vendredi 30 octobre 2015

Critique 739 : WONDERTOWN, TOME 2 - GUILI-GUILI A WONDERTOWN, de Fabien Vehlmann et Benoît Feroumont


WONDERTOWN : GULI-GUILI A WONDERTOWN est le second tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Benoît Feroumont, publié en 2006 par Dupuis.
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Cet album compte quatre histoires :

- 1/ Méfiez-vous des blondinettes (12 pages). Lili et Edgar ont raison de se méfier quand la jolie serveuse de la soupe populaire entraîne Pat sous une tente. Transformé en ours, le pauvre garçon va tout faire pour ne pas finir comme descente de lit, pourchassé par cette blondinette psychopathe.

- 2/ Rififi dans les égouts (14 pages). Pat est devenu l'homme à tout faire de la chanteuse Camille que tous les hommes de la ville désire. Mais la belle cache un terrible secret qui va conduire Pat jusque dans les égouts, peuplées de bien vilaines créatures.

- 3/ Des papotis sur l'escalier (6 pages). Pendant que Pat tente de semer deux gangsters, Lili, Tim et Edgar devisent fielleusement sur la personnalité de leur protecteur auquel il reproche de vouloir se faire remarquer sans arrêt et de les surprotéger.

- 4/ Plunk (14 pages). Pat et ses amis sont choisis par la protectrice de Little Estony pour défendre le quartier de la convoitise du maître de Wondertown au cours d'une partie de basket ball littéralement endiablée contre la bande à Milo.

Ces quatre nouvelles histoires concluent prématurément cette série injustement boudée en son temps par le public. C'est d'autant plus frustrant qu'on voit bien que son scénariste avait des projets pour une suite au terme de l'ultime récit.

Si le premier tome était inégal mais néanmoins réjouissant, ce nouvel opus est une réussite totale : Fabien Vehlmann a su tirer les enseignements de ces précédentes short stories et a concocté un programme plus abouti.

Avec une histoire en moins, le scénariste a compensé le nombre par une pagination un peu plus conséquente, dépassant pour les 3/4 la dizaine de pages. Le résultat, ce sont des intrigues plus mouvementées, qui exploitent plus franchement l'aspect fantastique et développent les ressorts comiques qui en découlent. Pat est aussi davantage mis en avant et en difficulté : tour à tour métamorphosé en ours, amoureux d'une chanteuse dont l'apparence est trompeuse, pourchassé par deux gangsters, ou à la manoeuvre dans une partie de basket ball magique, on compatit pour lui tout en se régalant de ses mésaventures.

Il paraît évident que si la série s'était prolongée, Vehlmann aurait certainement précisé des éléments relatifs à la situation de la ville de Wondertown, pourquoi la magie en est une partie essentielle, et le lecteur aurait probablement visité de nouveaux quartiers, dûment baptisés (comme ici Little Estony). Tout cela ajoute au regret associé à la fin du titre qui affichait un potentiel consistant... L'auteur avait su pourtant rapidement équilibrer l'étrange à l'humour avec un zeste de romance (voir la déclaration de Lili à Pat dans l'épisode Méfiez-vous des blondinettes) : en vérité, l'échec de Wondertown interroge celui qui découvre la série aujourd'hui car elle avait tout pour plaire - originale, drôle, rythmé.

Les dessins de Benoît Feroumont ont aussi subtilement gagné en assurance, notamment dans le découpage beaucoup plus nerveux : sa formation dans le dessin animé porte pleinement ses fruits dans des scènes de poursuite, abondantes dans ce second tome (Pat fuyant la furie de celle qui l'a transformé en ours, Pat s'aventurant dans les égouts, Pat essayant de semer les deux porte-flingues auquel il a grillé la politesse quand il a voulu se désaltérer, Pat dribblant pendant le match de basket).

L'autre force de Feroumont réside dans l'expressivité qu'il sait donner à ses personnages, aussi à l'aise quand il s'agit de dessiner un jeune homme, des femmes ou des enfants. La rondeur de son trait accentue sans trop exagérer les grimaces et moues diverses des visages, souligne la gestuelle de chacun sans sombrer dans l'outrance.

Et, même si les décors manquent encore parfois de finitions (une petite paresse d'ailleurs reconnue par l'artiste, qui s'est appliqué à améliorer cela depuis pour Le Royaume), la colorisation de Christelle Coopman soigne les ambiances de ces courts récits se déroulant sur plusieurs saisons distinctes (en hiver, en été) et souvent à la tombée du jour (à l'exception de Des papotis sur l'escalier, un épisode qui peut se lire comme un hommage à Will Eisner et ses fameuses séquences de discussions sur les perrons d'immeubles de New York).

Quel dommage que Wondertown en soit resté là... Mais, même si c'est une maigre consolation, quel plaisir de découvrir cette ville drôlement inquiétante traversée par l'attachante bande de Pat.

jeudi 29 octobre 2015

Critique 738 : WONDERTOWN, TOME 1 - BIENVENUE A WONDERTOWN, de Fabien Vehlmann et Benoît Feroumont


WONDERTOWN : BIENVENUE A WONDERTOWN est le premier tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Benoît Feroumont, publié en 2005 par Dupuis.
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(Extrait de Wondertown : Le Cabaret du lutin.
Textes de Fabien Vehlmann, dessins de Benoît Feroumont.)

L'album comprend cinq histoires :

- 1/ Le Cabaret du lutin (10 pages). Pat est engagé comme coursier et doit livrer un colis au Cabaret Voltaire, mais il ne doit l'ouvrir sous aucun prétexte. La tentation est trop forte quand une voix provient de l'intérieur du paquet. Mais cela va lui causer bien des ennuis dans un cabaret où se divertit la pègre de la ville...

- 2/ Stupeur et grognements (9 pages). Pat convainc la bande d'orphelins qui l'accompagne de dormir dans la maison abandonnée des Bradighan, qu'on dit hantée. Il aurait mieux fait d'écouter ses amis car les machines  dans le jardin sont effectivement possédées...

- 3/ Maudits amoureux ! (7 pages). Une vieille sorcière aigrie lance un mauvais sort à deux amoureux dans un square. Témoins de la scène, Pat et la petite Lili doivent tout faire pour séparer le couple... Quitte à s'attirer la colère d'une bonne fée !

- 4/ Sur le chantier de la guerre (8 pages). Pat décroche un nouveau job a priori simple : il doit monter leur repas à des ouvriers au sommet d'un gratte-ciel en construction. Mais en haut de la tour, des indiens se livrent à une terrible guerre à cause d'un calumet perdu. Pat va tenter, à ses risques et périls, de jouer au médiateur...

