lundi 12 avril 2021

NORMAL PEOPLE (BBC 3/Starzplay)


Comme je n'ai toujours pas reçu Fire Power #10 et America Chavez : Made in the USA #2, je vous propose une nouvelle critique d'une série. Mais ce n'est pas un pis-aller puisqu'il s'agit de Normal People, une autre production magistrale qu'on doit à la BBC 3, diffusée sur StarzPlay en France. Cette adaptation du roman de Sally Rooney réalisée par Lenny Abrahamson (Room) et Hettie McDonald est une romance bouleversante en 12 épisodes d'une trentaine d'épisodes chacun et qui révèle deux jeunes acteurs exceptionnels.


Sligo est une bourgade en Irlande. C'est là que vivent deux lycéens : Connell Waldron est un athlète passionnée de littérature, très populaire, et Marianne Sheridan, qui vient de perdre son père, et qui est considérée comme une originale revêche par ses camarades. La mère de Connell, Lorraine, est femme de ménage chez les Sheridan et observe le rapprochement entre son fils et Marianne, tout comme le frère aîné de celle-ci, qui la déteste.


Connelle et Marianne deviennent amis puis amants. Mais Connell s'évertue à cacher cette relation à ses amis et il ignore Marianne dans l'enceinte du lycée tandis qu'elle esssuie les quolibets des élèves. Mais elle fait face, car elle a la langue bien pendue et remet en place les moqueurs. Marianne profite pleinement des moments passés avec Connell.


Lorraine, elle, n'apprécie pas l'attitude de Connelle envers Marianne et le lui fait vertement savoir. Lorsqu'il préfère inviter Rachel à une fête donnée par ses amis, Marianne l'apprend et rompt, s'estimant trahie. Connelle quitte le bal et fond en larmes, conscient d'avoir bêtement perdu son véritable amour.


L'été passe. La rentrée arrive. Connell intègre la faculté de Trinity où il vit en co-location avec Niall. Il tombe par hasard sur Marianne en se rendant à une soirée donnée par le fiancé de celle-ci, Gareth, qui anime un club de débâts. La situation s'est inversée : Marianne est devenue la vedette de la fac grâce à son éloquence et son charme tandis que Connell a le mal du pays.


Pour rester proche de Marianne, Connell se fait une place dans son cercle d'amis, qui ne cache pas son dédain pour ce garçon timide, sous-estimé intellectuellement. Marianne prend sa défense et Connell s'excuse auprès d'elle pour son comportement au lycée. Elle lui pardonne et recouche avec lui. Dans la foulée, elle rompt avec Gareth.


Marianne rentre voir sa mère mais sa réussite scolaire monopolise la conversation et suscite la jalousie de son frère. Connell perd son job de serveur grâce auquel il payait son loyer mais le cache à Marianne pour ne pas avoir à lui demander de le loger. Il rentre à Sligo quand elle en revient, et coupe les ponts brutalement.


A Sligo, Connell décroche une place de caissier dans la supérette locale et passe ses soirées à boire avec ses amis du lycée, restés sur place. Cependant, Marianne cède aux avances de Jamie pour lequel elle accepte une relation sado-masochiste. Malgré la poursuite compliquée de ses études universitaires, Connell obtient une bourse, tout comme Marianne. Ivre, il débarque chez elle après avoir été agressé par un inconnu et tandis qu'elle panse ses plaies, il lui avoue fréquenter Helen, une étudiante en médecine. Elle le congédie.


Pendant l'été qui suit, Connell et Niall font le tour de l'Europe et acceptent l'invitation de Peggy pour leur séjour en Italie. Marianne et Jamie sont également présents et ce dernier se montre odieux avec la jeune femme. Quand il se montre violent, Connell s'interpose et réconforte Marianne. Mais elle préfère ne pas refaire l'amour avec lui.
  

Marianne profite du programme Erasmus pour poursuivre son cursus en Suède. Elle y rencontre Lukas avec lequel elle entame une nouvelle liaison SM. Elle reste en contact avec Connell, qui s'est installé avec Helen, et confie ses rapports sexuels extrêmes. Connell s'inquiète pour elle et provoque la jalousie de Helen. Epuisée par ce qu'elle s'inflige, Marianne rompt avec Lukas.


Le suicide d'un ami du lycée de Connell va réunir Connell, qui plonge dans une grave dépression, et Marianne, rentrée à Sligo pour assister aux funérailles. Niall recommande une pyschothérapeute à Connell qui lui avoue sa solitude malgré sa vie de couple et sa culpabiltié vis-à-vis du disparu avec qui il n'avait plus de contact. Helen le quitte.


