dimanche 24 octobre 2010

Critique 174 : CADAVRE EXQUIS, de Pénélope Bagieu

L'héroïne de ce récit complet est Zoé, une jeune femme qui travaille comme hôtesse dans des salons. Elle doit y supporter des visiteurs peu élégants et des exposants indifférents, et ses collègues quand elles ne se moquent pas d'elle la poussent à se reconvertir pour échapper à ce job qui lui déplaît.
Sa vie privée n'est pas plus réjouissante : elle partage son appartement avec son fiancée au chômage, qui passe son temps devant la télé, en sous-vêtements, et pète au lit !
Alors qu'elle déjeune, lors d'une pause, sur un banc public, elle remarque qu'un homme l'observe à sa fenêtre. Zoé sonne chez lui pour utiliser ses toilettes et fait ensuite sa connaissance au cours de visites ultérieures. Il s'appelle Thomas Rocher, est écrivain, ne sort jamais de chez lui. Bientôt, ils deviennent amants et elle s'installe chez lui.
Mais pourquoi Thomas Rocher ne quitte jamais son domicile ? Et comment se fait-il qu'il soit considéré comme mort, comme le découvrira Zoé en entrant dans une librairie pour y trouver ses ouvrages ?
Le secret de son amant, partagé par son éditrice (et ex-femme), va sidérer l'héroïne et aboutir à un renversement de situation particulièrement malicieux...
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Révèler le twist du scénario serait criminel mais je peux vous garantir qu'il s'agit d'une trouvaille très astucieuse et bien menée. Alors bien sûr, on peut être réservé par quelques points de l'intrigue comme la rencontre entre Zoé et Thomas, assez artificielle ; le caractère soumis et sôt de l'héroïne ; la relation saphique qui se noue entre elle et l'ex-femme/éditrice à la fin...
Mais tout cela est largement compensé par la description inspirée et piquante des névroses de l'écrivain (en particulier son effarant égocentrisme) ; la fluditié de la narration ; le rythme soutenu de l'histoire ; le fait que l'auteur resserre son récit sur un trio de personnages ; et l'humour subtilement retors de l'ensemble ; le naturel des dialogues.
Pénélope Bagieu possède une vraie voix, personnelle et énergique, qui la distingue de la "chick-lit" (cette littérature pour filles horripilante, dégoulinante de clichés hérités de séries télé comme l'abominable Sex and; The City) à laquelle on pourrait hâtivement la rattacher.
Et si Cadavre exquis ne suffit pas à vous en convaincre, visitez le blog de l'artiste - http://www.penelope-jolicoeur.com/ - et lisez ses posts illustrés - de vraies pépites de drôlerie sur la vie quotidienne.

Les dessins témoignent d'un trait rapide, qui va à l'essentiel. On peut lui reprocher un manque de détails dans les décors, mais la majorité de l'action se déroulant en intérieur, dans un cadre dépouillé, cela n'est finalement pas gênant.
Et là encore, le talent de Bagieu pour les expressions, les positions, son découpage sobre mais vif, font de ces 124 pages un vrai bonheur de lecture.
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Vous ne connaissez pas Pénélope Bagieu : réparez vite cela, vous ne le regretterez pas, la demoiselle a autant de charme que son oeuvre.

mercredi 20 octobre 2010

Critique 173 : ULTIMATE FANTASTIC FOUR, Vol. 2 - DOOM, de Warren Ellis et Stuart Immonen

Ultimate Fantastic Four, volume 2 : Doom rassmble les épisodes 7 à 12 de la série, publiés d'Août 2004 à Janvier 2005 par Marvel Comics, écrits par Warren Ellis et dessinés par Stuart Immonen.
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Dans l'univers Marvel classique, les 4 Fantastiques ont acquis leurs pouvoirs lors d'un vol spatial durant lequel ils ont été irradiés par des rayons cosmiques. Dans l'univers Ultimate, comme cela est décrit dans le volume 1 (The Fantastic, de Brian Michael Bendis, Mark Millar et Andy Kubert), les héros sont transformés à la suite d'une expérience scientifique ratée par la faute d'un cinquième protagoniste, Victor Van Damme, collègue de Reed Richards. D'autres différences sont notables : le groupe est reclus dans le Baxter building sous la "protection" de l'armée (comme les Ultimates, qui travaillaient avec le gouvernement dans leur base du Triskélion) et les soldats ont pour ordre de les tuer s'ils essaient de s'en échapper. Enfin, et c'est ce qui nous conduit au début de cet arc, Van Damme a disparu après qu'il ait avec Reed, Sue, Johnny et Ben, découvert la Zone Négative. Est-il mort ? Ou, s'il a survécu, a-t-il lui aussi été transformé, et comment ?
Le titre de ce volume indique que Van Damme est encore vivant et que "Doom" n'augure rien de bon pour les quatre héros, qui découvrent tout juste ce dont ils sont désormais capables...
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Warren Ellis n'a jamais été très inspiré dans sa production Ultimate et d'ailleurs ce qu'il y a apporté a été quasiment ignoré de Bendis et Millar, les deux vrais pilotes de cet univers où le premier a oeuvré dans la longueur (plus de 100 épisodes consécutifs - série en cours - d'Ultimate Spider-Man, Ultimate X-Men, Ultimate FF) et le second dans la profondeur (Ultimates, UXM, UFF).
Ellis a de plus, c'est notoirement connu, une aversion prononcée pour les super-héros et son talent s'épanouit bien mieux dans les registres de la science-fiction, de la satire et autres récits de genre référencés qu'il bouscule avec un mélange de rudesse et d'affection (fera-t-il jamais mieux, plus personnel et efficace, que son chef-d'oeuvre Planetary, véritable condensé "ellisien" ?). Sachant cela, on entame la lecture de son passage sur UFF avec à la fois de la curiosité et de l'appréhension.
Le résultat confirme ces sentiments : l'histoire est à la fois décevante car on y sent son auteur peu à l'aise, à peine concerné par son sujet, mal à l'aise avec ses codes, et pourtant cela est traversé de scènes détonantes, parfois drôles, très toniques. Mais jamais cela ne dépasse le travail de commande provisoire.
Là où Ellis est à son meilleur, c'est dans la caractérisation : il parvient à typer un personnage en quelques lignes de dialogue, par une attitude, en n'hésitant pas à bouleverser la donne. A ce jeu, ce sont Reed et Sue qui sont les plus différents de leurs versions classiques : Sue est décrite comme la véritable leader du groupe, agressive, dominatrice (y compris dans sa relation amoureuse) ; alors que Reed apparaît comme un nerd, maladroit, cérébral, qui ne réagit que lorsque la fille qu'il aime est malmenée.
Johnny est le plus faiblement exploité par Ellis et ne varie guère de son emploi dans la version classique, un dragueur impulsif et puéril : c'est dommage qu'Ellis n'ait pas su/voulu/pu relifter ce personnage. Ben est également soumis à un régime light, même si on sent que le scénariste suggère des éléments intéressants, avec une tendance plus volontariste, moins dépressif-râleur que dans les FF classiques.
Ellis tarde également à montrer Van Damme - étrange re-nomination du Von Doom/Von Fatalis - mais il le fait avec habileté et cela donne au personnage une aura menaçante assez forte. Il lie généalogiquement le méchant à Dracula, sans en faire un vampire mais... Un hybride de cyborg et de satyre (apparence qui sera corrigée dans les apparitions ultérieures) ! Il n'a aucune pitié, mais le génie du mal profondèment enraciné, au point de vouloir vraiment tuer les Fantastiques (et pas seulement les dominer comme dans les FF classiques).
L'intrigue se déroule sur un faux rythme, à la fois assez rapide (le livre est vite consommé) et nonchalant (le face-à-face entre les FF et Van Damme n'intervient que dans les deux derniers chapitres). Entretemps, quelques séquences notables sont divertissantes, comme lorsque Reed explique à Ben que Sue veut l'examiner dans son intimité (requête vite rejetée) ou que l'équipe découvre le Fantasti-car (occasion de vanner Reed).
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Stuart Immonen signe les illustrations et l'on sent un flottement prononcé dans son graphisme : l'artiste était alors à la croisée des chemins, délaissant son style classico-réaliste à l'oeuvre sur ses Superman et Shockrockets pour s'orienter vers le trait cartonny-délirant qui culminera lors de ses retrouvailles avec Ellis sur Nextwave.
Néanmoins, même en mode mineur, Immonen fait preuve d'une énergie irrésistible dans sa partie et spécialement dans les scènes d'action qu'il dôte d'une élégance explosive à nulle autre pareille. En comparaison avec Kubert Jr, ses planches possèdent une vigueur et une fluidité incomparables.
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Pas vraiment indispensable, sauf pour les fans d'Immonen comme moi. Les clients d'Ellis dans la veine mainstream préféreront relire ses Thunderbolts.