- 5/ Mauvais temps sur Wondertown (12 pages). Devenu barman dans un café, Pat est témoin des tours que le jeune Tim accomplit depuis qu'il a récupéré la baguette magique du Great Raymond, un prestidigitateur dont le dernier numéro (faire disparaître une voiture) a causé sa chute. La situation devient critique quand Milo, le bras-droit de Mr Jack, le parrain de la mafia de Wondertown, dénonce Pat et Tim...

Avant que Fabien Vehlmann ne devienne le scénariste de Spirou et Fantasio et que Benoît Feroumont connaisse le succès avec Le Royaume, les deux auteurs unirent leurs forces pour produire Wondertown dans les pages du journal de Spirou, il y a tout juste dix ans. Hélas ! l'expérience tourna court et ce titre s'arrêta après deux albums contenant 9 histoires en tout et pour tout.

Bien entendu, comme on peut s'en apercevoir avec ce premier tome, cette production accuse quelques faiblesses, mais elle a conservé un charme délicieux, une fantaisie qui ne méritait pas un tel échec.

Vehlmann a toujours apprécié les récits complets en peu de pages, l'équivalent de nouvelles en bande dessinée : il s'est prêté à cet exercice dans Le Diable amoureux et autres films jamais tournés par Méliés (dessiné par Frantz Duchazeau), Des Lendemains sans nuages (dessiné par Bruno Gazzotti et Ralph Meyer) et surtout Green Manor (dessiné par Denis Bodart - dont je vous parlerai bientôt). 

Le scénariste aime, comme il l'a expliqué dans le journal de Spirou, le fait de devoir tout donner en disposant de peu d'espace, et surtout on trouve dans cette contrainte l'essence de son style, sa marque de fabrique : c'est un auteur qui aime raconter des histoires sur le fait justement de raconter des histoires - Les Cinq conteurs de Bagdad (également illustré par Duchazeau) en était la brillante démonstration, le récit étant lui-même rythmé en courts chapitres comme autant de péripéties. 

Le reproche majeur qu'on peut adresser à ce premier tome de Wondertown tient au fait que Vehlmann oublie un peu trop de caractériser ses personnages : on connait tout juste le prénom du héros adulte, Pat, d'un des gamins orphelins qui le suit dans ses aventures (Tim). Même souci pour le cadre de l'action : on n'a la confirmation que Wondertown se situe aux Etats-Unis qu'à la quatrième histoire (avec les révélations du chef indien). Quant à l'époque où est censé se dérouler tout ça, on ne peut que la deviner (les années 30, durant la prohibition). Bref, ce défaut de contextualisation pénalise le projet.

Mais, ces réserves mises à part, difficile de ne pas être séduit par cette bande dessinée : Vehlmann s'y montre à son avantage car il manie parfaitement des éléments de genre. Wondertown s'inscrit dans les cadres du fantastique et de la comédie : lutin grossier, maison hantée, machines possédées, amoureux victimes d'une sorcière, indiens en guerre à cause d'une étourderie, voitures qui pleuvent sur un bas-quartier... On ne s'ennuie pas avec ces mini-intrigues délirantes, variées, menées sur un rythme soutenu.

Vehlmann pimente le tout de dialogues malicieux où le héros, Pat, est le premier à admettre qu'il se compromet bêtement : le lecteur sait donc en même temps que lui que les choses vont rapidement se gâter et prendre des proportions à la fois spectaculaires et amusantes. Les commentaires fatalistes des gamins qui le suivent soulignent cet état de fait de façon savoureuse.

Fort de son expérience dans le dessin d'animation, Benoît Feroumont injecte beaucoup de tonus à ces scripts déjà dynamiques. Certes, parfois, ses cases manquent de décors, même s'il prend toujours soin de bien situer l'action, en réussissant à planter le cadre avec une efficace économie. Mais souvent les arrière-plans sont davantage remplis par les couleurs de Christelle Coopman (la compagne de l'artiste) et Dino Sechi que par des éléments distinctifs.

Néanmoins, le résultat demeure toujours très vivant et agréable visuellement : Feroumont a un trait rond et très expressif, il sait animer des personnages adultes comme des enfants, les physionomies des premiers et seconds rôles sont variées, et leur gestuelle est bien étudiée, avec juste ce qu'il faut d'exagération.

Le dessinateur glisse même quelques jolies trouvailles comme les ombres portées de Pat, Gilda, Lili, et des amoureux maudits (pages 26-27) ou une scène en continuité séquentielle très astucieuse (page 38), témoignant de son inventivité narrative - qu'il améliorera dans le tome 2 et qui profitera à sa série Le Royaume.

Bien qu'inégal et souffrant de quelques lacunes, ces cinq premières histoires de Wondertown sont un délice qui donnent envie de réhabiliter cette série prématurément annulée. Le second tome ne fera que confirmer l'originalité et la qualité de ce titre à la bonne humeur communicative.

mercredi 28 octobre 2015

LUMIERE SUR... CAMERON STEWART

Cameron Stewart
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En 2013, Cameron Stewart publie sur www.nirocomic.com une preview de 18 pages de son nouveau projet de web-comic (après Sin Titulo), intitulé Niro. Il prévoit, une fois fini, d'en publier une version papier, et cite comme influences Moebius, Hayao Miyazaki, Sergio Leone et Alejandro Jodorowski.

L'histoire est celle d'un prêtre flingueur, Niro, et d'une jeune fille, Fen, qui sont tous les deux à la recherche du Nomad, une forteresse errante où est peut-être retenue la famille de Fen et où se trouvent sans doute les réponses que Niron se pose sur son mystérieux passé.

Depuis, plus rien. Espérons quand même que ce brillant artiste complet finalise un jour ce projet prometteur.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Critique 737 : THORGAL, TOMES 28 & 29 - KRISS DE VALNOR & LE SACRIFICE, de Jean Van Hamme et Grzegor Rosinski


THORGAL : KRISS DE VALNOR est le vingt-huitième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegor Rosinski, publié en 2004 par les Editions du Lombard.
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Aaricia, bien que sous la bienveillante protection d'un prince romain, n'a pas renoncé à s'échapper avec ses enfants pour retrouver Thorgal. Reprise, elle est envoyée, avec sa progéniture, dans les mines d'argent.
Sur place, les conditions de travail sont inhumaines et rendues encore plus insupportables par la présence de Kriss de Valnor, qui a échoué ici après avoir dû quitter le repaire de Shaïgan-sans-merci, été capturée par une galère de l'empire, et s'être refusée au capitaine du navire.
Avec Aaricia et surtout Jolan, dont elle connaît les pouvoirs, Kriss s'évade et libère Louve, séparée de sa mère. Ensemble, le groupe ainsi formé fait route jusqu'à Ravinum, le dernier comptoir au Nord. C'est là que Jolan retrouve Thorgal, recueilli par un médecin après qu'il ait pu quitter l'île de Syrénia.
Il est temps de quitter la ville mais des hommes qui en veulent à Thorgal s'interposent. Kriss se sacrifiera pour permettre à ses compagnons de se sauver, confiant à Aaricia Aniel, le fils qu'elle a eu avec Thorgal quand il avait perdu la mémoire.
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THORGAL : LE SACRIFICE est le vingt-neuvième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et peint par Grzegor Rosinski, publié en 2006 par les Editions du Lombard.
Il s'agit du dernier épisode écrit par le créateur de la série, Jean Van Hamme.