Connell se rétablit progressivement et en profite pour échanger avec Marianne sur leur relation tumultueuse. Ils retombent dans les bras l'un de l'autre mais quand Marianne invite Connell à la brutaliser, elle se rend compte du malaise qu'elle a créé. En rentrant chez elle, elle subit une nouvelle fois la colère de son frère qui la blesse physiquement par accident. Appelant Connell à l'aide, il l'emmène en lui promettant que plus personne ne lui fera de mal.
 

Marianne passe Noël avec les Waldront. Puis les anciens élèves du lycée de Sligo se réunissent pour le Nouvel An. Marianne accompagne Connell qui lui avoue son amour et réciproquement. Ils retrouvent Trinity et Connell apprend qu'il est invité dans un programme d'écriture à New York. Marianne l'encourage à accepter mais refuse de le suivre car elle a besoin de temps pour se reconstruire.

C'est l'an dernier que Normal People a été diffusé sur la BBC Three puis en France sur StarzPlay, et à cette occasion a reçu des critiques très élogieuses un peu partout. En douze épisodes d'une trentaine de minutes chacun, on suit la romance compliquée entre Marianne, une outsider, et Connell, un beau gosse populaire, en Irlande. Ils s'aiment, ils se quittent, se retrouvent, traversent des épreuves personnelles : a priori, rien de neuf sous le soleil. Sauf que, derrière cette trame banale, se cache une histoire romanesque et romantique absolument bouleversante.

Quand on remarque que la première moitié de la série est réalisée par Lenny Abrahamson, on est déjà rassuré car c'était l'homme qui avait signé Room, le film qui avait valu l'Oscar de la meilleure actrice à Brie Larson en 2016. Le fait que Sally Rooney, l'auteur du roman, ait elle-même participé à son adaptation met aussi en confiance. Enfin, la qualité de la production de la BBC est une dernière garantie.

Le format de la série est à la fois original (puisque ses épisodes courts font plutôt penser à ceux d'une sitcom) et palpitant (car le récit prend des airs de fueilleton, presque de saga). Bien qu'il n'y ait pas d'indications sur les années où l'action se déroule, on devine quand même que le temps s'écoule doucement puisqu'on observe Marianne et Connell depuis la fin de leur scolarité au lycée jusqu'à leur entrée en faculté, qui suggère un cursus assez long. Par ailleurs, l'histoire se déplace dans sa seconde partie en Europe, avec des chapitres en Italie et en Suède, ce qui suppose que tout ça ne se résume pas ç quelques mois.

La notion de temps, sur laquelle j'insite, est centrale. C'est le coeur de la série qui ne dit rien d'autre qu'on ne connaît et aime bien quelqu'un qu'avec le temps, au gré des ruptures, des rerouvailles, des épreuves, des rencontres. La romance entre Marianne et Connell prend en effet souvent l'allure d'un chemin de croix, évoquant le "ni avec toi, ni sans toi" entendu dans La Femme d'à côté de François Truffant : comme jadis Gérard Depardieu et Fanny Ardant, les deux héros ne peuvent rester longtemps loin l'un de l'autre mais en même temps ils sont dépassés par leur amour, les contraintes sociales, le passé de leurs familles, etc. Rien n'est simple entre eux et pourtant pour eux comme pour nous qui les regardons, tout est évident : il sont fais l'un pour l'autre, ils sont les seuls à se comprendre mutuellement, à être "compatibles", mais la vie, les caprices du destin autant que le courant tortueux de leurs désirs ne cessent de les éloigner, de les éprouver.

La caractérisation des personnages est fabuleusement décrite. Connell apparaît au début comme un garçon ingrat à qui on souhaite une punition sévère pour traiter Marianne comme il le fait : n'assumant pas d'aimer une fille que raillent ses copains, il est lâche, et s'attire à raison les foudres de sa mère qui considère son attitude méprisable. Puis s'opère un basculement savoureux quand le couple se retrouve en fac : Marianne, libérée du poids du lycée et de sa famille (une mère indifférente, un frère haineux), s'est émancipée et a gagné en charme, en séduction, en assurance. Son sens de la répartie, déjà aiguisé, et son intelligence naturelle (qui a pris le pas sur sa sensibiltié) en ont fait une petite vedette, convoitée par les garçons, appréciée par les autres filles. Connell, en revanche, a du mal à s'intègrer dans la ville de Dublin, au sein d'étudiants plus cool et riches que lui. Il avait choisi d'étudier l'anglais dans cette université pour être avec Marianne avant leur rupture et aujourd'hui il ne sent plus à sa place (même s'il conserve d'excellentes notes grâce à sa discipline dans le travail).

