jeudi 8 octobre 2015

Critique 722 : THORGAL, TOMES 14 & 15 - AARICIA & LE MAÎTRE DES MONTAGNES, de Jean Van Hamme et Grzegorz Rosinski


THORGAL : AARICIA est le quatorzième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1989 par les Editions du Lombard.
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Cet album se compose de quatre histoires :

- La Montagne d'Odin (10 pages) - Refusant d'admettre la mort de sa mère, Aaricia fugue et rencontre deux faux elfes qui l'entraînent au sommet d'une montagne magique. Mais Thorgal, parti avec d'autres hommes du village à sa recherche, la retrouve et la sauve.

- Première Neige (10 pages) - A la mort de Leif Haraldson, Thorgal, encore adolescent, décide de quitter le village car il sait que Gandalf-le-fou va s'approprier tous les biens du défunt roi et le chasser. Aaricia, pour le sauver, raconte à son père que Thorgal connaît l'endroit où Lief aurait caché un trésor.

- Holmganga (10 pages) - Hiérulf, le sage, qui protége Thorgal, arbitre un combat singulier entre ce dernier et le fils de Gandalf-le-fou, Bjorn. La soeur de celui-ci, Aaricia, réussit, par la ruse, à sauver Thorgal du traquenard que lui ont tendu ses adversaires.

- Les Larmes de Tjahzi (20 pages) - Aaricia rencontre Vigrid, dieu poète et rêveur, descendu sur Terre pour y accomplir un exploit qui lui assurerait la gloire. Mais après avoir été aveuglé, il est escorté par la fillette jusqu'au bifrost qui lui permet de regagner Asgard.
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THORGAL : LE MAÎTRE DES MONTAGNES est le quinzième tome de la série, écrit par Jean Van Hamme et dessiné par Grzegorz Rosinski, publié en 1989 par les Editions du Lombard.
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Parce que Aaricia veut accoucher de leur nouvel enfant dans son Northland natal, Thorgal traverse seul une région montagneuse pour rejoindre un port où il trouvera un drakkar.
Evitant de peu une avalanche, il rencontre un esclave en fuite, Torric, puis, ensemble, ils trouvent refuge chez la belle Vlana. C'est alors que se succèdent des paradoxes temporels qui voit Thorgal aller et venir du passé au présent, pour essayer de démêler une intrigue tortueuse impliquant le maître des montagnes, le cruel Saxegaard... Qui n'est autre que Torric plus vieux de 37 ans !
Pour résoudre cette affaire, l'anneau d'Orobouros que Vlana a reçu de son grand-père, un savant crétois passionné par les boucles du temps sera nécessaire, précipitant la fin de Torric, bouleversant le destin de la jeune femme et rendant à Thorgal sa liberté...

Ces deux nouveaux tomes se situent après ceux du Cycle Qâ (tomes 9 à 13). Il y a toujours une appréhension à découvrir des épisodes après une saga aussi réussie, et d'ailleurs je ne m'en souvenais plus - les avais-je seulement déjà lus ? C'est en tout cas chose faite désormais et je ne le regrette pas : en fin de compte, je ré-estime cette série, qui me paraît être la production la plus aboutie de son scénariste.

Aaricia est une réponse directe au tome 7 (L'Enfant des étoiles), paru cinq ans auparavant (en 1984), qui dévoilait le passé de Thorgal depuis le jour où il fut trouvé et recueilli par Leif Haraldson jusqu'à la révélation de ses origines par son grand-père Xargos (même s'il n'en conservera aucun souvenir). Van Hamme a sans doute considéré que, comme il l'avait déjà fait pour le tome 8 (Alinoë), il lui fallait revenir sur la jeunesse de Aaricia pour qu'elle nous soit encore plus familière, plus consistante, au-delà de la compagne du héros, bien qu'elle ait eu un rôle actif durant le Cycle Qâ.

L'initiative est un succès et confirme que le scénariste est très à son aise dans le format court puisque l'album se compose de quatre récits brefs, d'une dizaine à une vingtaine de pages. On voit Aaricia enfant confrontée au deuil (de sa mère), à la naissance de son amour pour Thorgal, contre les manoeuvres de son père et de son frère aîné (Gandalf et Bjorn) et impliquée dans une intrigue liée à un dieu d'Asgard (Vigrid).

Les ambiances sont donc variées et prenantes, et Van Hamme anime son héroïne avec subtilité, la décrivant comme une fillette rusée, aimante, intrépide, juste. Cela éclaire rétrospectivement sa première apparition (dès le tome 1, La magicienne trahie) quand Gandalf cherchera - déjà - à se débarrasser du bâtard Thorgal qu'il refuse de voir marié à sa fille unique. Incidemment, ces épisodes confirment, avec une insistance plus dispensable, la méchanceté du père d'Aaricia, et, avec plus d'à-propos, la rivalité entre Bjorn et Thorgal. Van Hamme utilise aussi avec adresse le collier offert par la déesse Frigg à Aaricia avec les larmes de Tjahzi, qui donnent leur titre au récit et dont on découvre l'usage (une belle séquence).

La forme peut sembler plus classique avec Le Maître des montagnes où Thorgal est entraîné dans une périlleuse aventure en territoire hostile au début. Puis Van Hamme surprend en livrant un récit sur les méandres du temps, dans une succession grisante de scènes où le héros comme le lecteur ne savent plus où donner de la tête. On peut lire cela de deux manières : comme une métaphore un peu tarabiscotée sur le déterminisme ou comme un nouveau chapitre fantastique dans une série où son auteur aime jouer avec les codes de l'heroic fantasy.

Van Hamme, à mon sens, ne s'en sort pas mal, mais rallonge un peu artificiellement la sauce, surtout sur la fin, avec des rebondissements de plus en plus rapides. Néanmoins, la dernière page ménage un twist troublant. Et, avant cela, le scénariste s'amuse avec un trio de personnages bien campés : Torric/Saxegaarde, Thorgal et Vlana - un des plus émouvantes et sensuelles figure féminine de la série.

Visuellement, comme toujours, Rosinski signe d'abord deux splendides couvertures (avec une mention spéciale à celle du tome 15, Le Maître des montagnes) peintes.

Ensuite, ce qui frappe, c'est la magnificence des décors naturels en extérieurs : l'artiste fait jeu égal avec ce qu'accomplit Hermann dans Les Tours de Bois-Maury. Il ne s'agit pas seulement d'offrir un cadre dépaysant au lecteur mais de lui proposer une véritable immersion : on est entraîné dans les bois aux couleurs automnales, sur la montagne des démons, sur un rocher perdu en pleine mer, dans la ballade de Vigrid sur Midgard, puis dans les sommets enneigés ou printaniers environnant la maison de Valna. Sublime.

Les personnages sont représentés avec un égal talent : Rosinski sait aussi bien donner corps aux corps frustres des vikings qu'à celui de la pulpeuse Valna en passant par l'innoncence de Aaricia. Son encrage est une merveille, avec ce traitement des ombres et lumières, ce trait si fin rehaussé par des à-plats noirs profonds, intenses, et une colorisation extraordinaire.

En remarquant que ces deux albums ont été produits la même année, on mesure à quel point leurs auteurs étaient au sommet de leur art.

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