mardi 4 février 2014

Critique 405 : JUSTICE LEAGUE, VOLUME 3 - THRONE OF ATLANTIS, de Geoff Johns, Tony Daniel, Paul Pelletier et Ivan Reis


JUSTICE LEAGUE, VOLUME 3 : THRONE OF ATLANTIS rassemble les épisodes 13 à 17 de la série Justice League et 14 à 16 de la série Aquaman, tous écrits par Geoff Johns et publiés par DC Comics en 2013. Tony Daniel dessine les épisodes 13-14 de Justice League, Ivan Reis les épisodes 15 à 17. Pete Wood et Pere Perez dessine l'épisode 14 de Aquaman, Paul Pelletier les épisodes 15 et 16.

- The Secret of The Cheetah (Justice League 13-14). La Ligue de Justice (désormais composée de Superman, Batman, Flash, Cyborg, Aquaman et Wonder Woman - Green Lantern a démissionné) traque Cheetah alias Barbara Minerva, une amie de Wonder Woman qui a été envoûtée par l'esprit maléfique d'une créature mi-femme, mi-féline.

Ce récit en deux parties est très dispensable : Geoff Johns s'en sert surtout comme prétexte pour officialiser la romance entre Superman et Wonder Woman - cette dernière n'a d'ailleurs pas grand-chose à voir avec l'héroïne qu'écrit Brian Azzarello dans sa propre série (où il n'est d'ailleurs pas fait mention de la Ligue de Justice ni de sa relation amoureuse avec son co-équipier). 
Certes, on n'a pas le temps de s'ennuyer et le scénariste déplace l'action dans des décors exotiques pour la galerie, mais il n'évite pas des scènes grotesques comme la possession de Superman. De plus, voir Flash, l'homme censé être le plus rapide du monde, incapable d'éviter les griffes de Cheetah est également limite... Quant à Aquaman, on se demande (et lui aussi apparemment) ce qu'il fait là, tout comme Cyborg (employé uniquement pour tracer la méchante mais inutile au combat).
On devine, à la fin de l'aventure, que cela va préparer des intrigues futures : Cheetah derrière le barreaux s'adressant à de mystérieux complices extérieurs, et Batman apprenant que Superman et Wonder Woman sont bel et bien amants. On verra bien à quoi cela aboutit, mais ce n'est quand même pas fameux.
Pas fameux non plus de la partie graphique confiée à Tony Daniel : une double-page d'entrée très réussie laissait pourtant augurer du meilleur, mais le soufflet retombe vite. Ses personnages sont inexpressifs, terriblement raides, et les choses se gâtent dès qu'il y a plus de trois héros dans le même plan avec des compositions au mieux maladroites. Il y a parfois un effort louable au niveau des décors, en particulier quand l'action se déplace dans la jungle, mais rien de renversant.
A présent, passons au coeur du recueil avec la saga du Trône d'Atlantide, un crossover entre les titres Justice League et Aquaman (qu'il faut lire dans l'ordre suivant : Aquaman #14 - le prologue de l'histoire - , JL #15, Aquaman #15, JL #16, Aquaman #16, et JL #17). Les évènements sont directement liés à la série et aux derniers épisodes d'Aquaman (vol. 1 : The trench, vol. 2 : The Others), donc il est recommandé de les lire auparavant.
- Throne of Atlantis. Un navire de l'U. S. navy envoie accidentellement deux missiles dans les profondeurs de l'océan, qui dévastent Atlantis. Le roi des atlantes, Orm alias Ocean Master, demi-frère d'Aquaman, considère cette agression comme une déclaration de guerre et riposte spectaculairement en submergeant plusieurs villes avant d'attaquer avec son armée. Aquaman reconnaît immédiatement cette tactique puisque c'est celle dictée par les protocoles qu'il a lui-même rédigés quand il était régent. La Ligue de Justice (Superman, Wonder Woman, Batman, Cyborg et Aquaman, plus Mera) tente d'abord de sauver le plus de civils possible avant de devoir affronter les hordes atlantes puis les créatures carnivores de la fosse libérés par celui qui a, en vérité, orchestré ce conflit et détient le sceptre du roi mort d'Atlantis...