jeudi 14 octobre 2010

Critique 172 : TEAM-UPS OF THE BRAVE AND THE BOLD, de J. Michael Straczynski, Jesus Saiz, Chard Hardin, Justiniano et Cliff Chiang

Team-ups of the Brave and the Bold collecte les épisodes 27 à 33 de la série, publiés par DC Comics en 2009, écrits par J. Michael Straczynski et dessinés par Jesus Saiz (#27-30 & 32), Chard Hardin et Justiniano (#31) et Cliff Chiang (#32).
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La série anthologique The Brave and the Bold a été lancée en 1955 et a compté trois volumes depuis : c'est donc une institution de la firme DC Comics en même temps qu'une porte d'entrée commode pour faire connaissance avec ses personnages et son univers, si l'on ne suit ni ses séries régulières ni ses sagas. Le principe est simple : il s'agit d'aventures, brêves (un épisode le plus souvent, des arcs succincts autrement), entre deux personnages (voire deux groupes), l'un incarnant la bravoure (the Brave), l'autre l'intrépidité (the Bold). Mix de "buddy comics" et d'associations inattendues, on y rencontre à la fois une vedette et un partenaire moins célèbre.
Parti avec fracas de chez Marvel (suite à des désaccords éditoriaux sur ces trois dernières séries, Amazing Spider-Man, Fantastic Four et Thor), J. Michael Straczynski signe dans la foulé chez le concurrent et annonce plusieurs projets (le revamp des héros Archie Comics, The Mighty Crusaders ; Samaritan X sur un service hospitalier pour super-héros ; un graphic novel sur la jeunesse de Superman - Earth One - , puis les séries régulières Superman et Wonder Woman).
Finalement, ces épisodes de The Brave and the Bold sont le premier projet à être édité : pourtant, le résultat diffère du plan initial qui devait permettre au scénariste d'introduire progressivement les Mighty Crusaders dans le DCverse (ce sera fait via une mini-série, Red Circle, toujours pas éditée en album hélas !) et un teaser où figuraient The Shield, The Black Hood et The Fly avec Batman sera même diffusé.
Toutefois, JMS a su adapter ses projets et propose des tandems très originaux désormais rassemblés dans ce hardcover (en attendant les prochains épisodes), parmi lesquels Batman et Dial H for Hero ou Brother Power The Geek, Flash et les Blackhawks, Dr Fate et Green Lantern, Aquaman et Etrigan le démon, Atom et le Joker, ou le trio Wonder Woman, Zatanna et Batgirl. Ces récits font référence à la continuité mais sont compréhensibles sans qu'on connaisse les histoires auxquelles il est fait allusion (bien sûr, on les apprécie mieux en sachant à quoi ils se rattachent, en particulier Killing Joke d'Alan Moore et Brian Bolland et Justice League International volume 1 de Keith Giffen, J.M. DeMatteis et Kevin Maguire).
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- Death of a hero réunit Batman et Dial H for Hero (un cadran permettant à son détenteur de se transformer en super-héros de son choix). Cette histoire donne immédiatement le ton du recueil : il s'agit d'une fable où le cadran va donner l'occasion à un voyou de se racheter et à l'ado à qui il l'a volé de comprendre le sens et la valeur d'un acte héroïque.

Comme toute fable, l'histoire saisit par sa brièveté et sa morale que JMS délivre sans pesanteur, tout en subtilité. On retrouve toute la finesse des dialogues de l'auteur et son génie de la caractérisation, mais aussi sa volonté de dérouter en donnant finalement moins la vedette à Batman qu'à son partenaire dont le geste est plus spectaculaire et symbolique. C'est aussi l'occasion de mettre en scène pour la première fois et Batman et le Joker.

