dimanche 23 février 2014

Critique 416 : JUSTICE LEAGUE SAGA #4

 JUSTICE LEAGUE SAGA 4 :

- Justice League #21 :

Le jeune Billy Batson doit affronter Black Adam qui veut lui dérober les pouvoirs dont l'a investi le sorcier Shazam. 

Publiées en back-up de la série Justice League, les nouvelles origines de Shazam écrites par Geoff Johns trouvent leur conclusion dans cet épisode de plus de trente pages. L'entreprise était louable (réintroduire un personnage aussi iconique que Shazam dans le "New 52") mais cela méritait-il autant de place, surtout pour un tel dénouement, un tel résultat ?
J'éprouve un sentiment très partagé : le personnage est délicat à manier, l'esprit d'un enfant dans le corps d'un surhomme, et Johns n'évite pas toujours la mièvrerie ni les dialogues balourds, a fortiori quand il met en scène tous les autres gamins amis de Billy Batson qui reçoivent eux aussi à un moment-clé ses pouvoirs (Freddy Freeman s'exclamant devant Mary : "Hé, Mary... T'es bonne !"...), et d'ailleurs cette séquence n'aboutit pas à grand-chose.
En revanche, quand il se concentre sur son point fort, c'est-à-dire les scènes d'action, la confrontation entre Shazam et Black Adam, le dénouement de leur bataille (fort astucieux, même si on peut raisonnablement douter que le sort de Black Adam soit définitivement scellé), le spectacle vaut le coup d'oeil, tout comme comme lorsque les sept péchés capitaux trouvent leur hôte.
A voir maintenant ce que va devenir le héros (membre futur de la JL, peut-être avec sa propre série).

Les dessins sont assurés par Gary Frank qui livre une copie très soignée : ses personnages sont expressifs, ses planches sont riches en décors détaillés, son découpage classique mais agréable. Du travail soigné, qui ne souffre que d'une colorisation trop sombre, et de redesigns de costumes ratés (c'est hélas ! le cas de beaucoup de personnages du "New 52"...).
Mais qu'il s'agisse de représenter des surhommes athlétiques, des gamins, des monstres, des animaux, Gary Frank s'emploie à la faire avec une méticulosité justifiant les délais d'exécution.
 
- Flash #21 :

Flash s'est lancé à la poursuite de Kid Flash, membre des Jeunes Titans, pour savoir s'il est mêlé à la série de meurtres sur laquelle il enquête et dont toutes les victimes ont séjourné dans la dimension de la Force Véloce.

Commençons par dire que cet épisode est à nouveau un enchantement sur le plan visuel : Francis Manapul et son coloriste Brian Buccellato déploient non seulement des trésors d'imagination pour mettre en scène de la manière la plus vivante et éclatante la course entre les deux speedsters autour du monde. A chaque page, le découpage est d'une richesse, les vignettes sont d'une beauté extraordinaires : la sensation de vitesse est fabuleusement représentée.
Ce brio graphique suffirait presque à tout à excuser et fait de Flash une des séries les plus stimulantes du moment.

Mais si l'on est honnête, il faut aussi être un peu désagréable et avouer que le scénario de cet épisode est à l'image de la production écrite par les mêmes Manapul-Buccellato, c'est-à-dire que c'est très vite lu - ce n'est pas en soi un problème : là où ça le devient, c'est quand on comprend que ça se lit vite parce qu'il n'y a pas grand-chose à lire. Deux bolides se courent après pendant 13 pages (sur 20) et c'est presque tout car Flash comprend que Kid Flash n'a rien à voir avec son affaire, et les 7 pages restantes sont aussi vite expédiées.
Très beau, mais aussi très creux. 

- Justice League of America #4 :

Catwoman a réussi à infiltrer le repaire de la Société Secrète des Super-Vilains. Le reste de la JLA l'y rejoint mais rencontre de la résistance.

Déjà quatre épisodes et cette série ne décolle toujours pas. Geoff Johns ne parvient pas ni à faire croire à cette équipe hétéroclite, bâtie à coups de personnages réduits à des clichés (comme des parodies de plusieurs héros Marvel par moments : ainsi Hawkman est-il dépeint comme Wolverine), quand ils ne sont tout bêtement pas absents (on n'a toujours pas vu le Green Lantern Simon Baz, et pour ce que fait Stargirl, elle pourrait très bien être ailleurs qu'on ne verrait pas la différence). Le cliffhanger est bêtement sensationnaliste, on n'y croit pas une seconde non plus.

Pour que le ratage soit consommé, on mentionnera que David Finch, déjà peu inspiré, a déjà cédé sa place au dessin. Il est remplacé par Brett Booth dont la médiocrité est effarante : tout est raté dans ses planches (personnages aux expressions improbables, aux proportions dignes des pires comics des 90's, décors intemittents). Dire qu'il va remplacer Manapul sur Flash dans quelques mois : ça fait peur.

- Green Arrow #20 :

Tous deux éprouvés par leur dernier affrontement, Green Arrow et Komodo ont à coeur d'en découdre : le second attire le premier dans le cimetière où est enterré son père. Pas de quartier, malheur au vaincu !

Jeff Lemire maintient une tension remarquable à sa série en la dépouillant de toute fioriture. Son héros est atteint, mis à mal, et se jette dans l'arène avec l'énergie du combattant têtu, rageur. Comme Flash, ça se lit tout seul mais la matière est mieux travaillée, les sentiments plus à vif. Surtout, le scénariste est malin car depuis son arrivée, il a inscrit son récit dans un flashback et l'on comprend maintenant pourquoi et comment Oliver Queen se trouve dans le désert du Nevada où on le voyait errer avant chaque duel contre Komodo.

Et puis Andrea Sorrentino produit des planches galvanisantes, à la hauteur du script : le découpage est plein d'audace, de trouvailles, mais qui sont toujours justes, au service de l'histoire, de l'action. La mise en couleurs de Marcelo Maiolo joue un rôle crucial dans l'affaire, avec des partis pris très stimulants. C'est jubilatoire. 

- Justice League Dark #20 :

La Maison des Mystères est désormais sous le contrôle du Dr Destin et chaque membre du groupe dirigé par John Constantine doit faire face à ses pires hantises. Flash intervient, mais une révélation vraiment étonnante attend Mme Xanadu.

Jeff Lemire et Ray Fawkes développent leur histoire avec toujours beaucoup d'énergie : avec des personnages comme Frankenstein, Deadman, Constantine et un invité comme Flash (dont la présence est tout de même un peu artificiellement justifiée), il y a de quoi faire pour montrer quels cauchemars peuvent les assaillir. Mais la menace est aussi représentée à une plus grande échelle, reprenant la structure déjà à l'oeuvre dans l'arc précédent, où ce qui arrive à un ou plusieurs personnages affectent le monde qui l'entoure. La série ne manque pas de souffle, et le cliffhanger est réellement inattendu.

Mikel Janin continue de dessiner ça avec un luxe de détails confondant, même s'il est épaulé par l'encreur Vicente Cifuentes (dont le style ne se marie hélas ! pas toujours très bien à celui de cet excellent dessinateur). Les double pages, souvent une solution facile pour épater la galerie dans les comics, trouvent ici parfaitement leur place et méritent qu'on s'y attarde.

Bilan : positif - la revue souffre d'un programme inégal, avec des scénarios parfois insuffisants, mais ses meilleures séries (Green Arrow, JLD) sont tellement bonnes qu'elles justifient l'achat. En souhaitant quand même que JL, Flash, voire JLA, s'améliorent vite.

Critique 415 : THE MIGHTY, de Peter J; Tomasi, Keith Champagne, Peter Snejbjerg et Chris Samnee


THE MIGHTY, VOLUMES 1 & 2 est une mini-série en 12 épisodes créée et écrite par Peter J. Tomasi et Keith Champagne, et dessinée par Peter Snejbjerg (#1-4) et Chris Samnee (#5-12), publiée par DC Comics en 2009-2010.
 

(The Mighty #2. Dessins de Peter Snejbjerg.)
Décembre 1952. A la suite d'un essai nucléaire en pleine mer, un pêcheur reçoit accidentellement d'immenses pouvoirs : c'est l'acte de naissance d'Alpha One, l'unique surhomme protecteur de la Terre. De nos jours, il est assisté par la Section Omega, qui intervient après chacune de ses interventions auprès des victimes et survivants.
Lorsque le chef de la Section, le capitaine Michael Shaw meurt, apparemment assassiné, son second, le jeune  Gabriel Cole, accepte de le remplacer, temporairement dans un premier temps. Il voue une admiration sans bornes à Alpha One qui l'a sauvé d'un accident de la route dans son enfance (mais où ses parents ont péri). Mais cette promotion effraie sa compagne, Janet, qui craint à la fois que ces nouvelles responsabilités n'accaparent Gabriel et qui se méfie de la dangerosité de côtoyer Alpha One.
La situation devient plus équivoque encore pour Cole lorsque, d'abord, après un crash sur une autoroute, un témoin jure que Alpha One a provoqué la catastrophe, et, ensuite, lorsque l'ex-chef de la Section, Taylor Rhines, qui avait quitté son poste à cause de son instabilité mentale, vient mettre en garde son jeune successeur que le surhomme n'est pas le héros qu'il prétend être.
En effet, petit à petit, le comportement d'Alpha One suscite la méfiance de Cole et il n'est pas au bout de ses surprises. Mais une fois le voile levé sur les secrets du surhomme, pourra-t-il encore le contrôler ?

