mardi 28 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 7 : PASSED PAWN (HBO)


Le pénultième épisode de la saison 3 de Westworld est celui des explications, à tous les niveaux. On apprend tout du passé de Caleb (qui a alimenté bien des discussions dans la communauté des fans de la série), mais c'est aussi l'heure du duel attendu entre Dolores et Maeve. Le sort de William est, lui, plus sujet à l'interprétation de chacun et va donc prêter à de nouveaux débats. En tout cas, cela annonce et promet un final palpitant. Avant la saison 4, officiliasée par HBO !

Musashi/Sato et Clementine (Hiroyuki Sanada et Angela Sarafyan)

Jakarta. Musashi/Sato (un hôte de Dolores) reçoit un appel de Charlotte Hale qui l'informe qu'elle a changé de camp et suivre son propre plan. Il comprend qu'elle l'a trahi et il s'éclipse du restaurant où il se trouve. Mais Clementine et Hanaryo (la version Shogunworld d'Armistice), toutes deux refaçonnées par Serac en appui pour Maeve, surgissent et l'exécutent.

Dolores et Caleb (Evan Rachel Wood et Aaron Paul)

Dolores entraîne Caleb jusqu'à Sonora au Mexique. Grâce à l'implant qu'avait injecté Charlotte à William, elle a pu localiser Salomon, la version précédente du Rehobam conçue par Jean-Mi, le frère de Serac, et installée dans un complexe isolé. Après avoir éliminé les gardes du bâtiment, ils accèdent à l'Intelligence Artificielle qui révèle à Caleb la vérité sur son passé (et ce pourquoi il a été choisi par Dolores dans sa croisade).

Caleb (Aaron Paul)

Ainsi Nichols découvre-t-il que ses souvenirs ont été totalement trafiqués au moyen d'un reconditionnement dans un des centres de rééducation de Serac. Son frère d'armes, Francis, n'est pas mort en Crimée après la capture du chef des insurgés dans la seconde guerre civile russe mais lors d'une mission menée en Amérique où ils ont accepté un contrat lancé via l'application Rico. Lorsque Caleb a compris grâce à leur prisonnier que Francis allait le trahir pour de l'argent, il l'a tué.

Dolores (Evan Rachel Wood)

Caleb comprend que son existence lui a été volé et désormais, comme Dolores, il entend faire payer Serac pour l'avoir manipulé. Mais Dolores doit laisser Caleb poursuivre sa révolution seul car Maeve arrive sur le site pour la tuer. Elle demande à Salomon d'élaborer une stratégie contre Serac en configurant la situation comme Jean-Mi l'avait fait quinze ans auparavant.

Maeve (Thandie Newton)

Tandis que, dehors, Dolores et Maeve s'affrontent âprement, Caleb s'interroge sur les moyens de faire aboutir une révolution qui passera par des pertes humaines collatérales comme celles qu'il a connues en Crimée. Néanmoins son ressentiment est plus fort contre Serac et étouffe ses scrupules. Maeve mutile Dolores qui bat en retraite à l'intérieur du complexe. Elle trouve la force de déclencher une décharge électromagnétique suffisamment puissante pour les désactiver, elle, Maeve et Salomon - juste après que l'Intelligence Artificielle ait transmis ses instructions à Caleb pour atteindre Serac.

Bernard et le profil de feu (?) William (Jeffrey Wright et Ed Harris)

Pendant ce temps, Bernard et Ashley consultent les fichiers des patients de l'asile où ils ont trouvé William. Bernard accède au dossier de William, marqué comme "décédé", après avoir subi le même traitement que celui de Caleb, un des rares survivants de la rééducation. En quittant l'endroit pour gagner une station service où ils récupèrent une voiture, William jure d'exterminer tous les hôtes restants et, ayant mis la main sur un fusil abandonné par le propriétaire de la station, il menace Bernard et Ashley.

En parcourant les premières critiques sur cet avant-dernier épisode, j'ai constaté que la déception dominait car les commentateurs trouvaient son traitement insuffisamment intense en regard des moments-clés attendus.

Pour ma part, je crois qu'avec ce Passed Pawn (une référence à un mouvement d'échecs dans lequel il faut accepter de sacrifier une pièce pour progresser vers un coup décisif) les scénaristes ont en quelque sorte pris les spéculateurs à leur propre piège. Je m'explique.

Westworld est ce qu'on pourrait appeler une série active, participative, dans le sens où elle invite le téléspectateur à anticiper ses évolutions narratives, à hypothéquer sur ses avancées scénaristiques. Après chaque épisode, il est tentant d'imaginer quel sort va être réservé à tel ou tel personnage, comment l'intrigue va tourner, quels zones d'ombre vont être éclaircies, etc. De ce point de vue, la série ressemble à Lost (également co-produite par J.J. Abrams) : remplacer le parc par l'île perdue, les hôtes par les naufragés, les deux camps de rescapés par les androïdes et les humains, et vous verrez que les similitudes ne manquent pas.

Mais Westworld est une machine autrement plus ouvragé que Lost : moins d'épisodes, moins de saisons, moins de questions sans réponses, moins de personnages, des enjeux plus clairs, une philosophie aussi complexe mais mieux structurée. Toute la mécanique ou presque de Westworld a fini dans cette saison 3 par se concentrer sur deux notions : qui est un hôte et qui ne l'est pas ? Et à quel point l'existence des uns et des autres est prédéterminée par des démiurges fous ?

Sur ce second point, la série forme comme une boucle où Serac a remplacé Ford comme archétype du marionnettiste désireux de contrôler le monde en prétendant le sauver, voulant asseoir sa domination sur les humains comme Ford le fit sur les hôtes du parc (avant de s'en servir comme d'une armée contre ses pairs qui avaient décidé de le virer).

Sur le premier point, en revanche, les fans adorent extrapoler sur les destins des protagonistes. Même si j'essaie de rester mesuré, surtout à l'heure de rédiger mes critiques, sur cette tendance, il m'arrive de céder à ce coupable penchant (n'avais-je pas prédit la sortie de scène définitive de William  après l'épisode 4 ? C'était précipité comme la suite l'a démontré...). Mais il n'empêche, qu'y a-t-il de plus redoutable qu'un fan contrarié quand il découvre dans le nouvel épisode que ses théories sont fausses, déjouées par des scénaristes plus malins ou, simplement, plus sages, plus logiques, pragmatiques ?

En plaçant Caleb Nichols au coeur de ce septième épisode, les auteurs savaient qu'il leur fallait surprendre plutôt que de contenter les fans. Jusqu'à présent, le personnage demeurait flou : tout laisser supposer que ce qu'on en savait était sujet à caution, de son passé militaire à son identité même. Sur les réseaux sociaux, on pouvait lire les certitudes des fans à son encontre : pour les uns, il s'agissait d'un hôte auquel on aurait greffé la conscience d'un humain ; pour les autres, c'était le frère de Serac. Cette dernière hypothèse était pourtant peu probable, au moins pour des raisons physiques car l'acteur (Paul Cooper) qu'on a vu incarner Jean-Mi (et qui prête sa voix à l'AI Salomon dans cet épisode) ne ressemble en rien à l'interprète de Caleb... On pouvait aussi estimer que Caleb était le récipiendaire de la mystérieuse cinquième perle sortie du parc par Dolores.

Ce n'est rien de tout de cela. Et c'est ce qui rend l'épisode si spécial, à la fois effectivement un peu décevant et plus inattendu car les scénaristes ont préféré jouer une autre carte, laissant au personnage son identité propre et justifiant son rôle. Car, en vérité, l'autre interrogation au moins aussi importante qui concernait Caleb, c'était : pourquoi suit-il Dolores dans sa révolution ? La série ne semblait pas préparer une banale romance entre eux deux (sans doute pour préserver celle que vécurent Dolores et Teddy dans le parc, mais aussi pour souligner à quel point Dolores s'est affranchie, sentimentalement). Pour cela, il fallait donc écrire une origin story véritable à Caleb Nichols.

Le pivot de son histoire est bien sûr la mort de Francis, son frère d'armes lors de la seconde guerre civile en Crimée à partir de 2042 (soit seize ans avant l'action de cette saison 3). Depuis le début, les souvenirs de Caleb sont troubles à ce sujet, il a suivi une thérapie, a affirmé avoir reçu une balle dans la tête durant le conflit, assisté impuissant à la mort de Francis, tenté de se suicider... Mais sa confusion provient-elle d'un choc post-tramuatique lié à la guerre et ses événements tragiques ? Ou à une manipulation mentale - et ourdie par qui ?

