jeudi 28 août 2014

Critique 500 : SPIROU N° 3985 (27 Août 2014)

Hé bien, voilà, nous y sommes : c'est ma 500ème critique (mais pour plus de 500 livres et revues) ! 
Bien sûr, j'ai pensé "fêter" ça en vous parlant d'une BD qui me tenait à coeur et à laquelle je n'aurai pas consacrée d'article, ou en publiant une sorte de "manifeste critique"... Mais bon, je n'ai pas trouvé (pas vraiment cherché non plus) et je me suis dit que la meilleure idée consisterait à continuer normalement.


C'est parti pour la critique n° 500, celle du Spirou n° 3985. La couverture met en avant les Minions (du film Moi, moche et méchant), qui sont présents au fil des pages pour faire des bêtises et vedettes de 3 gags d'une page chacun. Comme c'est aussi mon premier n° comme abonné, j'ai reçu un mini-récit à confectionner soi-même, Spouri et Fantasiz : La menace manga (de Neidhart et Raf).
Epluchons le sommaire au rythme du "j'ai aimé / j'ai pas aimé" habituel.

J'ai aimé :


- Ernest et Rebecca : La boîte à blagues 3/7. Rebecca commence à collecter des blagues pour Pépé Bestiole et fait ainsi la connaissance d'une jolie postière, Cassiopée. Pendant ce temps, sa soeur, Coralie se rapproche un peu plus de Eric.
La BD de Bianco (dont une interview ouvre l'épisode) et Dalena est vraiment une réussite enthousiasmante : la narration est très aboutie, dosant parfaitement ses effets sans sombrer jamais dans la mièvrerie, tandis que le dessin, s'appuyant sur un découpage très intelligent (avec des pages très denses, comportant facilement une quinzaine de plans), tonifie tout ça.

- Les Tuniques bleues : Les Bleus se mettent au vert 6/6. C'est la fin de la drôle d'aventure de Blutch et Chesterfield, mal payés de leurs efforts par le général Alexander puisqu'ils sont désormais obligés d'assister le dentiste du camp. 
L'histoire atypique de Cauvin a été plaisante à suivre (sans doute parce que l'auteur ne s'est pas cru obligé de faire drôle), et les dessins de Lambil, sommaires, l'ont bien accompagnée.

- Mélusine. Clarke propose un gag bien mené sur un cours de dessin à l'école des sorciers. L'auteur a une vraie maîtrise de la chute comique, que son dessin simple mais bien découpé sert à merveille.

- Minions. Didier Ah-Koon (scénario) et Renaud Collin (dessin) offrent trois gags en une planche pour ce numéro et les trois sont rigolos : les lutins jaunes sont toujours dépassés par leur technologie ou leur psyché. L'imagerie colorée et l'exploit d'animer ces drôles de héros assurent un bon moment.

- Katz. Le chat de Del et Ian Dairin est de retour dans deux strips en deux bandes. Le premier est savoureux, mais le second est très inspiré (ceux qui ont un félin chez eux comprendront tout à fait la justesse du propos...). Le dessin n'est pas extraordinaire mais efficace.

- Givrés ! Madaule a troussé un gag vraiment bien vu sur la pollution qui touche jusqu'à la banquise de ses héros. Visuellement, ça ne mange pas de pain là non plus, mais l'affaire est bien menée et excuse cet aspect.

- Marzi. Marzean Sowa et Sylvain Savoia reviennent nous enchanter avec leur héroïne dans la Pologne au lendemain de la chute du mur de fer. Les produits américains atteignent le pays, enchantant puis affligeant les enfants : tout sonne si juste, c'est si joliment dessiné, comment ne pas craquer pour Marzi ?

- Rob. James et Boris Mirroir s'occupent du propriétaire humain de leur robot en l'envoyant chercher du travail. Les deux strips sont à la fois cruels et jubilatoires. J'aime ce titre au ton absurde si bien traité, avec un dessin qui sert bien le propos.

- L'Atelier Mastodonte. C'est un de mes rendez-vous favoris dans la revue, chaque semaine je commence par lire cette page, et cette fois encore, pas de déception : Nob est à la manoeuvre pour le premier gag (brocardant le machisme) puis Josselin se moque des attitudes de midinette des mecs. Jouissif et formidablement mis en images.

- Game Over. Patelin, Adam et Midam peuvent mieux faire, mais j'ai du mal à les tacler même quand leur gag hebdo est un chouia moins bon comme ici : leur dispositif est si bien huilé, et livrer ça chaque semaine force le respect.

- Tash et Trash. Trois cases méchantes et très drôles : là encore, complètement décalé mais délectable. / Kahl et Porth. Une petite pépite, qui mériterait comme Tash et Trash une meilleure place dans la revue que vers la fin, sous le bulletin d'abonnement.

- Dad. Nob, c'est ma friandise préférée de la revue : son gag est encore une fois excellent, et qui plus extraordinairement illustré (il a dû s'amuser un moment pour dessiner tous ces ballons et les coloriser  - voir ci-dessous :).

J'ai pas aimé... En fait, plutôt que de vous infliger une nouvelle fois la liste complète, je vais juste m'énerver contre quelques trucs dans le tas. Par exemple, comment peut-on à trois produire une page aussi naze de Boule et Bill ? Comment Tamara peut être aussi pauvrement dessiné par deux artistes ? Qui dira à Gerra, Pessis et Achdé de laisser Lucky Luke à des auteurs dignes de ce nom ? Cauvin fait-il rire quelqu'un avec Pierre Tombal et Les Psys

En Direct de la Rédak donne doublement la parole aux auteurs des Minions (qui vont avoir droit à leur propre film). Et la semaine prochaine, ce sera le grand retour du... Ah, mais non, c'est une surprise !
Les Aventures d'un Journal revient sur un n° de 2004 conçu pour les aveugles, avec à la clé un témoignage admirable d'un fan malvoyant.
Le Grand Référendum de l'été : Le long et périlleux voyage de demoiselle Arthémise. C'est le dernier teaser de Salma et Léturgie, qui fait aussi bien envie. Il y a eu pas mal de choses prometteuses dans le lot, j'espère que les lecteurs votants auront élu un projet que j'ai également aimé.

See you later, and stay tuned ! 

mardi 26 août 2014

Critique 499 : LA RIBAMBELLE, L'INTEGRALE TOME 1, de Roba, avec Vicq


LA RIMBAMBELLE, L'INTEGRALE TOME 1 rassemble les trois premiers albums de la série créée par Roba (avec le concours de Franquin, Joël Azaria et Marcel Denis), publiée par Dargaud  en un seul volume en 2001.

LA RIBAMBELLE GAGNE DU TERRAIN ! est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Roba, publié à l'origine en 1965 par Dupuis.

