mercredi 31 mars 2021

BATMAN/CATWOMAN #4, de Tom King et Clay Mann


Batman/Catwoman est au premier tiers de sa publication et enfin sa narration semble devenir plus captivante. Tom King a voulu avec ses nouveaux projets actuels se détacher de ses précédentes oeuvres, mais sans convaincre vraiment (hormis pour le magistral Rorschach). Intention qui se convertit dans ce quatrième épisode où une des trois époques explorées prend le dessus. Visuellement, en revanche, Clay Mann est toujours au top, enchaînant les pages plus sublimes les unes que les autres.


Le Passé. Alors qu'ils se préparent pour une soirée chic, Selina révèle à Bruce que le Joker a posé une bombe sous la patinoire de Gotham. Le dispositif doit se déclencher dans vingt minutes. Bruce part la désamorcer en laissant à Alfred Pennyworth le soin de trouver une excuse auprès de leurs hôtes.


Batman trouve la bombe à l'emplacement indiqué et la désamorce. Il lui reste à apprendre comment Catwoman disposait de cette information, et donc où se cache le Joker. Mais Catwoman refuse de livrer sa source - sachant que si elle avoue, le Joker dénocera à Batman ses précédents cambriolages.


Le Présent. Après leur combat dans le manoir Wayne, Selina se réveille dans le repaire de Phantasm (Andrea Beaumont). Celle-ci se trouve devant un mur d'écran sur lequel apparaîssent les visages de son fils et du Joker. Elle relâchera Selina si elle lui dit où Batman cache le clown.


Le Futur. Batwoman (Helena Wayne) est convaincue que la mort du Joker est liée à sa mère, Selina Kyle. Elle interroge, violemment au besoin, des anciens complices du Joker, comme le Pinguoin, pour connaître les liens qui existaient encore entre le clown et Selina.

L'avantage des mini-séries en douze épisodes est qu'elle oblige leur auteur à structurer leur intrigue en quartiers. On s'attend à ce que, passé un certain nombre d'épisodes, le scénariste nous fournisse des informations qui font progresser le récit et nous captive suffisamment pour avoir envie de continuer notre lecture. Tom King, qui n'aime rien tant que ce format, le sait et ne déroge pas à la règle.

Toutefois avec Batman/Catwoman, sa narration est plus complexe et surtout plus fragmentée puisqu'elle déroule en parallèle trois époques. Il ne s'agit pas comme dans Strange Adventures de suivre les actes de Adam Strange dans son passé sur Rann et dans le présent sur Terre, ou comme dans Rorschach de noter les échos entre le passé de Wil Myerson et Laura Cummings avec l'enquête du Détective. Il y a une "couche" supplémentaire à prendre en compte et qui morcelle le récit un peu plus.

C'est ce qui m'a beaucoup gêné jusqu'à présent car cela décomposait chaque épisode en une succession de scènes très brêves où on passait du passé au présent et au futur, parfois dans une même page. J'étais dérangé par cela car je trouvais que cela empêchait de s'attacher aux personnages et aux faits décrits, comme si on ne faisait que les survoler. A mon humble avis, avec ce dispositif, King fonçait dans un mur, écrivant une histoire audacieuse sur le plan narratif mais à incapable de produire une émotion.

Sans crier trop vite victoire, il me semble qu'avec ce nouvel épisode, la série devient plus équilibrée. Et cela parce que, pour la première fois depuis le début, King a donné un peu plus de place à une des temporalités du récit, ce qui permet de mieux l'apprécier et avec, d'en savourer les conséquences.

Batman/Catwoman est une BD curieuse dans la mesure où King semble défaire ce qu'il a si patiemment construit durant son run sur Batman, à savoir la relation de couple des deux héros. Ici, il est entendu que Catwoman a menti à Batman au sujet de sa relation avec le Joker, que le Joker en profite pour la faire chanter, mais que Batman en fin limier devine que quelque chose cloche et va finir inévitablement par demander des comptes à Catwoman. En même temps, on voit que Selina Kyle et Bruce Wayne sont restés ensemble jusqu'à la mort de Bruce, qui a libéré Selina de sa promesse de ne plus tuer. Mais en éliminant le Joker, c'est sa fille qui se met à douter de sa mère, enclenchant un nouveau cycle sur le thème du mensonge et de la confiance.

Quel que soit le point où King veut en venir (et il reste encore huit numéros pour le découvrir), cet épisode est indéniablement plus agréable à lire parce qu'il fait des scènes du passé les plus mémorables (sinon les plus longues), bref il remet les fondations de l'intrigue au centre de la série. Selina a appris, dans le précédent épisode, par et que le Joker allait commettre un attentat à la bombe. Si elle le révèle à Batman, elle sauve des vies mais sait aussi que Batman lui demandera ensuite comment elle a eu cette info, et in fine si elle sait où se cache le Joker. Si elle ne dit rien, elle est la complice du Joker, mais elle s'assure aussi que le Joker ne révèlera jamais à Batman que Catwoman continue de commettre des cambriolages (alors qu'elle a juré y avoir renoncé).

Bien entendu, Selina informe Batman. Bien entendu, une fois le danger écarté, Batman va interroger Catwoman. Bien entendu, Catwoman refuse de lui répondre. L'épisode se clôt sur une séparation des deux héros. Ce segment est passionnant, il souligne fortement le dilemme de Catwoman, à laquelle, plus que jamais, la série est vraiment consacrée. Cela se confirme dans les deux autres époques du récit puisqu'au présent, Selina est désormais captive de Phantasm, qui veut lui arracher l'adresse où Batman garde à l'abri le Joker ; et au futur, Selina comprend que sa fille interroge ses anciens acolytes pour savoir quels liens l'ont unie au Joker jusqu'à la mort de celui-ci.

En remettant Catwoman au coeur de son ouvrage et le passé au centre de l'intrigue, tout fait clairement plus sens et acquiert une intensité plus nette. King serait bien inspiré de continuer à procéder de la sorte, non pas en négligeant les autres époques, mais en écrivant ses épisodes en favorisant une ère à chaque fois de manière à ce que le lecteur ait moins l'impression d'assister à un zapping frustrant, une espèce d'exercice de style froid.

Catwoman en première ligne, c'est aussi pour le lecteur le plaisir de voir Clay Mann la dessiner davantage. Il ne s'agit pas de rincer l'oeil, même si l'artiste la représente magnifiquement, jeune femme dans toute l'éclat de sa séduction, la subtilité de ses émotions, l'autorité de sa maturité. Mais surtout parce que Mann sert formidablement ce portrait passionnant d'une anti-héroïne tiraillée entre son passé et son avenir, l'homme qu'elle aime et celui qui se sert d'elle, ses fautes de vilaine et son désir de se racheter, son rôle d'amante, de femme et de mère.

Rarement, en effet, on a pu lire une série sur un personnage comme Catwoman avec cette finesse d'exécution dans le dessin. Mann a investi Selina Kyle dans toutes ses dimensions, iconique, mais aussi profondément humaine. En comparaison, Batman devient presque banal, une silhouette plus vague ou figée, marmoréenne. Le Joker n'apparaît pas dans cet épisode et du coup le contraste se fait encore plus fort : Catwoman est la vraie conductrice du récit, celle qui subit et (ré)agit. Phantasm souffre aussi de la comparaison parce que sa mission est plus simple et radicale (la mère qui veut venger son enfant). Quant à Helena/Batwoman, tout reste à dire sur elle : le design de sa tenue super-héroïque reste calamiteux, une faute de goût étonnante, et son parcours est assujetti à celui de sa mère (c'est, franchement, le personnage sur lequel King va devoir le plus prouver).

Il y a du mieux, incontestable, dans cet épisode. Batman/Catwoman sera évidemment plus appréciable comme lecture en recueil, et j'avoue avoir hésité à poursuivre la série entre le mois dernier et ce numéro, pour justement attendre d'avoir la totalité du récit en main. Mais j'espère que ce rebond se confirmera.

vendredi 26 mars 2021

CATWOMAN #29, de Ram V et Fernando Blanco


Ram V revient à sa version actuelle de Catwoman après l'intermède Future State. Il renoue aussi avec son dessinateur, Fernando Blanco. L'habilité des deux partenaires leur permet de revenir sur le titre comme s'ils l'avaient quitté le mois dernier et surtout au lecteur de s'y retrouver sans aucune difficulté. L'intrigue qui démarre est haletante et promet beaucoup pour la suite.


Alleytown, Gotham. Au Nid, le détective du GCPD Dean Hadley est reçu par Selina Kyle à qui il remet un dossier sur une affaire qui est susceptible de l'intéresser et où elle pourrait l'aider. Une fois son invité parti, Selina se plonge dans le compte rendu et reconnaît un logo...