Une seconde crise nait d'un moment de bonheur (plus tard, à la fin de la série, Connell reconnaîtra d'ailleurs que c'était sans doute la période la plus heureuse de sa vie, malgré tout) : quand Marianne et Connell décrochent une bourse (qui leur assure un meilleur train de vie, l'assurance de terminer leurs études sans dépendre de leurs familles), lui se soûle et se fait tabasser dans la rue par un voleur. Il débarque chez Marianne, qui fête sa réussite entre amis, et joue les infirmières providentielles. Pourtant Connell lui révèle sa liaison avec une autre étudiante et fiche une nouvelle fois tout en l'air.

Le troisième acte de la série est le plus décousu mais correspond à une période elle-même plus heurtée pour les deux héros. C'est alors que le récit se déplace en Europe et que Marianne prend toute la lumière. Mais la jeune femme traverse en réalité un désert moral : comme pour se punir (car elle a vu sa mère brutalisée par son défunt père, puis son frère la détester, et Connell la trahir, elle se demande si elle n'est pas la cause de son propre malheur), elle subit par deux fois des amants qui la maltraitent, lui infligent une relation sexuelle SM (dans laquelle elle est la dominée). La tournure de l'histoire devient vraiment inattendue, la psychologie de Marianne s'avère incroyablement complexe : cette jeune femme gracile et pourtant coriaceva jusqu'au bout d'elle-même, plonge tout au fond sans que le spectateur sache si cela aboutira à un rebond et si oui, de quelle nature (on verra ensuite que tout n'est pas complètement réglé).

Engagé dans une relation plus stable, Connell est donc alors plus en retrait, comme si les auteurs laissait son personnage un peu au repos. Mais la réalité va le rattraper violemment dans la quatrième et dernière partie. Le thème du deuil frappe alors puissamment la série : pas seulement parce qu'un ami d'enfance de Connell se suicide et plonge le jeune homme dans la dépression (montrée ici sans détour), mais parce qu'il s'agit de faire son deuil de la jeunesse, de l'insouciance, des illusions, de quelques espoirs aussi (Helen, la compagne de Connell, ne peut accepter de vivre dans l'ombre de Marianne). C'est l'heure des bilans et la série ne ménage personne, osant le malaise encore une fois dans une scène remarquable d'intensité (une scène d'amour physique qui s'échoue sur une gêne insurmontable). Mais aussi la libération (Marianne qui coupe les ponts avec sa famille), puis l'apaisement (les fêtes de fin d'année), avant d'ultimes larmes déchirantes (quand Connell consent à partir pour New York).

Les six derniers épisodes ne perdent pas en qualité dans la réalisation quand Abrahamson cède la place à Hettie McDonald, qui conserve une sensibilité remarquable - sans sombrer, jamais, dans la sensiblerie, le pathos. On peut noter une légère baisse de rythme lors de la transition, et déplorer que l'arc consacré à Marianne (avec les scènes en Italie puis en Suède) est un peu répétitif, soulignant un peu trop le calvaire du personnage. Mais au moins, ces parti-pris d'écriture et de mise en scène sont assumés et leur frontalité est vraiment audacieuse (là où une série américaine aurait joué le hors-champ, voire aurait évité ces moments).

On a souvent la gorge serrée en regardant Normal People, une émotion vous saisit, difficile à ne pas ressentir. De ce point de vue, malgré le format des épisodes, on est vraiment dans l'anti-sitcom, mais pas non plus dans du docu-réalisme social à la Ken Loach (qui, personnellement, m'insupporte). La série brille surtout par sa finesse et son honnêteté, sa lucidité aussi : c'est une chronique amoureuse d'une justesse et d'une subtilité rares.

Cette réussite, on la doit aussi (surtout ?) à ses deux interprètes principaux, deux révèlations : d'un côté, Paul Mescal, impressionnant, fébrile, fragile et balèze à la fois, fait penser à un jeune Sean Penn parfois. Il a un charisme saissisant, une vulnérabiltié rafraîchissante, et même dans les passages les plus ingrats de son rôle, il arrive à rester attachant. De l'autre, il y a Daisy Edgar-Jones, archétype de la petite anglaise, qui passe de l'adolescente frêle et revêche à la jeune femme irrésisitible et à la femme hantée avec une fluidité dans le jeu proprement stupéfiante. On tombe amoureux d'elle comme Connell, on a envie de la protéger, on a surtout envie qu'une carrière à la hauteur de son talent l'attende. Ces deux-là devraient, en toute logique (même si la télé et le cinéma n'ont rien de logique avec les acteurs) inspirer bien des cinéastes. 

Ces "Gens Normaux" sont superbes. Découvrez cette série, même si la perspective de passer six heures devant une histoire d'amour n'est pas a priori votre came : croyez-moi, cette série vous serrera le coeur.

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