Phil, Archibald, Dizzie, Grenadine, et les frères jumeaux Atchi et Atcha forment une bande de copains. Leur groupe n'admet qu'un seul adulte, James, le majordome anglais au service d'Archie, et a établi son repaire dans un terrain vague où a été abandonné un vieil autobus.
Mais leur quiétude est troublée par deux fâcheux : d'un côté, Tatane et ses deux lieutenants, les Caïmans, des petits voyous plus bêtes que méchants ; de l'autre, Arsène Grofilou, qui veut utiliser le terrain pour y bâtir un immeuble.
Afin d'acquérir l'endroit, les six amis doivent réunir la somme faramineuse de 250 000 francs. Chacun va devoir trouver un job pour gagner cet argent, tout en préservant leur espace des tentatives d'incursion des Caïmans (grâce aux pièges installés par Archie) et en composant contre l'alliance nouée entre Grofilou et Tatane.
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LA RIBAMBELLE EN ECOSSE est le 2ème tome de la série, écrit (avec la participation de Vicq, non créditée) et dessiné par Roba, publié à l'origine par Dupuis en 1966. 
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Archibald est dans tous ses états comme le constatent ses amis. En effet, il s'apprête, avec James, à partir pour son Ecosse natale pour une périlleuse mais cruciale mission : il lui faut récupérer le chardon d'or, l'emblème de sa famille, les Mac Dingelling, tombé entre les mains de leurs rivaux, les Mac Klangbang. Les deux clans se disputent la domination sur le domaine de Glenfify depuis une bataille vieille de plusieurs siècles.
La Ribambelle décide d'accompagner Archie et James afin de l'aider dans sa tâche qui promet d'être ardue car la tension est à son comble et tous les coups sont permis.
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LA RIBAMBELLE S'ENVOLE ! est le 3ème tome de la série, écrit par Vicq et dessiné par Roba, publié à l'origine en 1967 par Dupuis.

Le journal "La Clameur Vespérale" lance un concours dont l'objectif est la construction d'un engin volant uniquement mue par l'énergie musculaire du pilote. En jeu : un voyage d'un mois, tous frais payés, aux îles Galopingos !
Archibald convainc la Ribambelle de tenter l'aventure avec Dizzie comme pilote. Mais les Caïmans de Tatane sont aussi sur les rangs, prêts à tout pour gagner, y compris à voler les idées de nos héros et à saboter leur projet - si tant est que ce projet soit réalisable...

Voilà une découverte récente que j'ai faîte et qui m'a conquis. Citez le nom de Roba et tous les amateurs de BD vous répondront qu'il s'agit du créateur de la série Boule et Bill. Comme Peyo (avec Johan et Pirlouit par rapport aux Schtroumpfs) ou Uderzo (avec Astérix par rapport à Oumpah-Pah), cet auteur a vu le succès de sa série la plus célèbre faire quasiment oublié tout ce qu'il a réalisé par ailleurs : c'est regrettable car La Ribambelle est une oeuvre qui mérite d'être reconsidérée.

Un peu d'Histoire : en Décembre 1959, Jean Roba cherche à percer dans la bande dessinée et propose ses services au Journal de Spirou. Yvan Delporte, mythique rédacteur en chef de l'époque, l'aime bien mais pas le patron, Charles Dupuis. Pourtant, grâce à une ruse du premier, Roba réussit à placer ses premières pages de Boule et Bill dans un numéro sans les signer, et Dupuis en les lisant est conquis, réclamant de rencontrer l'auteur. Il accepte alors de l'accueillir dans son écurie.
Avant de gagner ses galons de vedette, Roba, qui vient du dessin publicitaire, intègre le "studio" de Franquin et lui prête main-forte pour trois mini-récits de Spirou et Fantasio destinés à être publiés dans Le Parisien Libéré, pour donner plus de visibilité à la série en France. Il dessine ainsi les décors, quelques véhicules et personnages secondaires dans les histoires Spirou et les Hommes-Bulles, Les Petits Formats et Tembo Tabou.
Franquin apprécie aussi Roba, dont la contribution est remarquable. C'est ainsi, comme nous l'apprend la préface de cette première Intégrale, qu'il lui parle d'un projet antérieur de quatre ans (1957 donc), conçu par Joël Azaria et Marcel Denis, dont il avait trouvé le titre : La Ribambelle. Cette ébauche tient à coeur à Franquin qui a été un lecteur d'une série américaine des années 20 sur une bande de gamins, les Rantanplan (Rinkeydings en vo), dont le héros Bicot (Perry en vo) a bercé sa jeunesse. Or, Roba était aussi fan de ce titre !
Le départ de Azaria pour le journal Tintin et la défection de Marcel Denis laissent la voie libre à Roba qui s'empare de leur idée et la retravaille, en tenant compte des exigences de l'éditeur qui refusait de publier les aventures de gosses des rues. C'est ainsi que naissent Phil, Archibald, Dizzie, Grenadine, Atchi et Atcha.

Ce volume regroupe leurs trois premières aventures, écrites et dessinés par Roba, avec l'aide de Vicq au scénario du troisième récit. 
Un mot sur Vicq : voilà un personnage étonnant ! Antoine Raymond, de son vrai nom, a collaboré à plusieurs séries (Gaston Lagaffe, Boule et Bill, Lucky Luke, Théophile et Philibert...), et était un partenaire de Roba, mais affligé d'un caractère tourmenté et imprévisible. Cela le plongea dans l'alcoolisme, sans jamais qu'il s'en délivre. Puis, en 1987, après des années de bons et loyaux services, il s'est volatilisé du jour au lendemain. C'est Yvan Delporte qui a eu confirmation de son décès la même année. Une histoire digne d'un scénario de BD...

Revenons aux albums de cette Intégrale. 
Dans le premier d'entre eux, le titre est un sorte de programme en soi, résumant le récit où les jeunes héros doivent se battre pour devenir les propriétaires du terrain où ils se retrouvent. L'intrigue présente de manière à la fois très classique, linéaire, et efficace chacun des membres de la bande, en commençant par Archibald qui, sans en être le leader déclaré, en est la vedette. Ce petit anglais volubile, malin, aux expressions "franglaises" amusantes), compte avec son majordome James, le seul adulte complice du groupe, un indéfectible partenaire. Il est entouré par Phil, un blondinet au tempérament volontaire et mesuré ; Dizzie, un jeune noir trompettiste de jazz (l'autre apport de Franquin à la série, un hommage à Dizzy Gillespie qu'il adorait) de nature prudente (voire fébrile) ; Grenadine, la seule fille de l'équipe, toujours là pour remarquer les tendances belliqueuses des mâles tout en jouant les infirmières ou en passant le temps à tricoter (rappelons qu'on est en 1966, que les personnages féminins en BD ne sont pas nombreux, que la censure veille et que la libération de la femme est loin d'être acquise...) ; et les jumeaux asiatiques Atchi et Atcha, aussi philosophes et généreux en aphorismes moralistes que doués en arts martiaux (là aussi, il ne faut pas s'offusquer des clichés dans une production aussi inoffensive).
Les méchants sont identifiés rapidement : la bande des Caïmans menée par Tatane, gamin aux allures de néo-blouson noir, s'active pour chiper leur repaire à la Ribambelle, mais la hargne de leur leader est compensée par la bêtise de ses deux fidèles lieutenants. Arsène Grofilou, le promoteur immobilier, est désigné comme le vilain adulte, plus dangereux car disposant d'autres armes (en premier lieu sa fortune).
On peut d'abord être perplexe devant la minceur de l'argument : tenir 44 planches avec une histoire de gamins devant réunir 250 000 francs pour garder un terrain vague, ça ne semble pas aller bien loin. Mais Roba déploie habilement ses rebondissements et, fort, de son casting généreux, rythme son aventure avec un humour bon enfant et un dynamisme constant. On ne s'ennuie jamais et jusqu'au bout l'issue est incertaine, avec un final aussi acrobatique que jubilatoire.