(The Mighty #8. Dessins de Chris Samnee)

The Mighty n'est pas la première, ni la dernière série à broder sur le thème du surhomme dégénéré : il s'agit ni plus ni moins d'une version dystopique de Superman, le protecteur tout puissant de l'humanité qui déraperait, soit en étant enivré par le pouvoir, soit en étant manipulé par les autorités avec lesquelles il collabore, soit à cause d'une déception.

La mini-série de Peter J. Tomasi et Keith Champagne s'inscrit donc dans une sorte de tradition, et aurait d'ailleurs pu être conçue dans le cadre de la défunte collection "Elseworlds" de son éditeur, DC. Le monde et l'époque dans lesquels se déroule l'histoire diffèrent sensiblement de celui en usage dans les comics de DC puisque Alpha One est ici le seul et unique surhomme de la Terre.
J'ignore si le projet initial des deux auteurs étaient de se lancer dans une série régulière, sans fin définie, ou s'il s'agissait dès le départ d'une collection avec un nombre limité de chapitres, mais ces 12 épisodes forment un ensemble remarquablement cohérent, suffisant et formulé. Le récit a le temps de se développer, son intrigue de se former, et son dénouement d'être correctement posé sans qu'on sente que les scénaristes aient dû faire des coupes, sacrifier des éléments (personnages ou évènements). La fin est ouverte et laisse quelques points en suspens (qu'est-il advenu du petit Zachary ? Le sort d'Alpha One est-il définitivement réglé ?), mais rien qui ne frustre vraiment trop le lecteur.

L'histoire est parfaitement servi par les deux volumes de son édition en recueil : en effet, dans un premier temps, Tomasi et Champagne installent le mystère (autour de la mort du capitaine Shaw, du comportement suspect de Alpha One, de la réapparition et du "suicide" de Taylor Rhines...), exposent la relation entre Cole et Alpha One, décrivent la vie de couple entre Cole et Janet. Chaque situation, chaque personnage sont bien définis, on est accroché, il y a du rythme, de l'ambiguïté.

Puis, dans le second acte, les choses s'accélèrent et prennent un tour plus dramatique, sombre, intense, violent, jusqu'au final spectaculaire - un peu convenu certes mais bien mené, très efficace. La révélation des vraies origines de Alpha One, de son projet pour l'humanité, l'opposition à la fois désespérée et volontariste de Cole, la chute de la saga, tout cela est formidablement conduit. The Mighty est un redoutable "page-turner" qui, une fois qu'on l'a commencé, ne se lâche plus. La lecture est à la fois dense et notablement divertissante, on n'est jamais submergé par les informations dispensées par les auteurs ni brusqué par ce qu'ils choisissent de dévoiler au moment où ils le choisissent : la fluidité de la construction narrative (au demeurant linéaire, à quelques flashbacks près), son tempo soutenu, ses dialogues sobres, ses personnages bien campés, tout participe à ce que l'histoire se déroule sans jamais que le lecteur décroche.
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L'autre atout de cette mini-série est sa partie visuelle. Peter Snejbjerg a co-créé le personnage et l'histoire et assure les dessins des quatre premiers épisodes : son style, avec un trait net, épuré, et des effets d'éclairages contrastés qui soulignent la théâtralité des moments les plus mouvementés et soignent les ambiances de ceux plus calmes, est très agréable, élégant, bien mis en valeur par un découpage très classique, veillant à la sobriété du récit (tout est fait pour normaliser le contexte afin que la présence de Alpha One en soit l'unique élément fantastique).

Lorsqu'il est remplacé (pourquoi ? Je n'en sais rien) au #4 par Chris Samnee, alors encore très peu connu, le changement est subtil mais profond. L'artiste opère dans le même registre que Snejbjerg, avec déjà un goût prononcé pour un graphisme aux lignes simples, aux personnages expressifs (aussi bien dans leurs attitudes que dans les réactions exprimées par leurs visages), aux décors rapidement évocateurs et un soin accordé aux effets lumineux (un clair-obscur prononcé dans les scènes les plus chargés dramatiquement). Mais la différence la plus sensible se situe dans le découpage : Samnee varie les angles de vue, le nombre de cases (plus limité, donc avec des dimensions plus larges, jusqu'à des splash plus fréquentes - procédé qu'il a considérablement nuancé depuis). C'est tout le flux de lecture qui s'en trouve altéré, dynamisé (ce qui laisse aussi penser que le script de Tomasi et Champagne laissait de la marge aux artistes pour qu'on repère cette nuance en passant de Snejbjerg à Samnee).
Même si c'est encore un peu brut, que les finitions ne sont pas toujours raffinées, on devine déjà tout l'extraordinaire potentiel de storyteller qu'a su démontrer Samnee depuis (sur Thor the mighty avenger et surtout Daredevil). Editorialement, c'est aussi un transfert intelligent qu'avait su opérer Joey Cavalieri, en trouvant avec Samnee quelqu'un qui évoluait dans un style similaire à celui de Snejbjerg, conservant à la série une unité esthétique.
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Pour toutes ces bonnes raisons (écriture solide, histoire efficace, dessins superbes), The Mighty, c'est une de ces excellentes pépites à (re)découvrir.

lundi 17 février 2014

LUMIERE SUR... JOHN PAUL LEON

 JOHN PAUL LEON
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Rocketeer Adventures #2 : "Autograph"  
(Avril 2012 / IDW)
(Scénario : Walt Simonson / Dessins : John Paul Leon)
 






Critique 414 : THOR - A LA RECHERCHE DES DIEUX, de Dan Jurgens, John Romita Jr et John Buscema


J'ai acquis il y a quelque temps ce volume de presque 300 pages pour un petit prix et qui propose le début du run du scénariste Dan Jurgens sur la série THOR, dont c'était le 2ème volume. Le dessins sont signés par John Romita Jr (#1-7, 10-12) et John Buscema (#9). 
Curieusement, cette édition (au format poche, publié dans la collection Succès du Livre de Paninicomics) escamote l'épisode 8, mais cela ne nuit pas à la compréhension de l'histoire.
L'action débute à New York lors d'une prise d'otages dont l'auteur réclame de parler à Thor. Celui-ci se présente et découvre que le preneur d'otages prétend être Heimdall, le gardien du pont arc-en-ciel d'Asgard. Ils s'y téléportent et découvrent la glorieuse cité en ruines et désertée. Désemparé, Thor ramène l'homme sur terre et le confie à Jane Foster, la femme mortelle dont il a été épris et qui travaille dans un hôpital de la ville.
Mais déjà Thor est appelé ailleurs : sur les docks, ses amis Vengeurs affrontent... Le Destructeur, dont l'armure est occupée par un militaire aigri. La bataille fait rage et coûte la vie au dieu du tonnerre qui sombre dans le royaume d'Héla, la déesse des morts.
Là, l'énigmatique Marnot arrache Thor à celle qui le convoitait mais ce service a un prix : désormais Thor, qui veut découvrir ce qui est arrivé à Asgard, devra partager son temps avec l'enveloppe d'un ambulancier, Jake Olson, mort lui aussi durant la bataille contre le Destructeur. 
Thor doit apprendre à connaître les secrets de la vie de Jake Olson qui avait entamé une relation avec Hannah, mère d'une adolescente qui ne s'entendait pas avec l'ambulancier. Il devra aussi affronter Sedna, une créature de la mer, convaincre Hercule de l'aider, subir les assauts de Majest Zelia et Perrikus...


La série THOR avait, avant ce run, connu des auteurs emblématiques comme Jack Kirby (dont c'était un des héros fétiches) ou Walt Simonson (qui l'a animé comme scénariste et dessinateur). Avec ces épisodes, Dan Jurgens hérite du personnage au lendemain de l'event Heroes Return (lui-même issu de Heroes Reborn et la saga Onslaught). Il lui revient de donner un second souffle au dieu du tonnerre, qui a toujours occupé une place à part chez l'éditeur (ce n'est pas un de ces super-héros à problèmes traditionnels).
Le point de départ n'est pas spécialement original : il s'agit à nouveau d'une histoire où la fin d'Asgard fournit l'argument pour que Thor soit embarqué dans une série d'aventures qui vont converger dans une bataille épique et la restauration du royaume des dieux nordiques.
Néanmoins, Jurgens évacue un élément important en n'utilisant pas Don Blake, l'alter ego mortel du dieu du tonnerre. A sa place, on a droit à l'ambulancier Jake Olson, guère plus original, et dont la création semble surtout servir de prétexte pour justifier l'existence et les manigances du personnage de Marnot.
Pour le reste du casting, Jurgens exploite une galerie de seconds rôles charismatiques, qui interviennent ponctuellement (Namor - une idée intéressante de réunir deux monarques, même si elle est juste effleurée ici. Roger Langridge dans Thor the mighty avenger les réunira sans, non plus, avoir le temps de creuser leur relation) ou s'inscrivent dans la trame générale de l'intrigue (le Destructeur, Hercule). Dans la dernière ligne droite du récit, des partenaires familiers de Thor font aussi leur apparition (Balder, Sif, les trois guerriers, Odin).
Tout cela est mené sur un rythme soutenu, même si les dialogues ampoulés (et traduits avec zèle) et un subplot ralentissent occasionnellement l'action. Jurgens prend le parti affiché de livrer une histoire où la baston est prédominante au détriment de la psychologie, qu'il s'agisse des bons ou des méchants (encore des conquérants déchus par Odin qui veulent se venger).
Bref, si on cherche un divertissement spectaculaire, qui ne demande pas de réflexion mais offre son lot de bagarres épiques et d'acteurs manichéens, ces épisodes remplissent parfaitement leur rôle. Mais on peut quand même préférer une autre approche, que ce soit en matière de rythme (avec par exemple le court mais très beau passage de J. Michael Straczynski et Olivier Coipel - le volume suivant celui de Jurgens) ou d'ambition (Kirby ou Simonson donc). Pour ma part, j'ai mis un certain temps avant d'attaquer la lecture de ce livre acheté sur un coup de tête, motivé par son rapport quantité/prix, et j'ai aussi mis du temps à adhérer au style de Jurgens, plus mécanique qu'inspiré. J'ai fini tout ça avec une impression mitigé : c'est distrayant mais bourrin, un peu lassant.