Les dessins de Jesus Saiz sont déjà impressionnants, d'une grande beauté, restituant à merveille les ambiances avec la complicité des couleurs de Trish Mulvihill. Pourtant, le meilleur reste à venir et ce premier round est presque modeste en comparaison avec ce qui suit.
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- Firing lines est en effet déjà un cran au-dessus, en termes de narration et d'illustrations.

Flash y est projeté, à la suite d'une expérience scientifique, en plein coeur de la seconde guerre mondiale, dans la Belgique occupée par les allemands. Il ne tarde pas à y trouver les aviateurs des Blackhawks, en mission dans les terres. Barry Allen doit alors tomber le masque et devenir soldat, en acceptant de tuer l'ennemi - ce qu'il ne fait jamais en temps normal.

JMS place le héros dans une situation où l'éthique le dispute au devoir : c'est une réflexion passionnante sur la différence entre le fait de rendre la justice derrière un masque, en respectant un code d'honneur, et le fait de se battre pour survivre et pour l'Histoire, contre des adversaires prêts à vous tuer.

Saiz réalise des planches magnifiques, synthétisant en une splash-page toute l'évolution de Flash, les épreuves qu'il traverse dans cette époque qui le force à changer d'attitude. La dernière image est saisissante et donne une puissance rare au récit. C'est fort. Et ce n'est pas fini !
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- Lost stories of yesterday, today and tomorrrow propose le duo le plus improbable du recueil avec Batman et un personnage obscur nommé Brother Power the Geek. Il s'agit à nouveau d'une variation sur le thème du sacrifice : la rencontre entre ces deux créatures de la nuit est pourtant un choc des cultures entre le dark knight qui est dérouté par ce revenant, apparemment immortel, dont les origines sont aussi nébuleuses que sa nature.

JMS écrit un récit déconcertant, échappant aux clichés du genre - pas de grandes batailles, de super-vilains en vue. Batman y est montré en train de sauver la vie de simples citoyens dans des circonstances somme toutes banales et Brother Power erre dans Gotham en tenant des propos étranges, renvoyant à son précédent séjour parmi les vivants dans les années 70. Il semble agir, se déplacer sans motif apparent, sinon celui de trouver la situation où sa condition lui permettra de retourner dans le sommeil dont il est inexplicablement sorti. C'est un récit très étrange, où JMS confronte moins deux personnages que deux époques et pointe les différences entre elles (très belle planche où sur 3 bandes de 2 vignettes chacune on compare des scènes quotidiennes à 35 ans d'écart et l'incommunicabilité qui s'est creusée entre les gens).

Maître-és ambiance nocturne depuis son passage sur la série Manhunter (de Marc Andreyko), Saiz signe des pages somptueuses, avec encore une fois une colorisation de première classe. C'est un épisode dont l'atmosphère prime sur l'histoire, à part dans cet album.
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- The Green and The Gold, soient Green Lantern et Dr Fate, ressemble à un autre exercice de style où le sens des mots, le choix des pseudonymes des deux héros conduisent presqu'à eux seuls le récit. D'abord, il y a le parallèle entre le titre de la série (brave/bold) et celui de l'épisode (green/gold), la rime de l'un avec l'autre, le fait que le talon d'Achille de Green Lantern soit la couleur jaune (dorée) qui est celle de Dr Fate, et enfin le jeu sur les vies multiples de ces deux héros (Green Lantern est le nom de plusieurs héros - Alan Scott de la JSA, Hal Jordan, Kyle Rayner, Guy Gardner, John Stewart - et Hal Jordan l'a été avant de devenir le maléfique Parallax puis de redevenir GL ; Dr Fate est l'hôte de Nabu et le heaume du magicien a été porté lui aussi par plusieurs hommes, Fate signifie destin en anglais et le destin ou plutôt la fatalité est au centre du scénario). Bref, JMS s'est amusé à dessein avec le background des deux personnages dont la réunion est placée sous le sceau des flashbacks et flashforwards : peut-on, autrement dit, convaincre dans le présent un ami de changer le cours de son existence dans le passé ?

L'histoire offre peu d'action, celle-ci apparaît comme un prétexte, mais le brio des dialogues compense largement et surtout l'habilité de la narration en fait un épisode à la fois malin et cruel. Avec deux personnages très puissants et spectaculaires, JMS déjoue les attentes et livre une fable intimiste et méditative (qui rappellera de bons souvenirs à ceux qui apprècient son Thor).

Saiz va faire une pause après cet épisode mais en profite pour nous gratifier d'un magnifique Dr Fate : il parvient à traduire le dilemme du personnage malgré son casque intégral. Son face-à-face avec Green Lantern, luttant pour infléchir le choix de son ami, a une belle intensité en même temps qu'il possède quelque chose d'éthéré.
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- Small problems est l'épisode qui triche le plus avec le principe de la série puisqu'il n'offre pas une association mais une authentique bataille entre ses deux protagonistes. Le titre est une allusion directe au pouvoir d'Atom en même temps qu'une manière d'ironiser sur les difficultés de sa mission.

Ray Palmer est en effet soumis à une situation délicate : il peut aider à soigner le Joker ! Sera-t-il à la fois assez brave pour cela, et assez intrépide pour visiter la psyché du criminel dément ?

En fait, Atom est à la fois le "Brave" et le "Bold" ici. Deux fois dans cet album, JMS va visiter le classique d'Alan Moore et Brian Bolland, Killing Joke : le mage britannique y avait établi les origines du Joker, dépeint en loser pathétique transformé à la suite d'un accident tout aussi imprévisible. Atom en visitant les souvenirs du vilain semble découvrir les germes d'une malfaisance plus profondes - à moins qu'il ne s'agisse de souvenirs altérés par la folie du Joker. JMS se garde bien de réécrire Moore et laisse le lecteur choisir quelle version est la plus probable. Les puristes hurleront certainement devant cette audace, la controverse est ouverte, mais en même temps quel risque y a-t-il qu'un simple épisode éclipse le chef-d'oeuvre de Moore ? Donc, autant relativiser.