Le deuxième récit confirme immédiatement la préférence de Roba pour le personnage d'Archibald, puisque celui-ci est le moteur de l'intrigue en entraînant les cinq autres jusque dans son Ecosse natale.     
Comme pour La Ribambelle gagne du terrain !, il est question de propriété sur des terres, mais dans des dimensions élargies, non seulement parce l'action se déplace à l'étranger, avec ce que cela suppose d'exotisme, de danger, mais aussi parce que les belligérants ne sont plus seulement les six gamins contre les Caïmans et/ou un adulte, mais deux familles dont le contentieux dure depuis des siècles. L'innocent combat pour la possession d'un espace à soi est remplacé par une guerre de clans pour tout un domaine, selon des règles plus perverses car adoptées par des adultes.
En lisant La Ribambelle en Ecosse, on ne peut qu'être troublé par le fait que des enfants y sont placés dans des situations de grandes personnes, au point de participer activement à leur conflit et de devoir le résoudre après avoir compris qu'il ne cesserait pas par la simple victoire d'une partie. Le récit n'est pas vraiment violent, mais pour le coup, c'est assez ironique de remarquer que Dupuis (et la censure) refusait des histoires de gosses des rues mais tolérait une aventure où des mouflets devenaient des soldats dans une bataille clanique, risquant à tout moment d'être écrasés par un arbre (les écossais se battant en pratiquant le "caber" (consistant à lancer des lourds troncs d'arbres ébranchés) !
Là encore, Roba se montre très efficace : tout ça se déroule sur un tempo soutenu, avec des relances dramatiques régulières, une galerie de seconds rôles bien campée, dans un cadre dépaysant et impeccablement exploité (notamment lors de scènes nocturnes aux ambiances intenses). Les dialogues donnent en outre du piment à l'ensemble, avec tous ces Mac écossais et les tonitruants cris de ralliement ("Makingdomforrrabottl' !", "Mac Kangbang forever !").
Roba expliquera qu'il avait commencé la rédaction du script avec Vicq quand celui-ci s'éclipsa subitement pendant plusieurs semaines, le contraignant à terminer l'écriture seul.

Enfin, le troisième récit est écrit par Vicq seul. Il a imaginé une histoire plus longue que les précédentes puisqu'elle aboutit à 60 planches (contre 44 pour chacune des deux autres précédentes).
L'argument repose là encore sur un thème souvent utilisé dans d'autres BD puisqu'il s'agit d'un concours auquel participent les héros (on pense évidemment à Spirou et les héritiers ou Le Repaire de la Murène), et correspond à ce qu'une revue comme Le Journal de Spirou exigeait de ses auteurs pour un jeune lectorat, avec un aspect éducatif, exemplaire. La confection d'un machine volante qui fonctionnerait grâce à l'énergie musculaire du pilote ressemble au résumé d'un défi lancé aux fans, qui n'avaient ainsi aucun mal à s'identifier à la Ribambelle.
Tout comme le premier tome, la légèreté de cette trame étonne mais Vicq accomplit de vraies prouesses en parvenant à produire une succession de péripéties accrocheuses. L'intérêt du lecteur n'est jamais déçu, on doute jusqu'au bout de la réussite de l'entreprise (à la fois du scénario et du projet des héros).
C'est l'occasion, après le voyage en Ecosse, de retrouver la Ribambelle en terrain connu, et donc confronté à leurs adversaires habituels avec les Caïmans. Tatane s'échine encore à concurrencer Archibald et n'hésite pas à le faire enlever par ses deux acolytes, mais l'ingéniosité malicieuse du petit bonhomme, plus l'intervention de ses copains et de James le majordome, a raison du garnement. Vicq en profite pour développer une intrigue secondaire en montrant comment, abusés par Archie et Phil, les Caïmans fabriquent eux aussi un avion auquel il manque un élément purement fantaisiste mais dont ils sont convaincus qu'il leur assurera la victoire.
La démonstration finale aurait mérité quelques pages de plus, mais avec 60 pages, on est quand même rassasié. De plus, La Ribambelle s'envole est clairement signalé, à la dernière page, comme le premier volet d'une aventure en deux parties (La Ribambelle aux Galopingos, dans l'Intégrale tome 2).
La maîtrise narrative de Vicq excuse l'aspect sommaire de la caractérisation car les gamins restent cantonnés à des rôles moins riches que le projet initial semblait le promettre (un dessin de Roba indique que chacun des membres de la bande était en fait d'une nationalité différente : par exemple, Grenadine devait être allemande, Phil scandinave, Dizzie hollandais).

Le dessin de Roba est merveilleusement beau. C'était un artiste qui savait représenter les enfants avec un vrai génie, en les rendant expressifs. Son trait rond est d'une prodigieuse élégance, et les looks rétro de ces héros ajoutent au charme de la série.
Le talent de Roba rend la comparaison avec la reprise de la série par Zidrou et Krings (depuis 2011, deux nouveaux albums sont parus) très cruelle pour ses successeurs : il y a une générosité, une simplicité, un raffinement exquis dans l'oeuvre originale que sa relance n'a pas réussi à reproduire, et cela tient autant à la fraîcheur des histoires qu'à la qualité du dessin.
Le traitement des décors est aussi exemplaire : comme Franquin, Peyo et les maîtres de l'école de Marcinelle, Roba savait doser les arrière-plans de telle manière que le regard du lecteur n'était jamais ralenti mais jamais frustré non plus. L'épisode en Ecosse est cet égard un modèle du genre, on s'y croirait, et pourtant tout est fait avec une économie épatante. Ponctué par des scènes nocturnes sublimes, avec des jeux d'ombres soignés, mais aussi un lettrage qui est un élément à part entière du graphisme, le récit offre son lot de pages mémorables.