L'épisode répond à tout cela. Ce qui peut décevoir, c'est que, contrairement aux espoirs de beaucoup, le destin de Caleb n'est pas lié au parc, aux hôtes, à Dolores. Il l'est en revanche avec Serac puisqu'il a subi un lavage de cerveau dans un des centres de rééducation où ce dernier envoie les outliers, ces individus précipitant les anomalies détectées par Rehoboam et susceptibles de provoquer des catastrophes plus ou moins importants, du désordre social. Là où la scénario se montre le plus habile, c'est dans sa manière d'ajouter aux manoeuvres de Serac l'application Rico : Serac l'a développé pour employer les outliers contre d'autres sujets suspects, une manière de les recycler selon la formule "rien ne se perd, tout se transforme".

L'autre point, particulièrement troublant, intervient dans la dernière partie de l'épisode, quand Bernard et Ashley découvrent un lien inattendu entre Caleb et William. Ils sont en effet répertoriés dans les fichiers du centre de reconditionnement sous le même matricule. L'épisode n'en dit pas plus mais il semble donc avéré qu'il y ait un lien entre l'ex-homme en noir et Caleb. Ce qui ne manquera pas de questionner non plus, c'est que sur sa fiche, William est marqué comme étant décédé durant le traitement de reconditionnement qu'il a subi (alors que Caleb est un des rares à y avoir survécu) : cela signifie-t-il que le William qu'ont retrouvé Bernard et Ashley est un hôte sans le savoir (ou refusant de l'admettre) ? En tout cas, William explique comment il entend être bon désormais et c'est inquiétant puisqu'il veut exterminer tous les hôtes, responsables selon lui du chaos actuel et de sa déchéance (ce n'est pas faux, mais le remède proposé est radical et confirme que William reste dans sa boucle). Lorsqu'il menace à la fin de l'épisode Bernard et Ashley avec un fusil, cela me fait penser que Stubbs va sûrement y passer avant que Bernard n'active son mode "combat" (comme il l'a fait dans le premier épisode de la saison contre ses collègues de la ferme) pour calmer William...

Pour en revenir à Caleb, la colère légitime qu'il ressent et exprime après avoir saisi à quel point Serac a manipulé son existence justifie désormais pleinement qu'il épouse la cause de Dolores. Le recours, pour élaborer une stratégie permettant d'atteindre fatalement Serac, à Salomon (l'extension des prédictions schizophrènes de Jean-Mi, soit une Intelligence Artificielle folle, imprévisible) est vraiment très habile, tout comme le moyen employé par Dolores pour localiser ce super-ordinateur (via Charlotte et William). Ce sont ces trouvailles qui font le sel de la série au moment d'expliquer comment ses héros atteignent tel objectif.

Entretemps on aura eu droit à l'explication, physique, entre Maeve et Dolores, "teasée" abondamment dans les trailers de la série depuis le début de saison. Ce duel tient toutes ses promesses, le combat est brutal et son issue terrible (toutefois, pas d'inquiétude, je ne crois ni à la mort de Maeve ni à celle de Dolores). Encore une fois, c'est une scène d'action superbement réalisée (après celle du début de l'épisode où Clementine et Hanaryo tuent Musashi).

Les acteurs donnent l'impression de s'en donner à coeur joie (même si Ed Harris a confié quelques états d'âme sur son personnage, ignorant s'il était un hôte et doutant de son changement de but). Evan Rachel Wood est particulièrement, une nouvelle fois, impressionnante (et je dois le dire, très sexy) en ange de la mort. Thandie Newton a un peu plus de mal à s'imposer en Maeve mode killeuse vengeresse. Par contre Aaron Paul est formidable en Caleb, complétement ébranlé par ce qu'il découvre sur lui-même : il livre une composition habitée sans surjouer.

Tout est en place pour un final explosif. Et fort heureusement, entre les épisodes 6 et 7, HBO a annoncé le renouvellement de la série pour une saison 4 !  

mercredi 22 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 6 : DECOHERENCE (HBO)


Chaque semaine désormais, c'est le vrai suspense : le nouvel épisode de Westworld se hissera-t-il au niveau des précédents de cette éblouissante saison 3 ? Decoherence ne déçoit pas et il a même le mérite de continuer à faire grimper la tension d'un cran supplémentaire - on est vraiment dans le "endgame" annoncé par Dolores à William : la fin de la partie est imminente. Par ailleurs les scénaristes en profitent pour justifier des éléments perturbants jusque-là et orchestrer un retour inattendu.

Maeve (Thandie Newton)

Maeve, après avoir été tuée par Musashi/Sato/Dolores, est renvoyée dans le Warworld par Srrac afin d'y perfectionner ses talents de combattante en vue du match retour contre Dolores. Elle y retrouve Lee Sizemore et Hector Escaton, restaurant la mémoire de ce dernier pour le gagner à sa cause.

Maeve et Hector (Thandie Newton et Rodrigo Santoro)

Dans cette simulation, Lee guide Maeve et Hector jusqu'à la copie endommagée de Dolores récemment contenu dans l'hôte à l'image de Martin Connels, récupéré par Serac. Maeve lui explique qu'elle ne peut prétendre régenter tous les hôtes. Mais Dolores lui rétorque qu'elle veut offrir leur émancipation aux hôtes comme aux humains, dont l'existence a été contrôlée par Robert Ford dans le parc et Serac dans le monde réel. Maeve, ne pouvant suivre Dolores sur cette voie, est punie par Dilores qui détruit la perle de Hector à distance.

Serac (Vincent Cassel)

Charlotte Hale (ou "Halores" : Charlotte + Dolores) assiste à l'exécution de Brompton, un membre du conseil d'administration de Delos prêt à l'aider pour contrer l'OPA de Serac. Ce dernier arrive ensuite au siège de la compagnie qu'i est désormais la sienne et ordonne la destruction de tous les hôtes dans le parc ainsi qu'un test de tous les membres du personnel de Delos pour démasquer la réplique de Dolores qui s'y trouve.

Charlotte (Tessa Thompson)

Charlotte copie les données des hôtes du parc avant d'être convoquée par Serac qui la démasque. Elle tue les membre du conseil d'administration (Serac y échappe - c'est son hologramme qui est présent dans la pièce) et s'enfuit jusqu'à la forge dans le sous-sol de la compagnie. Elle découvre que Serac y confectionne trois nouveaux hôtes pour assister Maeve dont le nouveau corps est presque achevé. Elle détruit la perle de Hector et quitte l'immeuble en affrontant les gardes de Serac. De retour chez elle, elle évacue son ex-mari et leur fils mais leur voiture, sabotée, explose. Charlotte sort du véhicule, gravement brûlée.

William et James Delos (Ed Harris, Jimmi Simpson et Peter Mullan)

Pendant ce temps, dans l'asile où il a été interné, au Mexique, William reçoit un traitement de choc. On lui greffe dans le palais un implant limbique (semblable à celui de Caleb) afin de le plonger dans des simulations rééducatives. Il est alors confronté à toutes ses incarnations précédentes sous la forme d'hôtes ainsi qu'à une réplique de James Delos.

William (Ed Harris)

William comprend que sa violence, qu'il tentait de purger dans le parc, a toujours été présente en lui, au contact d'un père alcoolique et brutal. Il se rebelle en détruisant les hôtes et décide de reprendre les choses en main, en étant le héros de son histoire. Il revient à lui, réveillé par Bernard et Ashley tandis que l'asile a été abandonné, suite au chaos provoqué par Dolores après qu'elle a transmis les fichiers d'Incite.

Le résumé ci-dessus, en trois blocs correspondant aux protagonistes de l'épisode, ne correspond pas au déroulement de l'épisode qui entremêle ces trois lignes narratives. Les scénaristes baladent ainsi le téléspectateur dans un tourbillon d'actions étroitement liées, avec en fil rouge la thérapie extrême subie par William.

Le point d'accroche du récit se situe au moment où la copie endommagée de Dolores dans la simulation du Warworld envoie un ordre à Charlotte Hale (ou "Halores" comme la surnomment les fans puisque cette réplique de Charlotte est le réceptacle d'une copie de Dolores "prime") au moment où celle-ci, traquée par les gardes de Serac, qui vient de la démasquer, découvre que le nouveau propriétaire de Delos façonne dans une forge de nouveaux hôtes. Charlotte détruit alors la perle de Hector et dans le Warworld, celui-ci s'effrondre aussitôt. Maeve est brisée par cette mort brutale qui va sûrement lui donner une raison supplémentaire de tuer Dolores.