Remontant jusqu'au Northland, Aaricia est désespérée : son mari agonise et un seigneur, à qui elle a demandé asile mais qui le lui a refusée et contre que Jolan a ridiculisé, veut se venger. La famille Aergisson ne devra son salut qu'à l'intervention de Vigrid (voir tome 14, Aaricia).
Le dieu d'Asgard rend provisoirement sa santé à Thorgal en lui remettant les larmes de Tjahzi, mais ce geste provoque la colère d'Odin qui envoie le fils des étoiles, et Jolan qui s'est accroché à son père, dans les cieux.
Le viking et son fils retrouvent la gardienne des clés qui leur explique qu'un seul homme peut aider Thorgal à se rétablir : il s'agit du fils d'une déesse et d'un mortel, Manthor, vivant dans l'Entremonde, à l'abri du père des dieux.
Manthor guérit Thorgal mais réclame en échange à Jolan qu'il devienne son disciple pour apprendre à maîtriser ses pouvoirs.
La famille Aergisson obtient du roi Gunnar de pouvoir se réinstaller au Northland, mais Jolan quitte les siens après un dernier échange avec son père, qui accepte son sacrifice.

Avec ces deux épisodes, Jean Van Hamme tire donc sa révérence à la série qu'il créa en 1977 : presque trente ans et autant d'albums plus tard, et malgré quelques chapitres moins bons, il s'acquitte de cet exercice avec style, tout en laissant la porte ouverte à la reprise de l'écriture des scénarios par Yves Sente (Rosinski demeurant l'artiste du titre).

D'une manière assez légitime, Van Hamme consacre le tome 28 à Kriss de Valnor, une de ses plus charismatiques créatures depuis son apparition dans le tome 9 (Les Archers). Il est évident que l'auteur a toujours conservé un faible pour cette superbe méchante dont la beauté physique et le tempérament machiavélique ont toujours été supérieurs à celui de Aaricia et de toutes les autres femmes de la série. Bien entendu, on pourra sourire de la retrouver une fois encore sur le chemin des Aergisson, alors qu'on l'avait quittée à la tête de pirates (dans le tome 22, Géants), mais une partie du charme de Kriss réside dans ce cliché dramatique.

Par ailleurs, si Van Hamme ne résiste pas à quelques facilités (un zeste de saphisme dans la scène des bains entre Kriss et Aaricia), il sait être réaliste (Kriss a eu un enfant de Thorgal, ce qui est logique vu le temps qu'ils ont passé ensemble quand il était, amnésique, sous sa coupe : difficile d'imaginer que pendant tout ce temps le fils des étoiles n'ait pas couché avec elle et donc qu'elle ne soit pas tombée enceinte). Enfin, le scénariste lui offre une belle sortie : même si, encore une fois, il s'agit d'un sacrifice (un motif récurrent dans la série), cela donne une certaine noblesse, qui rachète la cruauté affichée par Kriss en bien des occasions.

A la fin du tome 28, comme du précédent déjà, Thorgal est à l'article de la mort. Une nouvelle fois, Van Hamme recourt à une astuce narrative déjà vue à maintes reprises chez lui mais au suspense efficace : le fils des étoiles repart faire un tour dans une dimension parallèle, menacé par Odin. La gardienne des clés est au rendez-vous de cette aventure, mais c'est surtout la façon dont le scénariste se sert de Jolan dans l'intrigue qui va lui conférer une certaine émotion.

Admettons-le : on n'est pas aussi bouleversé qu'on aimerait dans cette histoire de sacrifice (encore, toujours), mais la transition qui s'opère, le passage de relais de Thorgal à son fils, tout cela est malin. Ainsi la série change subtilement de héros, le départ de Jolan faisant contrepoint au retour de sa famille au Northland. En vérité, la série est toute entière construite autour de ces notions d'exil, de retour, de succession, de famille (composée, séparée, recomposée, augmentée) : ces motifs lui donnent sa force et sa particularité en même temps, qu'au fil des épisodes, elle a fini par en révéler ses faiblesses (car utilisées trop répétitivement).

Si Kriss de Valnor est dessiné de manière classique par Rosinski, qui produit ses planches les plus abouties depuis longtemps (spécialement la séquence d'évasion en pleine nuit, où on retrouve son brio pour le clair-obscur, les jeux d'ombres et lumières), l'artiste polonais change complètement de technique pour Le Sacrifice en l'illustrant en couleurs directes.

On savait que Rosinski était un peintre de talent en admirant ses couvertures, mais sa prestation pour ces pages intérieures le confirme : le résultat est magnifique - et il a poursuivi cette expérience pour les épisodes suivants (et d'autres projets). La simplicité de son découpage sert à merveille ses peintures, avec une palette flamboyante (la représentation des décors extérieurs, avec une nature sauvage et différents climats traversés, est extraordinaire). Le seul élément perturbant qui en découle est que Thorgal, barbu, vieilli, ressemble étrangement à l'ex-rugbyman Sébastien Chabal...

