DEADLINE est un récit complet de 80 pages écrit par Laurent-Frédéric Bollée et illustré par Christian Rossi, publié en 2013 par les éditions Glénat.
Pourquoi a-t-il commis ce geste ? La réponse se trouve dans son
lointain passé : après que ses parents aient été tué par deux esclaves
noirs en fuite, Louis est recueilli par Philip Paugham, un
abolitionniste de la traite négrière qui parcourt le Sud. Lorsque
celui-ci est à son tour assassiné par des soldats confédérés, Louis est
enrôlé de force dans l'armée.
Bientôt il prend part à une mission : escorter des prisonniers
nordistes pour un échange. Parmi eux, un beau soldat noir qui trouble
profondément Louis. Une nuit d'orage, il disparaît mystérieusement avant
que le jeune homme découvre qu'il a été supplicié et supprimé par deux
de ses supérieurs. Louis, surpris, doit fuir pour sauver sa peau.
La guerre de sécession s'achève. Louis erre, hanté par le souvenir de
ce soldat noir dont il était tombé amoureux. Des années après, sa route
croise par hasard un des meurtriers. Il entreprend alors de venger
l'homme qu'il aimait mais aussi de soulager sa conscience.
Pour cela, il devra oser franchir la "deadline", ce sillon que les
sudistes traçaient sur le sol de leurs camps pour garder leurs
prisonniers, mais aussi la frontière symbolique entre les barbares et
leurs victimes...
Cet ambitieux et déroutant western est un objet atypique. Déjà il aborde
la question de l'homosexualité et de la ségrégation raciale, mais qui
plus est du point de vue d'un sudiste. Le scénariste Laurent-Frédéric Bollée
réussit un récit très fort, très troublant aussi, sans jamais ennuyer
tout au long de ses 80 pages. Il n'oublie pas pour cela d'employer des
motifs classiques et éprouvés du genre avec les grands espaces, les
pueblos perdus écrasés par la chaleur, les règlements de comptes, les
héros vengeurs.
Mais dans l'écriture de Bollée, ces
stéréotypes sont brouillés par les tours du destin qui donnent une
ambiguïté durable aux protagonistes : ainsi, Louis Paugham a toutes les
raisons de détester les noirs, responsables de la mort de ses parents,
et d'ailleurs son parcours n'aboutit pas un revirement sur la question.
Il s'agit davantage d'un homme tombé amoureux d'un autre, lequel se
trouve être noir, et la couleur de la peau n'est jamais clairement
donnée comme un élément constitutif de son trouble sentimental. Il est
certes fasciné par ce soldat nordiste, dont il se demande ce qui la
conduit à intégrer l'armée (la promesse d'être affranchi, la conviction
de combattre pour une cause juste, ou comme Louis, un embrigadement
forcé), mais il semble que ce soit plus l'homme qui l'attire que l'homme
noir.
C'est donc un récit psychologique et intime
autant qu'une aventure dans le cadre du western et de ses codes auxquels
nous invite Bollée, c'est aussi une réflexion sur le destin. Les
rencontres que fait le héros et les conséquences qu'elles ont sur son
existence le situent davantage que son propre caractère.
L'histoire est ponctuée par des flash-backs
renvoyant à l'adolescence puis à la jeunesse de Louis Paugham, en
démarrant alors qu'il a la cinquantaine, et se conclut à sa mort (qui
n'a rien de spectaculaire). La construction narrative est très habile.
Cependant le récit n'a rien à voir avec une version de Brockeback
Mountain - si on devait le rapprocher d'un autre (post) western en
bande dessinée, ce serait l'excellent Western de Van Hamme et
Rosinski où on assiste aussi à la fin d'une époque en compagnie d'un
personnage durement éprouvé et poursuivi par ses démons.
Bollée imagine aussi des scènes très
audacieuses mais exposées de manière simple, ce qui augmentent leur
capacité à être troublantes (comme lorsque Louis étreint une jeune fille
noire avec laquelle il a nouée une relation après la guerre et lui
demande d'enfiler les vêtements du soldat qu'il a gardés puis de ramener
ses cheveux en arrière pour qu'ils paraissent plus courts : ainsi elle
ressemble exactement à celui qu'il a aimé sans pouvoir coucher avec
lui).
Bien entendu, ce qui distingue encore plus
l'album, c'est son dessinateur et de ce côté-là, Bollée a eu le
privilège de collaborer avec l'extraordinaire Christian Rossi, qui nous gratifie de planches somptueuses.
Héritier de Jean "Moebius" Giraud, dont il pris la succession sur la série Jim Cutlass et donc habitué au western (il avait aussi dessiné le très bon Chariot de Thespis), Rossi a connu la consécration qu'il mérite avec la série W.E.S.T.. Il a adopté la même technique graphique pour Deadline
en employant la colorisation directe et le résultat est stupéfiant : la
palette est volontairement réduite à une gamme de jaunes, ocres,
marrons en majorité, mais le rendu est d'une beauté incroyable.
L'art de la composition, le souci de
l'expressivité, la méticulosité des décors (en particulier les paysages
naturels, mais aussi les endroits habités présentés avec des
perspectives admirablement maîtrisées), le découpage varié, tout est là,
la marque d'un très grand artiste au sommet de son art, qui lui permet
de jouer avec les ambiances, les émotions à un degré tel que cela rend
la voix-off parfois un peu redondante.
Glénat a bien fait les choses en ajoutant un
cahier de croquis au livre, ce qui permet d'apprécier la quantité
d'essais de Rossi pour préparer ses personnages.
Magnifique bande dessinée au sujet et au traitement inattendus, servis par une équipe créative bien inspirée.
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