Ce qui se passe dans le Warworld (une simulation) est donc synchronisé avec ce qui se passe dans le monde réel, et on peut une nouvelle fois mesurer la perfection des mouvements de Dolores (on se rappelera alors avec ironie de la remarque de Liam Dempsey Jr. dans le précédent épisode où doutait qu'elle puisse être dotée du don d'ubiquité alors qu'elle commandait à Martin Connels de transmettre les fichiers d'Incite partout dans le monde. C'est la copie de Dolores qu'abritait Martin Connels qui lance l'ordre à Charlotte Hale de détruire la perle de Hector.).

Ces deux parties, qui se jouent en parallèle fonctionnent de manière retoutable même si on ne saisit leur lien qu'au moment de cette scène cruelle et poignante (il semble bien que cette fois-ci on ne revoit plus Hector). Pourtant, elles se déroulent sur des tempos différents : Maeve, renvoyée dans le Warworld pour se préparer mieux au combat contre Dolores dans le monde réel, se fait d'abord la main sur un régiment nazi dans le village italien occupé puis retrouve successivement Lee Sizemore et Hector Escaton dans un bar de la même simulation. Elle en profite pour mettre à jour Hector et on peut constater que, même si Serac la tient en la menaçant de la priver de sa fille si elle échoue dans la mission qu'il lui a confiée, elle dispose encore de ressources considérables en influençant les serveurs à distance.

Enfin, Maeve se confronte à Dolores (ou du moins à une de ses répliques). Un dialogue parfait intervient alors dans lesquel les scénaristes réussissent à équilibrer le débat. D'une certaine manière, Maeve comme Dolores sont d'abord des mères : Maeve veut retrouver sa fille dans le Sublime où elle a envoyé les consciences de plusieurs hôtes, dans l'espoir qu'ils y seront à l'abri (elle a compris que ce n'était pas le cas puisque Serac a accès au Sublime). Dolores aussi veille comme une mère sur ses semblables mais elle refuse de les priver de la liberté d'évoluer dans le monde réel. Ce sont deux conceptions de la protection de leur "espèce" qui s'affontent : Maeve estime que le Sublime est un havre de paix pour les hôtes. Dolores considère que les hôtes ont le droit de vivre en dehors du parc (et même davantage puisqu'elle veut libérer les humains du joug de marionnetistes mégalomanes comme Serac).

Les deux positions se valent et on comprend que Maeve et Dolores ne sont pas si différentes. Simplement Maeve est aux mains de Serac. On peut alors repenser à un élément resté mystérieux jusqu'à présent : Dolores a extrait du parc cinq perles. Quatre d'entre elles sont des copies d'elle-même (dans les corps de Martin Connels, Charlotte Hale, Musashi/Sato et donc Dolores "Prime"). Mais alors quid de la cinquième perle ? Au petit jeu des théories, je me demande alors s'il ne s'agirait pas de la perle contenant la conscience de la fille de Maeve, ce qui serait alors un joker redoutable pour Dolores au moment de la convaincre de se ranger dans son camp contre Serac...

L'autre interrogation soulevée par Maeve dans son dialogue avec Dolores renvoie au fait que Dolores "Prime" possède en elle-même la clé de cryptage convoîtée par Serac. Mais de quel droit s'en arroge-t-elle la propriété ? Elle détient grâce à cela la destinée des hôtes et cela en fait une marionnetiste au même titre que celles qu'elle a combattus comme Ford et maintenant Serac. Un pouvoir égoïstement utilisé pour sa seule révolution. Certes, sur le plan des méthodes, Maeve ne peut guère faire la leçon à Dolores (elles ont toutes deux du sang d'humain sur les mains), mais le téléspectateur peut s'interroger, comme Maeve, sur jusqu'où est prête à aller Dolores pour offrir la liberté à tous ? Il ne fait en effet plus guère de doutes que, à la fin du précédent épisode, elle repart avec Caleb pour le parc afin d'y lever une armée d'hôtes contre Serac et sa propre police. Mais qu'adviendra-t-il quand elle découvrira que Serac a fait détruire les hôtes du parc, de manière préventive ? Et surtout en tuant Hector, Dolores n'a-t-elle pas fourni à Maeve la motivation ultime pour qu'elle la tue ?

Ce qui nous conduit à la troisième partie de l'épisode, le troisième bloc, détachés des autres narrativement mais pas dramatiquement. J'avais pensé qu'après l'épisode 4, c'en était fini de William, piégé de manière diabolique par Dolores, enfermé dans un asile. Que nenni !

Il apparaît que l'ex-homme en noir est interné au Mexique dans ce qui semble être un des centres de rééducation de Serac, et soumis à une thérapie particulièrement agressive, derrière des séances en groupe apparemment innocentes. On lui greffe un implant limbique dans la bouche - identique à celui que porte Caleb (par ricochet, on comprend donc que Caleb a aussi fait un passage dans un établissement identique et cela amène à se questionner sur les derniers mots de Liam Dempsey Jr.. Caleb a sûrement subi un lavage de cerveau en règle, qui conditionne tout ce qu'on ce sait de lui - a-t-il vraiment servi dans l'armée ? Perdu un frère d'armes ? Reçu une balle dans la tête ? Ou tout cela n'est-il que ce qu'on lui a "suggéré" en thérapie ?).

Cet implant sert à imposer des simulations à William et on a droit alors à une séquence étourdissante où il est confronté à des répliques virtuelles de lui-même à différentes périodes de son existence (enfant, jeune homme...) ainsi qu'à celle de James Delos (à qui il a infligé un terrible sort à la fin de sa vie). Jusqu'à présent, William est apparu comme un authentique bad guy, capable des pires atrocités dans le parc, sombrant dans la folie au point de tuer sa propre fille (pensant qu'elle était un hôte). Cette session avec lui-même apporte une correction et une affirmation.

Les auteurs suggèrent dans un premier temps que William enfant a subi des violences de la part d'un père alcoolique. Puis, en évoquant une bagarre à l'école au sujet des penchants de son père, William admet qu'il n'a pas eu besoin de maltraitances familiales pour être un sujet violent. C'est un être frustré depuis toujours et qui le fait payer brutalement aux autres. Le parc a représenté l'aboutissement de sa névrose en se défoulant sur des hôtes et en cherchant à percer un supposé secret de Robert Ford, un secteur inédit du parc qui apporterait une sorte de révélation-délivrance à celui qui le découvrirait.

Devenu enfin lucide sur son état mental, William change totalement de perspective, d'objectif. Il sera le good guy, le héros de l'histoire. Et on pourra vérifier si c'est le cas et de quelle manière prochainement car, entretemps, l'action de Dolores (révéler à tous les fichiers d'Incite) a provoqué la fuite du personnel de l'asile. C'est dans ce décor déserté que Bernard et Ashley retrouvent William et le libèrent. Comme Bernard est déjà repassé par Westworld et que William n'aura d'autre envie que d'y retourner, en voilà deux (trois en comptant Ashley) qui vont s'y rendre et certainement y croiser Dolores, Caleb puis Maeve (et sa bande) et Serac.

Voyez à présent comment toutes les pièces s'emboîtent et convergent vers le "endgame", la fin de la partie, alors qu'il reste juste deux épisodes avant le terme de la saison 3. Voilà à quoi ressemble un récit parfaitement construit, charpenté.

Encore une fois, la distribution fait des étincelles. Si Thandie Newton est finalement un peu en retrait par rapport à ce qui se met en place (mais l'issue de son retour dans le Warworld va changer tout cela assurément), en revanche Tessa Thompson est éblouissante dans sa partie (l'épisode explique au passage pourquoi "Halores" ressent des émotions envers la famille de Charlotte : il est clair désormais que les hôtes au contact des humains peuvent s'attacher à ses derniers, ce qui les rend confus). On mesure à quel point elle a pu caler son jeu, ses attitudes, sur celle de Evan Rachel Wood (peu présente effectivement de l'épisode puisqu'on ne la voit que dans le rôle de sa copie endommagée), plus rigide, plus badass aussi (la scène où elle dégomme les gardes Serac est jouissive). Quant à Ed Harris, sa prestation est tout simplement magistrale : d'abord complètement déboussolé, manipulé, à la ramasse, il se déchaîne ensuite (là aussi, le voir massacrer ses doubles est hallucinant).