Comme je l'ai dit précédemment, j'arrête avec cette entrée mes critiques de la série Thorgal : je voulais aller jusqu'au bout du run  de Van Hamme, mais après vingt-neuf épisodes, je ne peux cacher une certaine lassitude (et un manque d'envie de lire les albums écrits par Yves Sente). J'espère que je vous aurai motivés pour (re)découvrir ce titre qui, malgré un classicisme et des répétitions, est un divertissement de belle facture, réservant même dans sa première moitié des tomes émérites.   

mardi 27 octobre 2015

Critique 736 : THORGAL, TOMES 26 & 27 - LE ROYAUME SOUS LE SABLE & LE BARBARE, de Jean Van Hamme et Grzegor Rosinski


THORGAL : LE ROYAUME SOUS LE SABLE est le vingt-sixième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegor Rosinski, publié en 2001 par les Editions du Lombard.
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Deux années se sont écoulées pour la famille Aergisson depuis son départ du Northland. Thorgal, sa femme et leurs enfants sont à présent sur les côtes africaines et Aaricia est lassée de cette fuite en avant interminable, elle souhaite rentrer chez elle, ce qui est désormais possible, comme le rappelle Jolan à son père, depuis que Gunnar a annulé leur bannissement. Mais pour le père de famille subsiste un doute : il craint de ne jamais être accepté parmi les vikings.
Leur rencontre avec deux hommes venus du désert va précipiter les choses. Durant la nuit, leur embarcation brûle et les Aergisson n'ont d'autre choix que de suivre leurs visiteurs jusqu'à leur village.
Sargon, leur chef, dévoile rapidement sa mauvaise nature et révèle à Thorgal le secret de ses origines : comme lui, il est un rescapé du peuple des étoiles qui avait quitté la Terre il y a 120 siècles avant d'y revenir, dans leur royaume originel - l'Atlantide. Aujourd'hui, projetant de conjuguer sa science aux forces vikings, Sargon veut dominer le monde.
Thorgal n'entend évidemment pas aider cette entreprise mais devra avant cela libérer sa femme et ses enfants mais aussi des opposants à Sargon - Tiago, Ileniya sa soeur et leur ami Chrysios - dans un labyrinthe.
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THORGAL : LE BARBARE est le vingt-septième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegor Rosinski, publié en 2002 par les Editions du Lombard.
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Thorgal, sa femme et leurs enfants, Ileniya et Tiago ont été capturés par le marchand d'esclaves Jaffar, qui les revend à l'intendant du gouverneur du royaume romain d'Orient du Ponant.
Livrés au gouverneur et à son fils, le cruel Heraclius, Thorgal se fait vite remarquer par ses talents d'archer lors de jeux organisés pour la cour avec les esclaves. Mais Tiago se fait tuer par Heraclius quand celui-ci châtie Ileniya en l'humiliant.
Le gouverneur envoie Aaricia, Jolan et Louve chez l'empereur pour obliger Thorgal à participer avec Heraclius au tournoi qui se déroule tous les cinq ans sur l'île de Syrenia et dont le royaume vainqueur est exempté d'impôts pour un an.
L'issue de la compétition sera dramatique : Ileniya se suicidera après avoir vengé son frère et Thorgal sera laissé pour mort, empoisonné par Heraclius.

Il est toujours délicat, aussi bien pour des auteurs que pour des lecteurs, d'estimer quand une série, qui a su conserver pendant une durée conséquente, une qualité indéniable, commence à régresser, sans espoir de redressement. 

Jean Van Hamme a dû y réfléchir quand, après avoir mené de front plusieurs titres pendant une carrière bien fournie et couronnée de succès, il a décidé d'abandonner ses best sellers comme XIII (en 2007) et Thorgal (en 2006) - même s'il continue à écrire Largo Winch. Il n'a pas pour autant décidé que ses séries s'arrêteraient à son départ, passant le flambeau à Yves Sente dans les deux cas précités.

La volonté de boucler son époque sur ces titres est néanmoins manifeste, et, dans le cas de Thorgal, les quatre derniers tomes (26 à 29) en témoignent. Aurait-il été plus judicieux de tout cesser, et si oui, avant ? Pas évident quand les albums se vendent aussi bien déjà. Mais l'intérêt des histoires est devenu variable, c'est certain, au moins depuis une dizaine d'épisodes (soit depuis Louve), ce qui a suivi reposait sur des ressorts un peu forcés (l'amnésie de Thorgal, ses retrouvailles avec Aaricia en passant par les voyages temporels de Jolan et de Jaax le veilleur).

Mais on ne peut enlever à Van Hamme une vraie habileté pour livrer des intrigues efficaces, divertissantes, et la série est restée agréable à lire, sinon à suivre. Ce savoir-faire, on le retrouve dans ces tomes 26 (surtout) et 27, dans lesquels encore une fois les personnages sont entraînés dans des aventures exotiques, aux rebondissements multiples.

Le Royaume sous le sable est très réussi, au moins en ce qui concerne les révélations sur les origines du peuple des étoiles, que Van Hamme relie au mythe de l'Atlantide : cette "île d'Atlas", royaume appartenant à la protohistoire grecque et de l'Est de L'Europe, a inspiré nombre de récits depuis Platon jusqu'au Moyen-Âge, enrichis par l'ésotérisme. C'était donc un terrain de jeux opportun pour Thorgal qui se nourrit aussi de fantasy et d'Histoire. On peut regretter que le scénariste ait préféré une énième fois organiser une lutte entre l'ombrageux idéaliste qu'est Thorgal et Sargon, qui fut ami de son père (Varth), archétype vu et revu du mégalomane, et d'ailleurs le dénouement de l'épisode est expédié avec force clichés (sacrifice d'un personnage, addition de nouveaux personnages secondaires sans grand charisme). Le passé de Thorgal aura régulièrement été abordé et exploité (soit directement pour le héros, soit indirectement via les pouvoirs de Jolan et de Louve) mais jamais vraiment développé, comme si ce que cette piste narrative offrait intéressait moins Van Hamme que de revenir à l'aventure. Dommage.

Le Barbare met en scène les personnages à nouveau dans une situation très compromise : la régularité avec laquelle Thorgal (et ceux qui l'accompagnent) se trouve dans la panade est tout bonnement hallucinante, c'est un véritable aimant à emmerdements ! Quand il ne s'attire pas des ennuis à cause de ses principes, il croise avec un systématisme infernal de mauvais bougres qui semblent n'attendre que lui (et les siens) pour commettre les pires horreurs. Il y a comme une tentation permanente de Van Hamme à tuer son héros avant de se raviser, en le sauvant de manière aussi spectaculaire que de plus en plus capillotractée. Et, fatalement, il finit aussi par radoter comme le souligne la longue séquence du tournoi sur l'île de Syrénia avec un concours... D'archers (loin d'être aussi intense que celui du tome 9).

Rosinski assure le job, c'est indéniable, mais comme on ne peut que constater qu'il n'a plus la virtuosité de la grande époque de la série (quand son dessin s'inspirait de la gravure, avec un extraordinaire encrage, et une colorisation plus somptueuse que celle de Graza), la magie opère moins.

Lorsqu'il a l'occasion de mettre en images des éléments encore inhabituels, peu exploités, l'artiste polonais produit des planches très efficaces, et même un authentique morceau de bravoure (comme la double-page, pages 21-22, du tome 26, où on revoit tous les grands moments de la série), et il se dégage des passages concernant le peuple des étoiles, avec son décorum (vaisseaux spatiaux, ruines de l'Atlantide...), une authentique poésie.