Il va maintenant falloir que je mette la main sur la seconde Intégrale. En attendant, n'hésitez pas, comme moi, à vous procurer ce premier tome et (re)découvrez cette perle rare qui vous donnera le sourire comme toutes les bonnes BD méconnues.

dimanche 24 août 2014

Critique 498 : CHALAND - FREDDY LOMBARD, INTEGRALE TOME 1, d'Yves Chaland, avec Yann Lepennetier


CHALAND, FREDDY LOMBARD 1 est le premier tome de l'Intégrale de l'oeuvre d'Yves Chaland et rassemble les trois premiers albums de la série Freddy Lombard en un seul volume, publié en 1996 par Les Humanoïdes Associés.
Le premier récit s'intitule Le Testament de Godefroid de Bouillon, écrit et dessiné par Yves Chaland en 1981, et compte 29 pages.
Le deuxième récit s'intitule Le Cimetière des Eléphants, écrit et dessiné par Yves Chaland en 1984, et comporte deux histoires distinctes, de 22 et 23 pages.
Le troisième récit s'intitule La Comète de Carthage, co-écrit par Yves Chaland et Yann Lepennetier et dessiné par Chaland en 1986, et compte 46 pages.
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UNE AVENTURE DE FREDDY LOMBARD : LE TESTAMENT DE GODEFROID DE BOUILLON est le premier tome de la série, écrit et dessiné par Yves Chaland, originellement publié en 1981 par Magic Strip Edition. 
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Freddy Lombard, son ami Sweep et leur acolyte Dina tombent en panne sur la route conduisant à Sedan. Ils gagnent un restaurant où ils se mettent à l'abri d'une pluie abondante et s'offre un gueuleton alors qu'ils n'ont pas de quoi le payer. Quand l'aubergiste l'apprend, il entre dans une colère noire mais les trois aventuriers sont alors sauvés par Georges Bouillon, descendant de Godefroid de Bouillon qui les recrute pour l'aider à retrouver le trésor de son ancêtre. Ce qui parvient aux oreilles d'un autre client, Morbus, lui aussi issu d'une vieille lignée, celle d'un félon qui voulut éliminer le célèbre duc de Basse-Lorraine...
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LES AVENTURES DE FREDDY LOMBARD : LE CIMETIERE DES ELEPHANTS est le deuxième tome de la série, écrit et dessiné par Yves Chaland, publié en 1984 par Les Humanoïdes Associés.
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Dans la première histoire, Freddy Lombard, Sweep et Dina acceptent de partir en expédition en Afrique après avoir rencontré Botaxon, un collectionneur acharné de plaques photographiques, qu'il veut récupérer avant son rival Brixton. Problème : l'image qui aurait saisi le fameux Livingstone est en train les mains d'un vieux chef de la tribu des sauvages Bangobangos.
Dans la seconde histoire, alors qu'ils sont sans le sou et sur le point d'être expulsé de leur logement s'ils ne reçoivent pas une aide financière d'un oncle australien, Freddy Lombard entraîne Sweep et Dina dans une tortueuse enquête sur des meurtres commis contre d'anciens coloniaux par un assassin utilisant un poignard Bangobango.
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LES AVENTURES DE FREDDY LOMBARD : LA COMETE DE CARTHAGE est le troisième tome de la série, co-écrit par Yann Lepennetier et Yves Chaland et dessiné par Yves Chaland, publié en 1986 par Les Humanoïdes Associés.
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Alors qu'une pluie diluvienne s'abat sur Cassis, le cadavre d'une tunisienne est repêché sur la plage. Non loin de là, Freddy Lombard, Sweep et Dina sont installés dans une grotte et ramènent des bas-fonds des amphores. Une jeune femme, Alaïa, est sauvée par Freddy à qui elle a raconté être séquestrée et brutalisée par un sculpteur. Sur ces entrefaites, un vieux savant fou de Bruxelles, Auguste Piccard, émerge à bord de son son bathyscaphe. Les esprits s'échauffent dans cette ambiance de fin du monde...

Yves Chaland a traversé le monde de la bande dessinée comme un météore au début des années 80 mais l'empreinte qu'il a laissé dans la mémoire des fans est encore vivace aujourd'hui, 24 ans après sa mort. Pour ma part, je suis passé à côté de son oeuvre de son vivant et ensuite, je n'ai eu ni l'occasion ni la motivation pour m'y intéresser : tout juste ai-je gardé en mémoire la lecture du Jeune Albert, une bande comique à l'esprit très caustique, emprunté il y a un bail.
Né en 1957, Chaland a toujours été fasciné par les maîtres de la bande dessinée classique franco-belge, en particulier Joseph "Jijé" Gillain, mais doté d'un esprit acéré et d'une inspiration iconoclaste, il ne pouvait se contenter d'inscrire ses pas dans ceux de ses prestigieux mentors, préférant produire des histoires au ton décalé, aux intrigues surréalistes, traversées de références littéraires multiples.
Une des anecdotes qui a contribué à alimenter la légende Chaland fut sa tentative avortée de reprendre Spirou et Fantasio après la défection de Jean-Louis Fournier. A cette époque, sa réputation de petit prodige commençait à être bien établie et les éditions Dupuis envisageaient d'exploiter leur héros emblématique en le confiant à plusieurs équipes artistiques à la fois pour produire plus d'albums qu'un seul auteur. Seul, puis avec la complicité de Yann Lepennetier (alias Yann, qui construisait déjà sa carte de visite d'auteur au caractère bien trempé), il proposa un récit intitulé Coeurs d'acier, qui resta inachevé car finalement refusé par l'éditeur (qui préféra confier les aventures du groom au duo Nic et Cauvin avant que Tome et Janry en héritèrent, avec la réussite et la longévité qu'on sait).
Le mythe Chaland fut gravé sur les tablettes du 9ème Art avec son décès prématuré à l'âge de 33 ans, dans un accident de voiture : une sortie digne d'une vedette de cinéma. Il laissait derrière lui une oeuvre déjà abondante, très variée, depuis transformée en objet de collection.

Freddy Lombard était un personnage emblématique de la bibliographie de Chaland, qui lui a consacré cinq histoires, réunies à partir de 1996 dans deux albums parus chez Les Humanoïdes Associés, sous la direction de la coloriste de l'auteur, Isabelle Beaumenay, et d'un de ses grands fans, le scénariste et dessinateur Jean-Christophe Menu. Ces deux tomes (auxquels s'ajouteront deux autres reprenant le reste des travaux de Chaland pour composer une Intégrale complète) sont deux beaux livres, grand format, consistant, mais auxquels il manque cependant de vrais textes pour initier le néophyte, resituer les récits, leur auteur : c'est dommage qu'un effort n'ait pas été fait dans ce sens, même si Chaland aimait que ses lecteurs ne soient pas passifs, fassent l'effort de décrypter son style, n'hésitant pas à leur livrer des récits parfois déroutants autant pour tester ses propres limites que pour éprouver la faculté d'assimilation des acheteurs.

A propos du Testament de Godefroid de Bouillon, cela reste l'histoire la plus abordable de ce volume. Sa brièveté (29 pages) y est pour beaucoup, ce qui n'empêche pas une narration dense. Elle procède de dispositifs typiques de Chaland qui voulait déstabiliser son lecteur en le privant des repères habituels d'une bande dessinée de genre : Freddy Lombard se présente a priori comme une aventure policière mais prend vite des chemins détournés avec des éléments folkloriques comme la chasse au trésor (qui n'est qu'un prétexte) ou la parenthèse onirique (qui plonge tout le monde, héros et lecteur, dans un voyage dans le temps).
Ce procédé, c'est celui que Hitchcock avait surnommé le "McGuffin", c'est-à-dire un élément dramatique qui anime histoire et personnages sans qu'on sache jamais vraiment sa nature - ici, il s'agit d'un parchemin conduisant au trésor, mais ce butin existe-t-il vraiment ou n'est-il qu'un fantasme d'un noble déchu porté sur la bouteille ?). A partir de ça, Chaland s'amuse dès la page 6 et pendant les 16 suivantes à revisiter les récits chevaleresques du Moyen-Âge : une liberté narrative réjouissante, tout à fait incongrue et très tonique.