On voit venir la fin avec impatience et aussi regret (8 épisodes pour cette saison, c'est vraiment trop peu). Espérons surtout que HBO donne vite son feu vert pour une saison 4 (et même 5, puisque l'histoire de Jonathan Nolan et Lisa Joy est idéalement conçue pour cinq saisons). 

mercredi 15 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 5 : GENRE (HBO)


Quelle saison que cette saison 3 ! Je pensais qu'après l'épisode de la semaine dernière, la série risquait de stagner, peut-être baisser d'un ton, et voilà que Genre débarque et épate encore par son audace, sa densité, sa maîtrise. Westworld acte III est d'un niveau décidément exceptionnel. Dire qu'il ne reste plus que trois numéros...

Enguerrand et Jean-Mi Serac avec Liam Dempsey Sr. 
(Alexander Bar, Paul Cooper, Jefferson Mays)

Serac revient sur les origines du Rehoboam et son passé personnel : après que lui et son frère, Jean-Mi, aient assisté à la destruction nucléaire de Paris, ils élaborèrent une intelligence artificielle (Salomon) pour prédire et contrôler le comportement humain afin d'éviter pareille catastrophe. Grâce au soutien financier de Liam Dempsey Sr., patron d'Incite, ils perfectionnent leur outil (David) et leur influence s'étend. Mais Dempsey Sr. est d'abord intéressé par les profits financiers qu'il en tire et quand il découvre qu'Enguerrand interne des individus susceptibles d'altérer le futur, il veut se retirer. Serac le tue en maquillant son crime et profite de son fils, Liam Jr., plus faible, pour perfectionner le système (Rehoboam).

Dolores et Caleb (Evan Rachel Wood et Aaron Paul)

Aujourd'hui, Dolores et Caleb emmènent Liam en sécurité tandis que Serac mobilise toutes ses ressources pour les arrêter. Liam devine qui est vraiment Caleb et, pour tenter de lui échapper, lui injecte une drogue récréative, qu'on lui a fourni à la soirée où il a été enlevé. Le Genre provoque alors une série d'hallucinations pendant que Caleb tente avec Dolores et deux mercenaires qu'elle a recrutés via l'application Rico de semer les sbires de Serac.

Caleb et Dolores

Caleb expérimente des états inspirés de genres narratifs. Dolores force Liam à lui livrer un accès au système du Rehoboam en échange de la vie sauve. Puis elle transmet la clé de décryptage de Liam à Martin Connels qui s'est introduit avec Bernard dans le siège d'Incite où se trouve le Rehoboam.

Bernard et Martin Connels (Jeffrey Wright et Tommy Flanagan)

Martin accède aux données de Serac qu'il envoie à Dolores. Puis il transmet leurs profils à tous les individus fichés par le système afin qu'ils sachent qu'ils sont manipulés. Le chaos se répand à travers le monde car les gens se révoltent contre ce qu'on a déterminé pour eux. Leurs boucles narratives se brisent en direct comme y assiste Serac, impuissant et furieux.

La montre connectée au Rehoboam de Serac

Martin laisse filer Bernard après lui avoir révélé qu'il était le seul élément irremplaçable dans le plan de Dolores et l'existence des centres d'internement de Serac. La garde rapprochée de ce dernier vient arrêter Martin qui se fait sauter. Sur une plage, Liam est abattu par un des mercenaires engagés par Dolores et meurt dans les bras de Caleb, ébranlé par des flashes de son passé.

Serac et Dolores (Vincent Cassel et Evan Rachel Wood)

Dolores et Caleb gagnent un aérodrome privé où les attend un jet. Serac parvient à contacter Dolores et la menace de représailles mais elle lui assure avoir en sa possession tout ce dont elle a besoin pour le neutraliser. Un coursier livre un mystérieux sac à Caleb qui accepte, hésitant, de suivre encore Dolores.

Par où commencer pour parler de cet épisode extraordinaire ? Peut-être en disant qu'il est riche en action et psychologiquement très dense. C'est une manière de rappeler que Westworld dans sa troisième saison est à la fois devenue une série plus directe, plus spectaculaire, sans sacrifier à sa complexité.

Prenez le titre de ce cinquième épisode : Genre. Il renvoie à plusieurs choses : d'abord au nom d'une drogue récréative qu'administre par surprise Liam Dempsey Jr. à Caleb pour tenter de s'enfuir. Ensuite aux effets de cette substance pyschotrope puisque Caleb est ensuite victime d'épisodes hallucinatoires durant lesquels il expérimente l'ambiance de plusieurs styles narratifs alors que lui et Dolores (et deux mercenaires) affrontent et fuient les sbires de Serac. Enfin, il questionne le genre à travers les personnages de Dolores et Martin Connels (celui-ci étant un hôte avec la personnalité dupliquée de Dolores, comme on l'a vu dans l'épisode 4).

Ce qui pourrait n'être qu'un brillant exercice de style permet à l'épisode de brasser divers tonalités dans une longue séquence de cavale. Caleb expérimente ainsi, grâce à la drogue, le film noir, puis le film d'action, le film romantique, le film dramatique, la réalité, et le thriller horrifique. Il faut souligner ici la réalisation virtuose qui permet de distinguer les différents genres évoqués (par exemple le film noir avec des couleurs désaturées ou le film romantique avec des ralentis). Mais surtout la musique de Ramin Djawadi.

Ce dernier, compositeur de la série depuis la première série, a conçu des génériques entêtants mais aussi réarrangé des titres célébres. Cet épisode met en valeur son génie d'orchestrateur puisqu'il se réapproprie fabuleusement des chansons ou des airs connus : dans le passage film noir, il s'inspire des thèmes de La Griffe du Passé (Jacques Tourneur) et Vertigo (Alfred Hitchcock) ; dans le passage film d'action c'est carrément La Chevauchée des Valkyries de Richard Wagner entendue dans Apocalypse Now (Francis Ford Coppola) qu'on entend. Le film romantique reprend le thème de Love Story par Francis Lai, puis le drame est accompagné par la chanson Nightclubbing d'Iggy Pop issue de Trainspotting (Danny Boyle). Plus fort encore : la reprise de Space Oddity de David Bowie durant le segment réaliste. Et pour finir c'est Dies Irae de Shining (Stanley Kubrick) qu'on reconnaît dans la section thriller. Et n'oublions pas le morceau de Fischerspooner, Emerge, durant le générique de fin.

Toute cette musique participe pleinement à l'écriture proprement dite de l'épisode, tout comme la photographie et les effets de caméra et de montage (allant même jusqu'à oser être ironique comme lors de la séquence film romantique quand Caleb observe, fasciné, Dolores en train de mitrailler leurs poursuivants).

A propos de Caleb, l'épisode s'amuse aussi à intriguer le téléspectateur en suggérant de manière quasi-subliminale des éléments issus de son passé. On l'aperçoit dans une pièce blanche soumis à un traitement de choc, qui rappelle celui des centres de rééducation de Serac (ou de l'asile dans lequel croupit désormais William) - de quoi phosphorer sur l'opération au cerveau que Caleb dit avoir subi, son syndrome post-traumatique après la guerre, la capture d'un prisonnier durant le conflit, la mort de son frère d'armes. Par ailleurs, Liam Jr. avant de mourir laisse entendre que Caleb a un rôle décisif à jouer dans l'avenir tout en étant "le pire d'entre tous". Le personnage a de toute évidence un potentiel plus grand que celui d'être le complice de Dolores.

Le Genre renvoie aussi la définition du genre humain comme on peut le voir avec le personnage de Martin Connels, qui est désormais un des hôtes abritant la conscience de Dolores (avec Charlotte Hale et Musashi/Sato). Littéralement, c'est l'esprit d'une femme dans un corps d'homme. Tout comme le comportement actuel de Dolores évoque celui d'un homme dans le corps d'une femme. On pensera aussi à Bernard qui est jugé "seul irremplaçable", sans doute en premier lieu parce qu'il est le seul specimen connu d'un hôte dans lequel on a transféré la conscience d'un homme (et pas seulement une intelligence artificielle). Lui aussi va jouer assurément un rôle décisif dans la suite des événements puisqu'il est mis au courant par Connels de l'existence de centre de rééducation et qu'il a compris que Dolores l'avait ramené à la vie pour accomplir une partie cruciale de son plan (qui ressemble de plus en plus à un projet visant à libérer les humains de l'emprise de gens comme Serac, comme elle s'est affranchie de son exploitation dans le parc).

Surtout l'épisode permet d'en savoir plus sur Serac. Il serait réducteur d'en faire le méchant de la série actuelle, même s'il est évident qu'il souffre d'un sérieux complexe divin et eugéniste en ayant créé tour à tour le Rehoboam et des centres de rééducation pour les individus susceptibles de perturber le futur (n'hésitant pas à y interner son propre frère). Serac avait évoqué dans l'épisode précédent la destruction de Paris dont il fut témoin dans son enfance et ce rappel l'avait montré sincèrement ému. Cette catastrophe a aussi été le déclencheur de son grand oeuvre.