Mais quand il doit retourner à l'illustration classique des aventures dans un énième royaume avec sa galerie de méchants et sa cascade de péripéties réglées comme du papier à musique (Van Hamme ayant expliqué qu'il laissait à ses artistes la liberté de redécouper ses scripts à condition qu'ils conservent les chutes de chaque page), un ennui certain étreint à la fois Rosinski et le lecteur - qui ont tous deux l'impression d'avoir déjà fait/vu/lu tout ça.

C'est à cause de ce sentiment d'usure, que je devine chez les auteurs mais aussi de mon côté, comme lecteur et critique, que j'ai donc décidé d'arrêter Thorgal après les deux prochains tomes, les derniers écrits par Van Hamme.

dimanche 25 octobre 2015

Critique 735 : SPIROU N° 4045 (21 Octobre 2015)


Dernier numéro avant le retour à la normale de la revue : exit toutes ces âneries d'Atelier Boloss/Colosse... Buck Danny fait son retour (dans sa série régulière), mal servi par les dessins de Gil Formosa (plus appliqué pour représenter les avions que les personnages) et surtout pas l'interview du scénariste Frédéric Zumbiehl (qui trouve que s'offusquer de traiter les japonais de "faces de citron", c'est - je cite - parce que "nous sommes dans l'ère du politiquement correct" ! Le gars, un ancien de l'armée, qui m'a l'air d'en tenir une bonne couche, considère par ailleurs exagéré que Tintin au Congo vaut à Hergé d'être taxé de raciste...). 

J'ai aimé (pas grand-chose encore, mais ça s'améliorera forcément la semaine prochaine) :

- Dad. Un petit gag de Nob, mais qui sert surtout à préparer le terrain pour le prochain numéro dans lequel l'auteur présentera un mini-récit où on fera la connaissance de la mère de Ondine.

- Seuls : Avant l'Enfant-Minuit (7/7). Camille connaît un sort funeste à cause de Toussaint, tandis que Dodji est reconduit à Fortville (là où tout a commencé) par le Maître-Fou...
C'est non seulement la fin de ce tome 9 mais aussi celle du deuxième cycle de la série : Vehlmann enchaîne des scènes à la fois cruelles, violentes et étranges, que le dessin de Gazzotti rend encore plus troublantes. Je termine cette lecture intrigué et avec l'envie de rattraper un jour mon retard car Seuls est vraiment un titre singulier.

- Happy Birds. Pekko, le héros de Trondheim et Piette va-t-il se faire virer ? En tout cas, les auteurs ne l'épargnent pas dans leurs trois nouveaux strips : toujours aussi atypique et sympa.

- L'Atelier Mastodonte. Salma et Libon râlent à leur tour contre les autres ateliers, notamment BD Bill qui parodie Animal Lecteur. Et Obion montre l'offensive finale menée par Trondheim. C'est vraiment un signe que ce grotesque et interminable canular était une mauvaise idée : même la drôlerie de Mastodonte a fini par en souffrir.

- Tash & Trash. / Capitaine Anchois. Dino rend un hommage bien particulier mais savoureux à Buck Danny, tandis que Floris interprète à sa manière rigolote l'effeuillage de marguerite.  

En direct de la rédak donne la parole aux auteurs de l'Atelier Colosse (qui ont aussi livré cette semaine des parodies, affligeantes, de Ralph Azham, Tamara, et, sacrilège, Le Royaume). La semaine prochaine, donc, Dad aura droit à la "une" et quatre pages.
Les aventures d'un journal revient sur la seule et unique grande aventure de Boule et Bill, initiative que regretta toujours Roba - il n'y avait pas de quoi : grâce à Yvan Delporte, sa série avait été, au moins une fois, un peu moins pantouflarde et rétrograde.

Les abonnés ont droit à des cartes à collectionner des héros du journal : un bonus quelconque de plus.

vendredi 23 octobre 2015

Critique 734 : ZOMBILLENIUM, TOME 1 - GRETCHEN, de Arthur De Pins


ZOMBILLENIUM : GRETCHEN est le premier tome de la série écrite et dessinée par Arthur De Pins, publié en 2009 par Dupuis.
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Aurélien Zahner n'a pas de chance : trompé par sa femme, il se fait renverser par la voiture de Francis Von Bloodt, directeur du parc d'attractions "Zombillénium", et meurt sur le coup.
Mais il est ramené à la vie par le chauffard qui est aussi un vampire et qui lui offre un emploi. Egalement mordu par le loup-garou Blaise (qui estime qu'il y a assez de vampires dans le personnel), Aurélien est devenu un démon qui se transforme lorsqu'il s'énerve. La jolie sorcière Gretchen décide de la chaperonner et lui avoue être là en infiltration pour le compte de la Royal Witchtcraft Agency.
Cette nouvelle recrue rassure aussi les actionnaires et le représentant des intérêts du propriétaire, Behemoth, mais provoque la jalousie des zombies, qui craignent pour leur emploi et lui tendent un piège en attirant dans le parc l'amant de sa femme...

J'ai découvert ce premier tome en achetant le dernier numéro (sorti en Septembre) de Méga Spirou, même si j'en avais eu un avant-goût auparavant, dans un tout autre contexte, lorsque je vis le clip, réalisé par Arthur De Pins, de la chanson Nameless World du groupe Skip The Use (voir ci-dessous). 

L'auteur est un des jeunes talents familiers des lecteurs de Spirou, dans lequel est pré-publiée sa série, mais aussi des fans de Fluide Glacial, ou plutôt de son hors-série Fluide Glamour, dans lequel paraissait Péchés Mignons. Né en 1977, De Pins a suivi les cours des Arts Décos puis a été formé au dessin d'animation, comme concepteur graphique dans les studios Polygon et SPI Animation. C'est donc logiquement qu'il travaille avec des instruments informatiques.

Avec Zombillénium, il s'est lancé dans un projet ambitieux, dont la finalité était d'être transformé en un long métrage, actuellement en cours de production. Le concept est accrocheur comme son décor principal, ce parc d'attractions dans lequel travaillent d'authentiques monstres comme des vampires, loups-garous, momies, squelettes, sorcières.