Ces sentiments partagés, on les retrouve aussi dans la partie graphique. A l'exception du fill-in dessiné par John Buscema et encré par Jerry Ordway, d'un superbe classicisme, d'une classe folle, les dessins de John Romita Jr encrés par Klaus Janson ont les défauts de leurs qualités.
Pour ce qui est d'enchaîner les séquences coup de poing vraiment ravageuses, on peut compter sur JR Jr qui connait son affaire et prouve son savoir-faire. L'apport de Janson est minimal : c'est lui mais en vérité, n'en déplaise à ses fans, ça pourrait être un autre qu'on ne verrait pas une grande différence. Il est loin le temps où ce bon vieux Klaus finissait et embellissait les crayonnés des artistes plus ou moins doués que lui, et je ne parle même pas de son run sur Daredevil avec Frank Miller où il était l'encreur le plus impressionnant qui soit, avec des effets de lumière, de texture merveilleux. Maintenant, il ne fait guère plus que ce qu'un encreur lambda accomplit, et je n'ai jamais trouvé que son association avec Romita Jr avait abouti à un résultat particulier (comparez avec ce qu'apportait Al Williamson au même dessinateur et vous comprendrez).
En revanche, quand il s'agit d'illustrer des scènes plus calmes avec des personnages plus ordinaires, les faiblesses de Romita Jr sautent au visage : l'expressivité est réduite au minimum, les attitudes sont figées, les compositions ordinaires... En rendant son dessin plus efficace, plus productif, Romita Jr a aussi négligé puis abandonné tous les aspects du graphisme qui pouvaient le rendre plus subtil, plus varié. A ce régime-là, les séries qu'il anime souffrent toujours d'une espèce de grossièreté dans l'exécution (encore pire quand il se contente de tracer des layouts, laissant le gros du boulot à ses encreurs). C'est dommage car, quand il s'inspirait moins de Kirby et plus de son père, JR Jr était finalement un dessinateur plus complet.

Bon, malgré tout, tout ça n'est pas désagréable à lire, et même, vers la fin, c'est suffisamment tonique pour devenir un "page-turner" assez redoutable. Il manque juste un peu d'âme et de finesse dans ce monde de brutes où d'autres auteurs, avant ou après Jurgens et Romita Jr, ont prouvé que l'univers de Thor ne saurait se résumer aux aventures d'un géant blond avec un gros marteau lançant des éclairs...

Critique 413 : HAWKEYE #11-13, de Matt Fraction et David Aja


HAWKEYE #11 : PIZZA IS MY BUSINESS est le 11ème épisode de la série, écrit par Matt Fraction et dessiné par David Aja, publié par Marvel Comics en Juin 2013.
Tout d'abord, quand on lit la première page (après une couverture à la fois superbe et drôle - notez les "Ruff" qui remplacent les noms des auteurs sur le bandeau rouge), il est précisé qu'il ne s'agit pas d'un épisode de "Clint Barton a.k.a. Hawkeye" mais de "Lucky a.k.a. Pizza Dog". Ce fameux chien éclopé, nous l'avons découvert dès la première "issue" de la série quand, après que Clint ait provoqué une bagarre avec des racketteurs d'Europe de l'Est sévissant dans son quartier, l'animal, prenant son parti, a été blessé par les malfrats puis renversé par une voiture. Conduit dans une clinique vétérinaire, il a survécu mais perdu un oeil puis a été recueilli par Clint Barton qui l'a rebaptisé Lucky (pour des raisons évidentes après ce qui lui est arrivé). Pour les lecteurs, il est devenu "Pizza Dog" car c'est son met favori.

Ce chien, Matt Fraction a réussi l'exploit d'en faire un personnage à part entière, auquel on s'est attaché, une présence à la fois source de gags et témoin des actions du héros. C'est une expérience étrange mais en vérité il n'est pas insensé d'affirmer que Pizza Dog, c'est nous, c'est le lecteur, celui qui regarde s'agiter Clint Barton, se dépatouiller avec son existence avec plus ou moins (surtout moins) de bonheur, celui qui assiste à son partenariat compliqué avec sa sidekick Kate Bishop (qui agit aussi sous le pseudo de Hawkeye, au sein de l'équipe des Young Avengers : c'est une jeune fille bien née, au caractère bien trempée, plus douée au tir à l'arc encore que Barton et qui lui remonte souvent les bretelles quand il se laisse aller, leur relation est irrésistible, échappant au traditionnel jeu de la séduction, inspiré davantage par le couple John Steed-Emma Peel de la série télé Chapeau melon et bottes de cuir), qui cohabite avec lui dans un appartement mal entretenu d'un immeuble peu reluisant.
Pizza Dog, c'est nos yeux sur le monde de Hawkeye, traité par le scénariste non pas sous l'angle classique d'un comic-book de super-héros mais comme la description de ce que fait Clint Barton quand il n'est pas en mission avec les Avengers.

Pizza Dog est aussi le digne chien de son (nouveau) maître, qui est souvent représenté hirsute, débraillé, mal rasé, et couverts de pansements (traces de ses combats dans la série et les autres où on peut le voir, comme Secret Avengers ou Avengers Assemble). Ce n'est pas un très beau chien puisqu'il est borgne, il n'a pas fière allure, c'est un de ces chiens de rue, un bâtard au poil gris, qui semble passer sa vie à dormir et manger, ne se déplaçant guère ou alors en traînassant, observant ce qui se passe autour de lui avec un mélange d'indifférence et d'incrédulité. Pire, à la fin de cet épisode, il va faire un choix inattendu et ingrat, qui remet profondément en cause la dynamique même de la série.

Maintenant, venons-en au contenu de l'épisode, et pour cela, il faut revenir un peu en arrière.

Clint Barton doit composer avec une bande de mafieux d'Europe de l'Est (les "Tracksuit Draculas" comme les surnomment les lecteurs) qui rackettent les habitants du quartier. Cette opposition s'est récemment envenimée au point que ces filous ont scellé un arrangement avec la haute pègre de New York (des cadors comme le Caïd, le Hibou, Madame Masque, le Hibou, Typhoïd Mary...) pour se débarrasser définitivement de Barton. Ainsi un tueur professionnel a-t-il engagé : surnommé le Clown, l'individu n'a rien de drôle avec son visage blême maquillé. Il s'est installé dans l'appartement d'une locataire (complice) de l'immeuble de Clint et a assassiné de sang-froid, en guise d'avertissement, Gil, un brave homme, également voisin du héros.
L'épisode 11 débute avec la découverte du cadavre par Pizza Dog et une petite chienne, appartenant à la mammy qui héberge justement le Clown. Et durant les 20 pages suivantes, nous allons assister à "l'enquête" de ce chien dans l'immeuble et ses environs proches, comment il va être là quand les policiers viendront interroger Clint puis quand son maître et Kate Bishop partiront à l'enterrement, suivre la petite chienne chez sa propriétaire, découvrir le Clown et sa complicité avec les racketteurs, échapper à la mort une nouvelle fois et...

Et le reste, vous le découvrirez en lisant vous-même cet épisode.

Performance, coup d'éclat, morceau de bravoure : on pourrait employer toutes ces expressions pour résumer cet épisode. Il y a effectivement de ça dans "Pizza is my business", une volonté affichée, assumée de produire une "issue" spectaculaire, hors norme, qui sort des sentiers battus, qui défie les codes du comic-book super-héroïque encore plus que d'habitude dans cette série. Pensez donc : un épisode entièrement raconté du point de vue d'un chien, adoptant jusqu'à la perception de ce qu'il entend (des dialogues raturés, quelques mots à peine décryptés, même pas d'onomatopées) ou voit (choix de couleurs concentré au jaune et au bleu - conforme à la vision d'un chien  -, recours à des images élémentaires déclinées comme les maillons d'une chaîne pour identifier tel ou tel élément/personne).

Tenez, examinez ci-dessous cette splash-page (une rareté dans cette série, spécialement dans les épisodes dessinés par Aja) :   


C'est un bon échantillon de ce que je décris : le chien au centre, le décor principal (l'immeuble), ses habitants, les odeurs, les sons (réduits à des icones), une suite de vignettes en insert comme pour résumer une déduction sommaire d'actions, des couleurs basiques au possible (le chien gris, la façade et quelques ustensiles de l'immeuble toute en lignes bleues, les cadres inscrits en constellation avec des représentations noires sur fond jaune).

