jeudi 29 octobre 2015

Critique 738 : WONDERTOWN, TOME 1 - BIENVENUE A WONDERTOWN, de Fabien Vehlmann et Benoît Feroumont


WONDERTOWN : BIENVENUE A WONDERTOWN est le premier tome de la série, écrit par Fabien Vehlmann et dessiné par Benoît Feroumont, publié en 2005 par Dupuis.
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(Extrait de Wondertown : Le Cabaret du lutin.
Textes de Fabien Vehlmann, dessins de Benoît Feroumont.)

L'album comprend cinq histoires :

- 1/ Le Cabaret du lutin (10 pages). Pat est engagé comme coursier et doit livrer un colis au Cabaret Voltaire, mais il ne doit l'ouvrir sous aucun prétexte. La tentation est trop forte quand une voix provient de l'intérieur du paquet. Mais cela va lui causer bien des ennuis dans un cabaret où se divertit la pègre de la ville...

- 2/ Stupeur et grognements (9 pages). Pat convainc la bande d'orphelins qui l'accompagne de dormir dans la maison abandonnée des Bradighan, qu'on dit hantée. Il aurait mieux fait d'écouter ses amis car les machines  dans le jardin sont effectivement possédées...

- 3/ Maudits amoureux ! (7 pages). Une vieille sorcière aigrie lance un mauvais sort à deux amoureux dans un square. Témoins de la scène, Pat et la petite Lili doivent tout faire pour séparer le couple... Quitte à s'attirer la colère d'une bonne fée !

- 4/ Sur le chantier de la guerre (8 pages). Pat décroche un nouveau job a priori simple : il doit monter leur repas à des ouvriers au sommet d'un gratte-ciel en construction. Mais en haut de la tour, des indiens se livrent à une terrible guerre à cause d'un calumet perdu. Pat va tenter, à ses risques et périls, de jouer au médiateur...

- 5/ Mauvais temps sur Wondertown (12 pages). Devenu barman dans un café, Pat est témoin des tours que le jeune Tim accomplit depuis qu'il a récupéré la baguette magique du Great Raymond, un prestidigitateur dont le dernier numéro (faire disparaître une voiture) a causé sa chute. La situation devient critique quand Milo, le bras-droit de Mr Jack, le parrain de la mafia de Wondertown, dénonce Pat et Tim...

Avant que Fabien Vehlmann ne devienne le scénariste de Spirou et Fantasio et que Benoît Feroumont connaisse le succès avec Le Royaume, les deux auteurs unirent leurs forces pour produire Wondertown dans les pages du journal de Spirou, il y a tout juste dix ans. Hélas ! l'expérience tourna court et ce titre s'arrêta après deux albums contenant 9 histoires en tout et pour tout.

Bien entendu, comme on peut s'en apercevoir avec ce premier tome, cette production accuse quelques faiblesses, mais elle a conservé un charme délicieux, une fantaisie qui ne méritait pas un tel échec.

Vehlmann a toujours apprécié les récits complets en peu de pages, l'équivalent de nouvelles en bande dessinée : il s'est prêté à cet exercice dans Le Diable amoureux et autres films jamais tournés par Méliés (dessiné par Frantz Duchazeau), Des Lendemains sans nuages (dessiné par Bruno Gazzotti et Ralph Meyer) et surtout Green Manor (dessiné par Denis Bodart - dont je vous parlerai bientôt). 

Le scénariste aime, comme il l'a expliqué dans le journal de Spirou, le fait de devoir tout donner en disposant de peu d'espace, et surtout on trouve dans cette contrainte l'essence de son style, sa marque de fabrique : c'est un auteur qui aime raconter des histoires sur le fait justement de raconter des histoires - Les Cinq conteurs de Bagdad (également illustré par Duchazeau) en était la brillante démonstration, le récit étant lui-même rythmé en courts chapitres comme autant de péripéties. 

Le reproche majeur qu'on peut adresser à ce premier tome de Wondertown tient au fait que Vehlmann oublie un peu trop de caractériser ses personnages : on connait tout juste le prénom du héros adulte, Pat, d'un des gamins orphelins qui le suit dans ses aventures (Tim). Même souci pour le cadre de l'action : on n'a la confirmation que Wondertown se situe aux Etats-Unis qu'à la quatrième histoire (avec les révélations du chef indien). Quant à l'époque où est censé se dérouler tout ça, on ne peut que la deviner (les années 30, durant la prohibition). Bref, ce défaut de contextualisation pénalise le projet.

Mais, ces réserves mises à part, difficile de ne pas être séduit par cette bande dessinée : Vehlmann s'y montre à son avantage car il manie parfaitement des éléments de genre. Wondertown s'inscrit dans les cadres du fantastique et de la comédie : lutin grossier, maison hantée, machines possédées, amoureux victimes d'une sorcière, indiens en guerre à cause d'une étourderie, voitures qui pleuvent sur un bas-quartier... On ne s'ennuie pas avec ces mini-intrigues délirantes, variées, menées sur un rythme soutenu.

Vehlmann pimente le tout de dialogues malicieux où le héros, Pat, est le premier à admettre qu'il se compromet bêtement : le lecteur sait donc en même temps que lui que les choses vont rapidement se gâter et prendre des proportions à la fois spectaculaires et amusantes. Les commentaires fatalistes des gamins qui le suivent soulignent cet état de fait de façon savoureuse.

Fort de son expérience dans le dessin d'animation, Benoît Feroumont injecte beaucoup de tonus à ces scripts déjà dynamiques. Certes, parfois, ses cases manquent de décors, même s'il prend toujours soin de bien situer l'action, en réussissant à planter le cadre avec une efficace économie. Mais souvent les arrière-plans sont davantage remplis par les couleurs de Christelle Coopman (la compagne de l'artiste) et Dino Sechi que par des éléments distinctifs.

Néanmoins, le résultat demeure toujours très vivant et agréable visuellement : Feroumont a un trait rond et très expressif, il sait animer des personnages adultes comme des enfants, les physionomies des premiers et seconds rôles sont variées, et leur gestuelle est bien étudiée, avec juste ce qu'il faut d'exagération.

Le dessinateur glisse même quelques jolies trouvailles comme les ombres portées de Pat, Gilda, Lili, et des amoureux maudits (pages 26-27) ou une scène en continuité séquentielle très astucieuse (page 38), témoignant de son inventivité narrative - qu'il améliorera dans le tome 2 et qui profitera à sa série Le Royaume.

Bien qu'inégal et souffrant de quelques lacunes, ces cinq premières histoires de Wondertown sont un délice qui donnent envie de réhabiliter cette série prématurément annulée. Le second tome ne fera que confirmer l'originalité et la qualité de ce titre à la bonne humeur communicative.

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