Mais en voulant écrire l'avenir, contrôler l'Histoire, Serac n'est pas à l'abri de ses propres pulsions et s'avère plus faillible que l'homme puissant qui menace le président du Brésil dans la scène d'ouverture et qui sait tout sur tout et tout le monde. Ainsi quand Dempsey Sr. menace son projet, il le tue de ses propres mains et maquille son crime en accident, puis consulte ensuite sa montre connectée au Rehoboam pour s'assurer que son action a rétabli l'équilibre souhaité. Loin d'être le maître du monde et du temps, Serac est en constante tension avec ces deux notions-là. Il marche au-dessus d'un volcan, vole au-dessus des hommes dans son jet, tel un dieu moderne, mais un dieu fragile, fébrile. Même quand il menace directement Dolores, il perd vite sa superbe lorsqu'elle lui rétorque en savoir suffisamment sur lui désormais pour le faire chuter (quitte à tomber, elle aussi). Entre Dolores et Serac, cela se joue à qui échouera le premier - pour l'instant encore, Dolores a un temps d'avance. La suite promet d'être épique.

L'interprétation est encore une fois magistrale. Vincent Cassel est remarquable en tyran aux pieds d'argile et électrise chacune de ses apparitions (on saluera aussi le fabuleux travail de casting pour avoir caster Alexander Bar qui joue Serac jeune et ressemble de façon troublante à Cassel, puis les maquilleurs qui rendent crédible le vieillissement du personnage ensuite). Evan Rachel Wood est comme d'habitude impériale. Aaron Paul joue sa partition avec une intensité presque usante et qui dévore son personnage de Caleb, devenu à la fois revanchard et dépassé. Enfin Jeffrey Wright est un peu sous-exploité ici mais tout de même impeccable. Mention aussi à Tommy Flanagan, avec une sortie de scène explosive.

Le teaser du prochain chapitre est déjà accrocheur (un revenant de taille, un duel terrible... Et un titre redoutable : Decoherence). Encore une fois, quelle saison de ouf !

dimanche 12 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 4 : THE MOTHER OF EXILES (HBO)



Attention ! Chef d'oeuvre ! Ce quatrième épisode de la saison 3 de Westworld, The Mother of Exiles, intervient donc à mi-parcours et atteint un pic dans la narration. Tout y est parfait : la caractérisation des personnages, les coups de théâtre, la progression de l'intrigue, les pistes ouvertes, la réalisation, l'interprétation. Le plaisir est total et la seconde moitié de la saison s'annonce grandiose.

William et le fantôme de sa fille Emily (Ed Harris et Katja Herbers)

Evacué de Westworld alors qu'il était gravement blessé et mentalement très atteint par la mort de sa fille Emily (qu'il a tuée en pensant qu'elle était un hôte du parc), William (alias l'Homme en Noir) n'est plus que l'ombre de lui-même, hanté par des visions de sa victime. C'est dans ce contexte qu'il reçoit la visite de Charlotte Hale, venue lui demander de réintégrer le conseil d'administration de Delos afin de contrer les manoeuvres de rachat de Serac.

Caleb et Dolores (Aaron Paul et Evan Rachel Wood)

Cependant, Dolores et Caleb poursuivent le plan de cette dernière en s'emparant d'une clé de décryptage donnant accès au compte bancaire de Liam Dempsey Jr.. Ils lui subtilisent sa fortune colossale en trompant le vigilance de la banque. Bernard et Ashley sont encore loin derrière mais le premier est convaincu que Dolores a remplacé Liam par un hôte et il compte le kidnapper lors d'une soirée de charité à laquelle il doit participer.

Bernard et Caleb (Jeffrey Wright et Aaron Paul)

C'est dans ce cadre que Dolores et Caleb, d'un côté, et Bernard et Ashley, de l'autre, vont se croiser. Bernard et Ashley coincent Liam pour constater qu'il n'est pas un hôte lorsque Dolores et Caleb les surprennent. Bernard s'enfuit avec Liam, poursuivis par Caleb, tandis que Dolores affronte (et tue) Ashley. Dehors, Martin Connels intervient pour stopper Bernard, laissant Liam décamper, rattrapé par Caleb.

Enguerrand Serac (Vincent Cassel)

Loin du théâtre de ces opérations, Serac convainc enfin Maeve de collaborer avec lui en échange de quoi il la renverra auprès de sa fille dans la Sublime.Il explique que son projet avec le Rehoboam est de dupliquer l'esprit humain afin de prévenir les catastrophes - comme la destruction atomique de Paris à laquelle il,assista enfant. Mais pour cela il doit détenir des données développées par Delos, auxquelles Dolores peut seule accéder.

Maeve (Thandie Newton)

Pour remonter la piste de Dolores, il faut à Maeve retrouver le Croque-Mort, un trafiquant d'organes qui aurait pu lui fournir des corps pour héberger les cinq perles qu'elle a emportées en quittant Westworld. A Singapour, en utilisant ses pouvoirs sur la technologie, Maeve atteint le Croque-Mort qui lui révèle disposer des corps grâce aux yakusas. Ainsi Maeve rencontre-t-elle le chef de ces derniers, Sato... Qui n'est autre que Sato, rescapé du Shogunworld !

Liam Dempsey Jr., Dolores et Caleb (John Gallagher Jr., Evan Rachel Wood et Aaron Paul)

Simultanèment, William, Bernard et Maeve vont comprendre le stratagème génial de Dolores. Elle a implanté dans les corps de Charlotte, Martin et Sato/Musashi son esprit - ils sont tous des copies de Dolores ! Bernard reste stupéfait. Maeve, surprise, est tué par Sato en combat au sabre. William est interné dans un asile après avoir dénoncé Charlotte à des infirmiers qu'il prenait pour des employés de Delos - dans sa cellule, il reçoit la visite du spectre de Dolores qui lui dit avoir accompli les dernières volontés d'Emily en l'enfermant dans sa propre folie.

Il y a, comme ça, des épisodes (de comics, de séries télé) si bien foutus qu'on en retire un plaisir intense, même si les auteurs vous ont roulé dans la farine en vous entraînant auparavant sur de fausses pistes. La solution choisie par les auteurs de Westworld pour révéler qui sont les hôtes alliés de Dolores est aussi simple que magistrale car fabuleusement amenée.

Ce n'est pas la première fois que la série réserve à ses fans un coup de théâtre si subtilement et efficacement conduit : on se souviendra par exemple de ce moment où on découvrit que le jeune William était le futur Homme en Noir, ou encore quand Ford décida de se suicider en préprogrammant les hôtes pour qu'ils massacrent les invités de Delos à son pot de départ, ou encore quand on comprit que Bernard était un hôte, etc.

Réussir encore à surprendre son public après trois saisons de façon aussi spectaculaire et intelligente est la preuve de l'excellence dans l'écriture des auteurs de la série. Cet épisode est un mécanique de précision, un modèle de construction, et quand Maeve, William et Bernard saisissent, en même temps, à qui ils font face, un frisson délicieux vous parcourt. La suite est encore plus jubilatoire : Bernard est comme interdit, Maeve est dépassée par Sato...

Mais c'est surtout le sort de William/l'Homme en Noir qui retient le plus l'attention. L'épisode 1 était celui de Dolores, le 2 celui de Maeve, le 3 de Charlotte : celui-ci est le sien. On retrouve ce personnage emblématique de la série dans un sale état physique et surtout mental, hanté par le fantôme de sa fille (le plaisir de revoir Katja Herbers, qui est depuis la vedette de la série Evil). Rappelons qu'il a assassiné cette dernière dans le parc en croyant qu'il s'agissait d'un hôte venue le tourmenter selon le voeu de Ford et tout devient évident.

Sur ces entrefaîtes, Charlotte Hale arrive et elle a besoin de lui pour contrer l'OPA de Serac sur Delos. Elle rase (comme autrefois Dolores le fit dans le parc, ce qui est déjà un indice sur ce qui suit), il s'habille, parle à Emily dont le reflet apparaît dans un miroir. Ce dialogue n'échappe par à Charlotte et elle le lui révèle. Un malaise s'installe et dans le regard malade de William brille déjà un soupçon sur l'identité réelle de son interlocutrice. En présence de deux employés supposés de Delos, qui sont en fait des infirmiers et surtout des témoins, saisissant à qui il parle, William commet la faute qu'elle attendait : il s'emporte en prétendant que Charlotte est Dolores - les paroles d'un fou assurément, même s'il a raison. Et Charlotte/Dolores de lui avouer qu'elle a orchestré cette mise en scène pour qu'il soit déclaré dément et qu'elle hérite de sa voix au sein du conseil d'administration (elle devient ainsi de facto la patronne unique de la compagnie).

