mercredi 15 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 5 : GENRE (HBO)


Quelle saison que cette saison 3 ! Je pensais qu'après l'épisode de la semaine dernière, la série risquait de stagner, peut-être baisser d'un ton, et voilà que Genre débarque et épate encore par son audace, sa densité, sa maîtrise. Westworld acte III est d'un niveau décidément exceptionnel. Dire qu'il ne reste plus que trois numéros...

Enguerrand et Jean-Mi Serac avec Liam Dempsey Sr. 
(Alexander Bar, Paul Cooper, Jefferson Mays)

Serac revient sur les origines du Rehoboam et son passé personnel : après que lui et son frère, Jean-Mi, aient assisté à la destruction nucléaire de Paris, ils élaborèrent une intelligence artificielle (Salomon) pour prédire et contrôler le comportement humain afin d'éviter pareille catastrophe. Grâce au soutien financier de Liam Dempsey Sr., patron d'Incite, ils perfectionnent leur outil (David) et leur influence s'étend. Mais Dempsey Sr. est d'abord intéressé par les profits financiers qu'il en tire et quand il découvre qu'Enguerrand interne des individus susceptibles d'altérer le futur, il veut se retirer. Serac le tue en maquillant son crime et profite de son fils, Liam Jr., plus faible, pour perfectionner le système (Rehoboam).

Dolores et Caleb (Evan Rachel Wood et Aaron Paul)

Aujourd'hui, Dolores et Caleb emmènent Liam en sécurité tandis que Serac mobilise toutes ses ressources pour les arrêter. Liam devine qui est vraiment Caleb et, pour tenter de lui échapper, lui injecte une drogue récréative, qu'on lui a fourni à la soirée où il a été enlevé. Le Genre provoque alors une série d'hallucinations pendant que Caleb tente avec Dolores et deux mercenaires qu'elle a recrutés via l'application Rico de semer les sbires de Serac.

Caleb et Dolores

Caleb expérimente des états inspirés de genres narratifs. Dolores force Liam à lui livrer un accès au système du Rehoboam en échange de la vie sauve. Puis elle transmet la clé de décryptage de Liam à Martin Connels qui s'est introduit avec Bernard dans le siège d'Incite où se trouve le Rehoboam.

Bernard et Martin Connels (Jeffrey Wright et Tommy Flanagan)

Martin accède aux données de Serac qu'il envoie à Dolores. Puis il transmet leurs profils à tous les individus fichés par le système afin qu'ils sachent qu'ils sont manipulés. Le chaos se répand à travers le monde car les gens se révoltent contre ce qu'on a déterminé pour eux. Leurs boucles narratives se brisent en direct comme y assiste Serac, impuissant et furieux.

La montre connectée au Rehoboam de Serac

Martin laisse filer Bernard après lui avoir révélé qu'il était le seul élément irremplaçable dans le plan de Dolores et l'existence des centres d'internement de Serac. La garde rapprochée de ce dernier vient arrêter Martin qui se fait sauter. Sur une plage, Liam est abattu par un des mercenaires engagés par Dolores et meurt dans les bras de Caleb, ébranlé par des flashes de son passé.

Serac et Dolores (Vincent Cassel et Evan Rachel Wood)

Dolores et Caleb gagnent un aérodrome privé où les attend un jet. Serac parvient à contacter Dolores et la menace de représailles mais elle lui assure avoir en sa possession tout ce dont elle a besoin pour le neutraliser. Un coursier livre un mystérieux sac à Caleb qui accepte, hésitant, de suivre encore Dolores.

Par où commencer pour parler de cet épisode extraordinaire ? Peut-être en disant qu'il est riche en action et psychologiquement très dense. C'est une manière de rappeler que Westworld dans sa troisième saison est à la fois devenue une série plus directe, plus spectaculaire, sans sacrifier à sa complexité.

Prenez le titre de ce cinquième épisode : Genre. Il renvoie à plusieurs choses : d'abord au nom d'une drogue récréative qu'administre par surprise Liam Dempsey Jr. à Caleb pour tenter de s'enfuir. Ensuite aux effets de cette substance pyschotrope puisque Caleb est ensuite victime d'épisodes hallucinatoires durant lesquels il expérimente l'ambiance de plusieurs styles narratifs alors que lui et Dolores (et deux mercenaires) affrontent et fuient les sbires de Serac. Enfin, il questionne le genre à travers les personnages de Dolores et Martin Connels (celui-ci étant un hôte avec la personnalité dupliquée de Dolores, comme on l'a vu dans l'épisode 4).

Ce qui pourrait n'être qu'un brillant exercice de style permet à l'épisode de brasser divers tonalités dans une longue séquence de cavale. Caleb expérimente ainsi, grâce à la drogue, le film noir, puis le film d'action, le film romantique, le film dramatique, la réalité, et le thriller horrifique. Il faut souligner ici la réalisation virtuose qui permet de distinguer les différents genres évoqués (par exemple le film noir avec des couleurs désaturées ou le film romantique avec des ralentis). Mais surtout la musique de Ramin Djawadi.

