jeudi 18 mars 2021

NIGHTWING #78, de Tom Taylor et Bruno Redondo


Infinite Frontier apparaît de plus en plus comme une nouvelle impulsion dans l'ère DC Rebirth : les séries changent d'équipes créatives, mais aussi de direction. C'est presque comme si l'éditeur avait décidé de convertir vraiment sa promesse initiale (réconcilier les fans "historiques" et les nouveaux, en misant sur des histoires plus positives). De ce point de vue, Nightwing est un titre qui revient de loin et Tom Taylor avec Bruno Redondo a compris qu'il fallait restaurer l'aura de ce héros emblématique. C'est réussi.


Dick Grayson a toujours été l'élève le plus appliqué de Batman, même quand il devait jouer des points pour protéger un camarade de classe harcelé, avec l'aide de Barbara Gordon. Craignant toutefois un blâme de son mentor, il était soutenu dans son initiative par Alfred Pennyworth.


Aujourd'hui, de retour à Blüdhaven, il corrige quelques voyous qui s'en prennent à un chiot. Le soir venu, à son insu pourtant, le vilain Blockbuster exprime son mécontentement auprès du maire et n'hésite pas à le tuer. Désormais, c'est l'adjointe de l'édile, Melinda Zucco qui le remplacera.


Au même moment, Dick Grayson rentre chez lui, avec le chiot, passé entretemps chez le vétérinaire. Mais Dick s'aperçoit que quelqu'un est chez lui. Quand il veut surprendre l'intrus, c'est lui qui est désarmé par Barbara Gordon, venue à Blüdhaven pour une mission personnelle.
 

Elle remet en effet des documents relatifs à l'héritage de Alfred Pennyworth qui, dans une lettre, lègue sa fortune, acquise grâce à de judicieux placements, à Dick. Celui-i reçoit ce legs avec émotion. Ceependant, Melinda Zucco rentre chez elle, consciente qu'elle va devoir s'occuper de Nightwing pour Blockbuster...

Cela fait longtemps maintenant que Nightwing est mal traité par DC. D'ailleurs, lorsque Dan Didio était encore en poste, il a longtemps manoeuvré pour tuer le personnage, dans le but de créer un électrochoc dans la Bat-family et chez les fans. Déjà peu gâté durant les New 52, Dick Grayson ne l'a guère plus été depuis le début de DC Rebirth (le début de sa série était pas mal, grâce à Tim Seeley et Javier Fernandez, mais ensuite Benjamin Percy puis Scott Lobdell ont conscieusement massacré le personnage).

Pourtant, interrogez un fan de DC et vous constaterez que Nightwing jouit toujours d'une vraie popularité, comme si, malgré ses revers de fortune éditoriaux, le personnage conservait une place à part, liée certainement au fait qu'il fut le premier sidekick de Batman puis le chef des (New) Teen Titans, et plus encore le premier héros qui a su s'affranchir de son mentor.

Tout cela, ce capital sympathie, ce statut, il y a apparemment un homme qui avait à coeur de les honorer. Scott Snyder a souvent exprimé son envie d'écrire Nightwing, mais c'est finalement à Tom Taylor qu'est revenu cette mission. Et, en un seul épisode, le scénariste de DCeased ou de Suicide Squad réussit à la remplir.

Cependant, on notera que Taylor a du (re)lire le Hawkeye de Fraction/Aja avant de se lancer dans l'aventure car il emprunte au classique de Marvel de manière parfois littérale. Clint Barton commençait par récupérer Lucky, un chien de mafieux russes. Nightwing sauve un chiot de brutes idiotes et finit par l'adopter. Barton faisait équipe avec Kate Bishop. Barbara Gordon refait surface dans la vie de Dick pour un grand moment d'émotion (et Taylor a prévenu qu'elle était là pour rester, aussi bien en tant qu'Oraclee que Batgirl). Barton avait maille à partir avec des caïds d'Europe de l'Est. Nightwing va retrouver sur sa route Blockbuster, mais aussi la famille Zucco, mêlée à la mort tragique de ses parents.

Je ne veux pas dire que Taylor copie Fraction, la série qu'il reprend ne s'inscrira pas dans la même veine (ne serait-ce que parce que Fraction écrivait plus Clint Barton - et Kate Bishop - que les Hawkeye, s'affranchissant du récit super-héroïque). Et puis, ces similitudes me rendent l'affaire sympathique (il y a pire comme modèle). Surtout, elles rendent une humanité et confèrent une originalité au sujet. Taylor a une idée claire de la manière dont il veut piloter sa série, en commençant par une remise à jour, en épousant le caractère de Dick Grayson (un authentique justicier, avec cet esprit bondissant). La présence dans les parages de Babs Gordon ajoute une note romantique irrésistible (même si deux camps s'opposent pour savoir qui est la girlfriend idéale de Dick : Starfire ou Babs ?).

Comme Taylor bénéficie d'un vrai crédit chez DC (où il s'est imposé bien plus naturellement que chez Marvel, qui n'a jamais sur quoi faire de lui), il dispose aussi d'un dessinateur à la hauteur de ses ambitions avec Bruno Redondo. Les deux hommes avaient déjà collaboré ensemble sur la précédente version de Suicide Squad pour un run bref mais acclamé.

Redondo s'inscrit dans un style réaliste et descriptif. Son dessin est précis, un peu rigide parfois, mais avec de belles compositions, une utilisation intelligente de l'espace. Surtout, ce qui distingue Redondo, c'est son trait, qui fait penser à la "ligne claire". Ses images sont toujours d'une grande lisibilité grâce à cela.

Il peut représenter une scène du passé avec des personnages adolescents très crédibles, puis passer à une autre au présent avec de l'action bien découpée, et encore à une autre de nuit, dans un cadre urbain avec des lumières qui sculptent les corps et les visages de manière à convaincre le lecteur qu'un moment décisif et dramatique va se produire (avec un usage allusif du hors-champ et du lettrage). Dick Grayson plus jeune, puis adulte dans sa tenue de Nightwing, ou la silhouette massive de Blockbuster introduisent chacun de façon rapide et évocatrice (l'adresse acrobatique du héros, la brutalité imposante du méchant).

Quand Barbara Gordon rentre en scène, elle est aussitôt identifiée comme cette jeune femme déterminée et malicieuse, dont l'alchimie avec Dick est immédiate. Redondo ne fait pas que soigner ses personnages, il signe des décors, intérieurs comme extérieurs, soignés, détaillés, en recourant à l'infographie (ce qui donne aussi cette impression de raideur, de trop grande linéarité à son trait, en même temps qu'elle en assure la lisibilité).

Pour les couleurs, on retrouve étonnament une palette identique à celle de Tamra Bonvillain dans Justice League, et pourtant c'est Adriano Lucas qui s'en charge ici. On peut s'interroger sur cette ressemblance - est-ce une volonté éditoriale ? Ou un hasard ? En tout cas, les teintes sont douces, presque acidulées. Comme Redondo utilise des trames pour texturer certaines parties de ses dessins, peut-être est-ce surtout le coloriste qui a choisi de ne pas trop en faire pour que les images ne soient pas noyées d'effets chromatiques. Mais le résultat, là encore, renvoie à une série Marvel (celle des débuts du Daredevil de Mark Waid avec Paolo Rivera et les couleurs de Javier Rodriguez).

Ces remarques ne sont pas des reproches, et il n'y a pas douter que Nightwing affirmera son identité narrative et graphique. La lecture de cet épisode est en tout cas un sacré progrès pour la série et le personnage, comme si, pour le coup, on assistait à un relaunch longtemps espéré.

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