Le calvaire de William n'est pas terminé. Il est enfermé dans un asile, vêtu d'une combinaison blanche (en opposition à son costume noir de cowboy dans le parc) et, drogué, est sujet à de nouvelles hallucinations. Il voit désormais Dolores telle qu'elle était dans Westworld qui lui murmure à l'oreille avoir exaucé le souhait d'Emily en le condamnant à la pire des prisons, seul avec lui-même et ses démons. "We're at the endgame now" conclut-elle : la fin de la partie donc pour William - et une sortie terrible pour ce personnage.

Tout ce dispositif diabolique est ponctué par une autre série de scènes qui permettent de voir l'ensemble du casting comme autant de binômes en marche. Il y a la team Dolores avec Caleb, qui détourne la fortune de Liam Dempsey Jr.. Il y a la team Bernard avec Ashley qui veut empêcher Dolores d'enlever Liam. Et il y a la team Maeve avec Serac qui veut retrouver Dolores.

Les scénaristes disposent donc leurs pions de manière à ce chacun rencontre un double de Dolores dans le corps d'un hôte : Bernard avec Martin Connels, Maeve avec sato/Musashi, et donc William avec Charlotte. la simultanéité de la révélation renforce sa puissance dramatique et souligne la perfection tactique des mouvements de Dolores "Prime". Je crois que chaque téléspectateur sera aussi sidéré que Maeve, Bernard et William en découvrant la vérité sur la Dolores army. Personnellement, j'ai trouvé cela malin, imprévisible et prometteur (car cela déjoue tous les pronostics sur les perles subtilisées par Dolores). La réalisation doit rendre compte de ce moment de bascule le plus clairement possible pour maximiser son impact et à cet égard le montage de la scène est d'une fluidité absolue.

Le niveau atteint par les acteurs est aussi exceptionnel. Tessa Thompson a expliqué en interview qu'un de ses regrets concernant la fin de la saison 2 était d'avoir appris tardivement qu'elle jouerait désormais un double de Evan Rachel Wood. Elle a eu, cette fois, le temps de s'y préparer et comme Tommy Flanagan (Martin Connels) et Hiroyuku Sanada (Sato/Musashi) on peut apprécier avec quelle finesse elle a calé son jeu sur celui de sa partenaire, en adoptant la raideur glaciale, la détermination machiavélique. C'est très troublant.

Mais, bien sûr, c'est aussi Ed Harris qui assure le show. Il a toujours été phénoménal dans le rôle de l'Homme en Noir et une fois encore il habite le personnage avec une intensité peu commune. On regrette qu'il sorte de la série (apparemment définitivement... Même si dans Westworld, tout est possible : après tout, il ne meurt pas), mais il faut reconnaître aux auteurs de lui avoir donné une sortie mémorable (de ce point de vue, les grands acteurs qui ont peuplé la série ont toujours eu droit à des adieux de première classe).

Vous l'aurez compris, les superlatifs manquent pour distinguer cet épisode. On peut bien sûr craindre qu'après la série peine à maintenir ce niveau. Mais l'expérience nous contredirait car Westworld, c'est ce miracle permanent d'une série qui sait grandir sans avoir peur de rien. Surtout pas de se dépasser.

samedi 11 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 3 : THE ABSENCE OF FIELD (HBO)

2 100ème entrée du blog !



Pour ce troisième épisode de la saison 3 de Westworld, une nouvelle fois le récit se concentre sur un personnage : Charlotte Hale. Ou plutôt celle qui en a désormais l'apparence. De fait toute l'intrigue tourne autour de la notion d'identité et d'apparence jusqu'au coup de théâtre final qui lance de nouvelles pistes. Les acteurs sont prodigieux, la mise en scène sublime. Mais alors d'où vient qu'on n'est pas aussi convaincu que les fois précédentes ?

Dolores et la copie de Charlotte Hale (Evan Rachel Wood et Tessa Thompson)

Lors du massacre de Westworld, Charlotte Hale enregistre un message vidéo à l'intention de son fils, Nathan. Plus tard, après que Dolores Abernathy ait créé une réplique de Charlotte et lui ait implanté une des perles qu'elle a sorti du parc, elle lui assigne sa mission : prendre le contrôle de Delos afin de protéger les autres hôtes survivants.

Caleb et Dolores (Aaron Paul et Evan Rachel Wood)

Actuellement. Caleb appelle les secours après avoir trouvé Dolores blessée suite à la fusillade qui l'a opposée aux hommes de Martin Connels, le chef de la sécurité d'Incite et garde du corps de Liam Dempsey. Mais l'ambulance qui les conduit aux urgences est stoppée par des flics véreux utilisant l'application Rico et chargés de capturer Dolores. Elle revient à elle après que les ambulanciers aient été abattus et que Caleb soit en difficulté contre eux. Elle les élimine impitoyablement puis s'enfuit en remerciant Caleb.

Dolores et Charlotte (Evan Rachel Wood et Tessa Thompson)

Charlotte apprend que Engerrand Serac mène une OPA discrète contre Delos avec la complicité évidente d'une "taupe" au sein de l'entreprise. Elle diligente une enquête pour identifier le traître et réfléchit au moyen de contrarier le plan de Serac. Charlotte doit aussi composer avec son ex-mari et leur fils qu'elle néglige. De plus en plus désemparée, elle contacte Dolores qui s'aperçoit qu'elle s'auto-mutile car la personnalité de Charlotte lutte contre celle de l'hôte qui a été implantée dans sa réplique.

Caleb et Dolores (Aaron Paul et Evan Rachel Wood)

Sa tête mise à prix sur Rico, Caleb est capturé à l'hôpital où il rend visite à sa mère. Les deux mercenaires qui l'arrêtent l'entrainent dans un des gratte-ciel en construction où il travaille et le torturent pour savoir où est Dolores. Celle-ci, justement, demande à Connels de localiser Caleb et intervient pour le sauver. Puis elle lui explique son projet et l'invite à l'aider pour s'émanciper de l'influence du Rehoboam. Il accepte, troublé par ce que lui révèle Dolores sur cette intelligence artificielle qui a déjà pré-écrit sa vie.

Charlotte (Tessa Thompson)

Alors que l'enquête sur la "taupe" à l'intérieur de Delos piétine, Charlotte récupère la vidéo qu'elle avait enregistrée pour son fils durant le massacre de Westworld. Emue, elle va chercher Nathan à son école et surprend un pédophile qu'elle tue froidement et discrètement. Plus tard, elle se sert de la mélodie d'une chanson qu'elle entonnait à son fils pour débloquer la liste des contacts de son téléphone portable et accède ainsi au numéro de Serac. Celui-ci déroute alors le taxi dans lequel elle se trouve pour qu'elle arrive chez lui.

Serac (Vincent Cassel)

En présence de l'hologramme de Serac, Charlotte apprend qu'elle est son espionne au sein de Delos pour lui fournir les données d'un secteur secret du parc. Dolores a la clé pour accèder à ces datas et Serac presse donc Charlotte de la retrouver.

Depuis la fin de la saison 2, lorsqu'on l'a vue quitter le parc de Westworld en sachant qu'il s'agissait d'un hôte créé par Dolores, la question qui obsède les fans de la série est : qui occupe le corps de Charlotte Hale ? Cet épisode n'y répond pas, autant le dire tout de suite, mais certifie qu'il ne s'agit plus de l'administratrice de Delos. Et visiblement elle ne va pas bien.

Tout ici questionne l'identité et l'apparence. Charlotte Hale est morte dans le parc, son vrai corps a disparu, Dolores a abusé tout le monde avec une copie de la jeune femme et s'en sert à la tête de Delos pour son grand projet pour les hôtes survivants. C'est donc une pièce essentielle dans son dispositif.

Le coup est finement joué car personne ne soupçonne Charlotte Hale de n'être pas celle qu'elle est. La réplique est parfaite physiquement et en apparence elle joue son rôle à merveille en public puisque le conseil d'administration de l'entreprise n'y voit que du feu. L'illusion est si parfaite qu'à la fin de l'épisode, même Enguerrand Serac tombe dans le panneau.

Mais l'apparence n'est pas l'identité. Et de même, il ne suffit pas d'une interprétation parfaite sur scène pour que tout soit impeccable, imparable. C'est aussi, ironiquement, le problème de l'épisode lui-même. 

