mercredi 6 août 2014

Critique 490 : JOHAN ET PIRLOUIT, TOME 7 - LA FLECHE NOIRE, de Peyo


JOHAN ET PIRLOUIT : LA FLECHE NOIRE est le 7ème tome de la série (et la 12ème histoire), écrit et dessiné par Peyo, publié en 1959 par Dupuis.
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Le Royaume est la cible d'attaques répétées par une bande de voleurs qui pillent les convois partant du château du Roi. Ce dernier décide de faire escorter les marchands mais rien n'y fait, les malfrats frappent toujours en emportant leur butin. C'est à croire qu'ils sont prévenus des déplacements de leurs futures victimes et des troupes qui les accompagnent...
Le Roi confie par ailleurs une mission à Johan et Pirlouit en leur demandant d'aller chercher une coupe en or qu'il a fait ciseler par un orfèvre à Boursval et qui sera remise au vainqueur du tournoi qu'il organise dans une semaine.
En chemin, lors d'une halte, Pirlouit, parti chercher du bois, s'en prend à deux hommes qui en agresse un troisième. Celui-ci pour le remercier le conduit tout droit au camp des voleurs dont il fait partie ! Pirlouit introduit Johan comme son complice afin de profiter de la situation pour mettre fin aux agissements de la bande. Ils apprennent rapidement qu'effectivement un complice au château du Roi les avertit au sujet des convois. Mais qui est ce traître ?
Les deux héros sont cependant démasqués après avoir découvert que le chef des voleurs en veut à Messire de Tréville qui va participer au tournoi. Arriveront-ils à sauver le chevalier tout en stoppant les brigands ? 

C'est mon 600ème article, et ma 490ème critique, et même si je n'y avais pas fait attention, si je n'avais rien prévu de spécial pour la circonstance, je suis content de fêter ça avec une bande dessinée que j'ai aimée.
Pourtant, je dois avouer que je connais mal l'oeuvre de Peyo (alias Pierre Culliford), un des grands noms de "l'école de Marcinelle" (comme Jijé, Franquin, Morris, Roba, etc), d'abord parce que je n'ai jamais été client de ses Schtroumpfs, les personnages qui ont formé l'oeuvre majeure de cet auteur au point de devenir un phénomène, au-delà de l'édition, comme Astérix ou Tintin. J'avais lu, il y a fort longtemps, quelques albums de Johan et Pirlouit, série dans laquelle sont justement apparus en premier les Sctroumpfs, mais sans en garder un souvenir précis. Puis j'ai eu l'occasion d'emprunter deux tomes ce mois d'Août (les 7 et 13)...

Peyo était un ami d'enfance de Franquin et quand tous deux devinrent des bédétistes, le second permit au premier d'entrer chez Dupuis en casant ses premières pages dans "Le Journal de Spirou" puis en lui prodiguant quelques conseils avisés pour le dessin. Plus tard, Franquin exprima toute l'admiration qu'il avait pour le travail de Peyo, dont il louait entre autres le génie de la composition en expliquant que c'était le meilleur dans ce domaine (il disait ainsi qu'en collant une planche de Peyo sur un mur et en reculant de cinq pas, on pouvait apprécier tout ce qui s'y trouvait, avec une lisibilité parfaite). C'était là sans doute un enseignement retenu de ses années passées dans l'animation (où il débuta comme Franquin et Morris dans les années 40).

La Flèche Noire a commencé à paraître dans "Le Journal de Spirou" en 1957 et indique des évolutions notables dans le style de son auteur : d'abord, il y modifie son lettrage (avec des lettres en minuscules au lieu des traditionnelles majuscules afin d'être lues par les plus jeunes qui les apprennent en premier à l'école). C'est aussi à partir de cette histoire qu'il découpe différemment ses pages en abandonnant des "gaufriers" de 12 cases au profit de vignettes de formats différents (selon l'action).

L'idée de l'intrigue n'est pas nouvelle pour Peyo, il a recyclé un récit qu'il avait placé dans "Le Soir" sous le titre de L'attaque du château, dans laquelle un traître profitait déjà de la nuit pour informer ses complices des mouvements extérieurs à venir. Grâce au personnage de Pirlouit, qui n'est apparu que dans le tome 3 de la série (Le Lutin du Bois aux Roches), Peyo a l'opportunité de développer davantage ce récit en articulant mieux le suspense et en y injectant de l'humour.
C'est ainsi qu'un fil rouge traverse l'aventure lorsque Pirlouit achète pour un écu (prêté par Johan) une guitare et fournit un gag récurrent, puisque le compagnon de l'écuyer est aussi piètre musicien que chanteur. En soi, ça n'a l'air de rien (ou en tout pas grand-chose), me direz-vous, sauf que cette idée inspirera Goscinny et Uderzo pour la création du barde Assurancetourix dans Astérix !

Tout au long des 44 planches de La flèche noire, on n'a pas le temps de s'ennuyer : le récit est admirablement construit, entre l'infiltration accidentelle de Johan et Pirlouit dans le "gang" des voleurs, le mystère autour de l'identité du (ou des ?...) traître(s) dans le château du Roi, le sort réservé à Messire de Tréville, le tournoi (présenté dans un plan d'ensemble, occupant l'espace de deux bandes, et effectivement fabuleusement disposé - la suite de la séquence est d'ailleurs un vrai morceau de bravoure où Peyo orchestre l'action avec un dynamisme sensationnel).
Le casting est abondant mais chaque protagoniste est bien caractérisé, à commencer par le tandem des héros car si Pirlouit est un personnage comique et énergique, Johan, bien qu'incarnant la figure du valeureux chevalier, est une figure dont la position est très intéressante : en effet, quand Peyo lança la série, ce n'était qu'un page, c'est-à-dire un jeune noble placé auprès d'un seigneur (le Roi) pour y apprendre le service d'honneur et le métier des armes, et il est ensuite devenu un écuyer et un des hommes de confiance du souverain, mais aussi le maître de Pirlouit, dont il doit subir les plaisanteries (et les chants) tout en profitant de sa débrouillardise et de sa loyauté. Arrivé à ce 7ème tome, Johan et Pirlouit forment une paire bien complémentaire, aussi bien rodée que les meilleurs binômes de la bande dessinée de l'époque.

Le trait rond, d'une clarté et d'une élégance imparables, de Peyo rappelle à chaque page combien cette bande dessinée d'alors, pour tout public, servait des histoires denses et énergiques. L'artiste eût pourtant souvent fort à faire avec la censure (de son éditeur et des bien-pensants communistes et catholiques qui veillaient sévèrement sur les publications pour la jeunesse d'alors) car en situant sa série au Moyen-Âge, il montrait un monde volontiers violent et donc des personnages et des situations en relation. Aujourd'hui, bien sûr, ce qu'on lit là apparaît bien inoffensif, mais se rappeler du contexte permet aussi de mesurer l'ingéniosité d'un auteur face aux contraintes.

Quel régal et quelle leçon que de relire ces classiques, qui fournissent aussi l'occasion de (re)découvrir une série éclipsée par l'autre titre qui fit la gloire de son auteur !  

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