Pourtant, tout est lisible, compréhensible, bien situé. On sait où on est, ce qui se passe, quel est le protagoniste, on devine ce qui se trame ici, maintenant, et qui est au coeur de tout ça.

Matt Fraction a construit l'épisode comme une authentique "detective story" avec la découverte du cadavre, le chien figurant un détective fatigué et au départ peu motivé, la "femme fatale" qui distrait le limier (avec la petite chienne), la révélation du coupable, le danger alors encouru par le héros, sa fuite, le retour à son repaire (et son maître)... Et le fait même que le principal intéressé, celui sur qui plane la menace (Clint) ignore ce que son chien a découvert - ce qui maintient intact le suspense et aboutit à un cliffhanger (et même un double cliffhanger quand on voit ce que le chien va décider de faire à l'avant-dernière page !).

C'est indéniablement très fort, mais réduire ça à une performance, ce serait dommage, car la performance induit un aspect sportif, démonstratif, et Hawkeye, comme série, et cet épisode en particulier a plus de finesse que ça. On le lit en étant bien sûr épaté par l'expérience, l'audace, mais avec une fluidité, une facilité, telles qu'on oublie presque justement ce côté performance. C'est un "page-turner" très efficace tout autant qu'il est beau, bien bâti, malin, drôle, palpitant. Il faut en vérité le lire (au moins) deux fois pour apprécier d'abord la lecture en soi, suivre ce récit, ce nouveau chapitre qui s'inscrit dans un arc en cours, puis ensuite savourer effectivement le brio avec lequel c'est fait.

Dans des interviews et sur son blog, le scénariste (plus bavard que son dessinateur) a expliqué comment il travaillait avec David Aja. Ce dernier réside en Espagne et ils ne communiquent que par mails ou Skype, Matt Fraction résidant sur la Côte Est des Etats-Unis. Les deux hommes n'en sont pas à leur première collaboration puisqu'Aja dessinait déjà l'essentiel de la série Immortal Iron Fist que l'auteur co-écrivait avec Ed Brubaker. Mais ils se sont alors si bien entendus que Fraction ne voulait personne d'autre qu'Aja pour mettre en images Hawkeye. Et cela était une chance car le personnage était celui que préférait le dessinateur, et l'angle choisi par le scénariste lui convenait plus que si la série s'était aligné sur les standards super-héroïques.

David Aja n'est pas un dessinateur rapide, capable de tenir une cadence mensuelle (il peut juste enchaîner trois épisodes consécutifs). Son trait simple, qui évoque immanquablement le David Mazzucchelli de l'époque Batman : Year One, cache un perfectionnisme maladif qui l'incite par exemple à situer précisément ses décors (comme pour le #3, une course-poursuite dont le trajet est entièrement crédible) ou à répertorier les flèches spéciales qu'utilise Hawkeye.

Sur le blog de Kieron Gillen (scénariste d'Iron Man et Young Avengers, et ami de Fraction), on peut découvrir quelques pages du script du #1 de Hawkeye, rédigé quasiment comme une conversation entre l'auteur et l'artiste, où entre deux dialogues on lit de longs paragraphes qui décrivent moins le contenu des images qu'une suite de suggestions ouvertes. En s'engageant sur ce titre, Fraction voulait aussi essayer une nouvelle manière d'écrire, de raconter, qui renouerait avec la méthode "Marvel way" de Stan Lee (une succession de scènes sur laquelle le dessinateur pouvait laisser libre cours à son art, en organisant le découpage de planches, avant que les dialogues soient définitivement ajoutés).

Le procédé, dans les mains d'un dessinateur à la fois aussi maniaque et inventif que David Aja (dont la formation vient de l'illustration de livres pour enfants ou pour la publicité, du design et de l'étude des écoles stylistiques modernes - comme l'iconographie des affiches soviétiques), aboutit à des résultats forcèment surprenants. De l'aveu même de Fraction, il est fréquent qu'une page prévue pour avoir cinq ou six cases lui revienne dessinée avec le double ou le triple de vignettes (le sommet ayant été atteint dans le #2 où un dialogue a été segmenté sur une planche en... 25 cases !).

Avec le défi que proposait tout un épisode raconté du point de vue d'un chien et toutes les options que cela suggérait dans le champ des couleurs et du lettrage (qu'Aja a assumé, même si le lettreur de la série, Chris Eliopoulos, est crédité, certainement en qualité de superviseur), Aja a littéralement déployé des trésors d'imagination pour mettre cela en image.

Fan de Chris Ware, il lui rend en quelque sorte hommage en plusieurs occasions dans ces pages - ce qui s'avère ironique car Ware méprise les comics produits par Marvel (et DC). Il poursuit le développement de figures récurrentes dans ses épisodes comme les petites vignettes en gaufrier (des cases d'égale valeur), allant jusqu'à des pages avec 16 cases, ou des pages pleines mais épinglées de 19 médaillons, variant leurs formes (coins arrondis, cercles plus ou moins grands), leurs dispositions (tels des organigrammes), osant des fondus au noir, des travellings, jouant avec l'espace négatif, isolant un élément en effaçant tout décor ou signifiant le décor avec des lignes ouvertes et claires (mais pas tracées en noir).

Un exercice de style peut-être, mais visuellement incroyablement stimulant, ludique, sophistiqué, virtuose, intelligent - qui ouvre des portes insoupçonnés dans une série comme celle-ci, un genre de bd comme celui-ci. Mais d'abord, mais surtout une lecture graphique fabuleusement plaisante, car jamais la démonstration ne prend pas le pas sur le fait que le dessin sert d'abord l'histoire.

Indéniablement, s'il y a bien qui a compris la formule d'Alex Toth comme quoi un artiste doit "plusser" le script, c'est David Aja.

Hawkeye #11 est un récit jubilatoire, c'est aussi un objet fascinant, atypique, la preuve qu'une bonne bande dessinée, c'est le produit d'un scénariste et d'un artiste qui en s'amusant à se mettre au défi de se surpasser eux-mêmes entraîne le lecteur vers des sensations nouvelles.  
 *


HAWKEYE : THE U IN FUNERAL est le 13ème épisode de la série écrite par Matt Fraction, publié par Marvel en Octobre 2013. Les dessins sont signés par David Aja.
Rendre poignant le deuil par
un texte et une mise en image très simples
et très élaborés à la fois.

Une affaire de dosage.

C'est en ces termes qu'on pourrait le plus justement parler de Hawkeye #13, car tout y question de mesure : ça valait la peine d'attendre ; la qualité de la narration est au diapason de l'émotion qu'elle recherche ; l'excellence de son graphisme est au niveau de la sobriété que réclamait une telle histoire.

180 plans : c'est le nombre de vignettes, toutes d'égales dimensions, neuf par page, disposées selon le procédé dit du "gaufrier", que compte cet épisode. C'est à la fois peu et beaucoup : David Aja compte parmi ses références Alex Toth, et le procédé stylistique qu'il a choisi d'appliquer ici me rappelle une anecdote du grand artiste américain.

Toth a, à la fin des années 50-début des années 60, travaillé chez l'éditeur Dell. Il y a dessiné des histoires dans divers genres (récits de guerre, fantastique...), mais avec une drôle de contrainte technique : composer des planches de neuf cases d'égale valeur, soit donc un "gaufrier". Au début, il a subi cette contrainte avec difficulté, lui qui aimait varier les effets pour "muscler" les scripts qu'on lui proposait (quand je dis "muscler", je devrais en fait reprendre l'expression intraduisible mais éloquente de "plussing the script" employée par Toth : il ne s'agissait pas de faire l'intéressant, d'user d'effets faciles et spectaculaires dans le dessin, mais plutôt de traduire au mieux en images ce que racontait l'histoire, de la rendre plus efficace, plus intense). Puis il s'est pris au jeu, tant et si bien que lorsque l'éditeur l'a ensuite autorisé à découper ses pages comme bon lui semblait, il a continué à utiliser ses neuf cases identiquement taillées car il avait appris à en tirer le meilleur parti : il aimait désormais cette contrainte qui l'obligeait à utiliser chaque plan de la manière la plus simple et puissante possible.

Qu'apprend-on d'un tel procédé ? La mesure, la subtilité, la sobriété. Et lorsque, comme Fraction et Aja, on s'engage à parler durant tout un épisode d'un thème aussi délicat que le deuil, de la mesure, de la subtilité, de la sobriété, il en faut.

C'est bien connu, dans les comics (et en particulier dans les comics super-héroïques), la mort est rarement traitée sérieusement puisqu'on y ressuscite à tour de bras, grâce à la magie ou d'autres fantaisies scénaristiques. Il y a aussi une règle selon laquelle quand un héros meurt mais qu'on ne voit pas sa dépouille, c'est un moyen implicite de dire au lecteur qu'il peut revenir.

Mais il existe bien entendu des exceptions, des espèces de "morts sacrées", quoique souvent cyniques - en quelque sorte, parfois, un personnage qui mort a plus d'impact que lorsqu'il était vivant, il conditionne même la vocation du héros à faire le bien. Un des cas les plus célèbres est celui de l'oncle Ben, dont le meurtre a décidé du destin de Peter Parker/Spider-Man.