Après avoir relancé avec vigueur la série Aquaman, et pris les commandes de celle de la Justice League, Geoff Johns organise donc la rencontre entre ces deux titres avec une histoire spectaculaire fondée sur le choc des cultures. On reconnaît là le goût du scénariste pour les intrigues préparées à l'avance (celle-ci prenant sa source dès les premiers chapitres d'Aquaman avec le choix du héros de vivre parmi les terriens et le rôle déterminant d'une relique atlante) et les héros déchirés entre deux mondes (hier Green Lantern tiraillé entre Oa et la Terre, aujourd'hui Aquaman partagé entre le monde de la surface et celui de la mer).
La question qu'on pouvait légitimement se poser avec ce crossover était de savoir si Johns allait être inspiré positivement comme il l'est avec la série Aquaman ou avec moins de bonheur comme avec la série Justice League (dont je n'avais lu que le premier arc, qui m'avait beaucoup déçu, au point de lâcher l'affaire).
Cela débute de manière très moyenne avec le prologue dans l'épisode 14 de Aquaman, en fait une conversation peu passionnante entre Orm/Ocean Master et Arthur Curry/Aquaman. Johns y met aussi en scène un personnage du nom de Vulko, et on peut dire qu'il fait preuve de maladresse en indiquant aussi vite au lecteur que cet atlante vivant aussi à la surface mérite d'être surveillé, éventant un peu trop le pivot du récit. 
Il faut aussi dire que cet épisode est pauvrement illustré, qui plus est par deux dessinateurs : Pete Woods et Pere Perez ont la lourde tâche de passer après Ivan Reis, le choc est rude ! 
Mais heureusement dès que Geoff Johns entre dans le vif du sujet, il redresse la barre et mène son affaire avec son efficacité coutumière. L'exercice même du crossover, avec un casting de personnages fournis, ses rebondissements en cascades, ses tableaux de batailles épiques, laisse peu de place pour développer la psychologie des protagonistes. Il faut alors compter sur des motivations originales pour le méchant et des  réactions intéressantes de la part des héros pour que l'ensemble fonctionne.
Sur tous ces points, le scénariste connait son métier et fait de Orm un méchant singulier : il s'agit moins d'un vilain classique, avec des ambitions rabâchées, que d'un individu qui s'estime légitimement agressé et entraîne ses sujets dans un conflit sans savoir qu'ils ont été piégés par un des leurs. Johns joue avec malice sur ce que croit savoir le lecteur qui a suivi les épisodes précédents d'Aquaman : à la fin du volume 2 de cette série (The Others), le sceptre du roi mort dérobé par Black Manta revenait à son commanditaire sans qu'on l'ait clairement identifié.
Lorsque Orm apparaît ici, brandissant une lance à la forme similaire, on est donc persuadé que c'était lui qui avait missionné Black Manta, mais il faut être plus attentif pour comprendre qu'on se trompe. Mais cette méprise nourrit l'histoire et sert de révélateur pour comprendre la relation entre Aquaman et Ocean Master, les deux demi-frères : il ne s'agit pas d'une opposition comme celle de Thor et Loki puisque Arthur Curry a abandonné son trône et l'a laissé à Orm. On devine puis on a la confirmation que Orm a été déçu par son frère, son choix et sa situation actuelle : il espérait visiblement qu'il reste vivre avec les atlantes, considère que les humains sont faibles et qu'il n'estime pas à sa juste valeur son demi-frère.
Tout cela fait de Orm un adversaire singulier : il a des raisons de sur-réagir comme il le fait, ce n'est ni juste ni moral mais compréhensible, il est le fruit de son éducation, répondant en roi guerrier, n'exprimant pas de regrets devant ce qu'il considère comme la réplique appropriée à l'agression subie par les siens et incapable d'admettre que Aquaman ne l'approuve pas (alors même qu'il a conçu les protocoles pour contre-attaquer dans une telle situation).

Aquaman continue de fait à être l'acteur majeur de la saga : visiblement, Geoff Johns apprécie le personnage et a à coeur d'en faire un héros avec du relief. Ses rapports en particulier avec Batman, qui a ses propres idées sur le management de la Ligue de Justice, la manière dont il reprend le contrôle des atlantes, juge le véritable responsable de cette réplique barbare et punit son demi-frère, souligne ce qui était déjà déroulé dans les précédents épisodes de sa série : c'est un personnage qui n'aime pas qu'on lui force la main, qui entend se faire respecter, qui tranche. Pour lui, pas de déférence envers les vedettes de l'équipe comme Superman ou Wonder Woman. Pas de sentimentalisme excessif non plus envers Mera, sa compagne, comme en témoigne la décision qu'il adopte à la fin de l'histoire.
Johns prend quand même un risque excitant en écrivant ainsi le personnage, pas forcément sympathique, conciliant. Mais (comme d'autres héros revampés pour le "New 52", par exemple Wonder Woman chez Brian Azzarello) cette ambiguïté lui va bien.