Graphiquement non plus, Chard Hardin et Justiniano (qui illustre les scènes mentales) ne feront pas oublier Bolland. Après Saiz, il est évident que c'est là le segment le plus faible visuellement de ce recueil : sans être désagrèable, le travail des deux artistes n'a ni la beauté ni la force de leu confrère espagnol. C'est un fill-in honorable, mais sans plus : sans doute avec un autre artiste au style plus singulier, l'intermède aurait paru moins mineur.
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- Night gods relève nettement le niveau. Tout d'abord, le binôme Aquaman-Etrigan le démon est vraiment original et leur combat contre un monstre des abysses, entièrement relaté par un témoin simple humain dont la raison vacille depuis un terrible drame, n'est validé qu'à la toute dernière image. JMS s'emploie avec beaucoup d'adresse et d'efficacité à jouer avec la crédulité du lecteur, ce qui donne un vrai suspense, à la mesure de la menace mise en scène.

Mais cet épisode est surtout l'occasion pour Jesus Saiz de dessiner ses pages les plus impressionnantes : encore une fois, dans un décor ténébreux, il tire le maximum de ce que la situation et son environnment lui offrent. Le monstre est horrible à souhait et l'opposition que lui donnent Aquaman et, dans une moindre mesure, Etrigan (dont l'aspect se suffit presqu'à lui-même) est l'occasion d'images bluffantes (comme lorsque les sujets du souverain des mers entrent en scène). Difficile de ne pas être subjugué par le résultat.
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- Enfin, Ladies night où figurent non pas deux mais trois personnages - Wonder Woman, Zatanna et Barbara Gordon a.k.a. Batgirl - ferme la marche, et en beauté. L'intention de l'auteur est double : il s'agit encore une fois de visiter Killing Joke de Moore et Bolland et de s'affranchir des codes super-héroïques puisqu'aucune menace n'est au programme.

La magicienne Zatanna convainc l'amazone Wonder Woman d'offrir une sortie nocturne à leur amie Batgirl avant qu'elle ne soit définitivement (mais sans le savoir évidemment) mutilée par le Joker.

Cette issue demeure pour tous les lecteurs de DC un des plus grands chocs de ces vingt dernières années, un des souvenirs de lectures les plus poignants. En retournant sur la "scène du crime", JMS a fait preuve de courage mais s'en tire avec beaucoup de souplesse et boucle son histoire sur une note vraiment émouvante. Entretemps, il s'amuse avec une scène fantasmatique où Zatanna et Wonder Woman seraient amantes, et même si, in fine, il semble désamorcer cette piste par un bref flashback explicatif, il n'occulte pas réellement cette éventualité : le découpage, l'angle choisi pour la représenter (avec l'accord du dessinateur ?), laissent le champ libre à l'interprétation.

Pour cet épilogue, Cliff Chiang a pris la place de Saiz et le choix est idéal tant l'artiste excelle à dessiner les femmes : il sait donner à Wonder Woman, Zatanna et Batgirl une allure distincte (la majesté, la malice, la maladresse) tout en leur conservant un charme irrésistible. Chiang est peut-être celui qui, depuis Paul Smith, dessine les plus belles héroïnes de comics : c'est un enchantement.
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Voilà un des meilleurs albums mainstream de l'année : une collection d'histoires abordable par tous, aux pitchs singuliers, à l'écriture ciselée et aux dessins éblouissants.

mardi 5 octobre 2010

Critique 171 : ULTIMATE X-MEN, Vol. 13 - MAGNETIC NORTH, de Brian K. Vaughan et Stuart Immonen

Ultimate X-Men Volume 13 : Magnetic North rassemble les épisodes 61 à 65 de la série, publiés par Marvel entre Juillet et Novembre 2005, écrits par Brian K. Vaughan et dessinés par Stuart Immonen.
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Emma Frost a fondé sa propre école, l'Academy of Tomorrow, et parmi ses élèves se trouvent Alex Summers (Havok, le frère cadet de Scott/Cyclops), Lorna Dane (Polaris), Jean-Paul Beaubier (Northstar), Roberto DaCosta (Sunspot), Doug Ramsey (Cypher) et Sam Guthrie (Cannonball).
Polaris est enfermée dans la prison du Triskelion (la base des Ultimates) après qu'elle ait accidentellement tué trois civils lors d'une mission de sauvetage, à cause d'un piège tendu par Mystique et Forge. Ce piège a été organisé par Magneto, détenu dans la même cellule que Lorna Dane, pour lui permettre de s'échapper.
Les élèves de Frost suivent Havok qui veut sortir sa fiancée de prison en même temps que les X-Men enquêtent sur l'affaire qui l'y a conduite. Les deux équipes vont s'affronter sur fond de rivalité entre les deux frères Summers car Scott a été le premier amant de Lorna. Mais les Ultimates comptent bien jouer les arbitres... Ce qui fait le jeu de Magneto et ses complices.
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Après leur très réussi premier arc ensemble (The most dangerous game, UXM vol. 11), et deux épisodes situés juste avant ceux-ci (Shock and awe), Brian K. Vaughan et Stuart Immonen se retrouvent pour cette nouvelle histoire, qui sera leur dernière pour la série.
Encore une fois, c'est un succès : le résultat est d'une densité et d'une efficacité redoutable qui en font une lecture jubilatoire et palpitante. Vaughan livre un script qui, sous son aspect classique (il anime des personnages qu'il n'a pas créés dans un univers déjà codifié), est d'une remarquable dextérité.
Sa gestion du casting, particulièrement abondant (pas moins de 28 personnages : les 10 X-Men et leur prof, Frost et ses 7 élèves, le trio de méchants, les 6 Ultimates et Fury, Longshot et Lady Deathstrike), est incroyablement maîtrisée : chaque personnage est identifiable, interagit intelligemment avec les autres, chaque groupe se croise sans jamais que le lecteur ne soit égaré, et tout ça sans sacrifier l'action et l'intrigue - dont le dénouement est inattendu et machiavélique.
De la même manière, son art des dialogues, drôles et subtils (comme lorsqu'il dévoile l'homosexualité de Colossus et Northstar), est la marque d'un auteur maniant ses outils en orfèvre.
C'est la preuve que dans le cadre d'un travail de commande, au sein d'un produit contraignant, si un scénariste a vraiment une voix, il peut la faire entendre sans être étouffé par le poids des franchises.
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Stuart Immonen est l'illustrateur idèal pour dessiner un script aussi accompli tout en lui apportant une vraie plus-value visuel : son découpage est toujours aussi explosif, l'expressivité de ses personnages traduit parfaitement les émotions qui les animent, et l'exercice lui a sans doute permis de se lâcher complètement pour la maxi-série Nextwave avec laquelle il a enchaînée.
C'est un kiff total quand on assiste à la réunion d'un artiste et d'un auteur qui sont vraiment sur la même longueur d'ondes et dont les talents s'additionnent pour le bonheur de la série et de ses lecteurs.
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Ah, quel pied !

