Chaque semaine désormais, c'est le vrai suspense : le nouvel épisode de Westworld se hissera-t-il au niveau des précédents de cette éblouissante saison 3 ? Decoherence ne déçoit pas et il a même le mérite de continuer à faire grimper la tension d'un cran supplémentaire - on est vraiment dans le "endgame" annoncé par Dolores à William : la fin de la partie est imminente. Par ailleurs les scénaristes en profitent pour justifier des éléments perturbants jusque-là et orchestrer un retour inattendu.
Maeve (Thandie Newton)
Maeve et Hector (Thandie Newton et Rodrigo Santoro)
Serac (Vincent Cassel)
Charlotte (Tessa Thompson)
William et James Delos (Ed Harris, Jimmi Simpson et Peter Mullan)
William (Ed Harris)
Le résumé ci-dessus, en trois blocs correspondant aux protagonistes de l'épisode, ne correspond pas au déroulement de l'épisode qui entremêle ces trois lignes narratives. Les scénaristes baladent ainsi le téléspectateur dans un tourbillon d'actions étroitement liées, avec en fil rouge la thérapie extrême subie par William.
Le point d'accroche du récit se situe au moment où la copie endommagée de Dolores dans la simulation du Warworld envoie un ordre à Charlotte Hale (ou "Halores" comme la surnomment les fans puisque cette réplique de Charlotte est le réceptacle d'une copie de Dolores "prime") au moment où celle-ci, traquée par les gardes de Serac, qui vient de la démasquer, découvre que le nouveau propriétaire de Delos façonne dans une forge de nouveaux hôtes. Charlotte détruit alors la perle de Hector et dans le Warworld, celui-ci s'effrondre aussitôt. Maeve est brisée par cette mort brutale qui va sûrement lui donner une raison supplémentaire de tuer Dolores.
Ce qui se passe dans le Warworld (une simulation) est donc synchronisé avec ce qui se passe dans le monde réel, et on peut une nouvelle fois mesurer la perfection des mouvements de Dolores (on se rappelera alors avec ironie de la remarque de Liam Dempsey Jr. dans le précédent épisode où doutait qu'elle puisse être dotée du don d'ubiquité alors qu'elle commandait à Martin Connels de transmettre les fichiers d'Incite partout dans le monde. C'est la copie de Dolores qu'abritait Martin Connels qui lance l'ordre à Charlotte Hale de détruire la perle de Hector.).
Ces deux parties, qui se jouent en parallèle fonctionnent de manière retoutable même si on ne saisit leur lien qu'au moment de cette scène cruelle et poignante (il semble bien que cette fois-ci on ne revoit plus Hector). Pourtant, elles se déroulent sur des tempos différents : Maeve, renvoyée dans le Warworld pour se préparer mieux au combat contre Dolores dans le monde réel, se fait d'abord la main sur un régiment nazi dans le village italien occupé puis retrouve successivement Lee Sizemore et Hector Escaton dans un bar de la même simulation. Elle en profite pour mettre à jour Hector et on peut constater que, même si Serac la tient en la menaçant de la priver de sa fille si elle échoue dans la mission qu'il lui a confiée, elle dispose encore de ressources considérables en influençant les serveurs à distance.
Enfin, Maeve se confronte à Dolores (ou du moins à une de ses répliques). Un dialogue parfait intervient alors dans lesquel les scénaristes réussissent à équilibrer le débat. D'une certaine manière, Maeve comme Dolores sont d'abord des mères : Maeve veut retrouver sa fille dans le Sublime où elle a envoyé les consciences de plusieurs hôtes, dans l'espoir qu'ils y seront à l'abri (elle a compris que ce n'était pas le cas puisque Serac a accès au Sublime). Dolores aussi veille comme une mère sur ses semblables mais elle refuse de les priver de la liberté d'évoluer dans le monde réel. Ce sont deux conceptions de la protection de leur "espèce" qui s'affontent : Maeve estime que le Sublime est un havre de paix pour les hôtes. Dolores considère que les hôtes ont le droit de vivre en dehors du parc (et même davantage puisqu'elle veut libérer les humains du joug de marionnetistes mégalomanes comme Serac).
Les deux positions se valent et on comprend que Maeve et Dolores ne sont pas si différentes. Simplement Maeve est aux mains de Serac. On peut alors repenser à un élément resté mystérieux jusqu'à présent : Dolores a extrait du parc cinq perles. Quatre d'entre elles sont des copies d'elle-même (dans les corps de Martin Connels, Charlotte Hale, Musashi/Sato et donc Dolores "Prime"). Mais alors quid de la cinquième perle ? Au petit jeu des théories, je me demande alors s'il ne s'agirait pas de la perle contenant la conscience de la fille de Maeve, ce qui serait alors un joker redoutable pour Dolores au moment de la convaincre de se ranger dans son camp contre Serac...