Tout n'est pas parfait dans la mécanique de Geoff Johns : s'il est toujours à son avantage dès qu'il s'agit d'allumer les feux, il évacue un peu cavalièrement des éléments qui l'encombrent ou en oublie d'autres de manière étonnante. Par exemple, pourquoi avoir écarter Flash de cette histoire (même s'il est mentionné à un moment qu'il est occupé avec un de ses ennemis) ? Déjà que Green Lantern n'est plus dans l'équipe après deux arcs, cela donne l'impression que le scénariste ne sait pas utiliser une équipe de six personnages iconiques pour une histoire pourtant taillée pour eux (le bolide écarlate aurait pu être bien utile au moment où il fallait sauver les civils quand leurs villes étaient submergées)... Mais (presque) le même temps, Johns, pour montrer que son groupe de héros ne suffira pas à stopper les troupes atlantes en furie, n'hésite pas par contre à rameuter tout un tas de réservistes (Vixen, Black Canary, Hawkman, Black Lightning...) ! C'est un peu bizarre d'appeler autant de personnages ainsi sans utiliser toute la première ligne de vedettes...
Dans un autre registre, l'identification du vrai vilain de l'histoire, ses motivations, sont un peu balourdes, et à dire vrai, le personnage lui-même manque terriblement du charisme nécessaire à un rôle aussi déterminant.
Enfin, là aussi, dans un souci évident à la fois de relier tous les fils et de solutionner une partie de ce qu'il a mis en place auparavant, Johns invite au bal les créatures de la fosse (cf. Aquaman, vol. 1 : The Trench). Et là, ça fait quand même beaucoup de monde à gérer ! La Ligue et Aquaman a à peine réglé le problème Orm et les atlantes qu'ils doivent renvoyer ces monstres (d'ailleurs plus moches qu'effrayants)... A force d'ajouter des couches d'ennemis à combattre, le dénouement se traîne un peu (le dernier épisode de la saga, JL #17, est d'ailleurs plus long).

Mais finalement, rien de grave : on prend du plaisir à suivre ce récit, bien rythmé, épique, qui tient en 8 épisodes bien bâtis, avec un dénouement qui impacte nettement Aquaman (pour ce qui est de sa place dans la Ligue ou la Ligue elle-même, cela reste à voir mais dans le cas de cette dernière, il y a fort à parier que de prochaines aventures balaieront en fait celle-ci. C'est le jeu).
 
L'autre très bon point de ce crossover est son excellente facture visuelle. Ivan Reis a donc été transféré de Aquaman à Justice League, une sorte de promotion naturelle étant donné la notoriété acquise par le brésilien et son immense talent. Dessiner un team-book est exigeant, il faudra surveiller s'il peut tenir la cadence, continuer à produire des planches aussi riches en soignant chaque personnage : il en a le potentiel et sa prestation sur cette saga (mais aussi, avant cela, sur l'event Blackest Night) est plus que convaincante.
Les splash et doubles pages de Reis sont toujours aussi impressionnantes. Ses découpages n'ont rien d'exceptionnel mais il compense cela par une énergie, une puissance peu communes. De plus, son style très efficace quand il s'agit de représenter des héros à l'allure quasi-divine sied parfaitement à une équipe comme la Justice League, depuis longtemps désignée comme une sorte de panthéon, d'assemblée légendaire.

Paul Pelletier succède à Reis sur la série Aquaman et signe donc les épisodes du  héros dans ce crossover. C'est également un artiste percutant, issu de la lignée de Neal Adams (comme Reis), et très influencé par Alan Davis.
Débauché de Marvel par DC, il s'impose sans problème, déjà familier avec cet univers, ses héros. Le seul reproche que je lui ferai (et que j'ai déjà pu exprimer à son sujet dans le passé), ce sont ses gros plans sur les visages qui ne rendent pas toujours justice aux personnages, alors qu'il est très à l'aise dès qu'il cadre plus large (l'exemple le plus frappant concerne ses femmes, sexys et combattives "de loin", mais qui, "de près", ont souvent des expressions moins flatteuses, des traits peu fins - c'est là sa grande différence avec Alan Davis).
En revanche, il bénéficie des services d'un excellent encreur, Sean Pearsons (quand Reis doit composer avec Joe Prado, dont l'apport est très inégal, et Oclair Albert, bien meilleur mais que l'artiste apprécie curieusement moins).

Pour conclure, on notera quelques allusions semées au fil du récit par Johns et qui, quand on connait ses méthodes, vont certainement alimenter le DCU dans le futur. Quelques exemples : 
- Dans Justice League #16, il est fait référence à une certaine "technologie Monitor" provenant d'une autre dimension. Cela rappelle bien entendu le Monitor de la saga Crisis on Infinite Earths.

- Dans le même épisode encore, on parle aussi des Metal Men pour la première fois dans le "New 52".

- Et, toujours dans ce 16ème épisode, le Dr Morrow propose au père de Cyborg d'utiliser le "moteur météo" qu'il a fabriqué et qui pourrait stopper les atlantes  : une référence à l'androïde Red Tornado ?

Prolongement des deux premiers arcs de Aquaman, histoire rondement menée et riche en scènes spectaculaires de la Justice League, ce Trône d'Atlantide procure un très bon moment de lecture.

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