Pour faciliter l'immersion du lecteur dans cet univers décalé, De Pins utilise un procédé classique : prendre un personnage à l'origine normal dont des circonstances défavorables vont bouleverser l'existence. Le scénario développe une multitude de situations savoureuses en alternant les effets qui relèvent du fantastique traditionnel (la galerie de freaks, le cadre à la fois déprimant - le Nord de la France éternellement pluvieux... Ce qui va ravir les ch'tis...) et des éléments comiques (avec des gags générés par les relations ou la condition des employés du parc). De Pins y ajoute un subplot : le rôle équivoque de Gretchen, la sorcière qui est chargée par une organisation de tuer les démons mais qui est la fille de... (je vous laisse découvrir qui).

Les seconds rôles sont soignés et abondent en clins d'oeil : de la momie Aton qui récupère in fine le costume de Clo-Clo (Claude François étant lui-même d'origine égyptienne) à José qui reprend Thriller de Michael Jackson en passant par la rivalité entre Francis Von Bloodt (vampire qui gère le parc en bon père de famille) et Blaise (loup-garou au tempérament ombrageux) ou Sirius le squelette qui prétend avoir été un militant noir mort sur la chaise électrique en 1956. La séquence où Gretchen raconte son passé à Aurélien est croustillante, avec une case où elle révèle avoir couché avec un certain Harry (Potter) impuissant.

Le récit est très rythmé, et dense, et le découpage en rend bien compte, avec des planches comptant souvent plus de dix cases. De Pins alterne avec talent des plans de valeurs variées, excellant aussi bien quand il campe un personnage très expressif que pour représenter un décor démesuré.

Néanmoins, en ce qui concerne justement les décors, l'artiste se dispense volontiers d'en donner à de nombreuses vignettes, préférant suggérer une ambiance par des fonds colorés lorsque l'action se déroule en intérieur. Cela provoque une désagréable impression de vide ou en tout cas de flou en arrière-plan.

Ce sentiment est souligné par le traitement informatique de l'image : cette technique est bien maîtrisée par De Pins mais fait que sa bande dessinée a plus souvent qu'à son tour l'air d'être un super storyboard. Comme il a fait le pari de ne pas contourer de noir ses personnages ou ses décors, le contraste qu'apporte un encrage traditionnel est absent et aboutit à un défaut de définition un peu agaçant.

Néanmoins, Zombillénium est une lecture originale et plaisante, au ton et à l'esthétique singuliers. Le long métrage d'animation qui en sera adapté permettra sans doute à son auteur d'exaucer son rêve en même temps, sûrement, s'assumer sa véritable vocation.

jeudi 22 octobre 2015

Critique 733 : THORGAL, TOMES 24 & 25 - ARACHNEA & LE MAL BLEU, de Jean Van Hamme et Grzegor Rosinski


THORGAL : ARACHNEA est le vingt-quatrième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegor Rosinski, publié en 1999 par les Editions du Lombard.
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Alors qu'ils étaient mer, une tempête sépare Aaricia, Jolan, Darek et Lehla de Thorgal et Louve, les deux groupes étant dans des barques.
Le père et sa fille échouent sur les récifs d'une plage où ils découvrent le cadavre d'un jeune homme. Epuisés, ils s'endorment mais sont réveillés par une multitude d'araignées, à laquelle ils échappent en se réfugiant dans une grotte en hauteur. Mais Louve s'y aventure et Thorgal ne peut la récupérer.
Le viking gagne le sommet de la falaise où il croise bientôt un jeune vigneron qui le prend pour un démon mais accepte de le conduire jusqu'à sa ville, Arachnapolis. Là, Thorgal est livré au prêtre-roi Dracon qui ne tarde pas à le sacrifier à la déesse Arachnea en le jettant dans une fosse.
Pendant ce temps, Louve a rencontré une vieille femme qui lui raconte comment elle a aussi été envoyé dans ce royaume inférieur, parce que son père a refusé sa liaison avec un jeune paysan, Eliocle.
Thorgal lui trouve dans les profondeurs Maïka, fiancée du jeune homme dont le cadavre se trouvait sur la plage. Avec elle, il aboutit jusqu'au repaire d'Arachnea où Louve libère d'une urne funéraire l'esprit d'Eliocle, permettant ainsi sa réunion avec Serena, la fille de Dracon, mais aussi la fin de la malédiction sur le royaume de ce dernier.
Aaricia et les enfants abordent alors sur cette île où Thorgal et Louve les accueillent.
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THORGAL : LE MAL BLEU est le vingt-cinquième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegor Rosinski, publié en 1999 par les Editions du Lombard.
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Thorgal, Aaricia et leurs enfants quittent le royaume de Notre Terre en laissant derrière eux Darek et sa soeur Lehla, à laquelle Jolan confie son chien Muff.
La famille aborde de nouveaux rivages quand elle découvre dans une barque le cadavre d'un homme. Jolan est mordu par un rat avant que des pirates nains ne surgissent et attaquent. Thorgal mène sa barque dans un passage où il croise bientôt le navire du prince Zarkaj qui les secoure et les conduit jusqu'à son palais.
Zarkaj s'éprend d'Aaricia qui le repousse avant qu'il ne découvre qu'elle est atteinte du mal bleu. Le prince envoie aussitôt tous ses invités dans le labyrinthe, une carrière où agonisent tous les indigènes malades. L'état de Jolan s'aggrave mais Thorgal ne s'y résigne pas et décide de partir chercher le mage Armenos dont lui a parlé un des bannis.
Durant son périple, le viking fait la connaissance de Zajkar, frère jumeau de Zarkaj, et ami des pirates nains, qui accepte de le conduire jusque chez Armenos. Mais ce dernier a été capturé par le prince.
Thorgal réussit avec son allié à le libérer et ramène un antidote au mal bleu. Les deux frères acceptent de régner ensemble tandis que Jolan, Aaricia et les bannis se rétablissent.

Sur ces deux nouveaux épisodes, l'un est aussi dispensable que l'autre est réussi, mais il faut admettre que l'essoufflement de la série est de plus en plus évident. Jean Van Hamme est un conteur efficace mais qui montre ses limites en recyclant des motifs sans aboutir à un résultat aussi puissant qu'auparavant.

Arachnea n'est pas seulement un récit faible, c'est une aventure médiocre, qui mélange des éléments fantastiques et épiques en échouant à les rendre intenses ou suffisamment amples. Le décor évoque la Grèce Antique, en particulier l'île de Crète, ce qui signifie que Thorgal et sa famille ont quand même fait un sacré chemin depuis leur exil du Northland, sans qu'on ait pourtant pu apprécier leurs escales intermédiaires : ce flou géographique, qui conférait un mystère envoûtant à la série, a fini par se retourner contre elle à mesure que son héros avec femme et enfants se sont éloignés de chez eux, après en avoir été bannis ou entraînés au gré de multiples péripéties. 