Ailleurs, à Gotham. Des laborantins s'activent autour d'un réservoir vitrée dans lequel se trouve, sans connaissance, Poison Ivy, et l'un d'eux, au téléphone, confirme que son équipe a réussi à synthétiser une drogue à partir de leur prisonnière. Il reçoit l'ordre d'incinérer Ivy.


La nuit venue, Catwoman enquête et se rend chez le Sphinx. Elle pénètre dans son appartement par effraction et trouve sur un document le logo qu'elle a reconnu dans le rapport d'enquête de Hadley. Mais dans la pièce voisine, Edward Nygma est aux prises avec une mystérieuse tueuse.


Catwoman intervient et permet, difficilement, au Sphinx de fuir. Elle le suit et essuie des tirs de fusil avant de semer la tueuse. Nygma et Catwoman se jettent dans la baie et se mettent à l'abri. Le Sphinx sort de l'eau, blessé par balles, et avoue à Catwoman que Poison Ivy a été enlevée...

Le premier arc de Catwoman écrit par Ram V fin 2020 a permis de constater que ce scénariste avait spectaculairement redressé cette série après le run calamiteux de Joelle Jones. En quelques épisodes, sous l'influence assumée de Ed Brubaker (dont il est fan), Ram V a donné un nouvel élan au titre grâce une intrigue efficace, qui a également resitué le rôle de son héroïne tandis qu'elle et Batman font une pause pour éprouver leurs sentiments.

Catwoman est devenue une sorte de protectrice de Alleytown, le quartier où elle a grandi et où elle s'est établie avec sa soeur Maggie. Elle recueille dans le Nid, un immeuble qu'elle a acquis en escroquant le Pingouin, des enfants à la rue. Elle a également dû imposer sa loi à plusieurs gangsters qui profitent de la misère de l'endroit pour faire prospérer leurs traffics. Dans l'ombre, un tueur, recruté par Oswald Cobblepot (le Pingouin), le Père Vallée veille sur Catwoman en attendant de l'éliminer car il ne veut pas qu'un autre le fasse. Enfin, un flic, Dean Hadley, qu'elle a croisé lors de son séjour à Villa Hermosa, n'hésite pas à composer avec elle pour assainir ce coin de la ville, couvert par des policiers corrompus.

Ce 29ème épisode s'ouvre par l'assassinat sauvage d'un des caïds de la drogue que Catwoman s'est mise à dos. On retrouvera plus tard la tueuse qui lui a réglé son compte mais on mesure tout de suite la dangerosité qu'elle représente et donc la menace pour Catwoman. Comme à son habitude, Ram V sait poser rapidement une situation, un personnage, qui marque le lecteur.

Une autre scène revient sur un point entreveu avant la coupure Future State : on avait aperçu Poison Ivy détenue par une bande de scientifiques sans trop savoir comment elle était arrivée là et ce à quoi elle servait. Le mystère reste bien entretenu mais on apprend quand même qu'on a fabriqué une drogue à partir de ses pouvoirs sur les végétaux et que celui qui a procédé à l'opération ordonne désormais qu'on se débarrasse de Pamela Isley.

Ram V développe ces pistes narratives sur un rythme soutenu mais toujours dans une narration claire. On saisit les enjeux, on identifie les protagonistes. C'est grisant à lire car on est captivé par ces péripéties et la manière avec laquelle le scénariste implique Catwoman. Surtout il conserve précieusement l'ambiguïté de cette dernière en la montrant comme la protectrice de Alleytown mais usant de méthodes qui lui sont propres et continuant de fréquenter des acolytes que n'apprécierait pas Batman. 

S'il y avait une scène à retenir pour saisir le brio de l'écriture de Ram V, ce serait celle où Catwoman s'introduit chez le Sphinx : chez lui, elle avait déjà vu un étrange logo en relation avec l'enquête sur laquelle Dean Hadley travaille et lui demande son aide. Mais alors qu'elle fouille les papiers d'Edward Nygma, celui-ci est sur le point d'être exécuté dans la pièce voisine par la tueuse vue au début de l'épisode. Catwoman ne peut laisser un crime être commis mais surtout risquer que le Sphinx soit éliminé au moment alors qu'il détient sûrement des infos préciseuses sur l'affaire qui intéresse Hadley. La voilà donc obligée de s'interposer et de protéger cette canaille de Nygma, qu'elle a précédemment roulé en escroquant le Pingouin. Ce retournement de situation est savoureux et scelle l'affrontement à venir entre l'Atout (le surnom de la tueuse) et Selina Kyle.

La partie graphique est toujours assurée par l'épatant Fernando Blanco qui produit une fois de plus des planches extraordinaires. Il soigne particulièrement les décors, ce qui est appréciable, car ils ont une importance majeure, non seulement pour savoir où on se trouve dans la progression de l'histoire, mais aussi parce que chaque site de l'action est au service d'une ambiance. Le laboratoire où on pratique des expériences sur Poison Ivy est glaçant à souhait. L'appartement en désordre du Sphinx indique immédiatement que quelque chose de dramatique va s'y jouer car on imagine mal un control freak comme Nygma habiter dans un endroit mal entretenu. Le temps d'une pleine page fantastique, on a aussi une vue sur Alleytown la nuit, un plan d'ensemble merveilleux sur l'environnement urbain, les lumières artificielles, la silhouette de Catwoman qui se détache dans le ciel tandis qu'elle accomplit une acrobatie entre deux immeubles.

Blanco croque les personnages d'un trait vif et flatteur. Il saisit Selina Kyle dans sa piscine dans un maillot de bain une-pièce qui met en valeur sa plastique irréprochable. Ce qui pourrait passer pour plusieurs cases un peu racoleuses sur l'héroïne en petite tenue devient ensuite le véhicule à un dialogue entre Selina et sa soeur Maggie qui a trouvé Hadley séduisant et soupçonne qu'il n'est pas insensible au charme de Selina. Comment pourrait-il être indifférent devant cette femme splendide, si sûre d'elle ?

Une nouveauté cependant s'est invitée dans la série sur le plan visuel et elle de taille puisque Jordie Bellaire a trouvé du temps (dans son agenda pourtant bien rempli) pour en devenir la coloriste. Si FCO Plascencia ne déméritait vraiment pas, Bellaire livre une contribution si fine, si nuancée qu'il est impossible de nier sa plus-value. 

Bref, Catwoman poursuit sur sa belle lancée. Une reprise de première classe pour une des meilleures séries DC (et séries tout court) actuelles.

jeudi 25 mars 2021

GUARDIANS OF THE GALAXY #12, de Al Ewing et Juann Cabal


Ce douzième épisode de Guardians of the Galaxy marque nettement la fin d'un cycle, c'est la conclusion d'une "saison" (comme on le dit pour une série télé). Al Ewing a, mine de rien, reconfiguré le titre et l'équipe, de manière inégalement inspirée, mais avec beaucoup de bonne volonté. Juann Cabal fait ses adieux à la série qui en a fait une star, en produisant une nouvelle fois des planches ahurissantes.


Les Olympiens affrontent les Gardiens de la galaxie. Zeus s'en prend à Peter Quill qui les avait exilés dans une dimension parallèle en se sacrifiant. Mais qui les en a sortis en ressucitant. Cette fois, les dieux entendent bien avoir leur revanche en éliminant tous ceux qui se dresseront sur leur passage.
 

Leur vaisseau détruit par Zeus alors qu'ils atterrissaient pour se préparer à la bataille, Rocket et Hercule ont échappé à la mort grâce à Marvel Boy qui les a isolés dans une bulle temporelle. Rocket a sauvé un morceau de Groot que le Prince du Pouvoir réussit à faire croître.


Surplombant les affrontements, Athéna comprend que ses pairs sont en difficulté. Moondragon ne doit son salut qu'à l'intervention de Phyla-Vell qui l'aide à invoquer le Dragon de la Lune. La bataille bascule alors en faveur des Gardiens de la galaxie.


Noh-Varr, Moondragon et Star-Lord unissent leurs pouvoirs, après que les dieux aient été terrassés, pour renvoyer Zeus et Athéna dans une dimension déserte. Le Super-Skrull et son armada arrivent lors pour annoncer à Nova que le Conseil Galactique dissout l'équipe...

Dans l'existence éditoriale des Guardians of the Galaxy, on peut distinguer quatre époques. La première a vu la naissance du titre créé par Roy Thomas en 1969. La deuxième en 2008 quand Dan Abnett et Andy Lanning le relance lors de la saga Annihilation. La troisième en 2012 lorsque Brian Michael Bendis le reprend en main. Enfin la quatrième en 2014 avec l'adaptation au cinéma par James Gunn. Ces quatre temps montrent comment, depuis une douzaine d'annéesl es Gardiens de la Galaxie sont devenus une équipe qui compte chez Marvel.

