mercredi 21 avril 2021

JUSTICE LEAGUE #60, de Brian Michael Bendis et David Marquez / JUSTICE LEAGUE DARK, de Ram V et Xermanico


Je me suis montré prudent, pour ne pas dire méfiant, avec le précédent n° de Justice League car je ne savais pas bien à quoi m'attendre. Mais ce 60ème épisode a dissipé mes doutes avec un Brian Michael Bendis en verve et un David Marquez chaud patate. De son côté, Justice League Dark de Ram V et Xermanico confirme, elle, tout le bien qu'on pouvait déjà en penser.


Superman invite Black Adam et Naomi au Hall de Justice pour discuter de la menace rencontrée avec Brutus, originaire de la planète natale de la jeune fille et qui a attaqué le Kahndaq. Naomi n'identifie pas Brutus mais Superman insiste qu'elle participe à l'enquête de la Justice League avec Black Adam.


Cela suscite des remous dans l'équipe - surtout à cause de Black Adam. Mais déjà Batman signale une nouvelle apparition de Brutus à Central City. L'alien affronte Hippolyta, la mère de Wonder Woman, après avoir foulé le sol de Temyscera. Mais il bat en retraite en voyant les renforts arriver.


La présence de Black Adam déplaît fortement à Hippolyta, qui refuse de se joindre à la Justice League, et s'envole pour rentrer à Temyscera. Les héros retournent, eux, au Hall de Justice après que Batman ait prélevé à Central City des résidus provenant du monde de Brutus.


Flash a profité de ce temps pour améliorer son tapis de course afin que la Justice League puisse se rendre sur le monde de Brutus et Naomi. Le déplacement aboutit toutefois à une mauvaise surprise pour cette dernière, séparée dans l'opération des héros...

Lorsque j'ai appris que Brian Bendis allait écrire Justice League et que j'ai lu son premier numéro sur le titre le mois dernier, j'étais méfiant. Pourquoi ? Sans doute parce que j'avais le sentiment que Bendis choisissait une certaine facilité, renouant avec un team-book emblématique de l'éditeur, comme il l'avait fait avec New Avengers (et Avengers) chez Marvel. Allait-il être seulement capable et de me séduire à nouveau sur ce format-là (sachant que j'avais été un grand fan de ses New Avengers) et en animant les héros les plus populaires de DC ?

Il faut aussi dire que j'avais été un peu échaudé par son run sur Superman, qui n'a rien d'honteux, mais qui m'avait laissé sur ma faim (et que j'avais lâché avant le dernier arc). Bendis, depuis ses ennuis de santé ayant concordé avec son départ de chez Marvel, me semblait très versé dans une sorte de sentimentalisme et sa volonté d'écrire Superman traduisait cela fortement, en voulant en faire le véhicule quasi-politique d'une Amérique alors en pleine fin de règne Trump (Superman érigé en rempart contre l'administration Trump).

Ces préoccupations se reflétaient dans ses autres séries DC, toutes empreintes d'une forme de positivisme un brin forcé (Young Justice, Legion of Super Heroes, ou deux titres sur de jeunes héros incarnant l'espoir, la relève). Ce n'est pas que chez Marvel Bendis était un cynique ou un pessimiste, mais quand on s'en souvient, ses meilleurs runs se déroulaient dans des temps de crise avec des héros poussés à la clandestinité.

Mais ce n°60, deuxième épisode consécutif de Justice League période Bendis, m'a rassuré. Ce qui apparaît comme acquis désormais, c'est que le scénariste a adopté une écriture beaucoup plus directe et nerveuse que ce qu'il a produit ces dernières années. Pour ponctuer la progression de l'intrigue (au demeurant simple), il met en scène des moments d'action pure, qui servent à valoriser la puissance d'une formation comme la Justice League (et qui montre que Bendis assume pleinement d'écrire cette équipe comme un régiment de surhommes, de demi-dieux, nuancé par la présence de héros plus humains - comme Batman, Green Arrow).

Surtout, ce qui m'a beaucoup plu dans cet épisode, c'est que j'ai retrouvé le Bendis qui caractérise par le dialogue ses personnages et créé des interactions, une dynamique finalement assez familiale de l'équipe. Comme ses New Avengers, il n'y a pas de leader désigné, même si Superman fait figure de guide, d'autorité morale : il s'impose comme un référent à qui ses co-équipiers font confiance, même quand il s'agit de donner sa chance à Black Adam (ce qui est un choix spectaculaire) mais aussi à Naomi (moins problématique car moins polémique). Green Arrow se pose en contradicteur intelligent, qui pose les bonnes questions mais admet les arguments de Superman. Pour l'instant, les autres membres ont moins de consistance, même si Bendis leur octroie des répliques bien senties (Black Canary qui titille Green Arrow, Hawkgirl qui fait parler son expérience de guerrière, Batman dans un rôle d'éminence grise. En revanche, Aquaman devra attendre pour bénéficier des mêmes égards). La présence de Hippolyta apporte un point de vue intéressant, bien qu'elle quitte la scène vite (et que je me demande comment elle va prendre part à la suite).