L'autre exception, c'est, comme dans le cas de Hawkeye #13, la mort d'un personnage de second ou même troisième rang, comme "Grills" : il s'agissait d'un des voisins de Clint Barton/Hawkeye. Il a eu trois scènes mémorables dans la série : celle où il affublait le héros du pseudonyme de Hawkguy (#6), celle où il présentait son père à Clint lors de l'ouragan Sandy (#7) et celle où il a trouvé la mort, tué par Kazi l'exécuteur engagé par les mafieux russes (#9). Pas grand-chose donc, mais pourtant sa disparition, brutale, injuste, cruelle, inattendue, a été un des pivots de la série.

Depuis plusieurs épisodes (depuis le #8), Matt Fraction développe sa série selon un schéma particulier, en nous offrant plusieurs points de vue autour d'une situation : la réapparition de la rousse incendiaire Cherry-Penny dans la vie de Clint Barton/Hawkeye a déclenché une réaction en chaîne d'évènements impactant en vérité toute la galerie de personnages principaux du titre. En aidant à nouveau la jeune femme, Clint a provoqué l'ire des mafieux russes (déjà bien remontés contre lui) qui ont mis sa tête à prix et engagé, avec l'assentiment des pontes de la pègre new-yorkaise) un tueur à gages (le susnommé Kazi).

- Dans un premier temps, donc, Clint aide Cherry-Penny. Cela lui vaut de passer une nuit au poste, des remontrances des leaders des Avengers, et en fin de compte la jeune femme, mécontente de son intervention, le plante là.

- Dans un deuxième temps, les plus proches amies de Clint vont chercher à comprendre dans quel pétrin il s'est fourré : la Veuve Noire (sa plus ancienne alliée) retrouve Cherry-Penny (et lui fait quitter la ville), Mockingbird (son ex-femme) lui fait signer les papiers de leur divorce tout en lui assurant son soutien en cas d'ennuis, Kate Bishop tente de le prévenir que ses amies enquêtent sur son affaire avec Cherry-Penny mais ne peut éviter que Spider-Woman (la girl-friend actuelle de Clint) ne rompe avec lui.

- Dans un troisième temps (le plus surprenant), c'est le chien qu'il a adopté (après l'avoir sauvé des mafieux russes), Lucky alias "Pizza Dog", qui découvre le cadavre de Grills et la présence dans les murs de l'immeuble même où habitent la victime et Clint du tueur (hébergé par une mammy insoupçonnable).

Entretemps, On aura appris les origines (dispensables pour son intérêt et pour la compréhension de l'intrigue générale) de Kazi le tueur, qui a rencontré lors d'une soirée chic Kate Bishop (sans que celle-ci se doute de qui il est).

Le plus délicat avec ce type de narration, c'est de maintenir une certaine tension, de faire en sorte que chaque angle choisi pour détailler le récit soit digne d'intérêt, apporte une nuance importante. Et en prime il faut composer avec la périodicité de la série. Entre le #11 (le fameux épisode avec le chien) et celui-ci, il s'est écoulé trois mois, ce qui représente un délai conséquent (même si, entretemps, le #12 et l'Annual sont sortis). Mais Matt Fraction a su (jusqu'à présent) relever ce défi avec brio, jonglant avec humour, efficacité ou, ici, gravité.

A la faveur d'une troublante coïncidence, ceux qui suivent le blog de Matt Fraction apprécieront d'une manière encore plus intense l'émotion que dégage cet épisode : en effet, un fan tenté par le suicide s'est confié sur son mal-être au scénariste qui, en retour, l'a non seulement réconforté et conseillé sur la nécessité de consulter un professionnel de santé mais lui a aussi parlé de son expérience personnelle quand, il y a quelques années, il a également failli mettre fin à ses jours. Ce qui l'a retenu, ce sont des choses dérisoires, comme l'envie de connaître la suite d'une bande dessinée.

Et c'est justement une des qualités de Hawkeye comme série que de parler avec cette même simplicité, honnêteté, humanité à ses lecteurs, sans les prendre pour des imbéciles. Pourquoi, au fond, cette série a-t-elle si pleinement conquis ses fans ? Sans doute parce que Matt Fraction a réussi à écrire sur un personnage en le rendant vraiment attachant malgré ses défauts, est parvenu à le rendre réaliste -mieux : authentique. Nous sommes tous un peu Hawkeye, ou "Hawkguy" comme disait Grills : des individus embrassant des responsabilités parfois écrasantes, qui essayons de nous en sortir comme on peut, qui commettons des maladresses, qui perdons des proches, qui renouons avec un frère (comme Clint avec Barney), qui n'écoutons pas quand un/e ami/e nous assure qu'il/elle sera là pour nous si besoin (comme Kate avec Clint).

Dans Hawkeye #13, il n'y a pas une de ces scènes comme on en trouve dans tant de comics où le héros se redresse rapidement après avoir subi un coup dur. Il y a simplement de la tristesse et le goût de la défaite, du regret après la perte. Clint Barton est brisé de telle sorte que ce ne sera pas aisément réparable, et sa détresse nous touche profondément, d'autant plus que c'est raconté subtilement et non pas asséné.

Visuellement, cette même simplicité est adoptée par David Aja, comme une traduction parfaite du "less is more". Avec son coloriste, Matt Hollingsworth, l'espagnol a développé depuis le début de la série un style unique et thématiquement approprié, avec une palette minimaliste qui souligne la mélancolie de l'épisode.

La répétition des pages de neuf cases traduit ainsi comme une métaphore l'abattement de Clint, la claustration dans laquelle le chagrin nous précipite : comme lui, nous nous sentons pris dans une nasse, ce découpage ressemble à une grille qui fluidifie la lecture en même temps qu'elle n'offre aucune sortie. La simplicité avec laquelle cette convention visuelle correspond à la situation développée par le scénario requiert une retenue dont seuls les virtuoses confiants dans la maîtrise de leur art et les possibilités de leur média sont capables.

Peu de comics peuvent se vanter de produire aussi justement ce type de narration et d'harmonie esthétique mais Aja et Fraction le font avec une facilité désarmante.

N'est-ce pas là la marque des grandes bandes dessinées que cette conjugaison de justesse dans le traitement, la traduction des émotions et de perfection entre l'écrit et l'image ?

vendredi 14 février 2014

Critique 412 : DC SAGA #18 / JUSTICE LEAGUE SAGA #1-2-3

En préambule : comme ceux qui me lisent ont pu le constater, je me suis remis récemment à lire des publications DC Comics avec des séries comme Aquaman, Flash, Justice League ou Justice League Dark, issues du "New 52". Je poursuis donc le mouvement avec les revues traduites en France par Urban Comics Editions, d'abord "DC Saga" puis "Justice League Saga" (titre qui a remplacé le précédent, avec un sommaire ajusté). Je critique donc ici les épisodes suivants les derniers que j'ai lus en tpb.

 DC SAGA 18
 JUSTICE LEAGUE SAGA 1
 JUSTICE LEAGUE SAGA 2
 JUSTICE LEAGUE SAGA 3
- Justice League #18-19-20 : (in Justice League Saga 1-3)
Après la bataille qui l'a opposée aux Atlantes (dans le crossover avec Aquaman Throne of Atlantis), la Justice League décide d'ouvrir ses rangs à de nouveaux membres recensés par Cyborg, qui collecte toutes les infos sur les surhumains émergeants. Certains leur ont déjà prêtés main forte contre les Atlantes (Black Canary, Firestorm, Zatanna, Vixen, Black Lightning), d'autres répondent à l'invitation sans être sûrs de s'engager (Blue Devil, Platine, Goldrush, Nightwing, Element Woman), Batman exigeant que les nouveaux se consacrent à temps plein à la Ligue. La réunion est perturbée par le piratage de Platine (un robot conçu par le Pr Magnus) puis du système de sécurité du QG de l'équipe, la Tour de Garde.
The Operative, un membre de l'équipe des Others (liée à Aquaman), dérobe dans la Batcave un échantillon de kryptonite sans être identifié. Batman gardait là d'autres reliques capables de neutraliser les Justiciers, au cas où ceux-ci deviendraient dangereux. Superman et Wonder Woman interviennent de leur propre chef au Khandaq, ce qui irrite Batman, au courant de leur liaison, et soucieux de l'image de l'équipe déjà bien entamée. Cependant, à la Tour de Garde, Eclipso surgit et seuls Firestorm, Atomica et Element Woman sont présents pour l'affronter.
Le Limier Martien, qui a déjà combattu Eclipso dans le passé avec la Ligue, prête main forte aux recrues et le neutralise. Mais à l'insu de tous, Atomica s'est servi des derniers évènements auxquels elle vient d'assister pour compléter des dossiers sur les membres de la Ligue...

Geoff Johns livre trois épisodes très faibles après le crossover palpitant entre Justice League et Aquaman : c'est donc une déception. D'abord, les nouveaux membres intégrant l'équipe sont peu intéressants, voire même franchement horripilants (en particulier Element Woman, mais Firestorm n'est guère plus gâté). La seule bonne surprise est Atomica, dont le secret est révélée in fine dans le #20. Mais on peut être perplexe : Johns n'a déjà pas utilisé tout le groupe initial (Green Lantern est même parti depuis un moment et Flash a été absent), alors ajouter pour ajouter ou pour remplacer est curieux, et la caractérisation de certains personnages laisse déjà à désirer.
Mais cette fameuse révélation souligne en vérité pourquoi ces trois épisodes auraient pu être mieux et plus rapidement traités : il s'agit pour Johns de préparer le prochain crossover, plus important puisqu'il impliquera trois séries (Justice League, Justice League of America et Justice League Dark), Trinity War, et la saga évènement Forever Evil. Trois chapitres pour un prologue, ça fait un peu long.
L'autre point qui demeure inexpliqué concerne le cambriolage commis par the Operative, personnage vu dans le deuxième tpb de la série Aquaman. Où cet autre subplot nous ménera-t-il ?