Son trio de héros n'est pas commun non plus : Chaland avait imaginé Freddy Lombard comme un bélier, toujours prêt à s'engager dans les aventures les plus farfelues en y entraînant son ami Sweep, au caractère plus ombrageux, et la belle Dina, qui n'a rien d'un faire-valoir féminin mais tient plutôt le rôle d'une modératrice, partagée entre sa solidarité (amoureuse ?) pour Freddy et sa quête de réconfort auprès de Sweep.

L'ambiance est déjà bien arrosée, au propre comme au figuré : il pleut beaucoup et le vin corrompt les esprits, deux points qui reviendront souvent ensuite et qui corsent encore davantage ce jeu de piste absurde.

A propos du Cimetière des Elephants, l'entreprise est encore plus étrange puisqu'il s'agit non pas d'une mais deux histoires distinctes rassemblées sous ce titre. Le seul point commun entre ces deux affaires : l'Afrique, ou plutôt, là encore, son fantasme.
Dans le première histoire, les trois héros se déplacent sur le continent noir et recherchent à nouveau une forme de trésor (ici, une plaque photographique où figure Livingstone). Le récit se déploie sur une trame relativement linéaire, avec son lot de rebondissements, mais surtout un détournement équivoque des clichés sur les aventures africaines telles que la BD franco-belge en a beaucoup proposé : ainsi, on trouvera dans la bouche de Freddy et Sweep des considérations sur les noirs à prendre avec du recul car Chaland voulait exprimer le point de vue de personnages des années 50, encore éduqués selon les principes coloniaux et donc estimant les africains comme des sauvages. Il faut apprécier cette distanciation pour ne pas risquer de comprendre de travers l'auteur et tenir son discours comme raciste : c'est la nuance entre la pensée d'un personnage à une époque donnée et sa retranscription par le scénariste (et non le sentiment du scénariste sur une ethnie). Aujourd'hui, plus personne n'écrirait cela sans avoir souligné préalablement l'ironie de son récit, ou alors ce serait fait avec l'intention de provoquer.
Dans la seconde histoire, on revient aux codes policiers mais sans classicisme. L'arme du crime de plusieurs coloniaux, membres d'un club, provient de la même tribu que celle visitée par Freddy et ses amis juste avant. La résolution de l'intrigue frustrera les esprits les plus rationnels, Chaland se montre encore plus moqueur, sarcastique, sale gosse, avec ses lecteurs qu'il mène en bateau à coups de péripéties délirantes, alternant séquences inquiétantes, expressionnistes, et courses folles et grotesques dans des rues enneigées. Il en profite pour indiquer que la situation sociale de ses héros est précaire, dépendante d'un mystérieux oncle Isidore du bout du monde, mais qui n'entame en rien les élans de Freddy, au grand dam de Sweep (excédé et volontiers violent) et Dina (dépassée mais plus compatissante).
Chaland glisse un hommage foutraque à Tarzan avec le personnage et les origines du concierge. C'est du grand n'importe quoi, mais terriblement distrayant et efficace. 

Enfin, à propos de La Comète de Carthage, Chaland avec la complicité de Yann vont encore plus loin (trop loin ?) dans la déconstruction. Il n'est plus l'heure pour de se poser des questions de réalisme, de tribut aux classiques : c'est, comme qui dirait, Hergé revu et (sévèrement) corrigé par Fellini. 
Il faut s'accrocher, et j'avoue que j'ai été tellement déconcerté que j'ai fini la lecture de ce récit très perplexe. Il y a à la fois de quoi être épaté par une telle radicalité dans la fantaisie mais aussi de quoi être totalement largué, au-delà de que je peux sans doute tolérer (mais sans doute aussi ai-je plus de difficulté désormais à m'abandonner à ce genre de trip).
Le scénario a d'ailleurs divisé en son temps et même encore aujourd'hui, les fans sont partagés. Pourtant, il est évident que cette histoire tenait particulièrement à coeur à Chaland qui en refit plusieurs fois plusieurs planches entre sa prépublication dans la revue Métal Hurlant et sa parution en album, mais, paradoxe suprême, c'est un souci de lisibilité qui le motiva à ces corrections alors que le résultat est d'un baroque si échevelé qu'on peine à l'apprécier clairement (mixer Euripide, Flaubert et Jijé était-il de toute manière raisonnable ?).
Le lecteur est mis à contribution, au point que Chaland paraît l'inviter à faire lui-même son livre avec les ingrédients qu'il distribue au long de ces 46 pages. Audacieux mais, à mon goût en tout cas, trop hermétique.

Heureusement, le dessin de Chaland est toujours plus clair que ses scénarios et lire les aventures de Freddy Lombard permet d'admirer le formidable talent de cet artiste. 
Ses découpages pouvaient être très simples et donner à voir des images admirablement composés, avec des lignes épurées et élégantes pour des personnages aux traits élémentaires mais néanmoins expressifs, dont l'identité n'avait rien à envier dans leur forme iconique aux plus grands héros de la BD franco-belge. Freddy Lombard a cet aspect unique des créatures qui en évoquent d'autres antérieures et plus célèbres (sa houpette est par exemple un emprunt direct à celle de Tintin) tout en possédant sa propre silhouette (un côté trapu avec son nez pointu correspond bien à son caractère, de même que Sweep possède cette rondeur au regard dur et que Dina a cette élégance datée des top-models des années 80). Les seconds rôles ont tous des trognes savoureuses, mémorables, et Chaland peut aussi, au milieu de ces figures masculines, inventer une femme fatale comme Miss Darnell.
L'autre point fort de l'artiste tient dans sa représentation des décors, qu'il expose avec force détails pour toujours parfaitement situer l'action et poser les ambiances, avec de grands jeux d'ombres dramatiques, presque hallucinés (l'attaque d'un colonial dans Le cimetière des éléphants ou les intérieurs inquiétants du sculpteur dans La comète de Carthage). 
Lors de quelques scènes puissamment rendues dans toute leur dimension angoissantes, Chaland emploie des "gaufriers" sur presque toute la page, morcelant l'évènement pour mieux désorienter le lecteur. L'effet est garanti et témoigne aussi de la préoccupation de cet auteur à raconter par l'image un récit dont il voulait trouver la perfection formelle (c'est particulièrement visible pour La comète de Carthage donc, où il a corrigé plusieurs fois sa copie, sans être satisfait puisqu'il voulait en produire une troisième version).

