vendredi 5 mars 2021

AMERICA CHAVEZ : MADE IN THE U.S.A. #1, de Kalinda Vazquez et Carlos Gomez


Je n'avais pas prévu de me lancer dans cette mini-série mais la lecture de ce premier épisode (sur cinq) m'a franchement enthousiasmé. Je ne peux donc qu'en parler et le recommander, croyez-moi quand je vous dis que c'est une réussite. On doit America Chavez : Made in the USA à la scénariste Kalinda Vazquez, qui écrivait jusqu'à présent pour la télé, et au dessinateur Carlos Gomez, que j'ai remarqué sur X-Factor (un épisode paru au début de X of Swords) puis Black Widow. On sent cette équipe très motivée pour animer cette héroïne créée par Joe Casey et qui devrait apparaître dans le prochain film consacré à Doctor Strange.


Il y a treize ans, un couple latino-américain et leur jeune fils se trouvent sur une plage du comté de New York le soir. Mais la sortie leur réserve une surprise de taille quand ils voient, échouée sur le sable, une fillette vêtue d'un étrange costume et qu'ils décident de recueillir.


De nos jours, la fillette est devenue une super-héroïne, America Chavez, et la partenaire de Hawkeye (Kate Bishop) au sein des West Coast Avengers. Tandis qu'elle affronte des taupes géantes, une jeune reporter les aborde pour parler des origines d'America. Surprise, celle-ci est frappée par une des créatures.


Quand elle revient à elle, America est veillée par sa compagne, Ramona Watts, qui devine que quelque chose cloche. America finit par lui avouer que ses pouvoirs l'abandonnent parfois, sans explication. Mais elle doit s'absenter quand une alerte l'appelle à New York.


En effet un mystérieux champ de force isole le quartier où vivent encore ses parents adoptifs et son demi-frère et asphyxie ses habitants. Avec l'aide de Spider-Man, America trouve une solution à ce problème avant que Ceci, sa "mère", lui remette un billet menaçant à son intention...

Joe Casey et Nick Dragotta ont introduit America Chavez il y a dix ans dans les pages de leur mini-série Vengeance, qui racontait comment un groupe de super-héros décidaient de se débarrasser une fois pour toutes des pires super-vilains.  Si ce projet n'a pas connu un grand retentissement, il a imposé cette héroïne haute en couleurs car elle concentre à elle seule beaucoup de choses que détestent les fans les plus conservateurs : en effet, America Chavez est une immigrée (en provenance d'une dimension parallèle), latino, lesbienne et au caractère bien trempé.

Joe Casey abandonnera les droits de sa créature à Marvel pour en inventer une autre version dans des créations personnelles. Sans son inventeur, America va pourtant continuer d'être exploitée là où tant d'autres personnages seraient tombés dans les oubliettes. Elle a eu droit à une première série (écrite par Gabby Rivera, dessinée par Joe Quinones), a fait partie des Ultimates (écrit par Al Ewing, dessiné par Kenneth Rocafort), de A-Force (de G. Willow Wilson et Jorge Molina), des Young Avengers (de Kieron Gillen et Jamie McKelvie), des West Coast Avengers (de Kelly Thompson et Stefano Caselli - c'est dans ce dernier titre qu'elle a rencontré Ramona Watts, sa compagne, après que beaucoup de lecteurs aient pronostiqué qu'elle formerait un couple avec Kate Bishop).

Dans ces comics où la diversité ethnique est toujours aussi peu représentée, quand elle ne paraît pas artificielle (comme les comics de Ta-Nehisi Coates où tous les héros blacks se rassemblent comme s'ils formaient naturellement une communauté), America Chavez échappe aux clichés en s'intégrant à toutes sortes de groupes et en imposant son tempérament. Peut-être est-ce aussi à cause de cela qu'elle ne figure jamais dans une équipe plus en vue (comme les Avengers) où elle aurait pourtant sa place (plus méritée à mon avis que Captain Marvel par exemple).

Prévue pour être publiée l'an dernier, America Chavez : Made in the USA a été reportée sine dine à cause de la crise sanitaire. On a même cru un temps que la série avait été annulée jusqu'à ce qu'elle apparaisse dans le planning de ce mois-ci. Je n'avais pas prévu de l'acheter mais j'ai pu lire ce premier épisode et je suis tombé sous le charme.