Les fans adorent l'ère Abnett-Lanning, mais sans Bendis la popularité de ces héros n'aurait pas été suffisante pour avoir les honneurs du grand écran. Jusqu'en 2017, Bendis portera la série, son dernier grand run sur un titre Marvel, avec une formation proche de celle des films de James Gunn.

Hélas ! après Bendis, la succession n'a pas été très satisfaisante : Gerry Duggan a fait ce qu'il a pu et a surtout convaincu dans des épisodes auto-contenus ; Donny Cates a animé le titre pendant un an sans éclat. Al Ewing, auréolé de son succès sur Immortal Hulk, avait fort à faire pour redresser le cap mais il pouvait compter sur un dessinateur qui allait transcender ses scripts, Juann Cabal. Toutefois, l'artiste s'investissait tellement dans ses planches qu'il ne pouvait tenir un rythme mensuel et, quand il était absent, on constatait que ce n'était plus tout à fait la même chose.

Cependant, on ne peut pas retirer le mérite d'Ewing dans l'entreprise. Il a hérité d'une série dont il n'avait pas choisi le casting et de choix opérés par ses prédécesseurs (comme le fait que Groot pouvait désormais s'exprimer normalement). Il a composé, et plutôt bien, même si comme Cates, il a aussi échoué à faire vivre, à donner corps à certains personnages (Phyla-Vell en particulier). En revanche, il a durablement transformé des héros emblématiques (comme Star-Lord) et achève cette "saison" 1 sur un nouveeau statu quo, qui rétablit une crédibilité au titre même de gardiens de la galaxie.

Même si Ewing a parfois consacré des épisodes à des intrigues sans grand intérêt (la confrontation du groupe de Gamora et celui de Nova) ou dû faire de la place à un event (comme King in Black, de... Donny Cates), l'ensemble de son run a été écrit avec un fil rouge, celui des Olympiens, le panthéon des dieux grecs revenus dans notre univers pour y imposer leur ordre. Tout a démarré et se termine avec eux. On peut déplorer que Ewing n'ait pas développé un peu plus ces méchants, surtout en incorportant à l'équipe des Gardiens Hercule, le fils de Zeus, mais quand ils les a mis en scène, cela a donné des épisodes épiques, où la dimension sacrificielle,, jusqu'au-boutiste des deux camps électrisait la narration.

Ce douzième épisode est donc une grande bataille qui aurait mérité un épisode de plus pour montrer tous les personnages, donner plus de place et d'intensité au combat. Mais Ewing avait, semble-t-il, à coeur de conclure sur ce qui aurait dû être un numéro anniversaire (la parution de la série ayant été décalée au Printemps 2020 quand la crise sanitaire a commencé). Je pense que le scénariste a fait le choix de se cocnentrer sur ses héros favoris, ceux qu'il a vraiment mis le plus en avant dans son run, à savoir le trio Peter Quill/Star-Lord, Noh-Varr/Marvel Boy et Heather Douglas/Moondragon.

Ce sont ces trois-là qui, en effet, font la différence dans l'affrontement contre les Olympiens et Juann Cabal leur consacre lui aussi ses plus beaux efforts avec une fois encore une invention dans le découpage, la représentation des pouvoirs, la valeur des plans, sidérants. L'artiste espagnol et son coloriste Federico Blee sont déchaînés et quittent la série sur une note magistrale. Même si les décors sont réduits au strict minimum (mais l'arêne de la bataille n'est qu'un caillou désertique, stratégiquement choisi pour qu'il ait un minimum de dégâts collatéraux), on apprécie comment Marvel Boy sauve Rocket et Hercule, comment Moondragon réussit à prendre le dessus sur son adversaire, puis comment Star-Lord règle son compte à Zeus. Il y a là un côté David contre Goliath tout à fait jubilatoire et in fine, c'est l'esprit d'équipe qui a raison des plus forts.

Mais boucler une "saison", c'est aussi préparer la suivante. Je préviens tout de suite que je ne poursuivrai pas la lecture de cette série, à cause du départ de Juann Cabal qui m'a fait rester quand je doutais de la progression de la série écrite par Ewing. Juan Frigeri va le remplacer et je ne trouve pas qu'on y gagne au change. Ajoutez à cela que je crains que Ewing ne s'engage dans une direction trop ambitieuse...

Je suis obligé de spoiler à partir de maintenant, donc, arrêtez-vous là si vous n'avez pas encore lu l'épisode ou que vous ne consultez pas les news ses sites spécialisés ou des forums sur les comics.

Donc, à la toute fin de ce numéro, une fois la victoire contre les Olympiens acquise, le Super-Skrull et toute une armada débarquent et annoncent à Nova que le Conseil Galactique a décidé la dissolution des Gardiens de la Galaxie. Ewing écrit ça proprement en soulignant que les membres de l'équipe sont tous des marginaux, des vétérans de guerre, souffrant tous de problèmes mentaux, avec parfois des casiers judiciaires bien remplis, ne répondant de leurs actes à aucune autorité. Ce n'est plus supportable.

A  moins qu'ils ne se réforment, en profondeur. Une ellipse a alors lieu et trois mois plus tard, Nova répond à une alerte et les Gardiens de la Galaxie repartent au combat. Une pleine page, la dernière de l'épisode, nous dévoile alors l'équipe au grand complet (ou presque) et on remarque alors qu'il ne s'agit pas d'une simple brigade mais bien d'un petit régiment. Pour qui a lu les annonces de Marvel et les solicitations pour Avril, le plan du scénariste est bien d'avoir à disposition non pas une mais deux, voire trois équipes, et donc une flopée de personnages, de tous horizons.

Cela m'a rappelé les Avengers de Hickman, une petite armée, capable d'agir sur un plan cosmique, avec des mutants, des Shi'ar, des dieux, des surhommes, etc. Mais je suis plus perplexe ici parce que Ewing a déjà eu du mal à animer les Gardiens en formation serrée durant douze épisodes, privilégiant ostensiblement un ou deux personnages au détriment des autres, alors imaginez une vingtaine. Si le scénariste fait des merveilles avec SWORD, c'est parce qu'il emploie chacun de ses membres selon leur spécialité, c'est un groupe d'experts, avec des doublures et des adjoints, mais le coeur du SWORD tient en six protagonistes. Plus on dirige des personnages, plus on risque d'en négliger, et un épisode ne fait que vingt pages. Ecrire, c'est forcément choisir, et là, Ewing prend le chemin inverse : je lui souhaite de réussir, mais c'est un pari excessivement casse-gueule qu'il fait.

Cela dit, ces douze numéros se lisent comme un ensemble cohérent et solide. Marvel (et Panini) serai(en)t inspiré(s) de sortir un jour un recueil de ces douze épisodes, qui permettrait d'apprécier cet acte I des Guardians of the Galaxy selon Ewing (et Cabal).

samedi 20 mars 2021

THOR #13, de Donny Cates et Nic Klein


Pénultième épisode de Thor pour moi, ce numéro n'est pas meilleur que les précédents de cet arc (ni du premier). C'est une bien étrange série qu'écrit Donny Cates, où le dieu du tonnerre n'apparaît que dans trois pages, absent de sa propre aventure. Nic Klein empile les pleines pages pour camoufler la pauvreté de sa narration. 


Depuis qu'il a abdiqué, Odin a voyagé avec sa femme, Freyja, mais l'ennui l'a gagné et il a négligé son couple au point que Freyja, sa femme, l'a quitté. Depuis, il s'enivre dans une taverne où Jane Foster/Valkyrie le retrouve et l'informe de la crise née du retour de Donald Blake.


Pendant ce temps, le Dr. Strange et Throg rejoignent les asgardiens dans la dimension du sang grâce à Lockjaw. Loki veut faire payer Blake qui, déchaîné, mutile avec la hâche Jarnbjorn l'arbre de vie Yggdrasil à Asgard.


Blake voit revenir dans leur royaume les asgardiens mais les défie. C'esr alors que Odin apparaît et le frappe. Blake, dément, n'a pas peur du retour de son créateur mais ce dernier l'informe de l'erreur de s'en être pris à Yggdrasil car sa sève coule désormais dans la dimension où Thor est prisonnier.


Ainsi le dieu du tonnerre peut rappeler ses corbeaux, Huginn et Muninn, mais ceux-ci ne peuvent le ramener à Asgard. Thor a une autre idée et pour cela, les corbeaux doivent transférer son âme dans l'arme ultime du royaume...

Le mois prochain avec la parution du #14 de Thor, je cesserai mes critiques de cette série. Je n'ai tout simplement pas été convaincu par la proposition de Donny Cates alors que j'étais confiant. Mais il faut bien admettre que ce que fait Marvel avec le dieu du tonnerre ne cesse de me décevoir.

