mercredi 10 mars 2021

WONDER WOMAN #770, de Becky Cloonan, Michael Conrad et Travis Moore


Devenue une héroïne populaire au cinéma, Wonder Woman a connu bien plus de difficultés, depuis longtemps maintenant, à justifier ce statut dans les comics. L'amazone reste une valeur sûre de DC mais les auteurs se succèdent sur le titre sans savoir quoi en faire, semble-t-il. Cette fois, c'est donc au tour de Becky Cloonan et Michael Conrad au scénario et de Travis Moore au dessin de transformer l'essai. Un très bon début, même si l'héroïne fait du coup beaucoup penser à une fameuse asgardienne de Marvel...


Comment et pourquoi Diana se trouve-t-elle au Valhalla, le paradis des guerriers nordiques ? C'est ce qu'elle aimerait savoir mais Siegfried, le séduisant viking qui l'accueille sur le champ de bataille n'a guère le temps pour des explications. Diana meurt très vite, décapitée.


Avant de renaître, Diana entend une voix qui lui conseille de ne pas s'attarder dans cette dimension. Elle se réveille et découvre qu'ici les guerriers bataillent sans fin, meurent et ressucitent. Elle découvre aussi qu'au Valhalla, ses pouvoirs ne fonctionnent plus.


Après une nouvelle bataille (et une nouvelle mort), Diana commence à s'habituer à ce cycle. Jusqu'à ce qu'elle soit abordée par l'écurueil Ratatsok qui la conduit jusqu'à l'arbre-monde Yggdrasil, malade, et qui lui demande de le sauver. Diana se retire, rappelée au combat.


Encore tuée, Diana cherche, à son réveil, Siegfried mais celui-ci est introuvable. Sur le champ de bataille nettoyé par les valkyries, Ratatosk passe un marché avec l'amazone : s'il l'aide pour Yggdrasil, il l'aide pour Siegfried et pour quitter le Valhalla...

L'ère des New 52 chez DC n'a pas produit beaucoup de grandes réussites (même si, commercialement, l'éditeur a enregistré de notables performances avec ce reboot radical et mal fichu). Pourtant, c'est probablement la dernière fois que Wonder Woman a connu une série digne de son rang, quand Brian Azzarello l'écrivait et que Cliff Chiang la dessinait.

Depuis le début de DC Rebirth, le titre est passé entre plusieurs mains (dont celles de Greg Rucka, très attachée à l'amazone, même s'il a toujours connu des difficultés éditoriales). Dernièrement, avant la parenthèse Future State, c'est Mariko Tamaki qui avait essayé, sans beaucoup de réussite, de s'en occuper (Mikel Janin, au dessin, est très vite parti, et ses successeurs ont été irréguliers). 

La situation était d'autant plus délicate qu'entretemps Wionder Woman est devenue un exemple d'adaptation réussie au cinéma avec les deux films réalisés par Patty Jenkins avec Gal Gadot dans le rôle-titre (même si Wonder Woman 84 s'est avéré calamiteux et ne sortira jamais chez nous en salles). Dans Infinite Frontier #0, le compte de l'amazone semblait réglé puisqu'on découvrait qu'elle était morte à l'issue de la saga Death Metal (de Scott Snyder et Greg Capullo) et refusait de se joindre à la Quintessence.

C'est donc à Becky Cloonan et Michael Conrad de reprendre en main la destinée de Diana. Cloonan en particulier est connue pour ses travaux indépendants qui se déroulent dans un univers fantastico-médiéval. Une raison d'espérer (même si ses fans désespérent de la voir dessiner plus). Et avec son collègue, elle a choisi d'emprunter une direction aussi inattendue que radicale. Oui, Diana est morte. Elle est même au Valhalla, le paradis des guerriers nordiques !

Comment, pourquoi est-elle arrivée là, alors que les amazones sont d'origine grecque (voire lybienne) ? Ce sera à la suite de ce premier épisode de l'expliquer, mais c'est une accroche originale. Et une bizarrerie troublante car du coup, Wonder Woman nous fait penser à une héroïne de chez Marvel...

Car, après avoir refusé la main tendue par la Quintessence dans Infinite Frontier #0, on a vu Diana se confectionner d'un claquement de doigts un nouveau costume, qui n'a plus rien à voir avec ses précédents looks (finie la jupette en lanières de cuir, le bustier au décolleté plongeant, disparu le lasso de vérité, et même sa célèbre couronne a été modifiée). A la place, une tenue dominée par le rouge accompagnée d'une cape. Tout cela lui donne un furieux air de ressemblance avec l'asgardinne Lady Sif (voir ci-dessous).