Ce qui n'arrange pas l'ensemble, c'est la succession de dessinateurs : Ivan Reis revient illustrer le #19, sans faire d'étincelles (hormis, il est vrai, une double page superbe). Jesus Saiz signe le #18, très bien d'ailleurs (il mériterait la place de remplaçant officiel de Reis, à défaut d'une série à temps plein). Mais Gene Ha, en petite forme, doit être épaulé par le médiocre Andres Guinaldo pour le #20.
Tout ça ne rend pas la lecture très agréable.

Espérons que la suite soit de meilleure qualité, aussi bien pour le scénario que la partie graphique.  

 - Justice League of America #1-2-3 : (in Justice League Saga 1-3)
Le gouvernement américain, représenté par l'agent Steve Trevor, n'a plus de contact avec la Justice League, dont l'opinion se méfie désormais. Amanda Waller prend les choses en main et a carte blanche pour former sa propre équipe de surhumains avec l'aide de Trevor. L'idée est d'avoir à disposition non seulement des héros maniables mais aussi capables, si besoin est, de vaincre la Justice League. Sont engagés Catwoman (pa rapport à Batman), le Limier Martien (par rapport à Superman), Katana (par rapport à Wonder Woman), le Green Lantern Simon Baz (par rapport au GL Hal Jordan), Vibe (par rapport à Flash), Stargirl (par rapport à Cyborg) et Hawkman (par rapport à Aquaman).
Leur première mission les entraîne sur la piste de la mystérieuse Société des Super-Vilains, découverte par l'espion de Trevor, Green Arrow (refoulé de la JL autrefois).

Le succés remporté par les séries Justice League et Justice League Dark a conduit naturellement DC et Geoff Johns à relancer le titre Justice League of America. Mais il s'agit également (surtout ?) de préparer le crossover Trinity War, où les trois Ligues vont s'affronter.
Pourquoi pas ? Sauf que le prétexte semble bien artificiel, les ficelles bien trop grosses et visibles, et l'idée de monter une équipe officielle, capable de rivaliser avec la JL, se perd dans des raccourcis qui ne sont pas toujours pertinents. Par exemple, Waller veut des héros plus dociles mais ne recrute (fait recruter par Trevor) qu'une bande d'électrons libres, asociaux (Hawkman, le Limier Martien, Katana, Catwoman) ou inexpérimentés (Stargirl, Vibe, Simon Baz). On ne croit pas une seconde que de tels individus, même en échange de contreparties diverses, acceptent de collaborer avec les autorités et avec d'autres héros, contre les membres de la JL qu'ils ont, pour certains, aidé sans problème lors de la guerre contre les Atlantes.
L'idée de faire de Green Arrow une sorte d'agent indépendant est un peu meilleur (il a la motivation et le caractère pour cela), mais bon, avec Trevor, on arrive à une équipe de 9 membres, ce qui est considérable. Johns est doué pour les rassembler rapidement (même si le #1 est un épisode plus long) et les envoyer en mission, par contre la caractérisation de tous ces personnages est taillée à la serpe (et parfois, il faut le dire, consternante, comme dans le cas de Catwoman, désignée comme une allumeuse qui se balade avec un décolleté jusqu'au nombril). En vo, le titre a déjà changé deux fois de scénariste (Johns passant le bébé à Matt Kindt puis Jeff Lemire, qui va refonder la série prochainement) et plusieurs fois de dessinateurs.

Le dessin, parlons-en : il revient à David Finch, débauché de Marvel il y a plusieurs mois. Son style, chargé en détails et en ombres, convient plutôt bien à la tonalité du titre, et il réussit même à glisser quelques idées, simples mais efficaces, dans le découpage. Malgré tout, on retrouve ses faiblesses rapidement et de manière prononcée, avec des personnages masculins très musclés et inexpressifs, et des personnages féminins aux courbes et aux attitudes souvent vulgaires (la seule qui échappe à ce traitement est Katana).

Pas très convaincant pour un début.

- Justice League Dark #14-15-16-17-18-19 : (in DC Saga 18 & Justice League Saga 1-3)
Alors qu'elle avait vaincu Nick Necro, Felix Faust et le Dr Mist, et mis la main sur les grimoires magiques, la Ligue des Ténèbres a vu, stupéfaite, disparaître Zatanna et le jeune Tim Hunter au moment où celui-ci a ouvert les fameux ouvrages.
Zatanna et Tim surgissent dans un monde parallèle, Epoque, où créatures magiques et hommes dévoués à la technologie s'affrontent depuis des lustres. Dans notre dimension, John Constantine, Deadman, Frankenstein, Madame Xanadu et Black Orchid cherchent un moyen de récupérer leurs amis et quand ils vont le trouver, vont provoquer d'importantes perturbations entre les mondes.

Justice League Dark a été une de mes coups de coeur dans les titres issus du "New 52". Jeff Lemire, assisté désormais de Ray Fawkes au scénario, allait-il transformer l'essai avec son 3ème arc narratif ?
Les deux auteurs ont vu les choses en grand et nous entraîne dans une épopée en 4 parties, La Mort de la Magie, qui a tout d'une saga évènementiel. Les rebondissements s'enchaînent à un rythme infernal, de nouvelles révélations sur les personnages, leurs pouvoirs, les dimensions mystiques s'accumulent à tout-va : il faut se montrer disponible pour tout absorber et profiter pleinement de l'aventure.
Lemire et Fawkes n'évitent pas toujours la répétition des erreurs des histoires précédant celle-ci, mais la série possède un souffle, une imagination, de l'humour, du spectacle. En vérité, JLD réussit souvent là où Justice League de Johns peine (ou échoue) en embarquant le lecteur, en ne le laissant pas souffler, mais aussi en soignant chaque personnage, en lui offrant son grand moment.
Le dénouement est certes un peu facile, avec l'intervention bien pratique d'un deus ex machina, mais le récit inspire de l'indulgence car il est dépaysant, dense, et bien bâti.

A l'exception du #14, découpé par Graham Nolan et peaufiné par Victor Drujiniu, mais néanmoins d'une bonne qualité, tout le reste est encore dessiné et encré par le prodigieux Mikel Janin. Il produit des planches superbes, avec un soin apporté aux décors supérieur à la moyenne, et des personnages bien campés, expressifs. Cet artiste est vraiment une révélation impressionnante : régulier aussi bien dans la livraison que précis dans l'exécution.

A partir du #19, Lemire, Fawkes et Janin (encré par Vicente Cifuentes, qui a la fâcheuse manie de chager inutilement le trait de son dessinateur avec des fioritures. J'espère qu'il ne fait que passer) entament un nouvel arc, La Cité de l'Horreur, tout aussi prometteur, mais il est encore trop tôt pour juger.

- Green Arrow #1-2-3 : (in Justice League Saga 1-3)
Oliver Queen a hérité d'une fortune considérable mais il néglige ses affaires en se consacrant à son activité de justicier masqué sous le masque de Green Arrow, désapprouvée par la police. C'est ainsi qu'il se trouve en peu de temps dans une situation difficile : l'entreprise familiale a été rachetée, ses collaborateurs les plus proches (qui couvrent sa double vie) sont (apparemment) tués, et un autre archer, Komodo, veut également le supprimer. C'est alors que le mystérieux Magus apparaît et fait comprendre au héros que toute l'affaire prend sa source dans le passé de son père et le sien...

Après 16 numéros peu concluants (aussi bien en termes artistiques qu'en chiffres de vente), DC a décidé de rediriger radicalement la série consacrée à Green Arrow. Dans le "New 52", le personnage n'est plus l'archer aguerri, bougon et barbichu, mais encore un jeune homme arrogant, dont les actions de justicier déplaisent aux autorités.
Jeff Lemire, déjà aux commandes de l'excellente JLD, a fait, semble-t-il, un important ménage et lance l'archer dans une saga qui démarre sur les chapeaux de roue. Ce qui frappe, c'est effectivement le rythme effréné de cette série où Ollie Queen n'a pas plus de répit que le lecteur : ce parti pris joue beaucoup dans la séduction du titre, surtout qu'on n'en sait pas plus que Green Arrow sur le mobile de son ennemi et la manière dont il pourra s'en sortir. On est captivé.
L'autre point fort, c'est que le héros est vraiment livré à lui-même : pas de sidekick, pas (ou presque pas) de renfort providentiel, pas de petite amie pour le réconforter, pas de brave flic pour le soutenir. Et Komodo est un adversaire redoutable. On est pris à la gorge, désireux que GA s'en tire tout en savourant les dérouillées qu'il subit car, et c'est l'audace de Lemire, il n'est pas franchement sympathique, notre archer, plutôt suffisant, impatient, impulsif, têtu. Voilà une bd qui a du caractère.