Je ne prétendrai pas que Thor fait partie de mes personnages favoris chez Marvel, mais je ne suis pas sûr que Jack Kirby, qui vouait une affection particulière au dieu du tonnerre, s'y retrouverait non plus. Pour Kirby, Thor était un véhicule pour exprimer sa passion de la mythologie, ce fut en quelque sorte la matrice de beaucoup d'autres de ses créations postérieures (comme New Gods, Eternals). Sa vision différait sensiblement de celle de Stan Lee, qui était spontanément plus inspiré par les héros de la rue, car Thor incarnait cette démesure qui était la marque du "king of comics".

En même temps, Thor était un personnage qui synthétisait la magie du duo Lee-Kirby grâce Donald Blake, l'alter ego du dieu du tonnerre. Pour Lee, il s'agissait d'un subterfuge pour humaniser un personnage dont les lecteurs risquaient de se sentier trop éloignés. Par la suite, au gré des auteurs qui ont animé la série, cette dualité a résumé la manière dont chacun appréhendait Thor. Pour certains, le dieu était plus intéressant. Pour d'autres, Blake (ou ceux qui l'ont remplacé occasionnellement) était essentiel.

Ces dernières années, Jason Aaron avait quasiment préféré oublier Blake, considérant qu'il n'existait pas vraiment, en tout cas qu'il ne servait pas ses plans. Ce n'était tout à fait infondé dans la mesure où Blake était une pure création d'Odin pour enseigner l'humilité à Thor. Mais, moi, j'aimais bien Blake et ce qu'il disait de Thor, tel que l'écrivit brillamment J. Michael Straczynski. Thor était peut-être devenu humble, mais pas vraiment plus avisé. Voir dialoguer Blake et Thor, c'était comme un aiguillon pour le dieu du tonnerre, sa (mauvaise) conscience.

Quand Donny Cates a annoncé qu'il allait ramener Blake dans la partie, j'étais plein d'espoir. Mais celui-ci fut vite douché quand je compris à quel fin le scénariste comptait utiliser l'alter ego de Thor. Néanmoins, je ne voulais pas préjuger de l'intrigue car l'idée était accrocheuse : Blake ayant été, littéralement, oublié dans une dimension, quand il était ramené à Asgard par Thor, n'était plus le même homme. Il avait pris conscience de sa nature et réclamait réparation pour avoir été négligé.

Le souci, c'est qu'avec un départ pareil, soit on a droit à une histoire de rédemption, de pardon ; soit on a droit à une histoire de vengeance. C'est cette seconde option qu'a choisi Cates et, ainsi, l'arc Prey se dévoilait comme un moyen de se débarrasser définitivement de Blake en en faisant un fou furieux qui ne laisserait pas d'autre choix à Thor que de l'éliminer. Cette trame, archi-prévisible, se déroule depuis cinq épisodes, en enchaînant les chapitres de manière poussive.

Après s'en être pris à Asgard et ses dieux, à Throg, à Jane Foster/Valkyrie, au Dr. Strange, profitant que Thor soit coincé là où l'était précédemment, Blake doit désormais faire face à son créateur, Odin. Cates répond à la question de savoir où était passé le Père-de-tout depuis la fin du run de Aaron, lorsqu'il a abdiqué en faveur de Thor. Sans panache ni imagination, le scénariste explique que Odin est parti dans une espèce de croisière avec Freyja, s'est ennuyé, a été quitté, et a échoué dans une taverne pour se soûler. Valkyrie le retrouve pour qu'il règle son compte à Blake et le convainc, (trop) vite, de sauver Thor et Asgard.

Lockjaw emmène le Dr. Strange dans la dimension où Blake a exilé les asgardiens pour les rapatrier dans leur royaume en vue de la bataille finale. Et Thor joue son va-tout grâce à une erreur tactique de Blake et l'aide de ses corbeaux.

J'ai lu tout ça sans jamais vibrer, être captivé. C'est plan-plan, convenu. Surtout Thor est complètement absent d'une histoire dont il est pourtant le coeur. Il apparaît dans trois pages, gueulant dans sa prison (il n'a rien fait d'autre depuis le début de cet arc). Le cliffhanger ne fait qu'employer comme un gadget un énième protagoniste de Asgard. Tout ça manque cruellement d'âme, d'esprit, c'est juste mécanique, bourrin.

Ce sentiment est renforcé par la mise en images, très décevante, de Nic Klein. Le dessinateur est vraiment en roue libre, on se demande si le script dont il dispose n'est pas écrit suivant la vieille méthode Marvel, où le scénariste se contentait de vagues indications avant de revenir poser les dialogues.

Rendez-vous compte : on compte pas moins de cinq splash-pages dans cet épisode. Je n'ai rien contre les splash, mais c'est tout de même le niveau zéro de la narration visuelle. Quand on utilise ce genre d'image, il faut le faire avec parcimonie pour que l'effet soit efficace, percutant. Plus vous en usez, moins c'est frappant. C'est juste un plan tape-à-l'oeil. Ici, entre un gros plan sur le visage d'Odin en pleine beuverie, le retour à Asgard de ses dieux avec le Dr. Strange et Lockjaw en renfort, Odin en armure tisant Blake, Thor hurlant en déployant un énorme éclair, et l'apparition à la dernière page de l'arme ultime, ce n'est que ça : des pages sans plus-value narrative, juste dessinées pour en mettre plein la vue, pour l'épate.

Comme c'était déjà le cas dans le premier arc qu'il a allustré, Nic Klein oublie le plus souvent les décors, on sent qu'il est cuit et expédie ses planches pour finir, en attendant de pouvoir souffler une fois l'arc fini. Matt Wilson gâche son talent en colorisant tout ça.

Il n'y a strictement rien à sauver, c'est un naufrage. Plus qu'un épisode et basta. 

vendredi 19 mars 2021

S.W.O.R.D. #4, de Al Ewing et Valerio Schiti


Suite et fin du mini-arc rattaché à l'event King in Black, ce quatrième épisode de S.W.O.R.D. confirme tout le bien que je pense du travail de Al Ewing sur cette série, où il est des plus inspirés . S'il a accepté que l'histoire de Donny Cates impacte la sienne, c'est parce qu'il a su en l'exploiter. Et cette fois il récupère Valerio Schiti pour l'intégralité du numéro, ce qui nous vaut des planches percutantes.


Krakoa. Mentallo est tenu en respect par Hope Summers et entre en contact avec Abigail Brand pour l'interroger sur son plan d'évacuation. Mais celui-ci ne convient pas aux Cinq qui refusent d'être exfiltrer en laissant leur communauté derrière eux, victime de Knull, le roi des symbiotes.


Ne pouvant plus compter sur le Protocole V, Brand laisse Wiz Kid intervenir : il se téléporte auprès des Cinq et, reconfigurant le tank de Mentallo, l'utilise contre les symbiotes. Les Cinq peuvent enfin participer au combat après en avoir mis à l'écart pour leur protection.


De son côté, Manifold fait face à Cable, sous l'emprise de Knull. Il évite ses attaques sans pouvoir l'empêcher de tuer Fabian Cortez. Pendant ce temps, Frenzy se libère des ténèbres du roi des symbiotes et désarme brutalement Cable.


Manifold a alors le champ libre pour téléporter de l'énergie solaire sur Krakoa et ainsi détruire les ténèbres qui menacent l'île. Magneto réconforte Cable et décide de presser la résurrection de Fabian Cortez.

Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, Al Ewing a eu à peine le temps de démarrer SWORD qu'il a dû composer avec la saga King in Black de Donny Cates. Mais le scénariste ne s'est pas défilé car, comme il le relevait lui-même, sa série se situant dans l'espace, face à une menace cosmique, il aurait été incompréhensible que ses héros n'interviennent pas.

On espère néanmoins qu'à l'avenir Ewing ne sera pas toujours aussi souple pour que SWORD puisse se développer tranquillement et explorer ses propres intrigues sans interférences.

Si l'épisode du mois dernier déroutait, mais brillait aussi, par sa construction en forme d'intermède au beau milieu de la crise, en suivant Manifold, ce numéro 4 renoue avec l'impact subi par Krakoa suite à l'attaque de Knull, le roi des symbiotes. Cable, sous l'emprise du méchant, a transformé le refuge des mutants en un endroit cauchemardesque. Depuis la station du Pic, Abigail Brand planifie une issue radicale en activant son mystérieux Protocole V.

De quoi s'agit-il ? Brand, on le sait depuis le premier épisode, ne dépend pas du Conseil de Krakoa, le SWORD est un partenaire des mutants mais son subordonné. D'ailleurs, Brand n'a pas plus d'mpathie pour les mutants que pour les terriens dans leur ensemble : elle s'occupe des affaires spatiales, notre planète n'est qu'un élément de plus dans son champ d'action. Or, donc, au moment où la nation X est en danger, elle souhaite préserver le plus précieux : les Cinq de Krakoa, ces jeunes mutants qui peuvent ressuciter leurs semblables.