dimanche 3 octobre 2010

Critiques 170 : REVUES VF OCTOBRE 2010

SIEGE 1 :
- Siege : Première partie.
Après le prologue paru le mois dernier dans Dark Reign Saga 4, nous voilà de plein pied dans le nouvel event Marvel, celui qui va clôre la période du "Dark Reign" (qui faisait suite à Secret Invasion) et d'une manière plus générale à plusieurs années de crises (Secret War, House of M, Civil War, World War Hulk). A l'heure des comptes, on constate que le "Dark Reign" a été assez bref mais en même temps il présentait une situation sans doute trop sombre et extrème pour durer plus longtemps. Il me semble qu'il n'a pas eu le retentissement espéré et les conséquences ont été moins intéressantes que l'après CW, où l'on assistait à un schisme dans la communauté surhumaine bien plus mémorable.
Ce statu quo a profité à quelques séries en soulignant la précarité de certains héros (comme les Nouveaux Vengeurs, dont la clandestinité a été mieux traîtée), mais j'aurai souhaité que, puisque les méchants avaient pris le pouvoir, le climat de terreur soit plus pesant encore. Or, la création la plus notable du "Dark Reign" a été celle des Dark Avengers, peu occupés à chasser les héros résistants (cettee tâche a échu au gang de The Hood), et j'ai rapidement décroché de la série qui leur était consacrés. Dans le même temps, cela ne m'a pas donné envie de reprendre la lecture des Puissants Vengeurs (qui paraissaient peu liés au "Dark Reign"), Spider-Man (l'obsession d'Osborn) n'a pas non plus semblé être très dérangé par tout ça (un comble) et les X-Men ont traversé l'orage dans un calamiteux crossover (Utopia).
Bref, Siege arrive, à mon sens, comme une délivrance. La présence d'une équipe artistique de premier plan pour boucler ce dossier est l'autre bonne nouvelle : en effet, Brian Bendis retrouve Olivier Coipel après House of M (et quelques épisodes des Nouveaux Vengeurs).
L'argument de départ de cette mini-saga (qui ne compte que quatre chapitres - autre bonne nouvelle après la trop longue Secret Invasion) est une référence explicite à Civil War : Loki orchestre un "incident" spectaculaire et meurtrier susceptible de jeter le discrédit sur Asgard et ses habitants, basés au-dessus de l'Oklahoma, à côté du bled de Broxton, depuis la résurrection de Thor. Celui par qui le drame va éclater est l'innocent Volstagg, parti découvrir Midgard après la déchéance de Thor, suite aux manigances de Loki.
La différence avec CW se situe là : dans l'histoire de Millar, de jeunes héros provoquaient, par inconscience, une tragédie. Dans celle de Bendis, ce sont Loki et Osborn qui organisent une tragédie pour manipuler l'opinion et déclencher une guerre.
Ce premier épisode est donc une introduction mais elle file à toute allure : Bendis imprime un tempo vif à son récit et met très vite en place les éléments de l'histoire. En 24 planches, tout est déjà en place : le piège de Loki et Osborn, l'assaut sur Asgard, la réaction de Thor, et la prise de conscience de Steve Rogers.
Cet emballement surprend celui qui ne voit chez Bendis qu'un chantre de la décompression narrative mais signe ce que sera Siege : un déluge d'action, une manière spectaculaire et très distrayante de solder les comptes. Le scénariste prend tout le monde à contre-pied en allant là où il ne va presque jamais, comme s'il zappait toutes les étapes où il est attendu (les grandes scènes dialoguées, la mise en place progressive, l'humour...). On espère qu'il saura garder la cadence et nous offrir des morceaux de bravoure à la mesure des acteurs impliqués.
Coipel fait son grand retour après ses superbes épisodes sur Thor (écrits par Straczynski) et s'impose immédiatement comme le choix rêvé pour ce type d'entreprise : l'expressivité de ses personnages, le dynamisme de son découpage, l'élégance de son trait (soutenu par l'encrage ad hoc de Mark Moralès et les couleurs magnifiques de Laura Martin) donnent de la puissance à ce volet inaugural.
Encore une fois, il fait merveille dans l'univers de Vengeurs et celui des Asgardiens.
Un début prometteur.
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- Siege : Journal de guerre (1).
Comme c'est désormais la coutume, l'event est accompagné d'une série annexe présentant les péripéties sous un angle plus terre-à-terre, à hauteur d'homme, en compagnie du reporter Ben Urich.
Mais cette fois Marvel a su donner au projet un tandem créatif à la hauteur en associant Brian Reed au scénario et Chris Samnee au dessin. Leur narration est efficace, fluide, avec une ironie plaisante dans le rapport média complaisant-journalisme de guerre.
La rencontre atypique entre Volstagg et Urich produit un récit décalé, très bien illustré (même si les dessins de Samnee sont encore plus beaux en noir et blanc - les édite tel quel aurait été un bonne idée, fournissant à la série un aspect visuel original).
Très agréable complément.
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Bilan : un démarrage boulet de canon - c'est beau et c'est bon : j'ai hâte de lire la suite !

MARVEL ICONS 66 :

- Les Nouveaux Vengeurs 61 : Deux par deux.

Bien qu'annexé à Siege (c'est d'ailleurs le titre original en vo), cet épisode n'y fait qu'une allusion très discrète (lors d'une scène entre Spider-Man et Spider-Woman observant la tour des Vengeurs).

Le titre français donne une meilleure idée de ce 61ème chapitre de la série, axé sur deux team-ups : d'un côté, Steve Rogers et Bucky (devenu le nouveau Captain America, avec la permission de l'ancien) sont surpris par le Corrupteur et le Laser Vivant dans les ruines de l'ancien QG du Vengeur étoilé ; de l'autre, Spider-Man et Spider-Woman doivent faire face à Mandrill et le Griffon tandis qu'ils observent l'agitation dans les parages de la tour des Vengeurs. Comment ces sbires de The Hood ont-ils pu trouver les héros si facilement ? Grâce aux pierres de nornes asgardiennes que Loki a offert à Parker Robbins, qui a amplifié ses pouvoirs et ceux de ses complices.