Ce premier tome exige toutefois un effort, et si j'avais emprunté en même temps le tome 2 (comprenant deux récits, Vacances à Budapest et F-52), j'en ai remis la lecture à plus tard. Chaland est ainsi résumable : c'était un auteur passionnant, atypique, mais dont le graphisme si accueillant dissimulait une écriture complexe, à appréhender avec mesure. 
Ce n'est pas seulement la brièveté de sa carrière qui aura fait de cet artiste un cas si spécial mais bel et bien une oeuvre peu commune dont la modernité frappe encore aujourd'hui.

vendredi 22 août 2014

Critique 497 : SPIROU N° 3984 (20 Août 2014)

Tout d'abord, j'ai dû supprimer un commentaire sur la critique (484) du n° 3982. Je n'aime pas faire ça car j'apprécie que ceux qui lisent ce blog me laisse de petits mots (et je vous encourage à le faire si l'envie vous en prend), je ne suis pas un censeur, chacun a le droit de s'exprimer et donc de ne pas apprécier ce que je raconte. En revanche, je veux que ça se fasse franchement, donc que celui qui a quelque chose à me reprocher le fasse en laissant son nom/pseudo et pas de manière anonyme. J'assume ce que j'écris et je souhaite que tout le monde en fasse autant.

A présent, reprenons le cours normal de notre programme.

La couverture met en avant le retour du Petit Spirou de Tome et Janry : légitime car il s'agit d'une histoire inédite de 7 pages, et étonnante avec ça ! Le Grand Référendum de l'été est également presque fini avec son 6ème projet.


J'ai aimé :

- Le Petit Spirou : On ne gaspille pas ! Le spin-off de Tome et Janry ne m'a pas toujours plu, je dois même avouer que je m'en suis vite détourné, et bien sûr j'aurai préféré que Dupuis laisse les deux auteurs poursuivre leur si brillant run sur Spirou et Fantasio après Machine qui rêve, mais bon.
Toutefois, j'étais curieux de retrouver le Petit Spirou et l'histoire proposée m'a séduit. Tome y manifeste une humeur qui m'a rappelé celle de Franquin envers la société de consommation, mais j'y ai vu aussi un hommage à Little Nemo de Winsor McCay. Janry aussi, ça m'a fait plaisir de revoir ses dessins, le bougre est toujours aussi bon.

- Ernest et Rebecca : La boîte à blagues 2/6. C'est toujours instructif de lire un épisode avec en préambule une interview d'un de ses auteurs, en l'occurrence son scénariste, Guillaume Bianco, qui se montre très honnête sur son rapport avec ses personnages (celui d'Ernest commence à l'encombrer) mais aussi avec la BD en général (savoir composer entre ses influences et son inspiration).
C'est une histoire toujours très efficace, et la narration parallèle entre l'aventure de Rebecca avec son grand-père et celle de sa soeur aînée Coralie avec ses fiancés est très bien menée. Les dessins de Antonio Danela sont exquis, avec un découpage très dynamique.

- Les Tuniques bleues : Les bleus se mettent au vert 5/6. Blutch et Chesterfield rentrent au camp, le dentiste demande au général de respecter sa parole... Cauvin et Lambil arrivent quasiment au terme de leur histoire, qui a eu le mérite d'être conduite sans temps mort. Je me demande comment tout ça va se dénouer. Rien de renversant dans ce récit, au niveau narratif ou visuel, mais ça a fait l'affaire.

- Mélusine. Clarke ne fait pas d'étincelles avec son gag cette semaine, mais ça demeure toujours efficace. C'est une série dont l'humilité est une des meilleures armes.

- Pinpin Reporter. Matthieu Sapin et moi partageons donc la même affection pour Charlotte Le Bon... Le gag, comme toujours "100% basé sur des faits réels", a en effet tout de l'anecdote vécue : du coup, même si c'est très faiblement dessiné, c'est marrant.

- L'Atelier Mastodonte. Mathilde Domecq poursuit la relation de son entrée dans l'atelier sur un malentendu très drôle, surtout vis-à-vis de Frédéric Niffle (le rédac' chef de Spirou). Lewis Trondheim, responsable de la situation, se  fait sarcastique avant d'être dûment châtié (décidément, la série ne l'épargne pas...).

- Pic et Zou. Pic Lelièvre nous enseigne quelques expressions dans le langage des signes. Cela (me) renvoie à la critique récente (493) que j'ai écrite sur Hawkeye #19.

- Tash et Trash. Le strip de cette semaine a des allures d'épilogue, mais il reste très drôle (et finalement, non, ce n'est pas le dernier...). / Kahl et Porth. Ce nouveau strip est prometteur, toujours dans un registre absurde et acide.

- Game Over. Patelin, Midam et Adam tricotent cinq bandes sur l'idée reçue selon laquelle les taureaux n'aiment pas la couleur rouge. Tant pis si c'est faux quand ça donne un bon gag.

- Dad. Le papa créé par Nob a froissé une de ses filles quand elle a appris qu'il avait lu son journal intime. Ses ennuis ne sont pas finis... Toujours aussi bon, aussi fin, aussi drôle, aussi bien mis en image : terminer la lecture de la revue comme ça, c'est idéal. (voir ci-dessous :)

J'ai pas aimé... Le reste, et ça ne bouge pas : Boule et Bill ; Lucky Luke ; Pierre Tombal et Les Psys ; Tamara ; Nelson (même si le dernier strip est rigolo) ; Ralph Azham ; La Petite Lucie. Le vrai souci, c'est que comparés aux autres bandes de la revue, celles-ci semblent faites par de laborieux amateurs.

En Direct de la Rédak vaut surtout la lecture pour l'interview de Tome, qui parle de l'histoire du Petit Spirou et du film à venir (pour lequel il est très enthousiaste). La semaine prochaine, les Minions de Moi, moche et méchant arrivent dans la revue.
Les Aventures d'un Journal revient sur la naissance de Boule et Bill et révèle que Charles Dupuis a été habilement piégé par Yvan Delporte pour publier la série de Roba.
Le Grand Référendum de l'été : Uchronies débiles. Ce n'est pas le projet le plus alléchant du duo Salma-Léturgie (même si le dessinateur est toujours aussi inspiré). Plus qu'un teaser avant la fin du concours.
Cartes Blanches : Une histoire vraie. James a écrit un gentil petit gag pour Fabrice Erre qui mérite visiblement bien son titre.

C'est le dernier numéro que j'achète en kiosque puisque, m'étant abonné il y a deux semaines, je recevrai directement le prochain dans ma boîte aux lettres (je l'ai même déjà reçu, 5 jours avant qu'il soit dispo chez le marchand de journaux !).

mardi 19 août 2014

LUMIERE SUR...MICHAEL LARK

MICHAEL LARK
 Black Widow
 Renee Montoya (Gotham Central)
 Rachel Cole-Alves (Punisher)
 Daredevil
 Paul Crocker (Queen and Country)
 Winter Soldier
 Hulk
 Hellfire queens
 Superman
*
Un fan a commandé à Michael Lark les deux dessins suivants
d'après ces 3 cases issues de Daredevil #108 :
Dakota North

Critique 496 : SPIROU N° 3983 (13 Août 2014)


La couverture met à l'honneur Ernest et Rebecca dont le sixième tome commence à être pré-publié dans ce numéro. Matthieu Sapin et son alter ego Pinpin Reporter s'invite aussi au sommaire.
Allez, détaillons un peu le contenu de la semaine.

