vendredi 30 avril 2021

NEW MUTANTS #17, de Vita Ayala et Rod Reis

 

New Mutants va bientôt perdre (provisoirement ?) son dessinateur, il faut donc savourer ces épisodes. D'autant que Rod Reis nous régale comme toujours en servant un script assez bluffant de maîtrise de Vita Ayala. Où il est beaucoup question de manipulateurs, de faveurs accordés et à payer dans le futur, dans l'Outremonde comme sur Krakoa.


Krakoa. Le Roi d'Ombre rend visite à Felina, esseulée dans la maison de Mirage. Il lui raconte comprendre sa douleur mais lui explique qu'il y a un moyen de la convertir utilement. Jeune et mère, elle comprend les élèves et elle pourrait être son intermédiaire auprès d'eux.


Outremonde. Pour échapper à la mort promise par Merlin, Mirage et Karma acceptent de dérober chez sa fille, Roma, une relique. Mais l'opération dégénère et la magicienne les surprend. Elle leur remet cette relique, sans importance, en échange de quoi les deux jeunes femmes lui rendront un futur service.


La relique livrée à Merlin, Mirage et Karma peuvent repartir à la recherche de Joshua. Elle le trouve dans un autre royaume de l'Outremonde où il leur explique avoir trouvé sa place. Il va cartographier tout l'Outremonde et promet de les tenir régulièrement au courant de sa situation.


De retour à Krakoa, flanqué d'un lapin par Roma, Karma explique qu'elle a la conviction que l'animal pourrait contenir l'esprit de son frère décédé, Tran. Pour le ramener, Karma a besoin de l'aide de Mirage pour participer à l'Epreuve...

Je vais sans doute me répéter mais ce qui m'épate chez Vita Ayala dans ses épisodes de New Mutants, c'est l'intelligence de ses scripts, superbement construits. Une fois lu, chaque chapitre fait sens, on en comprend l'objectif et on voit avec quelle fluidité elle parvient à ses fins, sans lourdeur.

Ce qu'elle a développé depuis sa reprise de la série devient de plus en plus évident à travers une narration parallèle particulièrement maline. Tout tend à décrire des relations de maîtres et d'élèves, ou plus exactement de manipulateurs et de débiteurs. Les rapports qui sont établis entre les héros et les adultes auxquels ils ont affaire sont viciés, pleines de sous-entendus, de chausse-trappes.

Dans cet épisode, encore une fois, l'action se divise en deux parties simultanées : l'une se déroule dans l'Outremonde, l'autre sur Krakoa. Dans l'Outremonde, on suit Mirage et Karma parties à la recherche d'un jeune mutant, Joshua, qui a croisé Monarch (Jamie Braddock, le frère de Betsy et Brian Braddock, devenu roi d'Avalon) et l'a laissé explorer les autres royaumes de cette dimension. En s'aventurant dans ces contrées inhospitalières, elles sont capturés par Merlin qui les condamnent à mort. Mais elles passent un marché avec lui contre la vie sauve et le pardon.

Sur Krakoa, le Roi d'Ombre (encore un roi, et cela n'est pas innocent) embobine Felina en la convaincant qu'à toute chose malheur est bon. Elle est en effet désespérée car les Cinq refusent de ressuciter son fils (qui n'est pas un pur mutant) et parce que Mirage a préféré partir en mission que de rester veiller sur elle. Il lui explique que son double statut de mère et de jeune mutante en fait l'interlocutrice idéale de ses élèves (sur lesquelles il pratique des expériences, mais dont il ne dit rien évidemment).

Pour que Merlin les laisse poursuivre leurs investigations, Karma et Mirage se sont engagées à récupérer une relique en possession de sa fille, Roma. La mission ne se fait pa sans heurts mais Roma consent à leur livrer l'objet, qu'elle juge sans aucune valeur, contre une faveur que lui rendront les deux jeunes femmes dans l'avenir.

Vous le voyez donc, Mirage, Karma et Felina sont toutes trois sous la coupe d'hommes (et d'une femme) puissantes dont elles sont redevables. Dans le cas de Felina, le Roi d'Ombre prend l'apparence d'un homme bon, désireux de la réconforter en même temps que de lui confier une tâche à même de la soulager de ses tourments. Mais nous savons qu'il la manipule à son insu puisqu'il pratique des expériences sur de jeunes mutants et que Felina remplira, sans le savoir, un rôle de relais. Dans le cas de Mirage et Karma, elles négocient le pardon de Merlin mais pour tomber aussitôt après sous la coupe de Roma (même si elle ne révèle pas ce qu'elle exigera d'elle plus tard).