L'autre interrogation soulevée par Maeve dans son dialogue avec Dolores renvoie au fait que Dolores "Prime" possède en elle-même la clé de cryptage convoîtée par Serac. Mais de quel droit s'en arroge-t-elle la propriété ? Elle détient grâce à cela la destinée des hôtes et cela en fait une marionnetiste au même titre que celles qu'elle a combattus comme Ford et maintenant Serac. Un pouvoir égoïstement utilisé pour sa seule révolution. Certes, sur le plan des méthodes, Maeve ne peut guère faire la leçon à Dolores (elles ont toutes deux du sang d'humain sur les mains), mais le téléspectateur peut s'interroger, comme Maeve, sur jusqu'où est prête à aller Dolores pour offrir la liberté à tous ? Il ne fait en effet plus guère de doutes que, à la fin du précédent épisode, elle repart avec Caleb pour le parc afin d'y lever une armée d'hôtes contre Serac et sa propre police. Mais qu'adviendra-t-il quand elle découvrira que Serac a fait détruire les hôtes du parc, de manière préventive ? Et surtout en tuant Hector, Dolores n'a-t-elle pas fourni à Maeve la motivation ultime pour qu'elle la tue ?
Ce qui nous conduit à la troisième partie de l'épisode, le troisième bloc, détachés des autres narrativement mais pas dramatiquement. J'avais pensé qu'après l'épisode 4, c'en était fini de William, piégé de manière diabolique par Dolores, enfermé dans un asile. Que nenni !
Il apparaît que l'ex-homme en noir est interné au Mexique dans ce qui semble être un des centres de rééducation de Serac, et soumis à une thérapie particulièrement agressive, derrière des séances en groupe apparemment innocentes. On lui greffe un implant limbique dans la bouche - identique à celui que porte Caleb (par ricochet, on comprend donc que Caleb a aussi fait un passage dans un établissement identique et cela amène à se questionner sur les derniers mots de Liam Dempsey Jr.. Caleb a sûrement subi un lavage de cerveau en règle, qui conditionne tout ce qu'on ce sait de lui - a-t-il vraiment servi dans l'armée ? Perdu un frère d'armes ? Reçu une balle dans la tête ? Ou tout cela n'est-il que ce qu'on lui a "suggéré" en thérapie ?).
Cet implant sert à imposer des simulations à William et on a droit alors à une séquence étourdissante où il est confronté à des répliques virtuelles de lui-même à différentes périodes de son existence (enfant, jeune homme...) ainsi qu'à celle de James Delos (à qui il a infligé un terrible sort à la fin de sa vie). Jusqu'à présent, William est apparu comme un authentique bad guy, capable des pires atrocités dans le parc, sombrant dans la folie au point de tuer sa propre fille (pensant qu'elle était un hôte). Cette session avec lui-même apporte une correction et une affirmation.
Les auteurs suggèrent dans un premier temps que William enfant a subi des violences de la part d'un père alcoolique. Puis, en évoquant une bagarre à l'école au sujet des penchants de son père, William admet qu'il n'a pas eu besoin de maltraitances familiales pour être un sujet violent. C'est un être frustré depuis toujours et qui le fait payer brutalement aux autres. Le parc a représenté l'aboutissement de sa névrose en se défoulant sur des hôtes et en cherchant à percer un supposé secret de Robert Ford, un secteur inédit du parc qui apporterait une sorte de révélation-délivrance à celui qui le découvrirait.
Devenu enfin lucide sur son état mental, William change totalement de perspective, d'objectif. Il sera le good guy, le héros de l'histoire. Et on pourra vérifier si c'est le cas et de quelle manière prochainement car, entretemps, l'action de Dolores (révéler à tous les fichiers d'Incite) a provoqué la fuite du personnel de l'asile. C'est dans ce décor déserté que Bernard et Ashley retrouvent William et le libèrent. Comme Bernard est déjà repassé par Westworld et que William n'aura d'autre envie que d'y retourner, en voilà deux (trois en comptant Ashley) qui vont s'y rendre et certainement y croiser Dolores, Caleb puis Maeve (et sa bande) et Serac.
Voyez à présent comment toutes les pièces s'emboîtent et convergent vers le "endgame", la fin de la partie, alors qu'il reste juste deux épisodes avant le terme de la saison 3. Voilà à quoi ressemble un récit parfaitement construit, charpenté.
Encore une fois, la distribution fait des étincelles. Si Thandie Newton est finalement un peu en retrait par rapport à ce qui se met en place (mais l'issue de son retour dans le Warworld va changer tout cela assurément), en revanche Tessa Thompson est éblouissante dans sa partie (l'épisode explique au passage pourquoi "Halores" ressent des émotions envers la famille de Charlotte : il est clair désormais que les hôtes au contact des humains peuvent s'attacher à ses derniers, ce qui les rend confus). On mesure à quel point elle a pu caler son jeu, ses attitudes, sur celle de Evan Rachel Wood (peu présente effectivement de l'épisode puisqu'on ne la voit que dans le rôle de sa copie endommagée), plus rigide, plus badass aussi (la scène où elle dégomme les gardes Serac est jouissive). Quant à Ed Harris, sa prestation est tout simplement magistrale : d'abord complètement déboussolé, manipulé, à la ramasse, il se déchaîne ensuite (là aussi, le voir massacrer ses doubles est hallucinant).
On voit venir la fin avec impatience et aussi regret (8 épisodes pour cette saison, c'est vraiment trop peu). Espérons surtout que HBO donne vite son feu vert pour une saison 4 (et même 5, puisque l'histoire de Jonathan Nolan et Lisa Joy est idéalement conçue pour cinq saisons).
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