La dernière page de l'arc précédent montrait Norman Osborn autorisant les hommes de The Hood à tuer les Nouveaux Vengeurs, tandis qu'il s'apprêtait à lancer l'assaut contre Asgard (à suivre dans la revue "Siege"). Ce nouveau numéro présente donc directement le début de cette chasse à l'homme.

Brian Bendis, comme dans le premier volet de Siege, écrit d'abord un récit plein d'action, sur un rythme soutenu. On ne s'ennuie pas et les deux tandems mis en scène ici sont en fâcheuse posture à la fin de l'épisode.

La partie graphique est l'oeuvre de Stuart Immonen (qui signe 14 des 25 planches de l'épisode) pour la partie concernant Rogers et Bucky : l'artiste y fait preuve d'une virtuosité dans le découpage culminant dans une scène où une balle tirée par Captain America ricoche sur sa cible et après d'autres impacts neutralise le Corrupteur. Un vrai morceau de bravoure, bluffant !

Daniel Acuña s'occupe des séquences avec les deux araignées, plus axée sur les dialogues (toujours brillants et drôles de Bendis). Le changement de style avec Immonen peut désarçonner, pourtant le résultat est très séduisant et bien mené puisque chaque dessinateur se charge de personnages différents, dans deux endroits distincts.

Le dénouement donne forcèment envie de connaître la suite et comment tout cela va conduire l'équipe sur le champ de bataille en Oklahoma...

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- Fantastic Four 571 : Une solution pour tout (2).

Pour leurs débuts, Jonathan Hickman (au scénario) et Dale Eaglesham (au dessin) avaient proposé une intrigue prometteuse mais aussi frustrante : ce sont les mêmes sentiments qui dominent avec ce 2ème volet.

Reed Richards continue de faire connaissance avec le mystérieux Conseil, composé de ses doubles venus de terres parallèles et oeuvrant au progrès de l'humanité. Mr Fantastic cache cette activité au reste de son groupe, mais son épouse se doute de quelque chose, ce qui commence à créer quelques tensions. Et ce collectif de savants a des méthodes à la fois spectaculaires et discutables - trop sans doute pour ne pas susciter l'ire d'entités très puissantes...

Hickman dispose ses pions avec apparemment une idée à la fois assez vaste et précise, mais il n'est vraiment pas pressé. Cela tranche avec Millar et ses arcs rapides, mais le risque surtout avec cette méthode est de voir la montagne accoucher d'une souris et de lasser le lecteur.

Ce qui me gêne le plus pour le moment est qu'Hickman n'écrit pas une série sur les FF mais sur Reed Richards, un Reed à nouveau cachottier et comploteur comme celui des Illuminati et de Civil War. Les trois autres membres de l'équipe sont réduits à des figurants dans des scènes sans intérêt, aux dialogues inspides (et déjà lus mille fois - la Torche raillant Spider-Man, la Chose rappelant à Reed que quand Jane est de mauvaise humeur l'ambiance du collectif tout entier en pâtit). Il va falloir que ça bouge tout ça...

Dale Eaglesham offre des illustrations souvent impressionnantes (comme cette double-page avec Galactus), mais c'est dommage de ne pas mieux exploiter un tel artiste sur un titre pareil, en lui donnant des situations plus intéressantes.

Je suis dubitatif : c'est beau, mais ça n'avance pas.

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- Iron Man 20 : Dislocation (1).

Bon, là, je passe mon tour. C'est toujours aussi repoussant, et Fraction m'a achevé après son précédent et interminable arc. Vivement que Bendis réveille Tony Stark dans Siege !

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- Captain America 602 : Deux Amériques (1).

Ed Brubaker a ramené Steve Rogers et transmis solennellement le bouclier à Bucky : la série entame donc un nouveau cycle sur ces bases. Mais le scénariste va ramener sur le devant de la scène un élément du passé de son héros : un Captain America du nom de William Burnside, version très névrosée et extrémiste des valeurs du justicier, déterminé à ramener l'Amérique dans le "droit chemin".

L'histoire qui démarre là a suscité la polémique aux Etats-Unis à cause d'une scène où on assiste à un défilé des ultra-conservateurs républicains, les fameuses "tea parties", refusant le "socialisme" d'Obama. Pour souligner son hostilité manifeste à cette frange populiste, Brubaker lie ce mouvement contestataire à la mission que s'est donné Burnside. C'est audacieux et bien mené, à défaut d'être palpitant - mais avec l'auteur, il faut savoir être patient, l'issue est souvent meilleur que le départ.

Luke Ross illustre, soutenu par Butch Guice à l'encrage. Ce dernier imprime sa marque sur le dessin classique mais je préfèrerai que Guice s'occupe de toute la partie graphique, l'ensemble y gagnerait en puissance et en personnalité.

Visiblement, nous sommes dans une période de transition pour cette série.

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Bilan : un numéro mineur où les artistes volent la vedette à leurs scénaristes. Bien que tout cela soit supposé être relié à Siege, ce n'est pas (encore) évident - mais au fond, je ne m'en plains pas.

DARK REIGN 13 :

- Les Vengeurs Noirs 13 : Siege (1).

Voilà un bail que je n'avais pas lu cette série, et pour cause : j'ai cessé d'acheter cette revue après le n°3 ! Bien que généralement client des productions de Brian Bendis, je n'ai guère aimé les conséquences de Secret Invasion et, au coeur du "Dark Reign", la création des Dark Avengers. Le premier arc m'avait beaucoup déçu, je n'y avais vu qu'un ersatz des Thunderbolts de Warren Ellis et Mike Deodato (dessinateur des deux titres).

Ce n'est donc pas pour retrouver cette série, même annexée à l'event Siege (quoique l'épisode de ce mois-ci n'y fasse pas référence), que j'ai acheté la revue.