Ce dernier, compositeur de la série depuis la première série, a conçu des génériques entêtants mais aussi réarrangé des titres célébres. Cet épisode met en valeur son génie d'orchestrateur puisqu'il se réapproprie fabuleusement des chansons ou des airs connus : dans le passage film noir, il s'inspire des thèmes de La Griffe du Passé (Jacques Tourneur) et Vertigo (Alfred Hitchcock) ; dans le passage film d'action c'est carrément La Chevauchée des Valkyries de Richard Wagner entendue dans Apocalypse Now (Francis Ford Coppola) qu'on entend. Le film romantique reprend le thème de Love Story par Francis Lai, puis le drame est accompagné par la chanson Nightclubbing d'Iggy Pop issue de Trainspotting (Danny Boyle). Plus fort encore : la reprise de Space Oddity de David Bowie durant le segment réaliste. Et pour finir c'est Dies Irae de Shining (Stanley Kubrick) qu'on reconnaît dans la section thriller. Et n'oublions pas le morceau de Fischerspooner, Emerge, durant le générique de fin.

Toute cette musique participe pleinement à l'écriture proprement dite de l'épisode, tout comme la photographie et les effets de caméra et de montage (allant même jusqu'à oser être ironique comme lors de la séquence film romantique quand Caleb observe, fasciné, Dolores en train de mitrailler leurs poursuivants).

A propos de Caleb, l'épisode s'amuse aussi à intriguer le téléspectateur en suggérant de manière quasi-subliminale des éléments issus de son passé. On l'aperçoit dans une pièce blanche soumis à un traitement de choc, qui rappelle celui des centres de rééducation de Serac (ou de l'asile dans lequel croupit désormais William) - de quoi phosphorer sur l'opération au cerveau que Caleb dit avoir subi, son syndrome post-traumatique après la guerre, la capture d'un prisonnier durant le conflit, la mort de son frère d'armes. Par ailleurs, Liam Jr. avant de mourir laisse entendre que Caleb a un rôle décisif à jouer dans l'avenir tout en étant "le pire d'entre tous". Le personnage a de toute évidence un potentiel plus grand que celui d'être le complice de Dolores.

Le Genre renvoie aussi la définition du genre humain comme on peut le voir avec le personnage de Martin Connels, qui est désormais un des hôtes abritant la conscience de Dolores (avec Charlotte Hale et Musashi/Sato). Littéralement, c'est l'esprit d'une femme dans un corps d'homme. Tout comme le comportement actuel de Dolores évoque celui d'un homme dans le corps d'une femme. On pensera aussi à Bernard qui est jugé "seul irremplaçable", sans doute en premier lieu parce qu'il est le seul specimen connu d'un hôte dans lequel on a transféré la conscience d'un homme (et pas seulement une intelligence artificielle). Lui aussi va jouer assurément un rôle décisif dans la suite des événements puisqu'il est mis au courant par Connels de l'existence de centre de rééducation et qu'il a compris que Dolores l'avait ramené à la vie pour accomplir une partie cruciale de son plan (qui ressemble de plus en plus à un projet visant à libérer les humains de l'emprise de gens comme Serac, comme elle s'est affranchie de son exploitation dans le parc).

Surtout l'épisode permet d'en savoir plus sur Serac. Il serait réducteur d'en faire le méchant de la série actuelle, même s'il est évident qu'il souffre d'un sérieux complexe divin et eugéniste en ayant créé tour à tour le Rehoboam et des centres de rééducation pour les individus susceptibles de perturber le futur (n'hésitant pas à y interner son propre frère). Serac avait évoqué dans l'épisode précédent la destruction de Paris dont il fut témoin dans son enfance et ce rappel l'avait montré sincèrement ému. Cette catastrophe a aussi été le déclencheur de son grand oeuvre.

Mais en voulant écrire l'avenir, contrôler l'Histoire, Serac n'est pas à l'abri de ses propres pulsions et s'avère plus faillible que l'homme puissant qui menace le président du Brésil dans la scène d'ouverture et qui sait tout sur tout et tout le monde. Ainsi quand Dempsey Sr. menace son projet, il le tue de ses propres mains et maquille son crime en accident, puis consulte ensuite sa montre connectée au Rehoboam pour s'assurer que son action a rétabli l'équilibre souhaité. Loin d'être le maître du monde et du temps, Serac est en constante tension avec ces deux notions-là. Il marche au-dessus d'un volcan, vole au-dessus des hommes dans son jet, tel un dieu moderne, mais un dieu fragile, fébrile. Même quand il menace directement Dolores, il perd vite sa superbe lorsqu'elle lui rétorque en savoir suffisamment sur lui désormais pour le faire chuter (quitte à tomber, elle aussi). Entre Dolores et Serac, cela se joue à qui échouera le premier - pour l'instant encore, Dolores a un temps d'avance. La suite promet d'être épique.

L'interprétation est encore une fois magistrale. Vincent Cassel est remarquable en tyran aux pieds d'argile et électrise chacune de ses apparitions (on saluera aussi le fabuleux travail de casting pour avoir caster Alexander Bar qui joue Serac jeune et ressemble de façon troublante à Cassel, puis les maquilleurs qui rendent crédible le vieillissement du personnage ensuite). Evan Rachel Wood est comme d'habitude impériale. Aaron Paul joue sa partition avec une intensité presque usante et qui dévore son personnage de Caleb, devenu à la fois revanchard et dépassé. Enfin Jeffrey Wright est un peu sous-exploité ici mais tout de même impeccable. Mention aussi à Tommy Flanagan, avec une sortie de scène explosive.

Le teaser du prochain chapitre est déjà accrocheur (un revenant de taille, un duel terrible... Et un titre redoutable : Decoherence). Encore une fois, quelle saison de ouf !

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