Mais son projet ne plaît pas aux intéressés. La solution viendra de Wiz Kid : Ewing fait preuve d'ingéniosité car ce personnage est aussi jeune que les Cinq, donc il gagne leur confiance immédiatement, d'autant plus que son plan à lui n'implique aucune évacuation ou sacrifice. Il détourne le tank de Mentallo et s'en sert pour tuer les symbiotes à coups de rafales soniques et de de projections enflammées. Les Cinq s'associent à la riposte, ce qu'ils attendaient de pouvoir faire mais qu'on leur avait interdits.

Comme souvent avec Ewing, le scénario est bien découpé et on passe ensuite au second acte de l'épisode où on retrouve Manifold et Cable "Knullifié". Leur combat, on va le comprendre, ne sert en fait qu'à gagner du temps pour que Frenzy, prise dans une gangue ténébreuse, se libère et ne vienne en aide à Eden Fesi. Elle intervient très brutalement mais ce n'est pas gratuit car il faut neutraliser Cable sans lui laisser de chances. 

C'est aussi la force de Ewing : comme il nous a présentés ses héros sans avoir beaucoup de temps et que ces personnages ne sont pas très connus (doux euphémisme...), il doit aussi suggérer que leur alliance ne s'est pas faîte récemment, que Brand les a recrutés depuis un moment et qu'ils ont eu le temps de s'entraîner, de travailler leur synergie. Plutôt que de recourir à des artifices de narration (flash-backs par exemple), on voit que Frenzy et Manifold savent riposter ensemble naturellement, comme des soldats habitués l'un à l'autre.

Cette partie de l'épisode permet à Valerio Schiti de faire valoir ses qualités de narrateur car sa science du découpage, son dessin vif, la variété de ses angles de vue, la composition de ses images soulignent la complémentarité des deux agents du SWORD contre leur collègue Cable. Schiti n'a pas besoin de beaucoup de place pour mettre en scène une bagarre disputée et spectaculaire ni pour représenter de manière très graphique les pouvoirs de Manifold, avec le concours des couleurs magnifiques de Marte Gracia.

Tout l'épisode est superbement dessiné, chaque planche en donne pour son argent au lecteur et prouve que Schiti a atteint une maturité qui en fait un des tous meilleurs dans la partie. Il cadre utile, précis, mais sans sacrifier au spectacle. On sent qu'il s'amuse et son plaisir est communicatif. C'est ce qu'on attend d'un comic-book super-héroïque dans ces moments-là. Il est aussi bien raconté à l'écrit que visuellement.

La chute laisse bien entendre que Magneto a des plans pour Fabian Cortez, qui, lui-même, en avait pour Krakoa. Si on relie ce qui se passe dans SWORD à ce qui se déroule dans d'autres titres X (comme X-Force, Marauders, X-Men), quelque chose me dit qu'on va bientôt discuter des lois sacrées de Krakoa et notamment de la permission de tuer des mutants dangereux (après que, dans X-Force, il ait éte fait mention du cas de l'élimination exceptionnelle d'humains dangereux)... 

jeudi 18 mars 2021

NIGHTWING #78, de Tom Taylor et Bruno Redondo


Infinite Frontier apparaît de plus en plus comme une nouvelle impulsion dans l'ère DC Rebirth : les séries changent d'équipes créatives, mais aussi de direction. C'est presque comme si l'éditeur avait décidé de convertir vraiment sa promesse initiale (réconcilier les fans "historiques" et les nouveaux, en misant sur des histoires plus positives). De ce point de vue, Nightwing est un titre qui revient de loin et Tom Taylor avec Bruno Redondo a compris qu'il fallait restaurer l'aura de ce héros emblématique. C'est réussi.


Dick Grayson a toujours été l'élève le plus appliqué de Batman, même quand il devait jouer des points pour protéger un camarade de classe harcelé, avec l'aide de Barbara Gordon. Craignant toutefois un blâme de son mentor, il était soutenu dans son initiative par Alfred Pennyworth.


Aujourd'hui, de retour à Blüdhaven, il corrige quelques voyous qui s'en prennent à un chiot. Le soir venu, à son insu pourtant, le vilain Blockbuster exprime son mécontentement auprès du maire et n'hésite pas à le tuer. Désormais, c'est l'adjointe de l'édile, Melinda Zucco qui le remplacera.


Au même moment, Dick Grayson rentre chez lui, avec le chiot, passé entretemps chez le vétérinaire. Mais Dick s'aperçoit que quelqu'un est chez lui. Quand il veut surprendre l'intrus, c'est lui qui est désarmé par Barbara Gordon, venue à Blüdhaven pour une mission personnelle.
 

Elle remet en effet des documents relatifs à l'héritage de Alfred Pennyworth qui, dans une lettre, lègue sa fortune, acquise grâce à de judicieux placements, à Dick. Celui-i reçoit ce legs avec émotion. Ceependant, Melinda Zucco rentre chez elle, consciente qu'elle va devoir s'occuper de Nightwing pour Blockbuster...

Cela fait longtemps maintenant que Nightwing est mal traité par DC. D'ailleurs, lorsque Dan Didio était encore en poste, il a longtemps manoeuvré pour tuer le personnage, dans le but de créer un électrochoc dans la Bat-family et chez les fans. Déjà peu gâté durant les New 52, Dick Grayson ne l'a guère plus été depuis le début de DC Rebirth (le début de sa série était pas mal, grâce à Tim Seeley et Javier Fernandez, mais ensuite Benjamin Percy puis Scott Lobdell ont conscieusement massacré le personnage).

Pourtant, interrogez un fan de DC et vous constaterez que Nightwing jouit toujours d'une vraie popularité, comme si, malgré ses revers de fortune éditoriaux, le personnage conservait une place à part, liée certainement au fait qu'il fut le premier sidekick de Batman puis le chef des (New) Teen Titans, et plus encore le premier héros qui a su s'affranchir de son mentor.

Tout cela, ce capital sympathie, ce statut, il y a apparemment un homme qui avait à coeur de les honorer. Scott Snyder a souvent exprimé son envie d'écrire Nightwing, mais c'est finalement à Tom Taylor qu'est revenu cette mission. Et, en un seul épisode, le scénariste de DCeased ou de Suicide Squad réussit à la remplir.

Cependant, on notera que Taylor a du (re)lire le Hawkeye de Fraction/Aja avant de se lancer dans l'aventure car il emprunte au classique de Marvel de manière parfois littérale. Clint Barton commençait par récupérer Lucky, un chien de mafieux russes. Nightwing sauve un chiot de brutes idiotes et finit par l'adopter. Barton faisait équipe avec Kate Bishop. Barbara Gordon refait surface dans la vie de Dick pour un grand moment d'émotion (et Taylor a prévenu qu'elle était là pour rester, aussi bien en tant qu'Oraclee que Batgirl). Barton avait maille à partir avec des caïds d'Europe de l'Est. Nightwing va retrouver sur sa route Blockbuster, mais aussi la famille Zucco, mêlée à la mort tragique de ses parents.

Je ne veux pas dire que Taylor copie Fraction, la série qu'il reprend ne s'inscrira pas dans la même veine (ne serait-ce que parce que Fraction écrivait plus Clint Barton - et Kate Bishop - que les Hawkeye, s'affranchissant du récit super-héroïque). Et puis, ces similitudes me rendent l'affaire sympathique (il y a pire comme modèle). Surtout, elles rendent une humanité et confèrent une originalité au sujet. Taylor a une idée claire de la manière dont il veut piloter sa série, en commençant par une remise à jour, en épousant le caractère de Dick Grayson (un authentique justicier, avec cet esprit bondissant). La présence dans les parages de Babs Gordon ajoute une note romantique irrésistible (même si deux camps s'opposent pour savoir qui est la girlfriend idéale de Dick : Starfire ou Babs ?).

Comme Taylor bénéficie d'un vrai crédit chez DC (où il s'est imposé bien plus naturellement que chez Marvel, qui n'a jamais sur quoi faire de lui), il dispose aussi d'un dessinateur à la hauteur de ses ambitions avec Bruno Redondo. Les deux hommes avaient déjà collaboré ensemble sur la précédente version de Suicide Squad pour un run bref mais acclamé.

Redondo s'inscrit dans un style réaliste et descriptif. Son dessin est précis, un peu rigide parfois, mais avec de belles compositions, une utilisation intelligente de l'espace. Surtout, ce qui distingue Redondo, c'est son trait, qui fait penser à la "ligne claire". Ses images sont toujours d'une grande lisibilité grâce à cela.

