mercredi 7 avril 2021

DECORUM #7, de Jonathan Hickman et Mike Huddleston



Après quatre mois d'attente, le septième et pénultième épisode de Decorum paraît enfin. Autant être franc et direct : cette périodicité n'aide pas à se reconnecter avec une histoire déjà bien barrée. Mais abandonner maintenant serait dommage, surtout que le n°8 devrait sortir le mois prochain, sans nouveau retard, et clore ce projet. Jonathan Hickman fait l'effort, louable, de simplifier son intrigue, et de la sorte Mike Huddleston a la voie libre pour produire des planches toujours aussi folles.


Lancée par Chi Ro, le leader de l'Eglise de la Singularité, la chasse à l'oeuf cosmique mobilise toutes les tueues de la sororité de l'homme, confirmées comme débutantes. Soeur Ma, leur chef, dispose de de plusieurs pistes et déploie ses assassins.


Neha Nori Sood a la chance, surtout après avoir survécu à une collision avec une voiture et une noyade, de localiser la première l'endroit où est caché l'oeuf. En pénétrant dans un entrepôt désert au coeur duquel se trouve une pyramide, elle tranche l'oeuf avec une épée et libère l'enfant.
 

Celui-ci est déjà formé et possède un corps masculin sculputral adulte, mais avec l'esprit d'un nouveau né. Mais, plutôt que d'en informer Soeur Ma, Neha emmène l'enfant à l'abri, ignorant qu'elle est suivie et bientôt on informe Ro Chi puis la conscience céleste de l'Eglise de la Singularité de la situation.


A son tour, Soeur Ma est mise au courant et n'a d'autre choix que de rediriger ses tueuses pour éliminer Neha et lui reprendre l'enfant. Evidemment, Imogen Morley, la mentor de Neha, est avertie et va devoir devancer ses collègues...

Contrairement à X-Men où, avec les data pages du designer Tom Muller, Jonathan Hickman fait comme si le lecteur de Decorum découvrait chaque épisode en en connaissant les acteurs et la situation. Pas de page pour lui rappeler les identités de chacun et les enjeux de l'histoire. Lorsqu'on ouvre ce septième fascicule quatre mois après le précédent, il faut donc d'abord commencer par consulter ses notes pour s'y retrouver (à moins d'avoir une mémoire d'éléphant).

Hickman teste donc le fan d'entrée de jeu, ne se souciant pas des retards pris par sa série, sans doute parce que, lui, a terminé l'écriture de ses scripts depuis un moment (ce n'est qu'une hypothèse puisque les maisons d'édition ne communiquent jamais sur les raisons des retards de parution d'une série et qu'Image Comics laissent ses auteurs livrer quand bon leur chante). Ce qui complique vraiment la chose, c'est que Decorum n'est pas, depuis le début, la série la plus simple à appréhender.

Mais en revanche, on peut remercier Hickman pour avoir, progressivement, dégraissé son projet, le simplifiant considérablement, comme si, au fond, tout l'arrière-plan qu'il avait décrit minutieusement dans les premiers épisodes ne comptaient pas tant que ça. Le scénariste aime bien poser un univers, un contexte, pour cadrer son récit, ses acteurs. Mais dans le cas de Decorum, tout compte fait, cela n'aura pas servi à grand-chose pour saisir l'essentiel.

Tout a fini par se résumer à l'apprentissage d'une jeune femme au métier de tueuse, formée par une redoutavble professionnelle à l'issue d'un concours de circonstances, et à la jeter dans une chasse à un oeuf cosmique convoîté par une obscure église qui le considère comme une menace. Quelle genre de menace exactement ? On s'en fiche un peu, franchement. Et même davantage : Decorum est une S.F. mais aurait tout aussi bien pu être un polar ou un western par exemple. Le cadre cosmique n'aura été qu'un décor de théâtre plus luxuriant, baroque, étonnant, propice à la production d'images ahurissantes.

Il y a un sens de l'absurde, et même de la comédie dans tout ça, les numéros précédents l'ont prouvé à de multiples reprises (notamment quand il a été question de la formation de Neha par Imogen). Mais cela ne doit pas nous empêcher de questionner le comportement de Neha dans cet épisode justement. Pourquoi sauve-t-elle et cache-t-elle l'enfant cosmique, en sachant que son geste ne pourra pas échapper à la sororité de l'homme bien longtemps ? Elle est de plus épiée par un mystérieux individu qui la dénonce à Ro Chi de l'église de la singularité, ce qui provoque une réaction en chaîne prévisible/ Désormais Neha est la femme à abattre.

Pourquoi a-t-elle donc agi ainsi ? C'est ce à quoi répondra le dernier épisode, qui devrait certainement être l'occasion de plusieurs réglements de comptes entre Neha et ses "soeurs" tueuses, peut-être d'une confrontation avec Imogen Morley, et d'une explication avec l'église de la singularité. Toutefois, je vois mal Decorum s'achever classiquement en une succession de bastons homériques, et la forme comptera autant que la résolution narrative de Hickman.

On peut faire confiance à Mike Huddleston pour produire un dernier opus flamboyant et déglingué. Car s'il n'a pas pu tenir le rythme mensuel, l'artiste a su à chaque fois en donner pour son argent au fan. Decorum, grâce à lui, sort vraiment de l'ordinaire (si d'aventure le scénario ne vous a pas suffi).

Une fois encore, donc, Huddleston mixe les techniques en virtuose et transforme ce récit en expérience visuelle unique. L'infographie lui permet toutes les audaces pour représenter des environnements surréels. Mais, sans prévenir, avec la même aisance, Huddleston peut revenir à des techniques plus sobres et aligner plusieurs pages en noir et blanc, réhaussées d'effets (trames, fragments colorés), le tout dans un découpage défiant toutes les attentes. C'est toujours aussi déconcertant, mais si on a apprécié jusqu'à présent, on ne sera pas déçu par ce dessin d'humeur, où seul semble compter l'envie de traiter une page comme l'artiste le souhaite, avec l'objectif de surprendre, d'éblouir et de submerger le lecteur.

A noter que Urban Comics vient de débuter la traduction de Decorum : un premier tome avec les quatre premiers épisodes (ça peut paraître peu, mais n'oubliez pas que la pagination des chapitres est souvent plus conséquente) vient de paraître et, éditorialement, c'est un pari car l'album se présente dans un format plus grand, pour être rangé à côté de parutions franco-belges. Une stratégie en forme de cheval de Troie, car en France on ne mélange pas les "torchons" (les comics, toujours majoritairement considérés comme de la sous-BD) et les serviettes (les livres traditionnels), et qui imite les mouvements opérés par d'autres (comme Glénat ou Delcourt).

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