Xermanico ont deux fois moins d'espace pour s'imposer. Toutefois, cette contrainte semble galvaniser les deux partenaires pour combler le lecteur.

En dix pages donc, Ram V réussit l'exploit de faire preuve d'humour, de susciter l'effroi, et se provoquer le frisson de l'action. Le découpage de son script est tellement efficace qu'il mérite d'être étudié, c'est dire. Etrigan est intégré à la JLD, avec l'approbation modérée de la JL, Merlin commence à déchaîner sa magie, et Ragman entre en scène.

Ce qui ne cesse de m'épater chez Ram V, c'est la densité et la fluidité mêlées de son écriture. Il prend le temps de nous faire sourire avec l'enrolement d'Etrigan, qui suscite le malaise chez Superman mais de la jubilation chez Green Arrow (jamais en reste quand il s'agit de savourer ce qui dérange un surhomme comme Supe) ou des soupirs chez Black Canary et Hawkgirl (la première levant les yeux au ciel à la perspective d'un débat entre Green Arrow et les autres, la seconde s'étonnant que le démon pose problème puisqu'il a prouvé sa bonne volonté). Cette scène d'introduction est exquise.

On retrouve ensuite Merlin et là, Ram V invoque Borges, cet écrivain majeur du réalisme magique, dont les ouvrages offrent une arsenal inattendu au magicien. Le scénariste a-t-il lu Storykiller de Kelly Thompson dans lequel l'héroïne, Tessa, a pour mission de chasser et renvoyer dans leurs dimensions des monstres échappées des livres fantastiques ? Ici, en tout cas, on trouve une astuce similaire et maline.

La composition de la JLD se réduit à peu de choses ("un singe, une magicienne, un type en trench coat, un démon" comme il est écrit en off) et l'apparition finale de Ragman (un personnage de second rang que j'ai toujours aimé) vient la complèter. Cette formation réduite et assez peu puissante finalement rend le combat à venir déséqulibré et palpitant donc.

Il faut profiter de chaque page dessinée par Xermanico car on le sait désormais, l'artiste va quitter le titre, accaparé par la mini-série Infinite Frontier (écrite par Joshua Williamson), il sera remplacé par Sumit Kumar (avec qui Ram V a signé These Savage Shores). C'est vraiment dommage d'habiller Pierre en déshabillant Paul, mais pouvait-il en être autrement ? Xermanico est un grand talent en devenir, qui préfère logiquement dessiner une mini-série importante plutôt qu'une back-up, et qui de toute façon ne pouvait donc pas produire 30 ou 40 pages/mois.

Reste que Xermancco est un vrai pro et ne bâcle pas ses planches, au contraire. Un gaufrier de talking heads très expressives ou une pleine page avec Merlin sont de petits morceaux de bravoure au milieu de ce chapitre qui, graphiquement, se tient mieux que bien.