Kalinda Vazquez vient de la télé où elle a participé à lécriture de séries comme Prison Break ou Once Upon a Time, c'est son premier scénario de comics et Marvel a eu raison de lui accorder sa confiance car elle montre sans perdre de temps qu'elle a compris le personnage et a quelque chose à raconter avec. En fait, l'intrigue replace America Chavez comme une sorte d'équivalent de Superman dans l'univers Marvel : recueillie par de braves gens qui l'ont trouvée sur une plage, ils ignorent tout de sa provenance, depuis le Parallèle Utopique, une dimension parallèle où elle était élevée par ses deux mères. Ce n'est pas la première fois qu'un personnage évoque l'Homme d'Acier de DC (on pense à Sentry, Hyperion), mais ici, la référence fait sens et surtout les pouvoirs de America divergent de ceux de son modèle (elle est super-forte, vole, mais surtout peut créer des portails de téléportation en forme d'étoiles, surtout elle n'a rien de la bonne samaritaine car elle râle à tout bout de champ, s'impatiente facilement et brandit haut et fort ses différences ethniques et sexuelles).

L'histoire démarre avec un combat spectaculaire au cours duquel America voit ses pouvoirs partir en vrille et même carrément disparaître avant de revenir. Pour la première fois, elle prend une raclée, humiliante, et ressent la peur. Elle s'en ouvre auprès de Ramona, sa fiancée, mais fuit à la première occasion quand elle apprend que ses parents adoptifs sont en danger, fonçant tête baissée dans de nouveaux problèmes. Le tout est menée sur un train d'enfer, avec un bon dosage d'humour, d'action et d'émotion. C'est très vivant, dynamique, irrésistible. 

Carlos Gomez ne m'avait pas fait très forte impression précédemment, mais en même temps je connais très peu son travail, pas suffisamment pour le juger compétent ou négligeable. Alors ma surprise a été d'autant plus grande en découvrant ses planches pour cet épisode. Car c'est parfait, tonique, expressif, généreux.

America Chavez, comme je l'écris plus haut, a eu droit à de bons dessinateurs (Dragotta, Quinones, Molina, McKelvie, Caselli), et donc Gomez devait au moins se hisser à leur niveau pour ne pas décevoir. Mission accomplie haut la main. Comme nous avons là une jeune femme pulpeuse dans une tenue improbable (un shot cycliste, un tee-shirt, un blouson, des baskets : pas vraiment un costume super-héroïque classique donc), il faut déjà que le lecteur accepte ce look, ce physique. Gomez la représente en insistant sur sa gestuelle, ses mimiques, c'est une héroïne à la physicalité marquée, qui occupe l'espace.

Mais comme elle est aussi lesbienne, son rapport à la séduction diffère de ce qu'on attend, en tant que lecteur hétéro, d'une super-héroïne, à savoir que ce n'est pas qu'un objet fantasmatique pour les garçons - on peut même dire que America se moque de plaire au mâle consommateur de comics, sans renoncer toutefois à être féminine et attractive. Ce savant dosage en affirmation et charme, Gomez y parvient avec une belle facilité : America n'a rien d'une camionneuse mais rien non plus d'une playmate, et mine de rien, c'est une figure atypique dans le paysage des comics où l'hyper-sexualisation des héroïnes est un moyen aisée de les représenter.

Comme l'épisode est ponctué de flash-backs réguliers sur l'enfance de America quand elle est trouvée et adoptée, on apprécie aussi le talent de Gomez pour la dessiner plus jeunes, car c'est un exercice toujours délicat que les enfants dans les comics. Par ailleurs, le découpage choisi par Gomez exige de lui une générosité dans le détail avec des plans d'ensemble fréquents : les décors sont soignés, les éléments figuratifs importants, leur réalisme minutieux (sans avoir cet air trop artificiel qu'on peut reprocher à l'assistance infographique).

Bref, j'ai pris beaucoup de plaisr à ce premier numéro et j'espère que la suite gardera ce niveau. Qui sait, cela débouchera peut-être sur une série régulière pour America Chavez, ou en tout cas à une présence plus régulière dans une série suffisamment populaire.

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