Et de l'allure, une sacrée allure ! Car elle est superbement mise en image par Andrea Sorrentino, là encore une découverte (comme Mikel Janin). Pour résumer, on pourrait dire qu'il est le croisement de Jae Lee et David Aja, avec en plus une capacité à enchaîner les épisodes impressionnantes (cela fait un an, en vo, qu'il dessine la série, sans avoir été une seule fois remplacé !).
De Jae Lee, il a hérité le goût des compositions audacieuses et des éclairages expressionnistes, sans céder à des représentations trop figées. A David Aja, il a emprunté des gimmicks dans le découpage, cette manière de construire des séquences avec des inserts de petites vignettes dans des cadres plus grands par exemple, une façon de s'amuser avec la page, le flux de lecture.
Après avoir colorisé son premier épisode, il est ensuite assisté par Marcelo Maiolo, qui utilise une palette très inventive, jouant souvent sur des parties en noir et blanc où seul un élément est traité. On pense bien sûr à ce que fait Matt Hollingsworth avec Aja là aussi : une gamme réduite de teintes mais savamment répartie, et qui compense intelligemment des décors rajoutés numériquement.

Green Arrow confirme en tout cas que Jeff Lemire est le scénariste à suivre, et que Andrea Sorrentino fait partie des artistes à surveiller.
  
- Flash #20 : (in Justice League Saga 3)
Le séjour dans la dimension de la Force Véloce, d'où il tire ses pouvoirs, a permis à Flash de mieux mesurer ses capacités mais aussi de découvrir que cela avait laissé des séquelles sur d'autres personnes. Lorsque plusieurs d'entre elles sont assassinées dans des conditions mystérieuses, le speedster sait qu'il ne s'agit pas d'une coïncidence et mène l'enquête...

Le duo Francis Manapul-Brian Buccellato, qui assure l'écriture et la mise en images de la série, ouvre donc avec ce 20ème épisode un nouvel arc (dédié d'ailleurs à Carmine Infantino, qui est mort en Avril 2013, quelques mois avant ce numéro, daté de Juillet).
Dans l'épisode précédent, on avait pu voir brièvement un curieux personnage ressemblant à Flash mais animé de mauvaises intentions. Il frappe à nouveau ici et oblige Flash à enquêter. Il s'agit aussi bien de neutraliser un assassin que de continuer à investiguer sur la Force Véloce.
Le scénario offre quelques scènes spectaculaires (le déraillement du métro) et intrigantes (l'espèce d'enregistreur grâce auquel Flash reconstitue le crime) : tout cela est très accrocheur et promet d'enrichir un peu plus la mythologie de la série.

Mais, une fois encore, c'est surtout visuellement que la série est la plus impressionnante : après un peu de repos, Francis Manapul revient très en forme et livre des planches formidables, qui traduisent à merveille les pouvoirs de Flash, les menaces qu'il affronte. La mise en couleurs de Buccellato achève d'enchanter.

Le titre n'est peut-être pas exceptionnel pour ce qu'il raconte, mais la façon dont c'est raconté est un pur bonheur.

dimanche 9 février 2014

Critique 411 : UNCANNY X-MEN #111-116, de Chris Claremont et John Byrne

#111 : Mindgames ! 
(Juin 1978)

Le Fauve, en congé des Vengeurs, part à la recherche des X-Men qui ont quitté, sans raison apparente ni indication sur leur destination, leur manoir. Il retrouve leurs traces dans une fête foraine où ils sont exhibés comme des montres et découvre alors qu'ils sont sous l'emprise d'un vieil ennemi des mutants, Mesméro. Ayant assisté à la capture du Fauve, Wolverine recouvre ses esprits et de libère avant de "réveiller" ses compères et d'aider le Fauve. Mais Mesméro est déjà vaincu et un nouvel adversaire se présente devant les X-Men...
 #112 : Magneto triumphant ! 
(Août 1978)

Les X-Men font face à celui qui a défait Mesméro : il s'agit de leur plus ancien et terrible ennemi, Magnéto. Diablo découvre en se téléportant hors de la roulotte où ils sont que celle-ci survole l'Amérique du Sud sous le contrôle du maître du magnétisme. Ce dernier révèle qu'il a retrouvé les X-Men en suivant le Fauve.
La roulotte poursuit son vol jusqu'en Antarctique à l'intérieur d'un volcan où Magnéto a construit une de ses bases. Un combat oppose le vilain à l'équipe et le premier vainc ses adversaires facilement, en profitant de leur inexpérience à se battre ensemble.
 
Les X-Men reviennent à eux dans une chambre sécurisée où ils sont entravés, leurs pouvoirs inhibés et privés de l'usage de la parole : Magnéto tient sa revanche de la plus cruelle des façons...
 #113 : Showdown ! 
(Septembre 1978)

Tornade parvient, non sans mal, à libérer ses camarades grâce à des épingles cachées dans son diadème et ses réflexes d'ancienne voleuse (durant son enfance au Caire). Retiré sur l'Astéroïde M en orbite autour de la Terre, Magnéto est obligé de regagner sa base en Antarctique dont l'alarme a retenti. 
Les X-Men lui tendent une embuscade et cette fois, en agissant collectivement, prennent l'avantage sur lui. Mais dans le feu du combat, la base est sérieusement endommagée et menace d'être détruite par le volcan au coeur duquel elle se trouve. 
Magnéto préfère fuir. Son repaire explose. Phénix réussit à s'en extraire avec le Fauve mais au prix d'un effort épuisant et sans avoir pu sauver les autres...

Tout d'abord, cela faisait un moment que je voulais relire ces épisodes et tenter d'en tirer un article (j'espère que d'autres suivront si j'en trouve l'envie et le temps) : ils constituent ma découverte des comics de super-héros au début des années 80, une expérience fondatrice. A l'époque, je lisais ceci dans la revue trimestrielle "Spécial Strange" éditée par Lug, dans une version qui subissait des retouches et des censures régulières, sans parler d'un important décalage entre la parution en anglais et celle en français (cela permet de relativiser aujourd'hui quand on n'a qu'à attendre que quelques mois pour lire une série...).

Historiquement, la relance des X-Men a commencé en 1975 avec la reprise en mains du titre par les scénaristes Len Wein et Chris Claremont et du dessinateur Dave Cockrum : les trois hommes ont carte blanche pour réanimer une marque en net déclin depuis longtemps. Leur idée : renouveler le casting des personnages en l'internationalisant et redynamiser leurs intrigues en mélangeant la dimension "soap opera" à celle du récit d'aventures spectaculaires.

Ainsi vont apparaître des personnages comme Diablo (Nightcrawler) qui est d'origine allemande, Tornade (Storm) l'africaine, Colossus le russe, le Hurleur (Banshee) l'irlandais - les trois premiers sont des réinterprétations de créatures designés par Cockrum pour la Légion des Super-Héros de DC, mais refusés par l'éditeur. Wolverine (à l'époque traduit par Serval en vf) était apparu auparavant dans une histoire de Hulk et il n'a dû son salut qu'à peu de choses : Claremont et Cockrum ne l'aimaient pas spécialement, il n'était même pas spécifié qu'il soit mutant au départ (ses griffes devaient être incorporées à ses gants), mais les lecteurs l'apprécièrent rapidement. C'est l'indien l'Epervier (Thunderbird) qui mourut à sa place (dans les #94-95), au début du run de Claremont (rapidement seul auteur de la série, même s'il a toujours impliqué ses dessinateurs dans l'écriture).

Jusqu'au n°107, Dave Cockrum assure les dessins de la série (parfois secondé par Bob Brown, et encré, souvent mal, par Sam Grainger). Au n°108, John Byrne le remplace. Puis Tony De Zuniga est "invité" à illustrer le n°110, avant que Byrne ne reprenne sa place. C'est le début d'une longue et fructueuse (mais parfois aussi houleuse) collaboration entre lui et Claremont, qui va hisser la série au sommet.

J'ai donc choisi de commencer ce passage en revue critique par cet épisode 111, qui marque le vrai début du tandem Claremont-Byrne, avec un épisode mémorable.

Très vite, on s'aperçoit que le scénariste découpe la série en séquences, en mouvements : la première aventure ne dure que trois épisodes (#111-113). Cette narration donne une énergie formidable au récit, chaque chapitre regorge d'action, de rebondissements, et se clôt sur un cliffhanger (souvent une pleine page) haletant. C'est aussi un moyen pour Claremont de diriger l'histoire en la déplaçant géographiquement : en fait, les aventures des X-Men sont une version de L'Odyssée d'Homère avec à chaque escale des péripéties, la rencontre avec une situation dramatique et un adversaire redoutable. Le voyage prendra fin, comme une première saison d'une série télé se termine, avec le retour programmé des X-Men à leur école d'où ils ont subitement disparu comme le découvre le Fauve (Beast) au début du #111.

Claremont ouvre donc ce premier cycle avec un premier décor surprenant où les X-Men sont exhibés comme des monstres de foire. Le mystère de cette situation est vite résolu et conduit aussitôt à un nouvel adversaire et un nouveau décor : Magnéto et sa base en Antarctique. Le vilain maître du magnétisme est l'ennemi emblématique de l'équipe, depuis ses débuts, c'est-à-dire dès sa première génération dans les années 60, quand elle a été créée par Stan Lee et Jack Kirby : qu'importe les élèves du professeur Charles Xavier, c'est ce dernier que vise toujours Magnéto en raison de leur différend insoluble sur la condition des mutants - Xavier défend une cohabitation pacifique entre mutants et humains, même si ceux-ci les craignent et les persécutent, tandis qu'Erik Lehnsherr pense que les mutants, que leurs pouvoirs placent au-dessus de l'homo-sapiens, doivent devenir les maîtres de l'humanité, conviction soulignée par son enfance passée dans un camp de concentration où il a subi les mauvais traitements des nazis.