Il peut représenter une scène du passé avec des personnages adolescents très crédibles, puis passer à une autre au présent avec de l'action bien découpée, et encore à une autre de nuit, dans un cadre urbain avec des lumières qui sculptent les corps et les visages de manière à convaincre le lecteur qu'un moment décisif et dramatique va se produire (avec un usage allusif du hors-champ et du lettrage). Dick Grayson plus jeune, puis adulte dans sa tenue de Nightwing, ou la silhouette massive de Blockbuster introduisent chacun de façon rapide et évocatrice (l'adresse acrobatique du héros, la brutalité imposante du méchant).

Quand Barbara Gordon rentre en scène, elle est aussitôt identifiée comme cette jeune femme déterminée et malicieuse, dont l'alchimie avec Dick est immédiate. Redondo ne fait pas que soigner ses personnages, il signe des décors, intérieurs comme extérieurs, soignés, détaillés, en recourant à l'infographie (ce qui donne aussi cette impression de raideur, de trop grande linéarité à son trait, en même temps qu'elle en assure la lisibilité).

Pour les couleurs, on retrouve étonnament une palette identique à celle de Tamra Bonvillain dans Justice League, et pourtant c'est Adriano Lucas qui s'en charge ici. On peut s'interroger sur cette ressemblance - est-ce une volonté éditoriale ? Ou un hasard ? En tout cas, les teintes sont douces, presque acidulées. Comme Redondo utilise des trames pour texturer certaines parties de ses dessins, peut-être est-ce surtout le coloriste qui a choisi de ne pas trop en faire pour que les images ne soient pas noyées d'effets chromatiques. Mais le résultat, là encore, renvoie à une série Marvel (celle des débuts du Daredevil de Mark Waid avec Paolo Rivera et les couleurs de Javier Rodriguez).

Ces remarques ne sont pas des reproches, et il n'y a pas douter que Nightwing affirmera son identité narrative et graphique. La lecture de cet épisode est en tout cas un sacré progrès pour la série et le personnage, comme si, pour le coup, on assistait à un relaunch longtemps espéré.

mercredi 17 mars 2021

JUSTICE LEAGUE #59, de Brian Michael Bendis et David Marquez / JUSTICE LEAGUE DARK, de Ram V et Xermanico


Après Scott Snyder, c'est donc à Brian Michael Bendis que DC a choisi de confier la direction de Justice League. Un choix assez logique puisque le scénariste a connu un succès certain chez Marvel en pilotant la franchise Avengers durant de longues années. Il est accompagné par David Marquez, son partenaire sur Ultimate Spider-Man et Defenders. Et cette reprise ne perd pas de temps en ronds de jambes : c'est bourré d'action, avec quelques additions surprenantes.


Au Khandaq, Black Adam affronte un alien surgi de nulle part alors qu'il se receuillait sur la tombe d'Isis, sa bien-aimée. Mais il est en difficulté face à cet adversaire qui a décrété que la Terre serait sienne.
 

L'ambition de Brutus, l'alien, est quelque peu refroidie quand la Justice League arrive sur place et que Superman lui administre une raclée. Interrogé à ce sujet, Black Adam répond, énigmatique, qu'une invasion commence...


Aquaman prend la relève pour maîtriser Brutus, sans succès. Hawkgirl lui vient en aide mais sa masse en Nième métal se met à irradier après avoir frappé l'alien. Brutus décide de battre, provisoirement, en retraite et se téléporte ailleurs.


Black Adam prend congé de la League qui, elle, rentre à sa base pour tenter d'en savoir plus au sujet de Brutus. Kelex, le robot de Superman, établit une correspondance entre l'alien et la jeune Naomi MacDuffie, à Prot Oswego, Oregon... Où Black Adam se trouve déjà.

On notera d'abord l'ironie de la situation : DC Comics vient de casser le contrat d'exclusivité qui les liait à Brian Michael Bendis et pourtant c'est à lui que l'éditeur confie la reprise en main de Justice League, une de ses séries-phares. Ne cherchez pas de logique dans la politique contractuelle de DC, qui devait surtout trouver un remplaçant fiable et stable à Scott Snyder.

Bendis incarne, il est vrai, un gage de sécurité : il a bâti une grande partie de son succès chez Marvel avec la franchise Avengers qu'il a redynamisée bien avant le triomphe du MCU pendant plus de dix ans. Il semblait donc inévitable qu'un jour ou l'autre il hérite de Justice League, et Jim Lee en aurait fait son candidat idéal (on ne refuse rien à Jim Lee, désormais seul à la barre depuis le licenciement de Dan Didio). Faut-il y voir aussi une explication à la fin du run un peu abrupte de Bendis sur les séries Superman/Action Comics ? En tout cas, ce premier épisode de l'ère Bendis renoue avec des éléments posés précédemment dans ses titres.

Bien que leur lecture n'ait pas été désagréable, les épisodes de Superman (et d'Action Comics, même si j'ai lâché plus rapidement cette dernière série) m'int laissé sur ma faim. Bendis semblait incapable de donner à son héros autre chose que des ennemis stéréotypés (Rogol Zaar, Mogul) dans des arcs laborieux. Périphériquement, il était plus à son aise, osant davantage de choses avec Jon Kent (quitte à s'attirer l'ire de quelques fans) ou en mettant en scène l'outing de Superman (qui lui survivra puisque Philip Kenendy Johnson, le nouveau scénariste, a confirmé qu'il ne reviendra pas là-dessus).

Toute compte fait, Bendis chez DC s'est employé à aller là où on ne l'attendait pas, y compris stylistiquement (puisqu'il a renoncé à ses dialogues souvent abondants ou parce qu'il laissait à Snyder la charge de sagas influençant tout le DCU). Mais donc, en acceptant d'écrire Justice League, il revient un peu à ses fondamentaux et reprend une place plus centrale, car la série et l'équipe sont naturellement l'axe autour de laquelle gravite l'univers des héros DC.

L'intrigue qui débute avec ce n°59 ne perd pas de temps pour démarrer : le méchant débarque de nulle part, s'en prend à Black Adam, s'autoproclame nouveau maître du monde, tient tête à la Justice League, et finalement aurait un lien avec Naomi (la jeune héroïne créée par Bendis dans la mini-série qui porte son nom - et pour laquelle une suite est toujours prévue, dés que Jamal Campbell, le dessinateur, sera libre). C'est un vrai page-turner, qui ne laisse guère le temps de se poser pour réfléchir, un peu comme si Bendis ne voulait pas laisser de chances à ses détracteurs de se poser de questions et embarquer tout le monde dans une aventure trépidante et mystérieuse à la fois. C'est réussi.

Comme tout épisode de ce genre, tout reste à dire. Si vous êtes curieux, alors vous vous jetterez sur la suite. Si cela vous a laissés de marbre, vous attendrez le prochain arc (ou pas). Pour ma part, je me range plutôt dans la première catégorie tout en restant prudent car si j'espère le meilleur, je sais aussi que mes attentes se sont relevées avec Bendis depuis qu'il a changé de crémerie. Néanmoins, le scénariste a annoncé des choses alléchantes, notamment en ce qui concerne la relation de sa série avec celle de sa back-up, la Justice League Dark de Ram V, et la formation de l'équipe elle-même.

La couverture est à ce titre évocatrice puisque, outre Black Adam, on assiste à l'arrivée de Naomi donc, mais aussi d'Hippolyte (la mère de Wonder Woman, qui est actuellement morte et séjourne au Valhalla - voir ma critique de Wonder Woman #770) et le retour de Green Arrow (qui devrait diriger l'équipe !) et Black Canary (alors qu'il n'y a plus de Green Lantern ni de Flash ou de Martian Manhunter). Cette composition a beaucoup suscité de commentaires et d'interrogations, surtout à cause de Black Adam (un personnage que voulait absolument intégrer Bendis). Mais le scénariste a aussi prévenu, qu'en fonction des histoires, cela bougerait beaucoup car il entendait que la Justice League devienne une équipe d'experts dans chaque domaine rencontré (donc n'importe qui est susceptible d'être appelé, ce qui rappelle son approche avec les Avengers). J'aime bien cette perspective, mouvementée.

Contrairement à Snyder, Bendis bénéficie d'une parution mensuelle et d'un artiste capable de tenir les délais. Justice League marque ses retrouvailles avec David Marquez, discret depuis son transfert chez DC (un arc de Batman/Superman et des covers). Marquez est réputé pour sa ponctualité et il accède enfin à une série exposée chez l'éditeur.