J'ai aimé :

- Ernest et Rebecca : La boîte à blagues 1/6. Voilà encore une série que je connais à peine, je n'en avais lu qu'une partie dans le recueil n°330, mais j'avais été séduit. L'héroïne est une gamine de 6 ans qui a été malade et s'est fait un ami de son virus, Ernest. A présent, c'est son grand-père, Pépé Bestiole, qui est hospitalisé et la petite a suivi son père en douce pour lui rendre visite en espérant le sauver.
Les BD avec des mômes sont peut-être celles que je redoute le plus car peu d'auteurs savent bien les conduire, mais Guillaume Bianco a eu la bonne idée de faire de Rebecca une fillette au caractère bien trempée et de montrer comment la franchise d'un enfant ne s'embarrasse pas des politesses sociales. Le sujet a beau être grave, il est traité avec énergie et fantaisie. Le dessin de Antonello Dalena (avec les couleurs superbes de Cecilia Giumento), tout en rondeur, très expressif, vient de chez Disney (où il était character designer) et ses planches sont très toniques. C'est prometteur.

- Les Tuniques bleues : Les bleus se mettent au vert 4/6. Blutch et Chesterfield trouvent enfin un agriculteur qui leur donnent des fruits et légumes comme à deux soldats confédérés. Manque de bol, l'un d'eux est un de leurs vieux ennemis et va les entuber...
Cauvin et Lambil arrivent à la 35ème page de leur histoire et la font rebondir de manière salutaire. L'aventure est toujours aussi peu spectaculaire mais réussit à rester intéressante.

- Mélusine. Clarke est toujours aussi en forme et son gag hebdomadaire est savoureux, avec une chute très efficace. C'est une vraie "feel good" BD dont je ne me lasse pas.

- Adeline : Bisous d'été. Alex Lopez anime une héroïne adolescente qui, en vacances à la plage, tente, tout en surveillant son petit frère, d'attirer l'attention d'un trio de garçons, mais gare aux vagues ! Le dessin très volubile de l'auteur compense la minceur de son gag en 4 pages, mais le résultat est marrant. Il suffirait juste d'un peu plus de consistance au récit pour que ça soit vraiment excellent.

- Rob. James et Boris Mirroir reviennent avec deux nouvelles paires de strips toujours aussi bien inspirés. Le dessin sert à merveille cet humour absurde et presque dépressif.

- Pinpin Reporter. Matthieu Sapin est un auteur au sujet duquel j'ai lu tout et son contraire (considéré aussi bien comme très bon - avec Paulette Comète, avec Rossi - que très nul), mais la page qu'il livre là, revenant sur la précarité des bédétistes et aussi la relation parfois malhonnête qu'en font les médias, est excellente, malgré un dessin très faible.

- L'Atelier Mastodonte. Cette semaine, ce sont Alfred et Mathilde Domecq qui s'y collent, et c'est toujours aussi drôle. Le premier gag avec les chiens s'adresse peut-être trop aux initiés, qui connaissent les visages de plusieurs auteurs cités. Mais le second, égratignant à nouveau Lewis Trondheim, est plus accessible et révèle les talents de scénariste-dessinatrice de Mathilde Domecq (qui est d'abord coloriste).

- Game Over. Patelin, Midam et Adam ont fait mieux, mais leur gag reste tout de même redoutablement efficace.

- Tash & Trash. Dino délivre un gag en trois cases toujours aussi absurde et marrant. L'effroyable voyage de ses deux créatures est un petit bijou.

- Dad. Comme d'habitude, Nob conclut le numéro avec, à nouveau, une merveilleuse planche. Il y a du génie chez cet auteur qui en 11 cases développe une situation a priori anodine mais qui se retourne de façon jubilatoire contre son pauvre héros. C'est vraiment un joyau (visible ci-dessous).


J'ai pas aimé... Ben, en fait, un peu toujours la même chose. Encore deux planches navrantes de Lucky Luke. Encore Les Psys de Cauvin et Bédu, et quand vous n'en avez pas assez de l'humour pas drôle de Cauvin, y en a encore avec Cédric ! Boule et Bill, Tamara, Nelson (qui est quand même très inégal, avec un dessin très pauvre), Ralph Azham, Cramés... Tout ça n'est pas fameux : ça ne plombe pas la revue, qui compte assez de bonnes choses par ailleurs, mais je suis sûr que Dupuis pourrait trouver autre chose à placer.

En direct de la rédak comporte plein de bonnes choses cette semaine : la série Seuls (de Vehlmann et Gazotti) va être adapté au cinéma par David Moreau ; le prochain tome de Spirou et Fantasio (par Vehlmann et Yoann) commencera à être pré-publié dès le 3 Septembre ; Tebo nous offre une réponse désopilante à la question d'un lecteur...
Le Grand Référendum de l'été : Dans tes rêves. Salma et Léturgie propose leur 5ème teaser, un projet sf très excitant, avec une nouvelle fois un dessin sensationnel. J'ignore quel projet gagnera mais ils sont (presque) tous excitants.
Les Aventures d'un Journal revient sur une magnifique fausse pub imaginé par Tillieux ("la pipe Steve McKing"), dont l'histoire révèle un quiproquo étonnant.

Ah, et Le Petit Spirou fait son retour dans le prochain n° !

lundi 18 août 2014

Critique 495 : TEXAS COWBOYS, TOME 2, de Lewis Trondheim et Matthieu Bonhomme


TEXAS COWBOYS, TOME 2 rassemble les épisodes 10 à 18 de la série, écrits par Lewis Trondheim et dessinés par Matthieu Bonhomme, publié en 2014 par Dupuis.
Il est préférable d'avoir lu le tome 1, rassemblant les 9 premiers épisodes, auparavant.
*
 
 
 
 (Extrait de Texas Cowboys  #10.
Texte de Lewis Trondheim, dessins de Matthieu Bonhomme.)

Le journaliste Harvey Drinkwater quitte à nouveau Boston pour regagner le Texas où son ami Ivy Forest le demande. Devinant que des ennuis l'attendent, le jeune homme se prépare à un retour agité, et il a raison puisque Frank Jackson et d'autres anciens acolytes du bandit Sam Bass tiennent en otages le frère et les deux soeurs de Forest afin de piéger et faire payer Drinkwater, tenu pour responsable de la mort du chef de gang.
Mais à Fort Worth, d'autres personnages assurent le spectacle et alimentent des intrigues, comme Butch La Framboise (un bagarreur aussi provocateur qu'invincible), Ricky Philips (le nouveau shériff qui en veut aussi à Drinkwater depuis l'assassinat de son beau-père), Jim Courtright (le marshall qui tient en respect toute la région), Mrs Cooper (la propriétaire d'un troupeau qui doit négocier avec un nouvel acheteur de bétail), Jossam et Sophia Carpenter (le contremaître de Mrs Cooper qui refuse que sa fille épouse un cowboy), et même Wyatt Earp et ses frères (qui viennent de pacifier OK Corral).
Tout ce beau monde va se croiser sur fond de règlements de comptes, de chasse au trésor, de romance, de match de boxe anglaise : de quoi fournir de nombreuses idées d'articles pour Harvey Drinkwater, s'il survit au voyage...
 
