dimanche 23 février 2014

Critique 415 : THE MIGHTY, de Peter J; Tomasi, Keith Champagne, Peter Snejbjerg et Chris Samnee


THE MIGHTY, VOLUMES 1 & 2 est une mini-série en 12 épisodes créée et écrite par Peter J. Tomasi et Keith Champagne, et dessinée par Peter Snejbjerg (#1-4) et Chris Samnee (#5-12), publiée par DC Comics en 2009-2010.
 

(The Mighty #2. Dessins de Peter Snejbjerg.)
Décembre 1952. A la suite d'un essai nucléaire en pleine mer, un pêcheur reçoit accidentellement d'immenses pouvoirs : c'est l'acte de naissance d'Alpha One, l'unique surhomme protecteur de la Terre. De nos jours, il est assisté par la Section Omega, qui intervient après chacune de ses interventions auprès des victimes et survivants.
Lorsque le chef de la Section, le capitaine Michael Shaw meurt, apparemment assassiné, son second, le jeune  Gabriel Cole, accepte de le remplacer, temporairement dans un premier temps. Il voue une admiration sans bornes à Alpha One qui l'a sauvé d'un accident de la route dans son enfance (mais où ses parents ont péri). Mais cette promotion effraie sa compagne, Janet, qui craint à la fois que ces nouvelles responsabilités n'accaparent Gabriel et qui se méfie de la dangerosité de côtoyer Alpha One.
La situation devient plus équivoque encore pour Cole lorsque, d'abord, après un crash sur une autoroute, un témoin jure que Alpha One a provoqué la catastrophe, et, ensuite, lorsque l'ex-chef de la Section, Taylor Rhines, qui avait quitté son poste à cause de son instabilité mentale, vient mettre en garde son jeune successeur que le surhomme n'est pas le héros qu'il prétend être.
En effet, petit à petit, le comportement d'Alpha One suscite la méfiance de Cole et il n'est pas au bout de ses surprises. Mais une fois le voile levé sur les secrets du surhomme, pourra-t-il encore le contrôler ?

(The Mighty #8. Dessins de Chris Samnee)

The Mighty n'est pas la première, ni la dernière série à broder sur le thème du surhomme dégénéré : il s'agit ni plus ni moins d'une version dystopique de Superman, le protecteur tout puissant de l'humanité qui déraperait, soit en étant enivré par le pouvoir, soit en étant manipulé par les autorités avec lesquelles il collabore, soit à cause d'une déception.

La mini-série de Peter J. Tomasi et Keith Champagne s'inscrit donc dans une sorte de tradition, et aurait d'ailleurs pu être conçue dans le cadre de la défunte collection "Elseworlds" de son éditeur, DC. Le monde et l'époque dans lesquels se déroule l'histoire diffèrent sensiblement de celui en usage dans les comics de DC puisque Alpha One est ici le seul et unique surhomme de la Terre.
J'ignore si le projet initial des deux auteurs étaient de se lancer dans une série régulière, sans fin définie, ou s'il s'agissait dès le départ d'une collection avec un nombre limité de chapitres, mais ces 12 épisodes forment un ensemble remarquablement cohérent, suffisant et formulé. Le récit a le temps de se développer, son intrigue de se former, et son dénouement d'être correctement posé sans qu'on sente que les scénaristes aient dû faire des coupes, sacrifier des éléments (personnages ou évènements). La fin est ouverte et laisse quelques points en suspens (qu'est-il advenu du petit Zachary ? Le sort d'Alpha One est-il définitivement réglé ?), mais rien qui ne frustre vraiment trop le lecteur.

L'histoire est parfaitement servi par les deux volumes de son édition en recueil : en effet, dans un premier temps, Tomasi et Champagne installent le mystère (autour de la mort du capitaine Shaw, du comportement suspect de Alpha One, de la réapparition et du "suicide" de Taylor Rhines...), exposent la relation entre Cole et Alpha One, décrivent la vie de couple entre Cole et Janet. Chaque situation, chaque personnage sont bien définis, on est accroché, il y a du rythme, de l'ambiguïté.

Puis, dans le second acte, les choses s'accélèrent et prennent un tour plus dramatique, sombre, intense, violent, jusqu'au final spectaculaire - un peu convenu certes mais bien mené, très efficace. La révélation des vraies origines de Alpha One, de son projet pour l'humanité, l'opposition à la fois désespérée et volontariste de Cole, la chute de la saga, tout cela est formidablement conduit. The Mighty est un redoutable "page-turner" qui, une fois qu'on l'a commencé, ne se lâche plus. La lecture est à la fois dense et notablement divertissante, on n'est jamais submergé par les informations dispensées par les auteurs ni brusqué par ce qu'ils choisissent de dévoiler au moment où ils le choisissent : la fluidité de la construction narrative (au demeurant linéaire, à quelques flashbacks près), son tempo soutenu, ses dialogues sobres, ses personnages bien campés, tout participe à ce que l'histoire se déroule sans jamais que le lecteur décroche.
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L'autre atout de cette mini-série est sa partie visuelle. Peter Snejbjerg a co-créé le personnage et l'histoire et assure les dessins des quatre premiers épisodes : son style, avec un trait net, épuré, et des effets d'éclairages contrastés qui soulignent la théâtralité des moments les plus mouvementés et soignent les ambiances de ceux plus calmes, est très agréable, élégant, bien mis en valeur par un découpage très classique, veillant à la sobriété du récit (tout est fait pour normaliser le contexte afin que la présence de Alpha One en soit l'unique élément fantastique).

Lorsqu'il est remplacé (pourquoi ? Je n'en sais rien) au #4 par Chris Samnee, alors encore très peu connu, le changement est subtil mais profond. L'artiste opère dans le même registre que Snejbjerg, avec déjà un goût prononcé pour un graphisme aux lignes simples, aux personnages expressifs (aussi bien dans leurs attitudes que dans les réactions exprimées par leurs visages), aux décors rapidement évocateurs et un soin accordé aux effets lumineux (un clair-obscur prononcé dans les scènes les plus chargés dramatiquement). Mais la différence la plus sensible se situe dans le découpage : Samnee varie les angles de vue, le nombre de cases (plus limité, donc avec des dimensions plus larges, jusqu'à des splash plus fréquentes - procédé qu'il a considérablement nuancé depuis). C'est tout le flux de lecture qui s'en trouve altéré, dynamisé (ce qui laisse aussi penser que le script de Tomasi et Champagne laissait de la marge aux artistes pour qu'on repère cette nuance en passant de Snejbjerg à Samnee).
Même si c'est encore un peu brut, que les finitions ne sont pas toujours raffinées, on devine déjà tout l'extraordinaire potentiel de storyteller qu'a su démontrer Samnee depuis (sur Thor the mighty avenger et surtout Daredevil). Editorialement, c'est aussi un transfert intelligent qu'avait su opérer Joey Cavalieri, en trouvant avec Samnee quelqu'un qui évoluait dans un style similaire à celui de Snejbjerg, conservant à la série une unité esthétique.
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Pour toutes ces bonnes raisons (écriture solide, histoire efficace, dessins superbes), The Mighty, c'est une de ces excellentes pépites à (re)découvrir.

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