Mais, même sans pouvoir situer précisément l'histoire, cela pourrait rester agréable. Or, cette intrigue basée sur un culte dont l'origine évoque tout à la fois le destin de Pompéi et une énième malédiction totémique (en l'occurrence l'araignée, insecte répugnant à souhait) est une vraie bouillie, menée sur un rythme mollasson, avec des rebondissements téléphonés, une caractérisation bâclée. Encore une fois, Thorgal est séparé de sa femme et de son fils, et Louve n'est pas traitée avec autant de soin que son frère (bien que Van Hamme ait insisté auparavant sur le fait qu'elle soit également doté d'un pouvoir surprenant - communiquer avec animaux).

Tous les (mauvais) clichés de la série défilent dans cet album : rivage hostile, fanatisme religieux, complot, entrailles souterraines dangereuses, grottes menaçantes, méchant roi, princesse maudite, monstre... C'est probablement le pire des tomes depuis le début de la série.

Le Mal bleu n'est, convenons-en, pas d'une qualité extraordinaire non plus, mais il est tout de même bien mieux construit, à défaut d'être plus inspiré. Van Hamme opte pour une construction atypique - Jolan est le narrateur et une bonne partie de l'action s'inscrit dans un flash-back - et multiple encore une fois les obstacles comme autant de moyens pour souligner (comme si c'était encore nécessaire) la bravoure et la pugnacité de Thorgal. 

Le scénariste retrouve sa verve dans ce récit de pure aventure, dans un cadre exotique aux ambiances variées, peuplé de figures archétypales (le prince fourbe et peureux, son frère jumeau et sympathique, le mage qui est un providentiel deus ex machina), et on déplore qu'il n'ait pas préféré développer cette histoire sur deux tomes car cela aurait fluidifié quelques péripéties et évité un dénouement un peu expéditif. Mais au moins observe-t-on un retour aux basiques bienvenu.

Comme souvent en bande dessinée, quand les scripts sont inégaux, le dessin semble contaminé et la prestation de Rosinski est elle-même en deçà de ce à quoi il nous a souvent habitué. 

Pour le tome 24, ses planches sont banales, son découpage sans imagination : les effets (notamment dans les jeux d'ombres et de lumière) dans lesquels il excelle sont absents ou trop rares. On ne le sent pas très concerné, guère passionné par ce qu'il doit mettre en image.

En revanche, il renoue avec sa forme pour le tome 25 car il a davantage de "biscuit" : disposant de décors riches (le palais, le labyrinthe, la jungle, la montagne), il en donne des représentations spectaculaires. Mieux même : il ose des effets de découpage ingénieux et élégants (comme à la page 25), qui rappellent ses efforts antérieurs (voir le tome 6, La Chute de Brek Zarith, ou 9, Les Archers, avec des cascades de cases accompagnant le mouvement périlleux du héros).

Décevants, même si Le Mal bleu est convaincant, cette paire d'albums ne figurent pas dans le top de la série. Début du déclin ? Ou passage à vide provisoire ? 

mercredi 21 octobre 2015

Critique 732 : THORGAL, TOMES 22 & 23 - GEANTS & LA CAGE, de Jean Van Hamme et Grzegor Rosinski


THORGAL : GEANTS est le vingt-deuxième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegor Rosinski, publié en 1996 par les Editions du Lombard.
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Les hommes de Kriss de Valnor et Shaîgan-sans-merci ont capturé le prince de Brek Zarith, Galathorn (voir tome 6, La Chute de Brek Zarith), qui reconnaît Thorgal quand il est face à lui.
Cette scène trouble Shaîgan qui s'entretient en privé avec son prisonnier, lequel lui rappelle sa véritable identité et son passé. Ils s'évadent ensemble alors qu'un orage éclate et que la foudre frappe Thorgal.
Ce dernier se réveille dans le jardin de Frigg en Asgard, qui lui offre de recouvrer la mémoire et sa vie en récupérant chez le roi des géants l'anneau Draupnir qui appartient à Odin.
Thorgal remplit cette mission et, comme promis, retrouve ses esprits - même si le souvenir de son séjour chez les dieux a été effacé. Il rejoint alors Galathorn avec le projet de se racheter auprès de sa femme et ses enfants.
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THORGAL : LA CAGE est le vingt-troisième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegor Rosinski, publié en 1997 par les Editions du Lombard.
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Thorgal décline l'offre de Galathorn de rester à Brek Zarith et repousse les avances de la soeur de celui-ci, Syrane, pour pouvoir partir en direction de l'île où doivent encore vivre Aaricia, Jolan et Louve.
Une fois sur place, il est fait prisonnier par Darek, Lehla et Louve en attendant le retour d'Aaricia et Jolan qui sont allés proposer à Sardal-l'écorché d'attaquer la forteresse de Kriss de Valnor et Shaîgan-sans-merci pour la piller.
Mais Sardal se méfie et Aaricia et Jolan préfèrent s'enfuir. De retour sur l'île, la mère de famille refuse de libérer Thorgal de la cage dans laquelle il a été enfermé car elle n'est pas prête à lui pardonner tout ce qu'elle a enduré après qu'il l'ait abandonnée.
Mais quand Sardal et quelques-uns de ses sbires débarquent sur l'île, Thorgal va avoir l'occasion de se racheter.

Jean Van Hamme choisit de réunir Thorgal et Aaricia (et leurs enfants) : il aura réussi à les tenir éloignés l'un de l'autre depuis le tome 17 (La Gardienne des clés), ce qui représente une séparation conséquente, riches en rebondissements.

Mais comment le scénariste allait-il s'y prendre, à la fois pour rendre sa mémoire à son héros et rétablir son couple ? Tout cela ne se joue pas sans quelques ficelles un peu grosses et on mesure bien alors que la série a perdu de sa subtilité : la foudre qui tombe sur celui qui a été prénommé en hommage au dieu du tonnerre (Thor), un nouveau détour par le royaume des dieux, l'indulgence de Frigg (même si elle jure que c'est la dernière fois qu'elle protège le héros), tout cela est fort providentiel. Selon son humeur, on lira ces nouvelles péripéties et la résolution de cet arc narratif avec plus ou moins de clémence, même si le résultat reste divertissant et référencé (le rôle de Galathorn renvoie loin en arrière, au tome 6, et d'autres éléments citent les tomes 19 et 21).