2 ans après avoir produit les neuf premiers épisodes de leur western, le duo formé par le prolifique Lewis Trondheim et le talentueux Matthieu Bonhomme remet ça. Ce nouveau volume de Texas Cowboys a été prépublié dans le supplément pour les abonnés de Spirou depuis l'automne 2013, et il est préférable d'avoir lu les précédents chapitres pour apprécier cette suite.

Ceux qui, comme moi, avaient aimé le premier tome ne seront pas déçus par celui-ci. On y retrouve les ingrédients principaux qui firent le nectar de l'album original avec une lecture à la fois respectueuse et subtilement décalée des codes du western.
La première singularité du projet tient dans le fait que le héros est non pas un cowboy traditionnel, un aventurier, un pistolero, un soldat ou un outlaw, mais un journaliste qui cherche d'abord au Texas de la matière pour ses articles. Après un premier voyage au cours duquel il a dû s'adapter à ces contrées hostiles, il y retourne aguerri et sachant qu'il devra en découdre avec des individus qui ont de sérieux contentieux avec lui (d'un côté, un ancien lieutenant de Sam Bass, bandit de grand chemin dont il avait infiltré le gang ; et de l'autre, Ricky Philips, le nouveau shériff de Fort Worth qui a juré de lui faire payer la mort de son prédécesseur et beau-père). Le personnage a donc évolué, ce n'est plus un pied-tendre mais cela ne lui enlève en rien son charme.
Toujours flanqué d'Ivy Forest, Harvey Drinkwater va rencontrer d'autres figures locales, qui, chacune, vivent leur propre histoire. Trondheim démontre son talent pour créer et animer des seconds rôles immédiatement mémorables et contrastés, favorisant des personnalités truculentes ou étranges mais toujours charismatiques. Le scénariste sait donner à cette galerie un relief jubilatoire, n'hésitant pas à faire bifurquer le récit dans des aventures annexes pleines d'imagination. L'exemple le plus notable est celui de Thomas Woodham, un ancien soldat sudiste qui est manchot et qui, contre un verre, raconte comment il a perdu son bras, mais en changeant à chaque fois de version (sur un champ de bataille, lors d'une fusillade en ville, en poursuivant l'amant de sa femme, en étant piégé dans une mine par des indiens...).
Mais Trondheim invente aussi dans ces nouveaux épisodes un personnage ahurissant qui vole la vedette au duo Drinkwater-Forest : il s'agit de Butch La Framboise, dont le nom suffit déjà à indiquer le caractère exceptionnel. Cherchant en permanence la bagarre, c'est un colosse redoutable, absolument imprévisible et invincible, qui menace d'abord Drinkwater avant de devenir son complice. La fin du 18ème chapitre annonce que si Texas Cowboys connaît un troisième volume, il faudra compter avec lui (ce qui annonce de nouveaux grands moments humoristiques).
Auparavant, la série souffrait toutefois de son peu de personnages féminins, même si Betsy Marone était remarquable. Cette fois, Trondheim a rectifié le tir en donnant deux beaux rôles au beau sexe. D'un côté, il y a  Sophia Carpenter, une jeune femme dont le père contremaître s'oppose à ce qu'elle soit courtisée par des cowboys. De l'autre, il y a la charismatique Mrs Cooper, une femme à poigne, qu'on jurerait inspirée par Joan Crawford (Johnny Guitar), belle et affranchie. 
Enfin, en arrière-plan, le scénariste s'amuse à caser Wyatt Earp et ses frères, ce qui inscrit son récit dans la véritable histoire du western (comme ce fut le cas dans les ultimes tomes de Blueberry, écrits et dessinés par Jean Giraud, avec la trilogie Mr Blueberry-Ombres sur Tombstones-Dust). Trondheim n'en abuse pas, estimant sans doute (mais avec raison) que jouer avec la légende du far-west nécessite qu'on la tienne à distance pour lui conserver sa saveur.
La narration est à la fois fluide et complexe, jouant sur des retours en arrière, la relation d'une même scène selon différents points de vue, jonglant avec un casting abondant, mais comme pour le premier tome, celui-ci reste toujours limpide et cette structure sophistiquée ajoute en fait au plaisir de la lecture.

Au dessin, Matthieu Bonhomme retrouve donc pour la troisième fois Lewis Trondheim (après leur récit complet fantastique Omni-visibilis et le premier Texas Cowboys). 
Cet artiste, qui est lui-même également un auteur complet (avec sa série Esteban) et qui a déjà exploré des genres très variés (la fable initiatique avec Messire Guillaume : L'esprit perdu, le polar médiéval avec Le Marquis d'Anaon), a expliqué s'être engagé dans cette suite en sollicitant quelques défis à son scénariste (notamment des scènes plus violentes). De fait, il a l'occasion d'imaginer visuellement certains passages gratinés (principalement lors des confessions de Thomas Woodham) et s'en acquitte avec brio mais sans complaisance.
Pour illustrer cette histoire, Bonhomme a la bonne idée d'appliquer un découpage très simple, à base de "gaufriers" de six cases, un procédé qu'il ponctue parfois avec une ou deux bandes complètes, voire exceptionnellement lors d'un chapitre par un plan large occupant l'espace de deux bandes. Cet exercice impose à celui qui s'y prête une grande rigueur dans la construction de la planche elle-même et la composition des plans à l'intérieur d'un cadre toujours égal, et le dessinateur maîtrise parfaitement son sujet sur ce point.
Un autre des nombreux talents de Bonhomme est son sens des ambiances, avec des ombres portées superbement traitées, mais aussi une colorisation volontairement sommaire (avec une palette réduite à six-sept couleurs principales). Ce dernier point souligne l'aspect propre des "dime novels" dont se réclame Texas Cowboys, ces fascicules bon marché imprimés sur du papier de mauvaise qualité, comme pourraient l'être les récits écrits par Harvey Drinkwater.
Tous les personnages sont dotés de gueules extraordinaires, des trognes inoubliables et inspirées pour les hommes, mais aussi de superbes créatures féminines avec de l'allure et du charme. C'est vraiment remarquable.

Si vous n'avez pas pu dégoter les suppléments dans Spirou, rassurez-vous, vous n'attendrez pas longtemps pour lire le recueil de ces 9 nouveaux épisodes qui sera disponible dès le 29 Août prochain. Ne passez pas à côté (et profitez-en pour vous procurer le tome 1 si ce n'est déjà fait, d'ici là).
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Et, pour la bonne bouche, ci-dessous les couvertures des 9 épisodes :