Sentry est au coeur de l'histoire. C'est un personnage que je n'ai jamais apprécié, et que je connais d'ailleurs mal (même si sa création a été à l'origine d'un beau canular : Marvel avait prétendu qu'il s'agissait d'un héros du golden age oublié aussi bien par l'éditeur que dans l'univers des personnages de la firme). Je n'ai pas lu la première maxi-série de Paul Jenkins et Jae Lee qui lui a été consacré en 2000, et la seconde par Jenkis et John Romita Jr ne m'a pas laissé de grands souvenirs (même si elle était fort bien dessinée). Enfin, ses intégrations successives aux Nouveaux Vengeurs, Puissants Vengeurs et Vengeurs Noirs m'ont toujours semblé forcées. Bendis a échoué à bien utiliser ce personnage, affublé d'un costume minable et des pouvoirs nébuleux.

Et cette fois n'échappe pas à la règle : Bendis tente de consacrer le héros (ou vilain, ou les deux puisque Sentry est aussi le maléfique Void et membre d'une équipe de bad guys) comme une figure mythologique, messie ou antéchrist, à moins que ce ne soit qu'un pathétique junkie devenu un surhomme... Bref, c'est n'importe quoi ! Et c'est dommage car, dans un article du magazine Comic Box, au début de la parution de New Avengers, un journaliste avait relevé que les membres de l'équipe étaient tous liés par le concept du "super-soldat" (Sentry, Captain America, mais aussi Luke Cage, Spider-Woman, Wolverine - via l'Arme X...) : cela aurait pu donner une storyline passionnante et une autre dimension à ce personnage.

Il reste les dessins de Deodato : l'artiste brésilien est en grande forme, ses planches sont souvent saisissantes, et même ses flash-backs classiquement traités en noir et blanc ont une sacrée gueule. Mais ça ne suffit pas.

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- Thunderbolts 139-140 : Dommages collatéraux-Esprits torturés.

Voilà pour quoi j'ai acheté la revue : un bref crossover qui ne dit pas son nom entre les T-Bolts et les Agents of Atlas (héros d'une des séries les plus originales de ces dernières années, hélas ! sanctionnée par un bide commercial).

L'équipe de Jimmy Woo est dans le collimateur de Norman Osborn depuis un moment et il envoie ses tueurs les éliminer en piégeant une des entreprises de la Fondation Atlas. La rencontre donne lieu à une belle bagarre. Mais qui la gagne ?

Jeff Parker, qui a réanimé les AoA, désormais aux commandes des T-Bolts, ne pouvait qu'organiser cette opposition et il se fait plaisir sans oublier de nous régaler : le scénariste excelle dans la mise en scène de ces personnages de seconde zone qu'il croque avec un esprit mordant et une vraie efficacité. Cela donne vraiment envie de lire ce qu'il fera de la série après Siege (dans une configuration très différente...), à défaut d'avoir rencontré le succès avec Atlas (la 3ème série avec les AoA).

Aux dessins, Miguel Sepulveda (assisté de Sergio Ariño sur le 2ème épisode) signe des planches également très bien, au découpage très fluide. Par contre, la colorisation de Sunny Gho gagnerait à être plus sobre, mais ça ne suffit pas à gâcher la vue.

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- Secret Warriors 11 : Le réveil de la Bête (1).

Alors, là, c'est comme Iron Man : c'est tellement laid que je ne peux pas lire. Caselli, c'est vraiment le Mal. Tant pis pour Jonathan Hickman (quoique ses FF me laissent sur ma faim...).

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Bilan : deux épisodes des Thunderbolts emballants, vivement la fin pour les Vengeurs Noirs, et zap pour Secret Warriors. Le verre est donc à moitié plein (ou vide, si on est de mauvaise humeur).

Critique 169 : ULTIMATE X-MEN, VOL. 11 - THE MOST DANGEROUS GAME, de Brian K. Vaughan et Stuart Immonen

Ultimate X-Men Volume 11 : The Most Dangerous Game regroupe les épisodes 54 à 57 de la série, publiés entre Janvier et Mars 2005, écrits par Brian K. Vaughan et dessinés par Stuart Immonen.
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Mojo Adams produit un reality-show sur l'île de Krakoa où a lieu des chasses à l'homme - ou plutôt des chasses au mutant condamné pour crimes. Le plus résistant de ces traqués est Longshot, accusé d'avoir assassiné Lord Scheele, un politicien de l'île voisine de Genosha.
En découvrant le programme, le Professeur Charles Xavier, désirant savoir si Longshot est vraiment coupable sans risquer d'incident diplomatique, envoie la moitié de son équipe de X-Men (Cyclops, Phoenix, Shadowcat et Iceman) à Genosha pour enquêter.
Mais l'autre moitié de ses élèves (Dazzler, Angel, Colossus et Nightcrawler), dégoûté par le show et convaincu de l'innoncence de Longshot, décident, sans prévenir personne, d'aller le sauver à Krakoa.
C'est sans compter sur, d'un côté, Spiral, la fiancée de Longshot et maîtresse de Scheele, qui désire le venger ; et, de l'autre, Arcade, candidat pour tuer Longshot car sa soeur a été victime de Magneto.
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C'est autant la présence au dessin de Stuart Immonen que l'envie de découvrir le scénariste Brian K. Vaughan qui m'a décidé à acquérir les volumes 11 et 13 des Ultimate X-Men. Lorsque Vaughan prend les commandes de la série en 2005, déjà plus de 50 épisodes ont déjà été produits, ce qui en fait le titre le plus fourni de la gamme Ultimate après Ultimate Spider-Man, de Mark Bagley et Brian Bendis. C'est justement ce dernier qui a écrit UXM entre le run inaugural de Millar et celui à suivre de Vaughan.
Vaughan est un auteur à part dans le monde des comics mainstream : il a créé deux titres atypiques chez les "big two", Y The Last Man pour Vertigo (le label "adulte" de DC) et Runaways pour Marvel. Il a la réputation d'être excellent dans la caractérisation et la conceptualisation, aussi à l'aise dans la construction d'intrigues que dans des dialogues bien tournées. Bref, c'est le successeur idéal pour prendre le relais du dynamitero Millar et du prolifique Bendis.
Pour cet arc, Vaughan s'inspire de la nouvelle éponyme de Richard Connell parue en 1924 et qui a inspiré le grand classique du cinéma, Les Chasses du Comte Zaroff (d'Ernest B. Schoedsack - un des pères de King Kong - et Irving Pichel, en 1932), qui raconte comment le riche habitant d'une île provoque des naufrages pour chasser ensuite les suvivants.
Le pitch est fomidablement bien développé selon une narration parallèle classique mais très maîtrisé, avec les deux équipes de X-Men sur les deux îles. Le dénouement est également jubilatoire et vicieux : on découvre la vérité sur l'assassinat de Scheele en même temps que Longshot s'échappe enfin de Krakoa. Le tout est mené à un train d'enfer, en quatre chapitres aussi denses qu'haletants.
Les dialogues sont également fomidables : Vaughan réussit à synthétiser en quelques échanges la personnalités et les relations de ses personnages, avec beaucoup d'humour (les châmailleries entre Kitty Pryde et Bobby Drake) et d'ambiguïté (l'attirance d'Alison Blaire pour les bad boys). Au passage, il revisite avec mordant des héros comme Dazzler (transformée en punkette tatouée, bien plus intéressante que sa version "classique") ou Longshot (fausse victime, vraie crapule) - ce qui a dérangé les fans. Il remodèle également Arcade avec beaucoup d'astuce, et se paie le luxe de se passer de Wolverine.
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Stuart Immonen avait déjà effectué un passage dans l'univers Ultimate en dessinant le 2ème arc des Ultimate Fantastic Four, Doom, écrit par Warren Ellis. C'est juste avant de retrouver ce dernier pour l'indispensable Nextwave qu'il illustre ces chapitres des UXM : il y entame sa mue esthétique qui le verra passer de son style classico-réaliste rôdé chez DC à sa période cartoon déjantée.
Le choc a dû être grand à l'époque pour ceux qui étaient habitués à Bagley, Kubert ou Hitch, mais Immonen imprime sa marque sans difficulté et livre des planches au tonus imparable, dont le découpage est hyper-dynamique, les personnages expressifs, entre exagération et justesse.
L'efficacité redoutable du storytelling ne serait pas aussi remarquable sans Immonen dont la complicité avec Vaughan coule de source comme s'ils travaillaient ensemble depuis des lustres.
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Un retour dans le jardin mutant de la collection Ultimate très appréciable.