Comme écrit plus haut, le récit est ponctué de scènes d'action très énergiques et c'est alors le moyen pour David Marquez de faire parler sa puissance de feu. Il a toujours été très à l'aise dans cet exercice et une fois encore, il emballe un combat entre Brutus et Hippolyta avec une vigueur qui régalera tous les amateurs. Surtout il impose la reine des amazones comme une sacrée guerrière, qui remplace sans problème sa fille (occupée au Valhalla). Marquez joue habilement sur la gestuelle et l'expressivité de cette femme quand elle se trouve face à Black Adam : sa réaction outragée renvoie au passé du protecteur du Kahndaq et insiste à bon escient sur l'opportunité, le bon sens de l'associer à cette histoire - et donc par ricochet interroge sur la bienveillance de Superman.

Marquez brille également quand il s'agit d'animer Black Adam et Naomi, qui représentent deux faces d'une même médaille : Adam bouge peu, fait la gueule, toise tout le monde d'un air suffisant, tandis que Naomi est impressionnée par la situation, les héros qui l'entourent, Adam qui, lui, n'est pas du tout ébranlé par tout ça. Le contraste est efficacement rendu par un dessin où le découpage, plus sage, dans des scènes qui s'appuient sur les dialogues, reposent surtout sur la composition des images, les angles de vue. La complicité est totale entre Bendis et Marquez alors et restaure la confiance du lecteur prudent jusqu'alors.

Le cliffhanger de l'épisode donne irrépressiblement envie de se jeter sur la suite. Justice League commence vraiment ce mois-ci et c'est prometteur, séduisant dans sa simplicité et son rythme. 

*


Merlin entre dans une librairie où il peut consulter des manuscrits originaux de José-Luis Borges. Mais il explique ensuite ne pas être intéressé par leur acquisition. En vérité, il en libère les créatures pour accomplir son plan de reconquête.


Soumis à l'approbation de la Justice League, Etrigan est intégrè à la Justice League Dark, avec la caution de Batman, pour retrouver et neutraliser Merlin. Cependant, Rory Regan entre à son tour dans la librairie fréquentée par le magicien et découvre son oeuvre...

On observe de manière jubilatoire les mêmes qualités dans ce nouveau chapitre de Justice League Dark, et pourtant Ram V et Xermanico ont deux fois moins d'espace pour s'imposer. Toutefois, cette contrainte semble galvaniser les deux partenaires pour combler le lecteur.

En dix pages donc, Ram V réussit l'exploit de faire preuve d'humour, de susciter l'effroi, et se provoquer le frisson de l'action. Le découpage de son script est tellement efficace qu'il mérite d'être étudié, c'est dire. Etrigan est intégré à la JLD, avec l'approbation modérée de la JL, Merlin commence à déchaîner sa magie, et Ragman entre en scène.

Ce qui ne cesse de m'épater chez Ram V, c'est la densité et la fluidité mêlées de son écriture. Il prend le temps de nous faire sourire avec l'enrolement d'Etrigan, qui suscite le malaise chez Superman mais de la jubilation chez Green Arrow (jamais en reste quand il s'agit de savourer ce qui dérange un surhomme comme Supe) ou des soupirs chez Black Canary et Hawkgirl (la première levant les yeux au ciel à la perspective d'un débat entre Green Arrow et les autres, la seconde s'étonnant que le démon pose problème puisqu'il a prouvé sa bonne volonté). Cette scène d'introduction est exquise.

On retrouve ensuite Merlin et là, Ram V invoque Borges, cet écrivain majeur du réalisme magique, dont les ouvrages offrent une arsenal inattendu au magicien. Le scénariste a-t-il lu Storykiller de Kelly Thompson dans lequel l'héroïne, Tessa, a pour mission de chasser et renvoyer dans leurs dimensions des monstres échappées des livres fantastiques ? Ici, en tout cas, on trouve une astuce similaire et maline.

La composition de la JLD se réduit à peu de choses ("un singe, une magicienne, un type en trench coat, un démon" comme il est écrit en off) et l'apparition finale de Ragman (un personnage de second rang que j'ai toujours aimé) vient la complèter. Cette formation réduite et assez peu puissante finalement rend le combat à venir déséqulibré et palpitant donc.

Il faut profiter de chaque page dessinée par Xermanico car on le sait désormais, l'artiste va quitter le titre, accaparé par la mini-série Infinite Frontier (écrite par Joshua Williamson), il sera remplacé par Sumit Kumar (avec qui Ram V a signé These Savage Shores). C'est vraiment dommage d'habiller Pierre en déshabillant Paul, mais pouvait-il en être autrement ? Xermanico est un grand talent en devenir, qui préfère logiquement dessiner une mini-série importante plutôt qu'une back-up, et qui de toute façon ne pouvait donc pas produire 30 ou 40 pages/mois.

Reste que Xermancco est un vrai pro et ne bâcle pas ses planches, au contraire. Un gaufrier de talking heads très expressives ou une pleine page avec Merlin sont de petits morceaux de bravoure au milieu de ce chapitre qui, graphiquement, se tient mieux que bien.

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