Vita Ayala fait preuve d'une ironie cruelle car elle a montré précédemment que les Nouveaux Mutants (comme équipe, même s'ils n'agissent pas de manière très groupée, ou alors trop sporadiquement) avaient obtenu du conseil de Krakoa plus responsabilités et d'égards. Une façon de ne plus être considérés comme des "juniors", mais bien des adultes, dans un rôle de professeurs, de tuteurs, de formateurs. Pourtant, leurs aventures ont pris un tour tel qu'ils sont à nouveau dépendants d'adultes manipulateurs, sans pouvoir échapper à leur emprise. Cela suggère bien qu'ils ne sont pas prêts pour ce qu'ils ont requis ou alors que la résolution de leurs intrigues va déterminer s'ils le sont. En tout cas, cet arc met en scène un test.

Et le plus fort, peut-être, c'est que justement l'épisode se conclut sur le recours au test, à l'Epreuve (le "Crucible") quand Karma sollicite l'aide de Mirage pour faire revenir son frère, Tran. La boucle est (presque) bouclée. D'un autre côté, on observe, lors d'une scène tendue entre Gabby Kinney et Anole  que le refus de la première à aider le second engendre au contraire un différend sérieux (en relation avec les expériences du Roi d'Ombre), et là, la scénariste établit un malaise croissant entre une partie des jeunes mutants qui reprochent aux autres de ne pas comprendre à quel point vivre avec une apparence étrange rend difficile voire impossible) une parfaite intégration sociale.

Les previews de Marvel pour Juillet indiquent que Rod Reis va quitter (provisoirement ?) la série au n°19. Peut-être va-t-il être l'artiste de la nouvelle série secrète de Jonathan Hickman ? Ou alors (ce que j'espère) fait-il une pause ? En tout cas, cela invite à savourer ses prestations car s'il ne devait plus dessiner New Mutants, ce serait une grosse perte (même si Alex Lins sera peut-être très bon, mais je ne connais pas son travail).

Le fait est que Reis complète idéalement Ayala. Son style graphique très marqué donne une identité forte à la série, mais surtout traduit visuellement à la perfection le propos de l'histoire. Il n'a pas son pareil pour d'une part représenter les menaces que rencontrent les héros (en particulier celle du Roi d'Ombre, à qui il confère une aura maléfique vraiment intense), et d'autre part pour mettre en scène les différents protagonistes du titre.

Comme tout grand artiste, Reis sait, en un détail frappant, rendre indentifiable un personnage, sans pour autant avoir à détailler son physique, comme quand il illustre le périple de Karma et Mirage. La plume sur la tête de cette dernière permet de la reconnaître facilement car ce simple élément suffit à la distinguer, dans un plan d'ensemble, de Karma. C'est tout bête, mais très habile. De la même manière, il oppose la gaucherie farouche des deux jeunes mutantes à l'assurance de Roma, qui apparaît à elles dans toute sa majesté. C'est, elle, une femme, pas une adolescente, et sa tenue, aux étoffes larges et légères, dit tout de sa féminité exubérante, de sa séduction envoûtante.

Reis est aussi un maître de la composition. Pas forcément dans le sens où on l'entend d'habitude : il ne place pas impeccablement ses personnages dans l'espace, mais toute ses pages sont construites autour d'un élément central, comme un objet au coeur d'un dialogue ou d'une couleur (ou absence de couleur) pour traduire une émotion. Ainsi en va-t-il dans les scènes où Karma et Mirage trouvent le pot dans la salle des trésors de Roma puis dans le dialogue qu'elles ont avec Joshua où il leur explique la raison pour laquelle, malgré les risques, il se sent vraiment chez lui dans l'Outremonde (ici, Joshua, au moment de se justifier, est dessiné en noir et blanc, ce qui l'isole car les autres plans sont colorisés. De plus il est cadré en plan américain, alors que Mirage est cadré en gros plan, ce qui induit un rapport dominant-dominé).

Le densité de chaque page, de chaque scène, leur enchaînement fluide, le parallélisme malicieux, tout cela concourt à la réussite de l'épisode et de la série. 

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