Critique 168 : QUAI D'ORSAY, CHRONIQUES DIPLOMATIQUES - TOME 1, d'Abel Lanzac et Christophe Blain

D'ordinaire je lis les livres sans me soucier de leur réputation et je fuis volontiers les grilles de lectures pour aller de-ci, de-là, au gré de ce qui passe, préférant choisir les ouvrages par rapport à ceux qui les font plutôt que par rapport à leur sujet. Toutefois, il arrive quand même qu'un bouquin vous fasse de l'oeil et que ce qu'on en dise finisse par vous ouvrir l'appétit. Si, en plus, il est signé par au moins un artiste qui vous a enthousiasmé auparavant, il devient difficile de résister.
C'est ainsi que j'ai voulu lire ce Quai d'Orsay - Chroniques diplomatiques, synthèse de tous les critères précités : d'excellents échos, un sujet intriguant, un dessinateur accrocheur. Autrement dit : une BD ayant pour cadre la vie politique, réalisé par l'auteur des formidables Isaac le pirate et Gus.
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L'histoire a pour protagoniste Arthur Vlaminck, un jeune politologue, plutôt de gauche, qui est recruté par le ministère des affaires étrangères d'un gouvernement de droite. Il a pour mission de rédiger les discours du ministre, ou plutôt les "langages" : la distinction a son importance car cette tâche englobe à la fois de la communication et la parole d'Etat. C'est donc d'abord une histoire de mots et de ce qu'ils produisent, de la manière dont on s'en sert, de l'impact qu'ils ont, de ce qu'on veut leur faire dire sur la conviction de l'orateur mais aussi sur les usages à respecter.
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Il n'y a aucun mystère : le ministre représenté dans Quai d'Orsay et nommé Alexandre Taillard de Worms n'est autre que Dominique de Villepin, dont la silhouette est reconnaissable entre mille et dont l'emphase verbale est à peine pastichée. Mais pastichée avec beaucoup de talent, sans facilité.
Et il s'avère que l'ennemi de Nicolas Sarkosy fait un fabuleux héros de bande dessinée ! Le scénario est d'abord l'oeuvre d'Abel Lanzac (un pseudonyme), qui a travaillé dans l'entourage proche de l'ex-premier ministre et locataire du Quai d'Orsay durant le quinquenat de Jacques Chirac : le sens du détail est criant de vérité et la description des cabinets remplis de conseillers (plus ou - souvent - moins utiles) est jubilatoire, mais c'est surtout le portrait de Taillard de Worms/de Villepin qui est saisissant et drôlissime.
Acteur excessif, cabotin, décalé (comme le résume Vlaminck, "c'est X-Or. Il t'emmène dans son monde pour mieux te vaincre"), déboulant dans les pièces comme une bourrasque à grands coups de "Vlon !", il suscite de grands éclats de rire comme peu de héros comiques en provoquent.
A travers cette figure hors du commun, c'est la relation du fonctionnement effarant d'un ministère (et ses liens avec les autres bureaux du gouvernement) qui est dépeinte : tout le monde semble naviguer à vue, avec pour principale ambition de marquer les assistances lors de discours et de gagner du temps quand des tensions internationales éclatent (principalement en Afrique).
Le mélange de complexité pour les situations géo-politiques et de vulgarité pour la façon d'y faire face est comparé à plusieurs reprises à la bande dessinée ("c'est comme Tintin"), ou comment trouver des répliques simples à des questions compliquées. Des références alternatives à Star Wars représentent Taillard de Worms à Dark Vador et Vlaminck à son disciple, témoignant de la fascination trouble qu'éprouve le "ghost writer" pour son employeur.
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Sans Christophe Blain, qui a co-signé le scénario (qui tient moins en une intrigue - sinon celle de la rédaction du discours parfait - qu'en une succession de séquences) et réalisé les dessins, cet album n'aurait pas la même puissance comique.
Son graphisme nerveux et son génie de la gestuelle donnent au projet une facture exceptionnelle : il prouve une fois encore l'étendue du registre de cet artiste.
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Piquant et singulier, hilarant et inattendu, ce Quai d’Orsay est un des chefs d’œuvre parus cette année.