mardi 27 avril 2021

JONNA AND THE UNPOSSIBLE MONSTERS #2, de Laura Samnee et Chris Samnee


C'est une bien étonnante série que Jonna and the Unpossible Monsters. A l'évidence, Laura et Chris Samnee l'ont conçue pour les enfants, mais sa narration (écrite et graphique) surprend par sa radicalité. Il est certain que les lecteurs seront divisés. Mais il faut reconnaître l'audace de l'entreprise, qui ne manque pas de charme.


Rainbow a quitté le village où elle s'était arrêtée pour reprendre ses recherches. Elle s'arrête devant un cour d'eau pour se désaltérer et remplir sa gourde car il fait chaud. Elle sort de sa poche une portrait dessiné de sa jeune soeur, Jonna, et les souvenirs remontent à la surface.


Jonna est en vérité sa demi-soeur. Le père de Rainbow l'avait recueillie et élevée. C'était une fillette déjà très alerte, au caractère bien trempé, contrastant avec celui plus calme de Rainbow. Celle-ci sort de sa rêverie quand deux monstres se battent tout près de là où elle se trouve.


Les deux créatures de disputent une même proie mais leur bagarre est interrompue. Rainbow se cache et entend des bruits de lutte. Quand elle rouvre les yeux, elle aperçoit une forme dans les arbres, tandis que les deux monstres gisent au sol.


Surprise : c'est Jonna qui a assommé les deux monstres. Mais elle ne reconnaît pas Rainbow. Celle-ci tente de l'amadouer mais ne réussit qu'à la faire fuir. Elle lui court après jusqu'à la rejoindre à l'entrée d'une plaine aride...

En lisant ça et là des réactions suite à la sortie du précédent numéro de Jonna and the Unpossible Monsters, j'ai pu constater que le projet de Laura et Chris Samnee avait profondément divisé. Certains leur reprochaient une histoire vide, sans rythme, au dessin simpliste. D'autres, au contraire, étaient positivement étonnés par la sobriété de la série et intrigués par ce qu'elle pouvait encore proposer.

Il esst acquis que ce nouvel épisode achèvera de trancher les opinions de chaque camp. En effet, on a là un numéro quasiment muet et dont le propos laissera soit sur sa faim, soit convaincra de poursuivre l'aventure. Pour ma part, j'ai été séduit, même si j'admets que c'est, disons, spécial.

Je crois, en fait, qu'il faut accepter Jonna and the Unpossible Monsters sans se poser trop de questions, lire la série avec un esprit très ouvert. Si on attend un récit dense, riche en informations, en péripéties, avec une caractérisation forte, alors, effectivement, c'est très frustrant et même décourageant. En revanche, si on consent à laisser sa chance au produit, à accepter sa singularité, alors l'ensemble possède une identité réelle.

Ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est que les Samnee ont vraiment construit cette histoire pour qu'elle soit lue par des enfants, donc tout ce qui est trop complexe et choquant pour de très jeunes lecteurs en est bannie. La violence reste hors champ (comme lors de la scène de combat entre les deux monstres que surprend Rainbow), et d'ailleurs les monstres ont des aspects grotesques faits exprès pour ne pas effrayer outre mesure.

Le rythme est posé, pour ne pas dire contemplatif, lent. Rainbow est montrée à travers des actions élémentaires : elle s'arrête devant un cour d'eau, boit, remplit sa gourde, regarde un portrait de sa soeur, se rappelle leur enfance, etc. Tout est très fluide, de telle manière qu'un enfant, justement, ne soit jamais perdu. Le flashback sur la jeunesse des deux soeurs (demi-soeurs en fait, comme on le découvre alors) est compréhensible sans souci et découpé en saynètes aux couleurs douces, rassurantes, montrant des moments heureux, cocasses, mais suscitant une mélancolie touchante.

Effrayée par le combat des monstres, Rainbow réagit de manière très expressive et comique, on partage sans effort sa peur tout en pouvant en sourire, grâce à l'usage d'onomatopées et de motifs très cartoon. Lorsqu'elle rouvre les yeux, les deux monstres ont été neutralisés et Rainbow découvre qui les a assommés. Surprise : il s'agit de Jonna.

La bonne idée, accrocheuse même pour un lecteur plus adulte, c'est que Jonna est devenue une enfant sauvage, farouche. Son abondante tignasse cache son visage mais on peut lire dans son regard qu'elle ne reconnaît pas Rainbow et même qu'elle s'en méfie. Rainbow, elle, est trop heureuse de retrouver Jonna pour ne pas tenter de l'amadouer. La narration se fait très subtile et en peu de mots, en peu de gestes, les Samnee suggèrent habilement le lien entre les deux soeurs, quand Rainbow évoque leur père - une évocation qui résonne chez Jonna.

S'ensuit une course-poursuite entre les deux soeurs car Jonna s'enfuit avant de s'arrêter à l'orée d'une plaine aride. L'épisode se termine sur une pleine page qui ne résout rien mais invite à revenir le mois prochain. Toute la proposition de la série est contenue dans cet instant : honnêtement, on ne nous a pas racontés grand-chose, mais les auteurs parient quand même, audacieusement, sur le fait que cela nous donne envie de les suivre comme Rainbow suit Jonna.

Il y a une forme de radicalité inattendue dans cette façon de faire, de dire, de montrer car alors que la majorité des séries accrochent leurs lecteurs sur une abondance d'informations narratives et gtraphiques, Jonna and the Umpossible Monsters mise sur l'inverse : moins on en a, et plus on doit avoir envie de continuer. C'est très culotté.

Le dessin est au diapason car Chris Samnee a vraiment beaucoup simplifié son trait. Là encore, il est évident que cette stylisation très poussée est pensée pour capter l'attention de jeunes lecteurs, qui n'ont pas envie de déchiffrer des images trop détaillées, préférant se concentrer sur des enchaînements de plans et une efficacité immédiate. Tout est là pour faire tourner les pages.

Même les contours de vignettes sont tracès à la main, un peu tremblants. Les décors sont précis mais pas foisonnants, on évolue dans un cadre naturel mais aussi fantaisiste avec la présence des monstres, une forêt à la fois colorée et une plaine asséchée ensuite. Les vêtements sont aussi chamarrés, la couleur des cheveux étrange (Rainbow et son père ont une chevelure mauve-violette, Jonna orange). Matt Wilson fait encore une fois des merveilles, prouvant la diversité de sa palette (il suffit de comparer ce qu'il produit là avec ce qu'il créé sur Eternals).

Samnee épate toujours par la manière dont il croque les personnages, sans cacher la tendresse évidente qu'il leur porte. Rainbow est jolie, Jonna hirsute, et cette opposition entre douceur et sauvagerie est admirablement traduite avec une économie de traits bluffante. Le découpage, lui, rend fabuleusement compte du mouvement, avec des scènes rapides, soulignant la réactivité des personnages dans leur environnement.

Par rapport à Fire Power, Jonna and the Unpossible Monsters a l'avantage d'avoir des héroïnes attachantes et une intrigue vraiment imprévisible, auxquels on ne trouve pas d'équivalent. J'ai aimé, mais il est indéniable que c'est un projet qui n'est pas voué à faire l'unanimité.

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