lundi 4 août 2014

Critique 489 : JERÔME K. JERÔME BLOCHE, TOME 23 - POST MORTEM, de Dodier


JERÔME K. JERÔME BLOCHE : POST MORTEM est le 23ème tome de la série, écrit et dessiné par Dodier, publié en 2012 par Dupuis.
*
Jérôme doit cette fois gérer deux dossiers délicats : le premier implique son ami, le curé Arthur, pris pour un maître-chanteur par plusieurs de ses paroissiens ; et le deuxième concerne sa fiancée, Babette, dont le père, présumé mort, vient de resurgir, sans le sou, dans sa vie.
Qui peut bien réclamer des sommes exorbitantes aux habitués de l'église, tout ça pour restaurer l'orgue du bâtiment, en exigeant des paiements de rançon en chèque ? Pour Jérôme, il est clair que les victimes reprochent à Arthur de les menacer de trahir le secret de la confession pour leur extorquer cet argent.
De l'autre côté, les retrouvailles entre le père et sa fille sont glaciales car l'homme, bien qu'atteint d'un cancer, a abandonné femme et enfant il y a plusieurs années, les laissant avec des dettes colossales à cause de commerces douteux. Babette le fiche rapidement à la porte et se fâche avec Jérôme après qu'il ait tenté de jouer les médiateurs.
Il faudra encore toute son intuition au détective pour démêler ces deux situations, dont les responsables sont peut-être liés...

Alain Dodier n'aura pas attendu longtemps pour corriger le tir après un 22ème (Mathias) tome un peu décevant sur le fond. Pour cela, il a su revenir aux fondamentaux de sa série, signant un opus peut-être classique, mais plus solide, en tout cas plus abouti.
Comment cela se traduit-il ? Une des richesses du titre, c'est la galerie de seconds rôles autour du héros et sa capacité à y introduire des éléments occasionnels pour alimenter les intrigues. Parfois, ces personnages de passage appartiennent à l'entourage de Jérôme (comme son oncle, sa tante, sa grand-mère, des amis d'enfance), mais jusqu'à présent Dodier n'avait pas pas creusé celui de Babette : c'est donc une addition notable que de présenter le père de la fiancée du héros, et par conséquent d'en dire un peu plus sur sa famille.
On apprend ainsi que Babette s'appelle Elizabeth Kalouguine, qu'elle a perdu sa mère d'un cancer, et que son père les a abandonnées toutes deux après avoir échoué dans plusieurs affaires. Ces quelques pièces au dossier de la jeune femme nuancent grandement son personnage, doté désormais d'un vrai passé, de blessures intimes. Cela prépare-t-il une future aventure où on apprendra aussi comment elle et Jérôme se sont rencontrés et ont commencé à s'aimer pour former un couple ?
Dodier utilise tout cela pourtant au second plan car la nouvelle enquête de Jérôme s'avère complexe. Là encore, l'auteur se sert d'un personnage secondaire pour l'amorcer, avec Arthur le curé. Le scénario ménage jusqu'au bout le suspense sur l'identité et le mobile du maître-chanteur et plus encore de son complice, le lecteur est donc comme souvent dans la même position que le détective, suspectant, cherchant, hésitant, tâtonnant, tout en remarquant des coïncidences troublantes (ici, géographiquement regroupées avec le square de Clignancourt).
On découvre dans cet épisode un Jérôme volontiers plus taquin, qui asticote son ami Arthur en le considérant presque comme un suspect, révélant son passé de boxeur (ce qui lui vaut un échange musclé, mais hors champ, avec une victime du maître-chanteur). Mais au fond, le héros reste une bonne patte, dont la bienveillance n'est pas toujours bien récompensée (Babette le boudera pour avoir essayé de défendre son père et le père de Babette lui collera un oeil au beurre noir, sans parler du maître-chanteur qui l'assommera : Dodier continue de rudoyer son détective), mais qui sait prendre les choses avec philosophie.   
En tout cas, l'auteur a su renouer avec une vraie fraîcheur, ce qui n'est pas un mince exploit au bout de 23 tomes et 31 ans d'existence.  

Visuellement, l'album confirme l'évolution sensible du dessin de Dodier qui s'est affiné et épuré : son trait, ses compositions sont un savant mélange entre l'essentiel (par exemple, il n'utilise aucune hachure pour suggérer les volumes, et bien que ses images évoquent une ligne claire, il s'en démarque en continuant à ombrer ses plans). 
Cette simplification ne signifie pas du minimalisme comme en attestent le soin toujours remarquable avec lequel il représente les décors, notamment les extérieurs d'une précision fabuleuse, mais aussi les intérieurs, parfaitement alignés sur le style et le train de vie des personnages, ou les looks des protagonistes, des mémés au médecin à la rondeur contrastant avec le caractère sanguin en passant par le père de Babette qui est une sorte de faux clochard.
Cette attention aux détails, à l'expressivité, permet à Dodier de découper ses 52 planches d'une manière très classique, voire même académique, avec une abondance de "gaufriers" sans lasser le lecteur, qui est au contraire saisi par la fluidité de la mise en images.

Maintenant, il ne reste plus qu'à attendre quelques semaines pour découvrir le 24ème tome, intitulé L'ermite, pré-publié ce printemps dans les pages de Spirou, et qui devrait entraîner Jérôme Bloche dans une enquête hors de Paris.

1 commentaire:

Ulysse a dit…

Que Babette s'appelle Élisabeth (pas Elizabeth) Kalouguine, nous le savions depuis la première planche de L'Absent : relisez l'adresse de la carte postale…
Magnifique série d'articles sur une magnifique série BD.