Plus intéressantes sont les retrouvailles effectives de Thorgal et Aaricia, dans lesquelles les enfants prennent une part non négligeable. Van Hamme y aborde de thèmes plus profonds comme le pardon, les épreuves infligées au couple, la rédemption, le rachat, et il le fait avec sobriété, inscrivant son histoire dans un bon dosage d'action (superbe séquence de traque dans la forêt sous la pluie) et d'intimisme (le récit du calvaire d'Aaricia face à son mari dans la cage - la situation de ce dernier renvoie d'ailleurs à une scène du tome 22 où il est déjà dans une cage lorsqu'il est offert à la fille du roi des géants).

Au terme de cette aventure, on pourrait presque estimer que la série est terminée, mais Van Hamme renvoie ses personnages vers de nouveaux horizons, qui s'annoncent exotiques. Gageons que le voyage sera encore mouvementé, et peut-être source de nouveaux bouleversements (il paraît par exemple évident que Kriss de Valnor refera parler d'elle car elle n'a pas apprécié la façon dont Thorgal l'a quittée).

Rosinski livre de nouvelles pages superbes, même si je trouve que son niveau a parfois baissé : ses personnages n'ont plus cette noblesse d'autrefois, son trait est moins ouvragé (même s'il a de beaux restes quand il dessine des scènes nocturnes, où son art du clair-obscur est fabuleux). En revanche, ses décors sont toujours excellemment traités, il s'en sert pour poser des ambiances immédiatement intenses (comme dans la cale du navire de Sardal).

La colorisation a aussi évoluée, c'est Graza qui s'en occupe : née en Pologne comme Rosinski, Grazyna Foltyn-Kasprzak a suivi des cours de dessin et peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie. Elle est l'épouse de Kas (de son vrai nom Zbigniew Kasprzak, futur dessinateur de la série Hans). Sa palette est moins contrastée que celle de Rosinski mais la série conserve toutefois sa cohérence esthétique.

Ces deux nouveaux épisodes marquent une transition et rétablissent le statu quo de la série. Il faut à présent souhaiter que Van Hamme continue de développer sa création de manière inspirée alors qu'il approche de la fin de son run (au tome 29).

mardi 20 octobre 2015

Critique 731 : LES GARDIENS DE LA GALAXIE #10 (Octobre 2015)

Les Gardiens de la Galaxie #10 :

Suite du crossover Le Vortex Noir oblige, le sommaire de la revue est encore divisé en deux parties : d'un côté, les séries impactées par la saga (Les Gardiens de la Galaxie et Star-Lord), de l'autre, le reste du programme (Rocket Raccoon et Nova  - même si la fin du 2ème épisode de ce dernier relie le personnage au crossover).

- Les Gardiens de la Galaxie #24 : Le Vortex Noir (2) (Brian Michael Bendis / Valerio Schiti) :
(Ci-dessus : extrait des Gardiens de la Galaxie #24.
Textes de Brian Michael Bendis, dessin de Valerio Schiti.)

- Star-Lord #9 (Sam Humphries / Paco Medina) : 
(Ci-dessus : extrait de Star-Lord #9.
Textes de Sam Humphries, dessin de Paco Medina.)

Après avoir dérobé le Vortex Noir à Mr Knife alias J-Son, Peter Quill/Star-Lord et Kitty Pryde se disputent sur la nécessité de le conserver ou de le détruire. Gamorra a déjà été transformée par l'artefact, le Fauve n'y résiste pas longtemps. Est-ce une opportunité pour régler bien des problèmes ? Ou en créer de nouveaux?
L'intervention du père de Star-Lord va certainement précipiter l'issue de ce débat...

Bon, inutile de se bercer d'illusions, ce crossover ne s'annonce pas renversant et Brian Bendis ironise volontiers sur cette intrigue à base de possession cosmique et de corruption mentale : la métaphore est soulignée et aboutit à un récit divertissant mais guère original.
L'épisode des Gardiens... écrit par Bendis a le grand mérite de recentrer le problème autour de quelques personnages (Peter, Kitty, Gamorra, le Fauve et Tornade) mais le scénariste ne fait pas de miracles et le nombre pléthorique de protagonistes reste absurde.
La transition avec l'épisode de Star-Lord est organique puisque les événements qui y sont narrés prolongent directement ceux des Gardiens.... Sam Humphries écrit avec moins de distanciation mais ce n'est pas déplaisant.

Visuellement, Valerio Schiti produit de superbes planches (souvent découpées en profitant de toute la largeur de doubles pages), où l'expressivité de ses personnages, son art de la composition et le dynamisme de sa mise en scène sont un régal.
La prestation de Paco Medina est inférieure en qualité : un dessin sans personnalité ni invention, où l'encrage et la colorisation n'arrangent rien.

- Rocket Raccoon #8 : Le Froid (2) (Skottie Young / Felipe Andrade) :

Rocket part avec la princesse Jink trouver l'antidote qui guérira Groot : l'occasion pour le couple de se confier sur leur passé avant d'accomplir cette mission périlleuse.

Skottie Young déçoit un peu avec cette aventure qui manque de l'énergie des précédents épisodes en une partie de la série : l'issue ne fait aucun doute et la caractérisation des personnages est sommaire, rappelant juste comment le duo Rocket-Groot s'est formé.

Les dessins de Felipe Andrade manquent parfois d'une élémentaire lisibilité, mais la colorisation de Jean-François Beaulieu produit des ambiances spectaculaires.

- Nova #27 & Annual #1 : Mr Carnage goes to Carefree & Les Aventures de Doc et Sammy (Gerry Duggan / John Timms, David Baldeon) :
Sam Alexander règle son compte à Carnage en s'efforçant de préserver sa double identité secrète. Puis après avoir tenté de faire réparer son casque par le Fauve et Iron Man, il s'en remet à Doc Green (aka Hulk).

Le niveau de la série reste toujours aussi pauvre, avec un premier épisode particulièrement calamiteux. L'Annual est un peu meilleur mais trente pages pour raconter ça, c'est tout de même long. Gerry Duggan finit par introduire son personnage au crossover du Vortex Noir, dans lequel, honnêtement, on se demande ce qu'il va apporter (comme s'il n'y avait pas déjà assez de monde dans cette affaire).

Graphiquement, le contraste entre le Sam Alexander dessiné par John Timms (qui a l'air d'avoir 20 ans) et celui de David Baldeon (qui a l'air d'en avoir 10) produit un effet grotesque, mais on n'est plus à ça près.

Bilan : pas fameux - je me suis engagé à lire le crossover donc je vais acheter jusqu'à la fin, qui coïncidera avec celle de la revue que va relancer/renuméroter Panini dès Janvier 2016. L'éditeur a d'ores et déjà décidé de publier les épisodes des diverses séries dans la plus grande précipitation d'ici à la fin de l'année (avec carrément un Hors-Série en plus du n° de Décembre !). Consternant.