L'histoire montre des X-Men encore désordonnés : Magnéto en vient à bout d'abord facilement car ils ne savent pas se battre en équipe, et un membre comme Wolverine refuse d'obéir à Cyclope, le leader historique de la formation, dont il n'aime pas le dirigisme et parce qu'il aime secrètement Jean Grey/Phénix, sa fiancée. D'autres sont simplement inexpérimentés à la lutte comme Diablo (qui a grandi en préférant se cacher), Colossus (le benjamin du groupe qui craint sa force) ou Tornade (qui redoute de tuer quelqu'un à cause de sa puissance).

Mais en dévoilant le passé de ses X-Men, Claremont rappelle aussi au lecteur qu'ils peuvent compter sur d'autres ressource que leurs pouvoirs : c'est ainsi que grâce à ses talents de voleuse-crocheteuse de serrures que Tornade sortira l'équipe de son mauvais pas.
En se disciplinant, apprenant de ses erreurs passées, les X-Men sont ensuite en mesure de dominer Magnéto. Mais la fin du #113 les voit séparés dans des circonstances dramatiques. Bien entendu, on se doute que les amis du Fauve et de Phénix ne sont pas morts comme ils le pensent, mais ce malentendu va alimenter la suite de la série.

Aux dessins, John Byrne, remarqué lors de son passage sur la série Iron Fist (déjà écrite par Claremont), fait preuve d'un abattage déjà remarquable : il produit des planches très vivantes, pleine d'énergie, aux personnages expressifs. Il tient bien son casting.

La représentation des pouvoirs est toujours efficace, souvent spectaculaire, sans jamais déborder d'un découpage classique : à cette époque, une des rares "excentricités" tenait à la réalisation de doubles pages (même si, déjà, des artistes offraient des cadres aux formes et aux dimensions plus baroques). Byrne semble au contraire se satisfaire de vignettes disposées sagement pour mieux soigner leur contenu et en maximiser les effets. 35 ans après, cela reste très concluant.

Néanmoins, tout n'est pas parfait et le jeune dessinateur (28 ans à l'époque) ne déroge pas aux clichés d'usage : ses héroïnes sont toutes des créatures très pulpeuses, aux formes et aux poses suggestives, et ses héros sont (à l'exception de Diablo, dont le design est de loin le plus atypique) des mâles alpha, taillés comme des culturistes.

L'encrage de Terry Austin (et plus encore la colorisation, auquel le papier glacé des albums ne rend pas justice) a aussi mal vieilli : il lisse le dessin, le "métallise" à outrance, et si ça fonctionne parfaitement quand il s'agit de la peau d'acier de Colossus, c'est parfois un peu froid sur les autres personnages. En revanche, les décors y gagnent avec force détails, d'une netteté toujours impressionnante. Byrne s'est souvent encré plus tard, sur d'autres séries, mais il a aussi connu, on peut le dire avec le recul, des partenaires qui lui convenaient finalement mieux qu'Austin (je pense à Bob Wiacek ou Jerry Ordway).

En tout cas, en trois épisodes, on est déjà pris à la gorge : belle prouesse !   
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 #114 : Desolation 
(Octobre 1978)

Jean Grey et le Fauve sont sauvés alors qu'ils traversent une terrible tempête de neige en Antarctique. Ils ignorent que les autres X-Men ont également survécu et, en évoluant dans un tunnel souterrain, refont surface au coeur de la Terre Sauvage. 
Jean et le Fauve retrouvent le professeur Xavier à son école et lui apprennent que l'équipe n'a pas survécu.
Les X-men sont recueillis par une tribu de la Terre Sauvage dans se douter que leurs faits et gestes sont surveillés par un homme qui ne tarde pas à s'en prendre à Tornade en lui sapant sont énergie vitale...
 #115 : Visions of Death ! 
(Novembre 1978)

Sauron a drainé une part de l'énergie vitale de Tornade et a accompli sa métamorphose quand il est surpris par les X-Men. Grâce à son pouvoir hypnotique, il pervertit Wolverine qu'il force à attaquer ses acolytes, mais Cyclope et le Hurleur écartent temporairement Sauron qui, à bout de force, entreprend d'agresser Colossus pour se régénérer. 
Heureusement, en se transformant sous sa forme métallique, Peter Raspoutine empêche Sauron d'aller plus loin et la créature reprend son aspect humain de Karl Lykos lorsque Ka-Zar, le seigneur de la Terre Sauvage intervient pour mettre fin au combat.
Ka-Zar sollicite l'aide des X-Men pour neutraliser la prêtresse Zaladane qui a ressucité l'Homme de pierre, Garokk. La Terre Sauvage est la proie d'un hiver soudain qui risque de l'anéantir à cause de lui...
 #116 : To save the Savage Land ! 
(Décembre 1978)

Les X-Men abordent la cité de l'Homme de Pierre mais plusieurs d'entre eux sont capturés par la garde de Garokk, dont Ka-Zar. Seuls Wolverine, Diablo et Tornade sont libres et infiltrent l'endroit.
A l'intérieur, une cérémonie sacrificielle a lieu, dont les X-Men et Ka-Zar sont les victimes. Wolverine, Tornade et Diablo interviennent. Garokk fuit jusqu'au sommet de sa cité, d'où il tire l'énergie de la Terre Sauvage. Cyclope l'y rejoint et l'affronte, seul.
La cité s'écroule et Garokk tombe dans un précipice où Tornade tente de le récupérer, mais elle échoue à cause de sa clautrophobie.
Les X-Men peuvent à présent quitter la Terre Sauvage mais ils s'engagent à bord d'un radeau dans les eaux agitées du détroit de Drake...

Avec ces trois épisodes suivants, Chris Claremont expédie rapidement la partie concernant Jean Grey et le Fauve, secourus miraculeusement de l'Antarctique et de retour auprès de Charles Xavier, lui annoncent que les autres X-Men sont morts. Le traitement peut sembler cavalier mais il s'agit d'un procédé qui va devenir courant chez le scénariste : celui du "subplot", la mise en place très progressive d'une intrigue secondaire qui va converger vers l'histoire principale et aboutir à un récit global et un dénouement spectaculaire. Ici, il s'agit de placer en condition quelques personnages pour qu'ils croient les personnages principaux disparus : traumatisés, ils sont aussi plus vulnérables et cela aura des conséquences par la suite.


Bien entendu, Claremont sait que ce qui intéresse le lecteur, c'est de savoir si et comment les autres X-Men s'en sont tirés. Ils ont bien entendu survécu, mais dans quel état et pour aboutir où. On retrouve là direction géographique du récit puisque, comme je l'ai dit plus haut, à chaque nouvelle aventure correspond un nouveau décor. Et nous apprenons qu'en vérité les X-Men n'ont pas quitté l'Antarctique mais en découvrent une partie pour le moins singulière : la Terre Sauvage.

Avec ce décor exotique à la situation fantaisiste, son seigneur Ka-Zar (version Marvel de Tarzan), ses créatures sorties de la préhistoire (tigres à dents de sabre, ptérodactyles) et d'autres éléments aussi excentriques (divinités surpuissantes et menaçantes, prêtresses sexys et maléfiques, cité technologique en rupture avec la nature luxuriante), on est pleine récit d'aventures.

Le dérèglement climatique brutal auquel est confronté la Terre Sauvage donne même un accent écologiste à l'histoire, mais ce ne sera pas, là non plus, la première fois, que Claremont utilisera une intrigue pour aborder les conséquences sur la nature des agissements de l'homme ou du surhomme.

Le troisième point intéressant qui distingue cet arc narratif, c'est la volonté manifeste d'accorder à chaque étape un grand moment à un membre de l'équipe. Il s'agit soit de pointer un personnage qui déclenche l'action (comme le Fauve dans les épisodes précédant ceux-ci), soit de glorifier un héros qui aura raison du méchant. Ici, c'est Cyclope qui, en affrontant Garokk l'Homme de Pierre, au sommet de sa cité, dans un duel de rafales optiques semblable à un duel d'épéistes dans un film de cape et d'épées, a la vedette.

L'issue du combat est cependant teintée d'une certaine émotion lorsque Tornade est incapable de surmonter son angoisse des espaces clos et donc de sauver Garokk. La victoire n'a donc rien d'éclatant, même si elle est spectaculaire.

Aux dessins, John Byrne prend de l'assurance avec une rapidité impressionnante. Sa représentation des décors est foisonnante, précise, et l'encrage de Terry Austin rend justice à la méticulosité de l'artiste.

Il commence aussi à s'approprier les personnages en modifiant quelques détails de leurs physionomie : par exemple, Wolverine a une pilosité de plus en plus abondante, ce qui souligne son aspect bestial. Byrne veille aussi à ce que les silhouettes des personnages permettent au lecteur de les reconnaître immédiatement : Diablo est maigre, toujours dans des poses acrobatiques (évoquant Spider-Man), Colossus est très grand et athlétique, Wolverine est trappu...

Le découpage reste classique, très sage, mais l'art du storytelling de Byrne est déjà affuté et cet académisme ne l'empêche pas de donner beaucoup de dynamisme aux scènes, en variant la dimension des plans notamment. Les quelques splash ou doubles pages qu'il s'autorise sont toutes fabuleuses.
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A noter que ces épisodes sont tous disponibles dans 
X-Men : L'intégrale (T.2) : 1977-1978
chez Paninicomics, en vf :