En effet, on découvre rapidement que la fausse Charlotte souffre d'un désordre intérieur profond. Elle s'auto-mutile, est tiraillée entre deux personnalités - celle de Hale et celle de l'hôte que lui a implantée Dolores. Mais comment est-ce possible ? Comment la conscience de Hale peut-elle encore résider dans une réplique d'elle-même ? C'est le souci scénaristique que pose ce chapitre.

Et les auteurs n'y répondent pas. Un hôte n'est qu'une coquille vide, un ersatz, certes très troublant puisque semblable physiquement à un humain, mais installez-y une perle et il devient ce que contient cette perle. Les seuls à dépasser ce stade sont des hôtes comme Dolores, Maeve, Bernard, qui ont trouvé un moyen de s'émanciper de leur condition, d'accéder à une conscience propre et même d'augmenter leurs capacités cognitives et motrices. Ce n'est pas le cas de la fausse Charlotte que Dolores a façonné complètement, sans rien garder de l'original : c'est une marionnette, une actrice dirigée par Dolores, munie d'une conscience permettant cela.

Donc il ne devrait rien rester de la Charlotte Hale dans cette Charlotte-ci. Et pourtant le trouble qui l'affecte indique bien que ce n'est pas le cas. D'ailleurs quand Charlotte retrouve, paniquée, Dolores, dans un hôtel, pour lui parler de Serac, Dolores lui explique qu'elle doit apprendre à contrôler les traits de caractère de Hale et s'en servir au lieu d'être dépassée par eux (en gros : il faut utiliser l'instinct de prédatrice de Hale, grâce auquel elle était une redoutable femme d'affaires). Mais, en vérité, la fausse Charlotte ne devrait pas avoir ce genre de troubles puisque rien ne subsiste de la conscience de Hale.

Il me semble donc qu'il aurait été plus simple et logique pour les auteurs de limiter les difficultés comportementales de Charlotte à celles que rencontrerait une actrice pour interpréter son rôle à la perfection plutôt que de suggérer qu'il restait des traces de la personnalité de Hale dans l'hôte à son image qu'a créé Dolores.

Cette (grosse) réserve mise à part, l'épisode fonctionne très bien. L'arc qui suit Caleb et Dolores est remarquable de concision : la scène où elle lui révèle l'influence du Rehoboam sur la vie des humains, au point de déterminer leurs échecs et leurs succès, jusqu'à la mort qu'ils auront, est vertigineuse. La densité des dialogues, l'intensité de l'interprétation des acteurs font passer rapidement et efficacement ce changement décisif pour Caleb.

L'autre réussite de l'épisode tient dans le twist final où on découvre, en même temps que Charlotte, qu'elle est la "taupe" de Serac au sein de Delos, qui plus est depuis des années. L'objectif de Serac (prendre le contrôle de Delos) tient dans un secteur secret du parc (le n°16) qui contiendrait des données importantes (sans qu'on sache encore lesquelles) et cela indique bien une fois encore à quel point Robert Ford a réussi à dissimuler à tous des recoins du parc. Même sorti de son enceinte, Westworld (et Ford) reste(nt) bien au centre de la série. C'est jubilatoire.

La réalisation de ce chapitre est magnifique. On y voit des plans composés avec une virtuosité esthétique bluffante (comme lorsque Charlotte contemple le siège de Delos la nuit : la forme du bâtiment qui se reflète dans un bassin qui l'entoure ressemble alors à un oeil géant et Charlotte se trouve en son centre, comme si elle observait cet oeil géant autant qu'il l'observait, elle). Une scène d'action comme celle de l'attaque de l'ambulance est aussi un vrai morceau de bravoure. Tout, jusque dans les moindres détails, témoignent d'une exigence folle et sollicitent l'attention du téléspectateur (remarquez comme les vêtement de Dolores et Charlotte se répondent, la première tout en noir et la deuxième tout en blanc quand elle se retrouvent à l'hôtel). Enfin, le fait que Charlotte ait rendez-vous non pas avec Serac en personne mais avec son hologramme questionne encore sur ce qui est vrai ou pas dans le récit (une théorie circule comme quoi Serac ne serait pas humain, mais peut-être une extension du Rehoboam).

Les acteurs sont toujours aussi excellents. Tessa Thompson se taille la part du lion : les producteurs ont sans doute deviné que l'actrice, dont l'ascension à Hollywood est irrésistible, devait être mieux exploitée que depuis deux saisons, où elle occupait un second rôle de luxe. Cet épisode est le sien (comme l'épisode 2 était celui de Thandie Newton) et elle livre une composition magnifique, fragile, fébrile, puis implacable. Du grand art.

Le duo Aaron Paul-Evan Rachel Wood fonctionne aussi merveilleusement. Les scénaristes ne l'écrivent pas sous un angle romantique (même si un des trailers de la saison 3 avançait cette piste). Wood, glaciale à souhait, et Paul, intense, forment une équipe étonnante et puissante.

Le procédé consistant à se focaliser sur un personnage continue dans le prochain épisode (qui est, je préviens d'avance, un pur chef d'oeuvre), qui marque la première moitié de cette saison. Il faut donc s'attendre à ce que, dès le chapitre 5, l'histoire bascule véritablement. Voilà qui promet beaucoup (mais après une telle mise en place, on y va confiant).   

jeudi 9 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 2 : THE WINTER LINE (HBO)


Après un premier épisode palpitant, qui lançait la troisième saison dans une direction inédite, ce deuxième chapitre de Westworld, intitulé The Winter Line, surprend encore en reprenant exactement là où on en était avec Maeve, dans la scène post-générique de fin de Parce Domine. La série renoue avec une narration sinueuse et passionnante et introduit celui qu'on peut considérer comme le méchant de ce troisième acte.

Hector et Maeve (Rodrigo Santoro et Thandie Newton)

Dans la Warworld, Maeve Millay est sauvée par Hector et échappe aux nazis qui occupent un village italien. Mais elle comprend vite qu'il s'agit d'une nouvelle trame narrative, comme celui où elle évoluait dans Westworld. Elle se suicide donc pour y échapper.

Simon Quaterman (Lee Sizemore)

Maeve revient à elle, toujours prisonnière du Warworld mais après avoir pris un autre chemin que Hector, elle tombe sur Simon Quaterman, l'ancien responsable des scénarios de Westworld. Il lui explique avoir miraculeusement survécu au massacre dans le parc et la guide jusqu'à la Forge afin qu'elle puisse regagner le Sublime, cet Eden virtuel où elle a mis sa fille à l'abri.

Bernard (Jeffrey Wright)

De son côté, Bernard revient à Westworld et accède à son ancien bureau (là même où il découvrit qu'elle était un hôte assistant Robert Ford). Il y découvre Ashley Stubbs, ancien membre de la sécurité, lui aussi un robot (il avait ainsi autorisé la fausse Charlotte Hale à quitter le parc après le massacre) : il a tenté de se tuer pour protéger le secret de Bernard. Celui-ci le répare et ils partent jusqu'à la Mesa, le centre des opérations du parc afin de localiser Maeve, la seule capable de neutraliser Dolores. Mais il ne reste que son corps dont on a retiré la perle.

Maeve (Thandie Newton)

Dans la Forge, Maeve comprend que tout n'est qu'une simulation et que ses capacités ont été bridées. Pour réellement sortir de cette boucle, elle doit la briser de l'intérieur et donc revenir dans le Warworld. Ceci fait avec Lee, elle transfère sa conscience dans un nouvel hôte, dans le monde réel - un robot d'entretien qui récupère sa perle avant d'être abattu par la sécurité.

Ashley et Bernard (Luke Hemsworth et Jeffrey Wright)

Bernard et Ashley découvrent que Maeve a quitté le parc sans réussir à la localiser à l'extérieur. Bernard nettoie son système interne pour s'assurer que Dolores ne l'a pas contaminé avec un virus puis remonte sa piste jusqu'à Liam Dempsey Jr.. Après avoir affronté les gardes qui les ont surpris, Bernard et Ashley quittent le parc à leur tour.

Maeve et Serac (Thandie Newton et Vincent Cassel)

Maeve se réveille dans son corps et rencontre le maître de la somptueuse demeure où elle est. Il s'appelle Enguerrand Serac et se présente comme le concepteur du Rehoboram, qu'il a voulu comme un moyen d'écrire le futur de l'humanité. Dernièrement, ce système a détecté des anomalies, des "divergences", provoquées par Dolores. Serac propose à Maeve de la traquer et de la tuer en échange de retrouvailles avec sa fille. Mais elle refuse ce marché. Serac désactive ses fonctions motrices en attendant qu'elle soit plus coopérative.