Avec un scénariste qui le connaît par coeur et qui écrit sur mesure pour lui, l'épisode met en valeur les atouts de Marquez. Sa manière de découper une longue séquence de baston montre son aisance dans l'exercice. Immédiatement, on apprécie la puissance des adversaires, donc on mesure la dangerosité réelle de Brutus quand il domine Black Adam, mais aussi la force tranquille de Superman qui, lui, éloigne le méchant sans se forcer. La composition des plans permet aussi de visualiser la particularité de chacun, comme la silhouette aîlée de Hawkgirl, ou celle, gracile, de Naomi. Les angles de vue sont variés, tout est follement dynamique.

Reste que cet épisode ne permet pas de voir toute l'équipe au complet et il faudra donc attendre pour savoir comment Marquez va animer Black Canary, Batman, Green Arrow ou Hippolyte en comparaison avec les big guns que sont Superman, Aquaman, Black Adam. A priori on va rester dans une BD très centrée sur l'action, sans à-côtés sur la vie privée des héros. Comme le laisse entendre Green Arrow, cette Justice League doit faire plus que se charger de super-vilains, symboliser l'ordre et la justice. Quelle forme prendra ce supplément d'âme ? Et si la formation évolue en fonction des histoires, commencela se traduira visuellement autant que narrativement ? C'est en tout alléchant car Marquez est vraiment un dessinateur apte à traduire tout ça sur la page.

C'est frustrant juste ce qu'il faut. Puissant graphiquement. Bendis a toutes les clés en main. 

*


Le sorcier Merlin rentre dans un château et descend dans une salle où se trouve le gardien endormi de l'épée Excalibur. Il le réveille pour le tuer et s'emparer de l'arme dont il extrait du manche un rubis magique, avec lequel il compte purger le monde.


Cependant, au Mexique, John Constantine et Zatanna enquêtent sur une étrange affaire en relation avec l'apparition d'un ange et d'un démon, ayant entraîné un délire collectif et violent. Sur place ils trouvent Jason Blood qui les met en garde contre une guerre imminente déclenchée par un puissant ennemi...

Justice League Dark aura donc fait les frais de la restructuration des titres DC, qui a décidé d'en faire une simple back-up story à Justice League. C'est toujours mieux que rien, mais c'est tout de même ingrat pour Ram V qui avait déjà été obligé de boucler les intrigues laissées en plan par James Tynion, et pensait certainement pouvoir développer ses propres plans en 2021.

Toutefois le scénariste a assez de talent et de ressources pour ne pas pleurer sur son sort et lâcher l'affaire. Il n'a que dix pages à sa disposition ? Qu'à cela ne tienne ! Fameux pour son aptitude à poser une histoire et des personnages à toute vitesse sans sacrifier leur caractérisation, Ram V prouve une nouvelle fois sa souplesse et sa solidité.  

Surtout il a l'air de bien s'entendre avec Bendis, au point que les deux hommes ont convenu que leurs séries se croiseraient bientôt pour un crossover et donc qu'il faudrait les lire pour se préparer à cette rencontre. D'ailleurs cet épisode semble déjà installer les fondations d'une saga.

Et ceux qui n'ont pas zappé Future State : Justice League Dark devineront tout de suite d'où part Ram V puisqu'il signe le retour menaçant de Merlin et de Jason Blood, déjà au coeur de ses épisodes futuristes. Les fans d'Etrigan le démon (comme moi) seront aux anges.

Pour l'épauler, Ram V bénéficie de Xermanico, qui n'est pas encore une star mais qui va certainement le devenir cette année. Cet artiste, excellent, livre des planches superbes, qui elles-même profitent des la colorisation somptueuse de Romulo Fajardo. Lui aussi n'a pas besoin de beaucoup de pages pour nous en mettre plein les yeux. Toutefois, il convient d'être prudent car Xermanico va également signer les dessins des prochains numéros d'Infinite Frontier : sera-t-il capable de cumuler les deux ? (Si Infinite Frontier ne paraît pas mensuellement, comme je l'ai compris, c'est faisable.)

lundi 15 mars 2021

LE JEU DE LA DAME (tHE QUEEN'S GAMBIT) (NETFLIX)


Je n'avais pas rédigé de critique du Jeu de la Dame à l'époque de sa diffusion par manque d'énergie, mais je m'étais promis de le faire, quand j'en aurai la motivation. Cette adaptation du roman de Walter Tevis par Scott Frank, produite par Netflix, est depuis devenue un vrai phénomène. Pourtant son sujet était risqué. Mais porté par une écriture et une réalisation magistrale et incarné par une actrice phénomènale, on ne peut que rendre les armes.


Beth Harmon perd sa mère à l'âge de neuf ans quand elle met fin à ses jours. Placée dans un orphelinat, la fillette est, comme les autres pensionnaires, mise sous calmants pour la contrôler. Elle fait la connaissance de l'agent d'entretien, M. Shaibel, à qui elle demande de l'initier aux échecs. D'abord réticent, il découvre que l'enfant est très doué et la présente à M. Ganz, qui dirige un club. Mise au défi de battre tous les inscrits, Beth démontre une maîtrise impressionnante. Le revers de la médaille, c'est qu'elle devient dépendante aux calmants, qui l'aide à se concentrer. Son amie Jolene lui en fournit avant que Beth ne soit prise en flagrant délit de vol dans la pharmacie de l'orphelinat...


Après avoir survécu à une overdose, Beth est interdite de pratiquer les échecs - d'ailleurs Shaibel ne veut plus la voir. Arrivée à l'adolescence, elle est enfin adoptée par les Wheatley mais découvre vite que Alma, l'épouse, est alcoolique car son mari, Allston, est souvent absent pour son travail. Beth reprend les échecs et se perfectionne seule. Pour s'inscrire à un tournoi local, elle emprunte quelques dollars à Shaibel en lui promettant de le rembourser si elle gagne. Lors d'une partie, elle est charmée par Townes mais n'hésite pas à le battre. Elle inflige, en finale, une correction à Harry Beltik, le champion en titre. Alma apprend la victoire de Beth et lui propose de financer a participation au tournoi de Cincinatti.


Beth remporte le tournoi de Cincinatti et reverse 15% de ses gains à Alma. Ensemble, elles parcourent alors le pays et Beth devient une vedette dans ce milieu masculin. A la compagnie des filles de son âge, elle préfère la compétition, et dissimule son addiction aux calmants en falsifiant les ordonnances de Alma.. A Las Vegas, pour l'U.S. Open, elle retrouve Townes mais découvre son homosexualité, ce qui la trouble assez pour qu'elle perde en finale contre le prodige Benny Watts.


Alma apprend à Beth que Allston a refait sa fait et ne rentrera pas à la maison, mais cela va leur permettre de continuer à participer à des tournois, y compris hors des Etats-Unis. Elles s'envolent ainsi au Mexique. Beth y a l'opportunité de rencontrer un Grand Maître russe, Vassily Borgov, et découvre qu'il conspire contre elle, avec d'autres joueurs russes. Malgré ses efforts, elle est effectivement écrasée par ce champion, mais surtout, elle perd Alma, victime de son alcoolisme. Elle la rapatrie et doit affronter Allston, qui a subi un sérieux revers de fortune. Beth lui rachète la maison familiale pour qu'il la laisse tranquille définitivement.


A nouveau seule, Beth refuse plusieurs invitations à des tournois lorsque Harry Beltik la contacte. Depuis qu'elle l'a battu, il a abandonné la compétition mais veut entraîner Beth. Elle l'invite à s'installer sous le même toit qu'elle et en fait osn amant occasionnel. L'année suivante, Beth atteint une nouvelle fois la finale dans l'Ohio contre Benny Watts. La veille de leur match, il la défie lors de parties rapides où il l'humilie en lui montrant ses faiblesses. Logiquement, elle essuie une nouvelle défaite le lendemain mais Benny lui offre de l'accompagner à New York City où il pourra lui apprendre ses secrets. 


Beth apprend le russe en même temps qu'elle s'entraîne avec Benny mais aussi deux des amis de ce dernier, Hilton Wexler et Arthur Levertov. Dans leur cercle se trouve aussi Cleo, une mannequin qui attire Beth et avec laquelle elle passe une nuit dehors la veille d'une partie contre Borgov. La sanction tombe : c'est une nouvelle défaite. Beth quitte New York pour retourner chez elle où elle consomme drogue et alcool. Elle congédie Beltik qui voulait qu'elle suive une cure de désintoxication. C'est alors que Jolene, son amie à l'orphelinat, réapparaît...