Et les scénaristes semblent assumer cette inspiration Kirby-esque car on aperçoit aussi Thor (mais avec un look différent de celui de Marvel) dans une scène de l'épisode. C'est assez déroutant... Mais finalement pourquoi pas ? La mythologie nordique n'appartient pas à Marvel et c'est un terrain de jeu prometteur pour Wonder Woman (qui devrait de toute façon à terme revenir parmi les vivants et récupérer son design classique).

L'épisode se lit facilement, sur un rythme enlevé. La situation même vous happe car on n'en sait pas plus que Diana. Cloonan et Conrad ont révisé car même l'écureuil Ratatosk existe bien dans les textes légendaires, avec la même fonction qu'ici (un messager, plus ou moins digne de confiance). Surtout en déplaçant Wonder Woman de la sorte, les auteurs diffère le retour du personnage à ses occupations super-héroïques, ce qui me paraît une bonne idée car en vérité Wonder Woman ne gagne rien (ou pas grand-chose) à être écrite comme une super-héroïne lambda. A l'origine, c'est une amazone venant d'une île qui s'est coupée du reste du monde, et qui ensuite devient l'ambassadrice de son île, une sorte de pacificatrice au-dessus des partis. Ce n'est pas une femme qui enfile un déguisement pour faire règner la justice ou se venger. Ce n'est pas non plus une bonne samaritaine un peu naïve puisqu'elle a été élevée et entraînée comme une guerrière (ce que rappelle une ligne de dialogue). 

Donc la jeter au Valhalla tout en lui conseillant de ne pas s'y attarder, c'est une bonne astuce pour à la fois mettre en scène ses talents de guerrière et la motiver à quitter cet endroit. Par ailleurs, cette reprise de la série bénéficie enfin d'un excellent dessinateur, qui devrait s'installer durablement sur le titre.

Travis Moore est un artiste qui gagne à être connu, même s'il n'a pas une bibliographie encore très fournie (il a oeuvré sur un spin-off de Fables, des fill-in sur le Batman de Tom King, et des épisodes récents de Nightwing). Mais avec Wonder Woman, il tient sa chance d'accéder à la notoriété qui lui est due.

Moore évolue dans un registre réaliste et descriptif, ses influences sont classiques, académiques même. Il y a chez lui un goût évident du beau dessin, ses personnages possèdent un charme immédiat - Diana est vraiment magnifique, et Siegfried est un séduisant guerrier. Il s'encre lui-même avec beaucoup de maîtrise, parfois on pense à Steve Epting (qui signe la couverture de l'épisode). Les décors sont soignés, le découpage simple mais fluide. La lecture est vraiment agréable. Là encore, ça faisait longtemps que Wonder Woman n'avait pas été aussi bien traitée.

Les couleurs de Tamra Bonvillain (la coloriste qui monte chez DC, puisqu'elle s'occupera aussi des planches de David Marquez sur Justice League) sont très nuancées, avec des contrastes pertinents entre les scènes sur le champ de bataille neigeux, aux teintes donc froides, et celles en intérieur, plus chaudes.

Si ce 770ème épisode donne le la au reste de ce run, alors le ciel est dégagé pour Wonder Woman. On tient peut-être enfin l'équipe artistique gagnante pour conter et illustrer les exploits de Diana.

 *


Encore enfant, Diana grimpe sur le plus haut des arbres de Temyscera pour contempler l'île des amazones. Aujourd'hui, c'est son anniversaire mais comme elle l'explique à sa mère, elle a soif d'aventures. Une de ses aînées va lui enseigner l'histoire de Temyscera...

Wonder Woman a droit à sa back-up story : Young Diana. C'est la coloriste Jordie Bellaire qui écrit et Paulina Ganucheau qui dessine. Curieusement, alors que la série principale s'adresse à un public adulte, ce complèment de programme semble plutôt se destiner à des lecteurs beaucoup plus jeune.

Cela vient sans doute essentiellement du graphisme de Ganucheau aux teintes acidulées et au trait rond. C'est charmant à souhait, mais très réussi, expressif, dynamique. On tourne les pages et une fois arrivé à la fin, on en demande déjà plus. C'est bon signe.

L'histoire de Bellaire (qui n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'elle écrit également, actuellement, le comic-book de Buffy) revient sur l'enfance de Diana, qu'on découvre déjà avide d'aventures et d'évasion. Le récit initiatique est toujours une formule accrocheuse, et le personnage et la jeunesse de Wonder Woman offrent beaucoup de possibilités.

Certains trouveront cela trop mignon, inoffensif, mais pour ma part, j'ai apprécié et j'attends la suite.

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