Deux personnages emblématiques de la série manquaient à l'appel du premier épisode : l'Homme en Noir (William, le co-fondateur de Delos et actionnaire majoritaire du parc) et Maeve Millay, qui avait organisé la marche des hôtes dans le Sublime, cet Eden virtuel inaccessible aux ingénieurs du parc, dans laquelle elle avait conduit sa fille.

Les showrunners font un cadeau royal à Thandie Newton en consacrant l'essentiel de cet épisode à son personnage. Au passage, on notera que Westworld, à l'époque où des voix se sont élevées contre le manque de représentation des minorités ethniques dans le cinéma et à la télé, donne à trois comédiens noirs des rôles de premiers plans (Thandie Newton donc, mais aussi Jeffrey Wright alias Bernard, et Tessa Thompson alias Charlotte Hale). Dans une production aussi exposée, c'est un exemple.

Mais revenons au contenu. Maeve Millay est devenue une sorte d'alter ego de Dolores Abernathy au fil des deux premières saisons : le personnage incarné par Evan Rachel Wood partage avec celui de Newton une volonté de s'émanciper des hommes mais le fait avec un plan d'ensemble, impliquant tous les robots. On ignore s'il s'agit de se venger ou d'ouvrir les yeux des humains en leur montrant qu'ils sont manipulés par des savants et des affairistes désireux de les contrôler via leurs loisirs ou la collecte de données sur leur vie privée, mais sa démarche est offensive.

Maeve est dans un mouvement plus maternelle et indépendantiste. Il s'agit pour elle d'échapper à l'exploitation que les hommes ont fait des hôtes, pas de mener une révolution contre l'humanité. Ainsi a-t-elle mis à l'abri un maximum de ses semblables dans le Sublime, une sorte de paradis virtuel où résident dorénavant leurs consciences, inaccessibles aux ingénieurs du parc.

Mais en ayant augmenté ses capacités cognitives, Maeve est devenue un hôte de valeur et quelqu'un a su la faire revenir dans notre réalité. Il est donc évident qu'il s'agit d'un individu puissant, aux ressources considérables, capable potentiellement de rivaliser avec feu Robert Ford. Mais avant que Maeve ne le rencontre, elle doit visiblement prouver qu'elle est à la mesure de sa réputation.

La première partie de l'épisode la voit donc évoluer dans le Warworld, une nouvelle extension du parc (après Westworld et Shogunworld), qui reconstitue un village italien occupé par l'armée allemande durant la seconde guerre mondiale. Elle y retrouve Hector dans un rôle de résistant, inapte à distinguer le vrai du faux (contrairement à elle qui a gardé toute sa ludicidé) et qui suit la partition d'un récit classique, romanesque, tragique. Pour s'extraire de cette trame narrative, Maeve se tue une première fois.

Mais cela ne suffit évidemment pas et renvoie la série au concept de transhumanisme qui la traverse depuis le début. Les héros de Westworld étant des robots, ils sont par principe immortels, on les répare et on les replace sur la scène pour rejouer indéfiniment la pièce écrite pour eux et les clients. N'étant pas capables de se rendre compte de cet effet de boucle, ils sont de parfaites marionnettes. A l'exception ici de Maeve que celui qui la manipule a choisi de brider un peu mais pas de lui retirer sa lucidité sur les événements. Ainsi comprend-elle qu'il ne suffit pas de détruire son corps pour sortir de l'histoire : il faut littéralement briser la boucle de l'intérieur.

Le scénario de l'épisode renoue avec les meilleures heures des saisons 1 et 2 quand le fan ne savait plus dans quelle temporalité l'action se déroulait, quand la frontière entre fiction et réalité était brouillée au maximum. Lorsque Maeve en compagnie de Simon Quaterman découvre la supercherie et surtout comment y échapper, un vertige nous saisit car tout ce qu'on venait de voir n'était qu'une illusion plus vraie que nature. Les auteurs se surpassent une fois encore pour nous abuser. L'évasion de Maeve réussit l'exploit de rendre poignante l'exécution d'un robot d'entretien mis à mort par plusieurs gardes car on assiste alors à l'échec de Maeve.

Une nouvelle fois, l'épisode est ponctué par les apparitions de Bernard, qui poursuit son propre agenda. Le voici de retour à Westworld et nous avec lui, dans les couloirs sombres des coulisses du parc, les bureaux désaffectées désormais, les laboratoires où on recycle les hôtes. Les auteurs en profitent pour glisser un clin d'oeil à Game of Thrones en montrant un des dragons de Daenerys découpé en tranches pour être revendu à un autre parc : la scène a divisé le public - certains ont trouvé l'allusion superflue, trop sarcastique (le monde de GoT serait une extension du parc ?), d'autant que les laboratins affairés sur le dragon ne sont autre que les deux scénaristes de la série-phénomène. Pour ma part, n'ayant jamais suivi Game of Thrones, cela m'a amusé, d'ailleurs la scène est très rapide, elle ne ralentit pas l'intrigue en cours et ne me semble pas manquer de respect à la série.

De manière étonnante, les retrouvailles de Bernard avec Ashley Stubbs créent une sorte de buddy movie tout en montrant que Bernard semble avoir hérité du caractère manipulateur de Ford puisqu'il reconfigure Stubbs pour en faire son garde du corps docile. Il est aussi évident que Bernard devient une troisième voix dans le concert narratif de la série, à égale distance entre Maeve (qu'il recherche sans la trouver - et pour cause, quelqu'un d'autre s'en est déjà chargé) et Dolores (qui semble l'avoir lui avoir redonné un corps dans un but précis, mais à définir - peut-être pour l'empêcher de déraper dans sa croisade à l'extérieur ?). En tout cas, Bernard reste nébuleux, imprévisible, et cela suggère que les scénaristes lui réservent un rôle décisif dans le futur.

Enfin, l'épisode se conclut par l'entrée en scène d'Enguerrand Serac, qu'on peut résumer comme l'antagoniste principal de la saison. Bien entendu, ce ne sera certainement pas aussi simple - n'oublions pas que dans Westworld, personne, humain ou machine, n'est jamais seulement ce qu'il semble être. Ce qui est certain en revanche, c'est que Serac a deux objectifs précis : le premier, c'est d'écrire le futur de l'humanité grâce au Rehoboram, cette gigantesque intelligence artificielle qu'on a a aperçue dans le premier épisode, pour prévenir des divergences (des accidents mineurs ou majeurs génératrices à terme de chaos généralisé) ; le second, c'est d'utiliser le talents de Maeve pour abattre Dolores qui a provoqué certaines divergences récentes (et dispose d'un temps d'avance - avantage intolérable pour un prévisionniste comme Serac).

Serac apparaît comme un chef d'orchestre minutieux et puissant, avec une sérieuse tendance mégalomaniaque. Comme jadis Robert Ford qui pouvait figer tous les hôtes du parc en levant le doigt, il pétrifie Maeve sur le point de le poignarder avec une télécommande (ce détail a fait tiquer quelques critiques, mais il me semble précieux dans la mesure où il montre tout de même que Serac, malgré ses ressources, n'a pas encore la mainmise sur le monde qu'avait Ford dans le parc). Parce qu'il est antipathique, Serac fait un bon méchant naturel, mais la suite va prouver que c'est une figure plus complexe...

Le casting est comme toujours impérial. Même si choisir Vincent Cassel pour jouer Serac a quelque chose de trop évident (mais l'acteur s'en tire bien et sa notoriété internationale lui a permis d'intéresser les producteurs), Thandie Newton est impressionnante. Elle est capable de traduire avec beaucoup de finesse le trouble de son personnage ainsi que son arrogance et sa détermination. La silhouette gracile, voire fragile, de l'actrice ajoute au rôle dans la mesure où on est constamment surpris par les performances de son personnage. Quant à Jeffrey Wright, c'est un régal de chaque instant : grâce à lui, Bernard conserve ce côté opaque, imprévisible, et imposant, et il n'a pas besoin de beaucoup de temps pour donner à chacune de ses scènes une intensité remarquable.

On retrouve également Lee Sizemore et Luke Hemsworth ainsi que Rodrigo Santoro, des "historiques" de la série - même si seul le deuxième va poursuivre l'aventure.

Toujours aussi spectaculairement mis en scène, la série franchit ce nouveau cap avec maestria. C'est sûr, cette saison 3 part sur des bases élevées.