Grâce à Jolene, Beth se ressaisit et se rend aux obsèques de Shaibel. En visitant sa loge, elle découvre qu'il collectionnait toutes les coupures de presse à son sujet, ce qui la bouleverse. Elle se sèvre et ambitionne de participer aux championnats du monde en Russie. Bien qu'elle ait besoin d'argent pour le voyage et le séjour, elle refuse l'aide d'une association religieuse et anti-communiste que lui a recommandée Benny. Jolene sacrifie alors toutes ses économies pour payer le déplacement de Beth. Sur place, elle élimine les uns après les autres tous ses concurrents et sa popularité auprès du peuple grandit. Escorté par un agent du département d'Etat américain, elle retrouve Townes, qui couvre la compétition pour un journal, et, grâce à lui qui est en contact avec Benny, Beltik et leurs amis joueurs, échafaude une stratégie pour la finale contre Borgov. Bien qu'en difficulté malgré tout, Beth remporte le match grâce à une ouverture audacieuse, le Gambit de la Reine. Faussant compagnie à son escorte, elle se mêle à des joueurs de rue et accepte de disputer une partie contre l'un d'eux, pour le plaisir.

En cherchant des photos pour illustrer cette entrée, et en revoyant l'affiche de la série, j'ai pu remarquer qu'elle avait été diffusée au mois d'Octobre dernier déjà. Le temps file. A cette époque, après avoir vu les sept épisodes du Jeu de la Dame, j'avais manqué d'énergie pour en parler ici mais je m'étais promis que, dès que possible, je rattraperai le coup.

Entretemps, The Queen's Gambit est devenu un phénomène qui a dépassé Netflix. Non seulement ce fut un des plus gros succès de la plateforme de streaming, mais surtout, au-delà, la série a permis au roman dont elle est adaptée de redevenir un best-seller et surtout au jeu d'échecs de gagner énormément d'adpetes (sauf moi, qui préfère les dames). Elle a aussi remporté quelques récompenses et sacré sa vedette féminine.

Tout le monde peut s'accorder sur le fait que c'est un triomphe inattendu mais pas immérité car la série est d'une grande qualité. Il faut dire que ce n'est pas n'importe qui qui s''est mis en tête de la transposer pour le petit écran (après une première tentative avortée, il y a quelques années, au cinéma) puisque le scénariste n'est autre que Scott Frank. Souvenez-vous, le western Godless, également sur Netflix, un chef d'oeuvre, c'était lui déjà. 

Lorsque la série débute, on découvre l'héroïne au amtin de sa première partie contre Vassily Borgov, ce Grand Maître de l'Union Soviétique, après une nuit bien arrosée. Beth Harmon se précipite jusqu'à la table et on sait déjà que le match sera à sens unique. Puis on remonte le temps : Beth a neuf ans et sa mère se suicide en tentant de la tuer aussi, au volant de sa voiture. La fillette survit et est placée dans une institution aux méthodes glaçantes puisqu'on oblige les pensionnaires à prendre des calmants pour les contrôler. Très vite, elle devient accro.

Bien que, rapidement après, la petite Beth rencontre M. Shaibel et le persuade de l'initier aux échecs, la série reste ambiguë : va-t-on avoir droit à une histoire traitant de la toxicomanie en plus de la pratique des échecs ? Beth deviendra-t-elle une championne grâce au renforts de stupéfiants avant de connaître un déclin entrevenu dans le prologue ? C'est une fausse piste, mais une vraie amorce pour traiter du génie.

Car si l'addiction de Beth est montrée sans fard, il ne fait pas de doute que la fillette puis l'adolescente et la jeune femme qu'elle devient, est une prodige. La prise de calmants lui permet de visualiser les mouvements des pièces sur les 69 cases de la table, mais ce n'est pas ce qui explique son talent exceptionnel pour comprendre le jeu, anticiper les coups, décrypter les stratégies de ses adversaires et imposer sa supériorité. Cependant, l'histoire souligne à quel point la nature fragile, traumatisée par le circonstances de la mort de sa mère puis de son existence de fille adoptée, de Beth influe moins sur ses capacités de joueuse que sur sa détermination, sa clairvoyance, sa lucidité. Parce qu'elle est toujours au bord du précipice, les échecs provoquent chez elle des montées d'adrénaline aussi fortes que des baisses de régime vertigineuses, des doutes terribles.

Cette prodige est fascinante parce qu'elle reste humaine, ce n'est pas un ordinateur sur pattes que rien n'arrête dans son ascension. On est épaté par ses victoires acquises dans un milieu machiste, où ceux qui la défient la jugent avec dédain, ne la prennent pas au sérieux, mais on est aussi touché par cette créature qui ne maîtrise plus rien une fois qu'elle a quitté la partie. La vie ne lui épargne rien, ni la mort de sa mère adoptive et aimée, ni la découverte de l'homosexualité d'un garçon séduisant et attentionné dont elle s'éprend, ni les humiliations répétées contre Benny Watts et surtout Borgov, ce Grand Mâitre implacable qui est un peu sa baleine blanche (référence à Moby Dick de Herman Melville).

En parallèle des parties, avec leur lot de victoires et de défaites, on assiste aussi à l'évolution de Beth comme femme. Cela se traduit par son apparence et la production design est particulièrement soignée. D'abord affublée d'une coupe de cheveux et de tenues atroces, Beth devient coquette, puis, plus que cela, authentiquement élégante et séduisante. Il ne s'agit pas seulement d'une envie de plaire chez elle, mais bien d'une volonté de s'affirmer esthétiquement et moralement. D'ailleurs, elle fuit la compagnie des filles de son âge dont les préoccupations futiles l'indiffèrent. Il ne s'agit pas de snobisme mais Beth ne se reconnaît pas parmi ses semblables qui veulent d'abord avoir une vie confortable, donc faire un bon mariage, élever des enfants, bref s'inscrire dans la norme sociale des années 60. Beth veut gagner son indépendance, dans sa vie privée comme dans son parcours de championne.

Scott Frank écrit donc son héroïne comme une sorte de pionnière, qui s'affranchit des codes de la société en ne se conformant pas aux diktats de son époque mais aussi s'impose dans un milieu dominé - ou plutôt privatisé par les hommes. Elle gagne le respect des uns, le mépris des autres, mais suit son chemin, avec une résolution qui force le respect. Toutefois, si, avec l'aide des drogues, elle lit le jeu avec une clairvoyance bluffante, elle connaîtra longtemps des difficultés à maîtriser son destin. La disparition d'Alma puis sa défaite initiale contre Borgov la font basculer dans l'abîme. Il faudra le retour, un brin providentiel il est vrai, de son amie Jolene pour qu'elle remonte à la surface. Pourtant, la série évite le cliché d'en faire des amantes (même s'il est clair que Beth est bisexuelle), comme le prouvent les retrouvailles à Moscou entre Beth et Townes.

Le dénouement est certes convenu, mais difficile d'y résister car l'ultime face-à-face entre Beth et Borgov tient toutes ses promesses, intense à souhait, et la toute fin du dernier épisode, avec les joueurs de rue, est superbe, certifiant, sans dialogue inutile, que la jeune femme a franchi un cap décisif. Une libération. Une catharsis.

Netflix est parfois durement critiqué pour l'inégalité de ses créations originales car la plateforme communique volontiers sur les moyens qu'elle met à la disposition de ses projets les plus ambitieux en attirant de grands noms (Scorsese, Fincher...), alors qu'elle produit par ailleurs des films et séries beaucoup plus moyens. Le Jeu de la Dame semble avoir malgré tout eu un joli budget comme en atteste la qualité de la reconstitution des 60's, avec des costumes et des coiffures, des décors et des accessoires sans fausse note. La réalisation est également superbe, avec une photo très nuancée. L'argent est sur l'écran.

Si le casting ne comporte pas de célébrités, tous les acteurs sont parfaits, avec une mention spéciale à Thomas Sangster-Brodie dans le rôle de Benny Watts. Mais de toute façon, tout le show est au service de son interprète principale, la fantastique Anya Taylor-Joy.

J'ai longtemps été méfiant envers elle car elle s'est fait une spécialiste des compositions borderline dans plusieurs longs métrages. Ce côté "performeuse" me fatigue souvent car tout tend à un jeu très maniéré. En campant une prodige des échecs toxicomane, elle s'aventurait dans une expérience du même style. Pourtant, grâce à une direction rigoureuse, elle livre une prestation irréprochable, très sobre, magnétique et même sensuelle. Anya Taylor-Joy rend les échecs sexy, elle hypnotise le spectateur avec ses grands yeux, et impose sa présence dans chaque plan, éclipsant tous ses partenaires sans donner l'impression d'un quelconque effort. La comédienne s'est beaucoup investie dans son personnage et Scott Frank l'a laissé participer à la conception de la série pour qu'elle se l'approprie. Cette collaboration a été récompensé par un Emmy award, fort mérité.

Si, étonnamment, vous êtes passé à côté de The Queen's Gambit, par manque d'intérêt ou par refus de céder à l'effet de mode, alors surmontez cela, vous ne le regretterez pas. Qui sait, vous aussi, vous pourriez avoir envie de vous mettre aux échecs...